La scolarité des enfants adoptés comparée à celle des non adoptés

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 455–460

Article original

La scolarité des enfants adoptés comparée à celle des non adoptés Schooling of adopted children compared with that of non adoptive ones J. Vaugelade a,∗ , M. Duyme b , D. Fichcott c a

Laboratoire population-environnement-développement (UMR 151), institut de recherche pour le développement, 911, avenue Agropolis, BP 64501, 34394 Montpellier cedex 5, France b Laboratoire épidémiologie de la santé et recherche clinique, faculté de médecine Montpellier-1-Nîmes, 4, boulevard Henri-IV, 34000 Montpellier, France c Enfance et familles d’adoption, 221, rue La Fayette, 75010 Paris, France

Résumé Objectif. – Pour étudier le parcours scolaire des enfants adoptés, « Enfance et familles d’adoption » a réalisé une enquête qui concerne 890 enfants adoptés et 180 enfants biologiques pour des comparaisons à milieu social identique. Résultats. – L’échantillon est sans biais notable. À l’école élémentaire, le taux de redoublement pour les enfants adoptés nés en France est 2,3 fois plus élevé que pour ceux qui sont nés à l’étranger. Ce taux croît avec l’âge à l’adoption (2,2 fois plus élevé pour ceux adoptés après un an par rapport à ceux adoptés avant). Après le collège, les enfants adoptés nés en Afrique, en Amérique latine, et ceux nés en France, sont plus souvent orientés vers un cycle professionnel que les enfants biologiques ou nés en Asie. Les filles sont plus souvent orientées vers un cycle général que les garc¸ons. Dans l’échantillon, 92 % des enfants biologiques sont bacheliers et 63 % des enfants adoptés, comme la moyenne nationale. Notons que 80 % des enfants nés en Asie sont bacheliers. Ces résultats confirment, pour la France, ceux des travaux internationaux : plus les enfants sont adoptés jeunes, meilleure est la scolarité ; à l’adolescence les filles réussissent mieux que les garc¸ons ; les enfants en adoption nationale sont plus à risque d’échec scolaire que ceux de l’adoption internationale ; les enfants nés en Asie ont une meilleure réussite que les enfants d’autres origines ; les enfants biologiques dans les familles adoptives ont une meilleure réussite que leurs frères et sœurs adoptés ; la réussite des enfants adoptés est dans la moyenne nationale. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Objective. – To study the school course of adopted children, “Enfance et Familles d’Adoption” carried out an investigation which concerns 890 adoptive children and 180 nonadopted siblings for comparisons in an identical social background. Results. – The sample is without notable bias. At elementary school, the rate of failure for domestic adoptees in France is higher than intercountry adoptees (relative risk 2.3). This rate grows with the age at adoption (relative risk 2.2, for those adopted after one year compared to those adopted before). After college, adoptees born in Africa, in Latin America, and those born in France, are more often directed towards a professional cycle than the biological children or those born in Asia. The girls are more often directed towards a general cycle than the boys. In the sample, 92% of the nonadopted siblings are graduates and 63% of the adopted children, as national average. Let us note that 80% of the children born in Asia are graduates. These results confirm, for France, those of international work: children adopted younger have better performance in schooling; the teenage girls succeed better than boys; domestic adoptees are more at risk of school failure than international adoptees; school performance of children born in Asia is better than one of children of other origins; school performance of nonadopted siblings is better than adopted children; the success of the adoptive children is in the national average. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Adoption ; Scolarité ; Adoption internationale ; Discrimination raciale ; Genre Keywords: Adoption; Schooling; International adoption; Racial discrimination; Gender



Auteur correspondant. Panissière, 30340 Rousson, France. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (J. Vaugelade).

0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.06.010

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1. Introduction

3.2. Les variables étudiées

La scolarité des enfants adoptés et leur développement intellectuel ont été étudiés pour des enfants nés et adoptés en France dans les années 1960 et 1970. Il a été montré que le développement intellectuel des enfants adoptés avant l’âge de six mois était similaire à celui des enfants de leur catégorie socioprofessionnelle d’adoption [1]. Cet effet direct du milieu social se manifestait quel que soit le milieu d’origine [2]. Même adoptés tardivement, entre quatre et six ans, avec un retard de développement intellectuel, les enfants connaissaient dix ans plus tard une progression remarquable de leur quotient intellectuel (QI) [3]. Depuis 30 ans, l’adoption s’est mondialisée. Les parents des pays développés, comme la France, adoptent des enfants nés dans des pays du Sud en développement ou en Europe de l’Est. En France, en 2006, sur 5000 adoptés, environ un millier sont nés en France, les quatre mille autres se répartissent entre l’Asie (32 %), l’Amérique latine (26 %), l’Afrique (25 %) et l’Europe de l’Est (17 %). Une méta-analyse réalisée à partir de 62 études [4] concerne des enfants issus de l’adoption nationale et internationale. La comparaison avec des enfants non adoptés restés dans leur famille ou en institution montre que l’adoption améliore les performances scolaires et les QI. Comparés à la fratrie d’accueil, les adoptés ont des QI similaires, mais leurs performances scolaires sont moindres à cause des difficultés d’apprentissage. En France, la seule étude sur l’adoption internationale porte sur 621 adoptés dont 95 % étaient nés en Asie, leur réussite scolaire et professionnelle est proche, voire supérieure à celle de la population générale [5].

Le questionnaire retrace le parcours scolaire à partir de l’école élémentaire. Quatre variables ont été retenues pour l’analyse :

2. Buts de l’étude La situation scolaire, en France, des enfants, issus de l’adoption internationale et provenant de différents pays, était inconnue. L’association Enfance et familles d’adoption (EFA) est à l’initiative de cette étude comparative entre enfants biologiques et adoptés et entre adoptés selon les pays d’origine. 3. Méthode 3.1. Échantillon En l’absence de base de sondage, le recours à des familles volontaires était la seule solution. EFA a recruté, en 2004, des familles, auprès de ses adhérents et d’associations partenaires comme « Médecins du monde ». Pour cette enquête, était éligible toute famille avec un enfant adopté de plus de six ans. Un questionnaire a été rempli pour chaque enfant de plus de six ans, qu’il soit adopté (890 enfants) ou non adopté (180 enfants) ; ces 180 enfants biologiques des familles adoptives constituent un échantillon de comparaison.

• le redoublement à l’école élémentaire ; • l’orientation après le collège, soit en cycle long (lycée général ou technologique), soit en cycle court (apprentissage ou lycée professionnel) ; • les diplômes égaux ou supérieurs au baccalauréat à 20 ans ; • les difficultés en cours de scolarité. Les questions posées aux parents étaient : « Rencontre-t-il ou a-t-il rencontré des difficultés dans sa scolarité ? » « Si oui, quels types de difficultés : intégration, acquisition des connaissances, comportement, autres (précisez) ». N’ont été retenues que les difficultés de plus d’une année scolaire. L’analyse a porté, d’une part, sur l’ensemble des difficultés et, d’autre part, sur les seules difficultés de comportement. La partie sociodémographique concerne à la fois l’enfant (genre, âge à l’adoption, pays de naissance) et la famille (nombre d’enfants biologiques et adoptés, catégorie socioprofessionnelle, type de famille, milieu de vie). L’histoire de l’enfant avant l’adoption, souvent mal connue, n’a pas été explorée. 3.3. Analyse statistique L’analyse compare les enfants adoptés, d’une part, aux enfants biologiques des familles adoptives, donc à milieu social identique et, d’autre part, à la moyenne franc¸aise. Les associations entre les variables explicatives principales (âge à l’adoption, genre, continent d’origine) et les variables décrivant la scolarité ont été testées avec le khi-deux ou le test de Fisher. Les régressions logistiques pas à pas ont permis de déterminer les variables explicatives statistiquement significatives. Le modèle de Cox a été utilisé pour les difficultés, car elles peuvent survenir à tout âge. L’analyse a été effectuée avec le logiciel Stata® . 3.4. Représentativité de l’échantillon Les enquêtes sur l’adoption réalisées à partir d’une liste d’adoptants connaissent souvent des taux importants de nonréponses : 56 % pour l’étude, au Québec, d’enfants de 18 mois à 18 ans [6] ; 64 % pour l’étude, en France, d’adoptés âgés de 18 à 34 ans [5]. Ces non-réponses limitent la représentativité, car le profil des non-répondants est inconnu. Pour l’enquête EFA, l’échantillon, constitué par des répondants volontaires, n’est pas aléatoire et est susceptible de n’être pas représentatif de l’ensemble des adoptés en France. Pour étudier les biais éventuels, la distribution des variables à l’enquête a été comparée avec les statistiques disponibles de l’adoption [7]. Les études de l’Ined fournissent des données sur les adoptants et les adoptés [8,9], en comparant l’enquête EFA à ces résultats :

J. Vaugelade et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 455–460 Tableau 1 Âge des enfants au moment de l’enquête Âges

5–9 ans

10–14 ans

15–19 ans

20 ans et plus

Total

Biologiques Adoptés

24 350

47 299

58 131

51 110

180 890

• la répartition par genre, proche de 54 % de garc¸ons, aussi bien en France qu’à l’étranger, montre un bon accord ; • les catégories socioprofessionnelles sont légèrement moins qualifiées que dans l’enquête EFA ; • la répartition par origine, sensible aux ouvertures et fermetures des pays qui contribuent le plus à l’adoption en France a largement varié sur la période étudiée. Il en résulte des différences sensibles entre l’enquête et les statistiques d’adoption jusqu’en 2000 avec une sous-représentation de l’Asie à l’enquête (29 % au lieu de 44 %) et une sur-représentation de l’Europe de l’Est (22 % au lieu de 14 %) et de l’Afrique (15 % au lieu de 10 %) ; • les adoptés à moins d’un an représentent 62 % des adoptés nés en France à l’enquête comme pour les statistiques, et pour les enfants nés à l’étranger 33 % à l’enquête et 32 % pour les statistiques. L’absence de discordances importantes est rassurant. Les résultats extrapolés à l’ensemble de la population des enfants adoptés ne sont qu’indicatifs et ceux qui concernent les catégories de faible effectif sont peu significatifs. En revanche, les comparaisons entre les catégories sont interprétables. 3.5. Description de l’échantillon Les enfants biologiques ont en majorité plus de 15 ans contre une minorité des enfants adoptés (Tableau 1). Pour les enfants adoptés les lieux de naissance sont la France : 16 % ; l’Asie : 24 % ; l’Afrique : 13 % ; l’Amérique latine : 28 % ; l’Europe de l’Est : 19 %. Les adoptions se font dans la première année pour 60 % des enfants nés en Asie ou en France, pour 30 % des enfants nés en Afrique ou Amérique latine et 7 % des enfants nés en Europe de l’Est. Plus du quart des familles (28 %) ont à la fois des enfants biologiques et adoptés, 15 % des familles adoptives sont monoparentales et adoptent 9 % des enfants.

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Tableau 2 Comparaison de la scolarité des enfants biologiques et adoptés de l’enquête avec la moyenne franc¸aise Indicateur

Biologiques (%)

Adoptés (%)

Moyenne franc¸aise (%)

Retard en 6e Orientation en cycle long Bacheliers à 20 ans

4 91 92

18 56 63

20 60 63

adoptés avant un an, elle s’élève à 10 % pour ceux qui sont nés à l’étranger, à 16 % pour les enfants nés en France (significativement différent des enfants biologiques, p = 0,001). Pour l’ensemble des adoptés, les retards en sixième sont proches de la moyenne nationale (18 et 20 %, Tableau 2). Les enfants adoptés, nés en France redoublent 2,8 fois plus souvent que les enfants nés en Asie et deux fois plus souvent que ceux d’autres origines (Tableau 3). Les enfants adoptés après un an redoublent à l’école élémentaire significativement deux fois plus souvent que les enfants adoptés avant un an. Le genre et les autres variables ne montrent pas de différences significatives. 4.2. L’orientation après le collège L’analyse porte sur tous les enfants sortis du collège quel que soit leur cursus scolaire antérieur. Sont orientés en cycle long, 56 % des enfants adoptés, en moyenne 60 % des élèves en France et 91 % des enfants biologiques (Tableau 2). Cette proportion dépend de l’âge à l’entrée en sixième : 73 % pour les enfants adoptés qui y sont entrés à 11 ans au plus, sans retard scolaire ; 18 % pour ceux qui y sont entrés à 12 ans ou plus tard (différence significative p < 0,001). Parmi les enfants adoptés, sont significativement davantage orientés en cycle court (Tableau 4) : • les garc¸ons ; • les adoptés après six ans ; • les enfants nés en France, en Afrique et en Amérique latine. Les autres variables ne sont pas significatives. Tableau 3 Risque de redoubler à l’école élémentaire après un début à six ans Variable

Catégorie

Effectif

Risque relatif

Intervalle de confiance à 95 %

4. Résultats

Genre

4.1. L’école élémentaire

Âge à l’adoption

Féminin Masculin 0 an 1 an et plus Asie France Europe-Est Amérique latine Afrique

163 168 177 154 95 93 24 87 32

1,00 0,97 1,00 2,19a 1,00 2,80a 1,29 1,47 0,54

Référence 0,59–1,57 Référence 1,30–3,70 Référence 1,39–5,63 0,43–3,86 0,66–3,30 0,12–2,41

L’entrée à l’école élémentaire se fait normalement au cours préparatoire (CP) à six ans. Pour les enfants adoptés à l’étranger, l’âge d’entrée au CP peut être retardé ; arrivés à plus de six ans, ils peuvent commencer leur scolarité dans une classe supérieure au CP. Pour avoir une population homogène comparable aux enfants biologiques, l’analyse est limitée à ceux qui sont entrés au CP à cinq ou six ans. La proportion d’enfants en retard à l’entrée en sixième est de 4 % pour les enfants biologiques (Tableau 2). Pour les seuls

Origine

Les catégories avec un risque relatif supérieur à 1 sont associées à une entrée au collège plus tardive – redoublement à l’école élémentaire – par rapport à la catégorie de référence dont le risque relatif = 1. a Significativement différent de 1 ; p < 0,05. Ce tableau concerne les 331 enfants qui ont achevé l’école élémentaire après une entrée au CP à cinq ou six ans.

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Tableau 4 Analyse multifactorielle de l’orientation en cycle long Variable

Catégorie

Effectif

Risque relatif

Intervalle de confiance à 95 %

Genre

Féminin Masculin 0 ans 1–3 ans 4–6 ans 7 ans et + Asie France Europe Est Amérique latine Afrique

108 111 109 52 30 28 74 63 10 53 19

1,00 0,74a 1,00 0,98 0,76 0,50a 1,00 0,70a 0,31 0,66a 0,45a

Référence 0,60–0,91 Référence 0,81–1,17 0,52–1,11 0,29–0,88 Référence 0,55–0,90 0,10–1,05 0,49–0,90 0,23–0,88

Âge à l’adoption

Origine

Les seules difficultés de comportement concernent 12 % des garc¸ons et 2 % des filles biologiques contre 44 % des garc¸ons et 23 % des filles adoptés (le rapport entre garc¸ons et filles, 1,8 est significativement différent de l’unité, p < 0,05). Dans les deux cas, les enfants adoptés après un an ont deux fois plus de difficultés que ceux adoptés avant un an d’âge (significativement différent de l’unité, p < 0,05). 5. Discussion 5.1. Analyse des biais

Les catégories avec un risque relatif inférieur à 1 sont associées à une probabilité plus faible d’être orientées en cycle long par rapport à la catégorie de référence dont le risque relatif = 1. a Significativement différent de 1 ; p < 0,05. Ce tableau concerne les 219 enfants qui ont achevé le collège.

Les élèves entrés à 11 ans au collège qui ont redoublé une fois, ont accompli le cycle en cinq ans au lieu de quatre ans. L’orientation après le collège de ces élèves avec de légères difficultés se fait majoritairement en cycle long s’ils viennent d’Asie, en cycle court s’ils viennent d’Afrique ou d’Amérique latine et de fac¸on égale vers les deux cycles pour les originaires de France (Tableau 5). La différence est statistiquement significative (p = 0,01, test unilatéral de Fisher) entre l’Asie et les autres continents, non significative entre la France et l’Asie (p = 0,08) et entre la France et les autres continents (p = 0,20).

Nous avons étudié dans la méthodologie les biais de représentativité de l’échantillon. Un autre biais pourrait être lié à l’appartenance à une association. Les réponses obtenues hors de l’association permettent de tester si la différence entre familles dans et hors de l’association est significative. La seule différence concerne l’augmentation des difficultés scolaires parmi les membres de l’association, cette augmentation n’existe pas pour les difficultés de comportement. Il n’y a pas de différences, ni pour le redoublement à l’école élémentaire, ni pour l’orientation après le collège. Le taux relativement élevé de difficultés parmi les adoptés pourrait être lié à un taux de réponse plus élevé quand l’enfant est en difficulté. Dans cette hypothèse, on aurait dû trouver davantage de difficultés pour les familles avec un seul enfant que pour les familles avec plusieurs enfants. Le taux de difficultés de 47 % en moyenne, varie peu avec le nombre d’enfants par famille : 47 % avec un seul enfant, 43 % avec deux, 52 % avec trois. L’absence de variations significatives du taux de difficultés selon le nombre d’enfants suggère que les familles ont répondu indépendamment de leurs difficultés.

4.3. Les diplômes et les difficultés scolaires 5.2. L’âge à l’adoption À 20 ans, 63 % des adoptés ont le baccalauréat (n = 69 sur 110), comme la moyenne franc¸aise [10], avec des disparités selon le lieu de naissance : 80 % des enfants nés en Asie, 54 % de ceux nés en France et 43 % pour ceux nés en Afrique ou en Amérique latine. Parmi les enfants biologiques, 92 % sont bacheliers (Tableau 2). Pour les enfants biologiques, la proportion cumulée de difficultés scolaires déclarées par les parents est plus élevée pour les garc¸ons (32 %) que pour les filles (11 %) ; pour les adoptés, la proportion s’accroît pour les garc¸ons (72 %) et davantage pour les filles (63 %). Ainsi, les garc¸ons adoptés sont 1,2 fois plus souvent (non différent de l’unité) en difficultés que les filles, alors que pour les enfants biologiques, le rapport de 2,9 est significativement différent de l’unité (p < 0,05). Tableau 5 Orientation après le collège selon l’origine des élèves entrés à 11 ans au collège et ayant accompli le collège en cinq ans (n = 36) Orientation

Asie

France

Autres continents

Total

Cycle long Cycle court Total

8 2 10

7 9 16

2 8 10

17 19 36

La durée entre l’abandon et l’adoption [11], le type de placement familial ou institutionnel et plus encore la qualité de ce placement sont déterminants pour le développement de l’enfant. Seul l’âge à l’adoption est connu, mais plus il est élevé, plus la durée entre l’abandon et l’adoption risque d’être longue, plus le risque de placements multiples est élevé, plus le risque de carences nutritionnelles, affectives, médicales ou éducatives est élevé. Il est donc logique de trouver, en moyenne, plus de difficultés et une moins bonne réussite scolaire pour les enfants dont l’âge à l’adoption est le plus élevé. Ce constat se retrouve dans toutes les études sur l’adoption [4,12]. 5.3. Les différences selon le genre L’écart entre garc¸ons et filles n’apparaît pas pour l’âge d’entrée au collège (Tableau 3), en revanche l’écart est significatif pour les orientations après le collège (Tableau 4), c’est donc entre 11 et 16 ans, au moment de la puberté, que se manifestent les différences. La meilleure réussite scolaire des filles s’observe dans tous les pays [13]. De même, les filles adoptées réussissent mieux que les garc¸ons adoptés alors qu’elles ont presque autant de difficultés que les garc¸ons, mais pour ces

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derniers les problèmes de comportement sont plus fréquents que pour les filles. On peut penser que les troubles du comportement déclarés par les parents adoptifs sont en majorité mineurs et/ou spécifiques de la création de leur identité à l’adolescence, ils déclenchent l’inquiétude parentale mais ne sont pas des troubles psychopathologiques effectifs [14]. Le taux de troubles psychopathologiques effectifs est fort probablement plus faible : en effet, en Suède, parmi 11 320 adoptés adultes [15], pour les adoptés internationaux 4,3 % des garc¸ons et 5,4 % des filles présentent des troubles mentaux (taux 2,6 fois plus élevé que pour la population générale). Les taux de troubles du comportement des adoptés (7 % pour les garc¸ons et 1,5 % pour les filles) sont voisins de ceux des immigrés et 1,8 fois plus élevés que pour la population générale. Le taux des troubles définis par un diagnostic psychopathologique est donc faible parmi les adoptés internationaux. 5.4. Les particularités des enfants nés en Afrique et en Amérique latine Les enfants non asiatiques sont orientés davantage en cycle court. Pour les enfants noirs ou maghrébins, d’autres études ont mis en évidence une stigmatisation raciale1 dans la fac¸on dont ils sont perc¸us [16,17] (ainsi, un enfant noir sera « naturellement » meilleur en sport, en danse). Cette stigmatisation peut se traduire dans une discrimination raciale, c’est-à-dire la mise en acte d’un traitement spécifique. Par exemple, des enfants noirs, du fait de cette stigmatisation seront orientés préférentiellement vers certaines filières et non acceptés dans d’autres. Il en est de même pour les enfants adoptés en Amérique latine qui ont souvent des parents métissés de type amérindien ou noir. La meilleure réussite des enfants adoptés en Asie se constate dans les études réalisées au Québec [6] et en France [5]. Dans cette dernière étude, 95 % des enfants sont nés en Asie, environ 70 % sont bacheliers. Les raisons de cette réussite scolaire sont certainement multiples, mais les enfants asiatiques ressentent plus souvent une stigmatisation positive que négative [5,18]. Les adoptés originaires de France, dont environ la moitié sont métis2 , occupent une position intermédiaire. 5.5. Les spécificités des enfants nés en France Les enfants adoptés avant 1970 étaient presque tous nés en France et leur réussite scolaire était comparable à celle de leur milieu social d’adoption [19], leur moindre réussite est donc d’apparition récente. Aux États-Unis, les enfants adoptés et nés aux États-Unis connaissent plus de problèmes de comportement et une efficience intellectuelle moindre que les enfants adoptés à 1

Au sens de Loury, la race est un concept social basé sur les différences physiques et non une classification biologique. 2 Parmi les enfants nés en France de 1961 à 1962, abandonnés avant l’âge de six mois et adoptés, 58 % des pères sont d’origine inconnue. Pour ceux d’origine connue, dans les deux départements étudiés, la moitié sont d’origine africaine dans l’un et un tiers dans l’autre [19]. La proportion d’enfants abandonnés de mère et/ou père d’origine africaine a augmenté depuis [20].

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l’étranger [21]. La présente étude indique des résultats similaires pour les enfants adoptés nés en France. Compte tenu de la légalisation de la contraception, puis de l’avortement et de l’augmentation des aides sociales du système franc¸ais envers les mères en difficulté, on peut supposer que les mères qui abandonnent aujourd’hui ont des conditions de grossesse plus défavorables et sont plus marginalisées qu’autrefois, où le nombre des abandons était beaucoup plus élevé. De nombreuses études ont montré les effets négatifs sur le développement de l’enfant des conditions prénatales défavorables, en particulier l’alcool, la cocaïne, les autres produits et la malnutrition maternelle [22,23]. La fréquence des conditions prénatales désavantageuses pour l’enfant a probablement augmenté depuis les années 1960. Cela conduit à l’apparition de difficultés qui étaient proportionnellement plus rares. De plus, pour certains enfants nés en France, la stigmatisation liée à leur apparence physique peut conduire à des problèmes de comportements et à des difficultés scolaires à l’adolescence quand ils prennent conscience de leur altérité. 5.6. L’adoption favorise la réussite scolaire Parmi 131 adultes passés par l’ASE (dont 15 adoptés) nés autour de 1950 et étudiés 35 ans plus tard, 25 % ont un diplôme supérieur au certificat d’études [20]. Parmi 49 adultes de 19 à 34 ans ayant quitté l’ASE, 32 % ont au moins un CAP, alors que les deux tiers ont été séparés de leur famille avant l’âge de trois [24]. Dans l’enquête EFA, parmi les enfants nés et adoptés en France, 83 % ont au moins un CAP pour les 36 adoptés avant l’âge de trois ans et 71 % pour les 14 adoptés après l’âge de trois ans [7]. Quels que soient l’âge à l’adoption ou l’origine, plus de 50 % des adoptés ont au moins le baccalauréat, comme les enfants d’ouvriers et moins de 10 % des anciens placés [25]. Les enfants nés et adoptés en France ont des performances supérieures aux enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et non adoptés. Nos résultats confirment les études antérieures qui montraient les effets bénéfiques de l’environnement protecteur des familles adoptives sur le développement intellectuel et la réussite scolaire [26–28]. 6. Conclusion La majorité des enfants adoptés ont une scolarité normale (Tableau 2), cependant, les difficultés de certains de ces enfants nécessitent que le système scolaire adapte l’enseignement à ces particularités en permettant à chaque enfant de suivre son rythme et en mettant en place des opportunités développementales. Le développement psychoaffectif et psychopathologique des enfants adoptés reste à étudier, en France, dans le cadre d’une étude épidémiologique. Références [1] Schiff M, Duyme M. Intellectual status of working-class children adopted early into upper-middle-class families. Science 1978;200:1503–4.

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