La rougeole, une maladie folliculaire

La rougeole, une maladie folliculaire

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 111—115 CAS CLINIQUE La rougeole, une maladie folliculaire Measles: A follicular disease Y. S...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 111—115

CAS CLINIQUE

La rougeole, une maladie folliculaire Measles: A follicular disease Y. Scrivener ∗, T. Marcil , D. Lipsker , B. Cribier Clinique de dermatologie HUS, faculté de médecine, université de Strasbourg, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg, France Rec ¸u le 27 septembre 2010 ; accepté le 3 janvier 2011 Disponible sur Internet le 3 f´ evrier 2011

MOTS CLÉS Rougeole ; Exanthème ; Poil ; Histopathologie



Résumé Introduction. — Depuis les années 2000, on note dans toute l’Europe des épidémies de rougeole, dont certains cas sévères chez des adultes, conduisant à une hospitalisation. Nous présentons le cas d’un jeune adulte atteint de rougeole, en montrant une des spécificités cliniques et histologiques de l’éruption, son caractère folliculaire. Observation. — Un jeune homme de 18 ans s’est présenté en consultation pour un exanthème morbilliforme diffus, fébrile, non prurigineux, dont la caractéristique principale était d’être constitué de papules folliculaires entourées de macules érythémateuses. En l’absence d’éléments d’orientation sur un possible contage ou la prise de médicaments, une biopsie été effectuée sur un des éléments, montrant une atteinte strictement localisée au follicule. Elle était constituée d’une inflammation lymphocytaire péri-folliculaire, de kératinocytes nécrotiques à noyau monstrueux et surtout de cellules multinucléées dans la gaine folliculaire externe et la glande sébacée. La sérologie de la rougeole était positive en IgM. Discussion. — Parmi les cas de rougeole que nous avons vus au cours des dernières années, le caractère folliculaire de l’éruption était souvent présent. Dans le cas présenté ici, l’examen histologique a montré un effet cytopathogène folliculaire et sébacé très peu connu, mais qui a déjà été occasionnellement observé dans la rougeole au niveau du canal sudoral ou de l’épiderme, où l’on a pu montrer la présence du virus. Ainsi, l’éruption cutanée est au moins en partie expliquée par la présence du virus lui-même dans les kératinocytes et dans les cellules annexielles. Cette topographie folliculaire de la rougeole, confirmée ici par l’histologie, est fréquemment visible et peut faciliter le diagnostic différentiel clinique d’autres éruptions virales. Elle pourrait être induite par un tropisme particulier du virus pour le poil. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

DOI de l’article original : 10.1016/j.annder.2010.12.015. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Scrivener).

0151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2011.01.002

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KEYWORDS Measles; Exanthem; Body hair; Histopathology

Y. Scrivener et al.

Summary Background. — Since the year 2000, measles epidemics have occurred throughout Europe, with a number of severe cases in adults leading to hospitalisation. Herein, we discuss the case of a young adult male with measles presenting clinical and histological features of rash having a follicular nature. Patients and methods. — An 18-year-old male consulted for diffuse, febrile morbilliform exanthem consisting chiefly of follicular papules surrounded by erythematosus macules. In the absence of any features suggesting possible contagion or implicated medication, biopsy was performed on one of these elements and showed strictly follicular involvement. Perifollicular lymphocytic inflammation was noted, with necrotic keratinocytes having monster nuclear cells, and above all, multinucleated cells within the outer root sheath and the sebaceous gland. Positive IgM measles serology was noted. Discussion. — Follicular involvement is a very common feature in cases of measles that we have seen in recent years. In the present case, histological examination showed a follicular and sebaceous cytopathogenic effect, which while far less well known, has occasionally been seen with measles in the sweat glands or the epidermis, in which viral presence was detected. Thus, the skin rash was accounted for at least in part by the presence of the virus itself within keratinocytes and adnexal cells. This follicular involvement of measles, histologically confirmed in the present case, is frequently seen and can be helpful in differential clinical diagnosis with regard to other viral rashes. It could be caused by special affinity of the virus for body hairs. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La rougeole est une maladie infantile dont l’incidence a beaucoup diminué du fait de la vaccination. Celle-ci est recommandée, en France, entre le 12e et 24e mois de vie, permettant un taux de couverture vaccinale, à ces âges, compris entre 80 et 90 %. Les cas de rougeole sont plus rares chez l’adulte mais leur nombre semble s’accroître ces dernières années, ce qui a entraîné les autorités de santé à rendre de nouveau obligatoire, à partir de 2005, la déclaration de cette maladie [1]. Actuellement, on recense de petites épidémies estivales qui touchent principalement les jeunes adultes, notamment ceux qui n’ont pas rec ¸u le rappel vaccinal préconisé à l’âge de six ou sept ans. La rougeole touche aussi de jeunes adultes migrants, non vaccinés dans l’enfance. Nous présentons un cas de rougeole chez un jeune adulte chez qui nous avons noté une atteinte folliculaire clinique et histologique, illustrant une caractéristique clinique méconnue de l’exanthème de la rougeole.

trées par un follicule (Fig. 1 et 2). L’éruption était diffuse mais épargnait de vastes zones de peau saine. Elle touchait en particulier, le visage le tronc et la racine des membres. Elle s’accompagnait d’un énanthème endojugal constitué d’un érythème parsemé de minuscules papules brillantes. Les examens sanguins mettaient en évidence un taux sanguin de protéine C réactive à 54 mg/L, une lymphopénie à 520 éléments/mm3 , une thrombopénie à 126 000/mm3 , une élévation des aspartate aminotransférase (ASAT) à 110 U/L (normale : 4—37U/L) et des alanine aminotransférase (ALAT) à 127 (normale : 11—34 U/L). Les examens sérologiques de dépistage des hépatites virales B, C et du VIH étaient négatifs, tandis que la sérologie de la rougeole montrait des taux d’IgM significatifs et d’IgG douteux. Un diagnostic de rougeole était posé. Les symptômes généraux s’amendaient progressivement et spontanément, tandis que l’éruption

Observation Un jeune homme de 18 ans, d’origine tchétchène, s’est présenté en consultation pour un exanthème fébrile non prurigineux apparu deux jours plus tôt, précédé peu auparavant d’un syndrome grippal associant fièvre, asthénie, arthralgies, myalgies, toux et céphalées. Aucune notion de contage ni aucune prise médicamenteuse n’était trouvées à l’interrogatoire. L’exanthème avait débuté dans la région cervicocéphalique pour s’étendre ensuite, de fac ¸on descendante, vers le tronc et les membres. À l’examen clinique, la température était de 38,2 ◦ C. Le patient avait des adénopathies multiples de la région cervicale postérieure. L’exanthème était constitué de macules et de papules. Ces dernières semblaient pour la plupart cen-

Figure 1. Éruption morbilliforme du tronc, laissant des espaces de peau saine.

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Figure 2. Présence de papules sombres, folliculaires, entourées d’une macule érythémateuse plus claire.

diminuait nettement, laissant place, au septième jour, à une fine desquamation. Une biopsie cutanée était effectuée en zone thoracique, dès l’admission, au moment où le diagnostic était encore incertain, notamment dans l’hypothèse d’une toxidermie. La biopsie portait sur une lésion papuleuse centrée par un follicule, ce que confirmait la microscopie. L’épiderme était peu modifié ; on notait une discrète spongiose, sans parakératose ni nécrose kératinocytaire. L’ensemble des lésions histologiques étaient localisées dans le follicule central (Fig. 3). La gaine folliculaire était le siège d’une spongiose diffuse. Il existait un infiltrat de lymphocytes et de quelques polynucléaires en périphérie de la gaine folliculaire externe,

Figure 4. Agression des kératinocytes de la gaine folliculaire externes et exocytose de lymphocytes et de polynucléaires, nombreuses cellules éosinophiles (HE).

avec une exocytose assez importante et une agression des cellules basales (Fig. 4). On voyait de nombreux phénomènes de dyskératose, des kératinocytes à noyau monstrueux et au cytoplasme très éosinophile (Fig. 5), ainsi que des cellules apoptotiques dans la gaine folliculaire externe. Au centre, la glande sébacée apparaissait très modifiée, comprenant des inclusions éosinophiles, des nécroses et des cellules multinucléées à sa partie haute (Fig. 6 et 7). Les sébocytes étaient très inhabituellement éosinophiles (Fig. 6), leurs noyaux n’étant quasiment plus visibles. Sur un bord, on trouvait quelques polynucléaires en leucocytoclasie à côté du follicule. Les recoupes ne montraient pas d’atteinte épidermique ni des canaux sudoraux, mais un discret infiltrat lymphocytaire proche de l’acrosyringium. Le taux des anticorps spécifiques n’a pu être vérifié, le patient ne s’étant pas présenté après son hospitalisation. Il a été depuis perdu de vue.

Discussion

Figure 3. Biopsie d’une papule : les anomalies se concentrent autour du follicule, qui est entouré d’un infiltrat inflammatoire (HE).

Les informations épidémiologiques recueillies dans 32 pays européens par le réseau Euvac.net ont montré en 2008 plus de 7800 cas déclarés, dont 25 % sont survenus chez des adultes de plus de 20 ans [2]. Le taux d’incidence de la rougeole en France était de 0,9/100 000, qualifié de moyen, alors que certains pays voisins ont des taux allant de deux à plus de 27/100 000. La sous-déclaration des cas est néanmoins évidente dans la plupart des pays. Dans 91 % des cas, la maladie est survenue chez des sujets non vaccinés. Il y a eu un doublement des cas déclarés à ce réseau entre

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Figure 5. Kératinocytes ballonisés, dont l’un très éosinophile, à noyau monstrueux et contenant une inclusion éosinophile (HE).

Figure 6. (HE).

Sébocytes très éosinophiles et cellules multinucléées

Figure 7. Gros plan montrant une cellule contenant de nombreux noyaux (HE).

2007 et 2008. La morbidité est importante, puisque 15 % de ces patients ont été hospitalisés, et qu’un patient anglais de 17 ans est décédé. De nombreux foyers épidémiques ont été mis en évidence (institutions scolaires, foyers, camps de vacances, hôpitaux, etc.). Nous avons quant à nous observé une vingtaine de cas de rougeole chez des adultes au cours des trois dernières années dans notre service ou dans d’autres services de notre hôpital. Les caractéristiques séméiologiques de l’éruption sont décrites de manière succincte dans les différents traités de référence en dermatologie. Elle est qualifiée « d’éruption maculeuse et papuleuse discrète », dans le livre de Fitzpatrick, « d’éruption initialement maculeuse, qui rapidement forme des papules mates qui fusionnent de fac ¸on irrégulière et concentrique », dans celui de Rook, et de « maculopapules confluentes à évolution descendante laissant quelques espaces de peau saine », dans la dernière édition du Précis de Dermatologie [3—5]. Le caractère folliculotrope présent dans notre observation n’y figure pas, bien que déjà décrit par d’autres auteurs [6,7]. Dans notre expérience, cette atteinte folliculaire est fréquente et permet, cliniquement, le diagnostic différentiel avec d’autres éruptions virales. Elle pourrait être à la base de la pathogénie cutanée du virus de la rougeole. En effet, si certains auteurs pensent que l’éruption cutanée de la rougeole est provoquée par une réaction immuno-allergique de type Arthus, d’autres suspectent une implication directe du virus dans sa survenue [8,9]. Les lésions histopathologiques de la rougeole ne sont pas bien connues, sans doute parce que les biopsies ne sont que rarement réalisées. Les cas de rougeole sévère de l’adulte peuvent faire penser initialement à une primo-infection VIH

La rougeole, une maladie folliculaire ou une toxidermie. Il est classique de classer tous les exanthèmes viraux au sein d’un même groupe, en affirmant que leurs aspects histologiques sont peu spécifiques. Les modifications observées sont principalement représentées par des altérations épidermiques minimes (dermatite spongiforme) et un infiltrat périvasculaire superficiel, parfois qualifié de vasculite lymphocytaire. Les altérations plus spécifiquement liées à la rougeole sont principalement épidermiques et sudorales [7,10]. Dans les deux cas, on observe des cellules multinucléées et des cellules apoptotiques, ce qui est aussi le cas de la muqueuse orale quand on biopsie la zone siège du signe de Köplik [11]. Ces cellules syncytiales peuvent contenir jusqu’à plus d’une vingtaine de noyaux [11]. Les altérations les plus spécifiquement liées au virus sont des inclusions éosinophiles dans les noyaux. L’atteinte des follicules et des glandes sébacées n’a été que très rarement décrite et photographiée [6]. Les effets cytopathogènes de la rougeole ont été bien décrits par Suringa et al., qui ne les ont observés que dans l’épiderme et l’épithélium muqueux, mais pas dans les follicules [11]. Une méthode immuno-histochimique a permis de montrer la présence d’antigène viral dans les follicules, mais sans visualisation en coloration de routine [12]. Or, le caractère folliculaire des lésions cutanées de la rougeole est sans doute fréquent. Ces altérations histologiques doivent donc être assez communes, mais méconnues car les biopsies de rougeoles sont rares, le diagnostic étant principalement clinique. La présence du virus lui-même dans ces lésions a pu être démontrée à l’aide d’anticorps spécifiques ainsi que par la microscopie électronique, qui montre des structures microtubulaires caractéristiques [9,11,13]. Il est donc vraisemblable que les lésions folliculaires visibles cliniquement soient dues à la présence du virus lui-même dans les follicules, non seulement dans les gaines épithéliales, mais aussi dans la glande sébacée. Yoshida et al. ont émis l’hypothèse d’une infection primitive de la peau, diffusant à partir des capillaires périfolliculaires dans l’épithélium du poil puis, à partir de là, aux autres structures cutanées où le virus a aussi pu être isolé comme l’épiderme, les glandes sébacées et l’acrosyringium [6,9,10]. Le virus de la rougeole se fixe aux cellules hôtes par le biais du CD 46 ou de la molécule d’activation du signal lymphocytaire (Slam) [14]. Mais Slam, qui n’est pas exprimé dans l’épiderme ni dans les poils et le CD 46 qui, au contraire, est exprimé de manière non sélective par la peau, les poils, les glandes sébacées et les glandes sudorales, ne peuvent ni l’un ni l’autre expliquer cette spécificité folliculaire du virus. Celle-ci pourrait être le fait d’un autre récepteur, non-identifié pour le moment. On connaît d’autres effets cytopathogènes dans les follicules, principalement au cours du zona [15]. Les cellules sont ballonisées, leur noyau devient grisâtre et des cellules multinucléées se forment. Cet aspect bien connu dans

115 l’épiderme pour les virus du groupe herpès peut être localisé exclusivement dans le follicule au cours du zona [15]. Ces anomalies sont toutefois plus classiques car on biopsie plus souvent des lésions de zona ou d’herpès que l’exanthème de la rougeole.

Conflit d’intérêt Aucun.

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