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NPG-544; No. of Pages 7
NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2015) xxx, xxx—xxx
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PRATIQUE PSYCHOLOGIQUE
La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé Interpersonal therapy in depression among older adults M. Freitas a,∗, H. Rahioui b a
Centre de thérapie interpersonnelle, 39, rue de Varenne, 75007 Paris, France Pôle psychiatrique du 7e arrondissement de Paris, hôpital Henri-Ey, 15, avenue de la Porte-de-Choisy, 75013 Paris, France
b
MOTS CLÉS Thérapie interpersonnelle ; Dépression ; Sujet âgé ; Relations interpersonnelles ; Attachement
∗
Résumé L’hypothèse clinique formulée dans le cadre de la thérapie interpersonnelle (TIP) consiste à envisager l’existence d’une relation bidirectionnelle entre la dépression et les événements de vie de l’individu, événements touchant à quatre domaines problématiques impliqués dans l’apparition et le maintien du trouble dépressif (le deuil pathologique, les conflits interpersonnels, les transitions de rôle et le déficit interpersonnel). Le travail dans ce cadre vise l’analyse et la correction des modes relationnels pour favoriser l’amélioration des symptômes dépressifs, ce qui en retour impacte positivement les liens interpersonnels. Le thérapeute adopte une attitude active et dirigée vers un objectif, mais ne se concentre pas sur les aspects intrapsychiques ou cognitifs du syndrome dépressif. La TIP a été adaptée à cette population, avec une efficacité qui a été validée par différentes études. Sa nature coopérative et axée sur les problèmes entre dans le cadre des recommandations générales pour mener une psychothérapie auprès des personnes âgées. L’objectif de cet article est de démontrer l’intérêt de l’utilisation de la TIP dans le cadre de la prise en charge de dépressions auprès de patients âgés. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Freitas).
http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006 1627-4830/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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M. Freitas, H. Rahioui
KEYWORDS Interpersonal therapy; Depression; Older adults; Interpersonal relations; Attachment
Summary The clinical hypothesis underpinning Interpersonal Therapy (IPT) envisages the existence of a two-way relationship between depression and the patient’s life events in four problematic areas thought to be involved in the onset and maintenance of depressive disorder (grieving, interpersonal conflict, role transitions and interpersonal deficit). The use of IPT aims to analyse and correct relational modes in order to favour improvement in depressive symptoms, and thus positively impact interpersonal relationships. The therapist adopts an active, goal-directed attitude, without focusing on the intrapsychic or cognitive aspects of the depressive syndrome. IPT has been adapted to this population and its efficiency has been validated by several studies. Its collaborative and problem-focused approach is coherent with the general recommendations for psychotherapy among older people. The aim of this article is to demonstrate the value of using IPT for depression care with older adults. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
La thérapie interpersonnelle (TIP) est une forme de thérapie brève développée dans les années 1970 par Klerman et al. [1], puis codifiée dans un manuel en 1984 pour le traitement de la dépression chez l’adulte [2]. La TIP a été conceptualisée à partir de trois modèles théoriques différents : la théorie de l’attachement décrite par Bowlby [3], la théorie de la communication de Kiesler et Watkins [4], et la théorie sociale d’Henderson et al. [5]. La dépression est une affection fréquente chez le sujet âgé : 15 à 30 % des patients âgés consultant en médecine générale présentent un état dépressif, souvent associé à des troubles anxieux ; 20 % des patients âgés hospitalisés seraient déprimés. Dans les institutions gériatriques, dans l’avancée en âge, la prévalence représenterait le triple de celle de la population générale [6]. On observe une certaine tendance à la banalisation des affects dépressifs au moment de la vieillesse, or le vieillissement normal n’implique pas une telle affection dépressive. La fréquence des états dépressifs des sujets âgés est sous-évaluée puisque 15 à 50 % d’entre eux seulement seraient détectés [7]. Une autre tendance consiste à prescrire un traitement antidépresseur en première intention, voire un traitement psychotrope. Or on sait que les sujets âgés déprimés sont réactifs aux interventions psychologiques, préfèrent l’attitude de conseil à la médication, et tolèrent moins bien les traitements médicamenteux [8,9]. Ainsi la dépression du sujet âgé mériterait d’être plus explicitement connue du grand public tout comme des professionnels de la santé, et les modes de traitement proposés doivent être plus largement explorés. D’autant qu’elle constitue un facteur de risque de suicide élevé à un âge avancé. Différentes études indiquent que ce risque est associé à des problèmes interpersonnels, des déficits au niveau du soutien social, ainsi que des difficultés à s’adapter aux transitions [10—12]. Cette manifestation pathologique peut être l’expression symptomatique de difficultés d’adaptation face à tous les changements de vie considérables et événements stressants subis dans l’avancée en âge, souvent vécus sous la forme de perte. C’est le cas par exemple de devoir prendre soin d’un proche malade, ou subir la perte de personnes proches. Cet ajustement tardif peut s’avérer très coûteux psychiquement et favoriser l’apparition d’un syndrome dépressif majeur. Par ailleurs, Hinrichsen [13] a pu constater auprès de personnes âgées hospitalisées pour un épisode dépressif majeur,
que leurs proches (enfants adultes ou conjoints) apportant leur soutien exprimaient souvent des tensions dans leur relation avec leur parent âgé dépressif. Ces tensions sont précipitées et/ou accentuées par l’épisode dépressif. Pendant l’année d’observation qui a suivi, il a ensuite été constaté que l’évolution clinique de la dépression était plus défavorable lorsque ces mêmes personnes âgées avaient des proches qui éprouvaient toujours des difficultés à prendre soin d’eux ou des tensions dans leurs relations, démontrant ainsi un effet significatif de la qualité du réseau de soutien sur les troubles dépressifs. Ces différents constats suggèrent un rôle clé d’interventions orientées spécifiquement sur le fonctionnement interpersonnel dans la prise en charge de la dépression du sujet âgé, dans le but de cibler le travail psychothérapeutique directement sur ses difficultés dans ce domaine [14], et ainsi accompagner le patient pour trouver des solutions concrètes à ses problèmes interpersonnels [15].
Cadre thérapeutique de la TIP et adaptation pour le sujet âgé La TIP considère que la dépression peut se développer lorsque les relations interpersonnelles, familiales ou sociales, sont perturbées. Une fois que la dépression est installée, le sujet a tendance à se désengager de ses relations ; la dépression perturbe à son tour les interactions ce qui peut favoriser l’isolement et la passivité du sujet. Or il est aisé de constater dans la pratique auprès des sujets âgés, qu’ils sont particulièrement concernés par des modifications importantes dans leur réseau relationnel (décès, dégradation de l’état de santé d’un proche, perdre le soutien d’une personne qui n’est plus en mesure d’assumer son ancien rôle social. . .). L’objectif des séances dans la TIP est de casser ce cycle vicieux, et permettre aux patients de se réengager vis-à-vis de leurs relations d’une manière qui leur permet de vivre en harmonie avec leur environnement immédiat [16]. Auprès des sujets âgés, l’objectif serait plus spécifiquement de les aider à s’adapter à ces multiples changements teintés par la perte, à vivre avec la disparition de leurs rôles connus, et s’adapter à ces transitions délicates et éventuellement à un nouveau rôle, afin de trouver le moyen de vivre le mieux possible ce temps de la
Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé vieillesse, avec la perspective de la fin de vie qu’il induit. Les séances abordent donc les modalités d’interaction et de relation du patient. En ce sens, ce type de thérapie se distingue des thérapies cognitivo-comportementales, car on ne travaille pas sur les cognitions et distorsions cognitives erronées du sujet. La TIP n’a pas non plus pour vocation de traiter des conflits intrapsychiques, comme on le ferait dans des psychothérapies psychodynamiques ou psychanalytiques [17]. Toutefois des problèmes trouvant leur source dans de vieux traumatismes sont envisagés comme pouvant refaire surface plus fréquemment dans la TIP avec des sujets âgés. Dans sa forme standard, la TIP se pratique en 12 à 16 séances hebdomadaires, en ambulatoire. Certains auteurs s’attendaient à voir un risque de décrochage plus élevé dans la pratique auprès des sujets âgés, mais ont constaté qu’il n’était pas pour autant nécessaire d’abaisser le nombre de séances car lorsque les patients sont réceptifs, ils sont capables de s’investir durant les 16 séances [15]. La durée des séances (50 minutes) peut s’avérer difficile à supporter pour cette population, c’est pourquoi une éventuelle adaptation de cette modalité temporelle pourrait être envisagée. Le déroulement de la TIP auprès des sujets âgés suit les trois phases habituelles : phase initiale, phase intermédiaire et phase finale.
Phase initiale : les trois premières séances On établit le diagnostic de l’épisode dépressif La TIP aborde un diagnostic psychiatrique de manière explicite et décrit les troubles dépressifs en tant que trouble médical. En faire un problème de santé mentale identifiable fait sens et réduit le sentiment d’auto-accusation et de culpabilité. Cette attitude de transparence contraste avec une certaine tendance observée auprès des sujets âgés, qui souvent ne sont pas exactement au courant de l’affection dont ils souffrent, ou de la raison pour laquelle ils prennent certains médicaments, notamment les traitements antidépresseurs. De plus le patient âgé n’est pas toujours placé dans une position active au sein de sa propre prise en charge, ce qui peut conférer une dimension mystérieuse et opaque à la compréhension des troubles et de leur traitement. Au contraire dans la TIP, on accorde au patient le « rôle de malade », on lui signale que la dépression nuit à son fonctionnement, indépendamment de sa volonté, et on lui demande de réduire temporairement les activités exigeantes. Par ailleurs, l’utilisation d’échelles de mesure fournit un indice numérique de la sévérité de la dépression, et permet de démontrer concrètement que la dépression s’atténue au cours du traitement [18]. Et cela offre également au patient des outils pour mieux se saisir de sa pathologie, et de sa prise en charge. En fonction de la sévérité de la symptomatologie dépressive, l’intérêt de l’association d’un antidépresseur sera évalué. Dans cette phase initiale, une approche psycho-éducative de la dépression est apportée, pour répondre à une méconnaissance générale de cette pathologie chez les sujets âgés. Il a en effet été constaté que la plupart des patients âgés disposaient de peu d’expérience ou de connaissance des psychothérapies [17].
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On établit l’inventaire interpersonnel Il consiste à explorer le contexte interpersonnel du sujet et à définir quel domaine va faire l’objet du focus de la thérapie. L’attention du thérapeute doit se porter sur les relations actuelles et antérieures pour voir si elles sont pertinentes par rapport aux problèmes présents. Il faut identifier les patterns de répétition et estimer le degré de satisfaction qu’elles procurent au sujet, ses attentes et déceptions ; rechercher les modalités d’entrée en relation du sujet ; explorer la manière dont il exprime ses émotions à ses relations ; ainsi que la nature et l’efficience du support social. On peut constater une certaine difficulté à réaliser l’inventaire interpersonnel dans le temps alloué chez les personnes âgées car elles ont accumulé beaucoup plus de liens que des sujets plus jeunes. Les symptômes dépressifs sont ensuite reliés à des événements interpersonnels récents et aux expériences problématiques qu’ils ont pu constituer, les émotions les accompagnant sont explicitées. Cette analyse permet ainsi de dégager un domaine interpersonnel qui fera l’objet du traitement parmi les quatre traités dans la TIP : deuil pathologique ; conflits interpersonnels ; transitions de rôle ; et déficit interpersonnel.
Expliquer les grands principes de la TIP Avant de passer à la phase intermédiaire, il est important d’expliquer en termes intelligibles et accessibles les fondements de la TIP, son orientation interpersonnelle et son déroulement ultérieur, avant de dresser un contrat thérapeutique avec le patient à partir d’objectifs thérapeutiques construits conjointement.
Phase intermédiaire : une dizaine de séances Chaque séance débute par une question cherchant à lier le niveau symptomatique et les interactions interpersonnelles survenues dans la semaine précédant la séance. Ce rituel rend perceptible et significatif le lien entre la fluctuation de la dépression et les événements de vie, et développe chez le patient un sentiment de plus grande maîtrise sur son état d’humeur [16].
Conflits interpersonnels Dans la pratique auprès des personnes âgées, on peut entendre une certaine tendance à une caractérisation négative et stéréotypée en tant que personnes isolées, abandonnées. Or la plupart entretiendraient des relations significatives et satisfaisantes avec familles et amis, et les couples âgés feraient preuve d’une meilleure capacité à gérer les conflits conjugaux que les couples plus jeunes [18]. Cependant, certaines personnes vivent des difficultés dont la présence a été liée à l’augmentation du risque de symptômes dépressifs et de pathologies dépressives. Les conflits concernent le plus souvent le conjoint/partenaire, puis les enfants adultes, ou des membres de la fratrie ou de l’entourage. Certaines difficultés conjugales éprouvées depuis longtemps se sont par exemple exacerbées, et d’autres qui vivaient une relation harmonieuse se retrouvent maintenant en conflit. La dépression vient ajouter une tension dans les relations interpersonnelles, relations dont la personne âgée pourrait avoir besoin pour se rétablir de sa
Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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pathologie. Les disputes avec l’entourage sont liées à un manque de réciprocité dans les attentes, et de complémentarité dans les rôles des différents interlocuteurs. Le conflit est exploré, on cherche à comprendre à quel stade il en est (négociation, impasse ou dissolution), et on cherche à mettre en évidence l’influence de ce conflit sur le déclenchement des symptômes dépressifs. La communication joue souvent un rôle important dans les conflits, c’est pourquoi la TIP vise à en améliorer la qualité en aidant le sujet à explorer et développer de nouvelles stratégies pour comprendre son interlocuteur et lui communiquer de fac ¸on claire ses attentes, et/ou modifier certaines attentes souvent irréalistes, visant ainsi le développement de liens interpersonnels plus satisfaisants [16]. Il est également possible, et même souhaitable, avec l’accord du patient, d’inviter à une ou deux séances un membre de la famille ou de l’entourage du patient dans un contexte de conflits dans les relations interpersonnelles.
Transitions de rôle Elles consistent en des changements de vie, changements de statut, que tout individu est susceptible de connaître à différentes étapes de sa vie, et pour lesquelles une adaptation va être nécessaire. Avec l’avancée en âge, les individus expérimentent des transitions de rôle difficiles et particulièrement vécues sous forme de pertes, notamment en termes de rôles sociaux, professionnels et parentaux, qui perturbent la structure de vie en place. Par exemple le moment du passage à la retraite ne se fait pas sans bouleversements personnels ; le stress lié à l’acquisition de nouveaux rôles, notamment celui de soignant d’un parent âgé est un cas clinique fréquent ; des changements dans son propre état de santé, avec le passage d’une personne qui se porte « bien » à une personne malade, sont souvent relatés ; le changement de domicile en réponse à une diminution des aptitudes physiques et cognitives ; ou encore la prise en charge parentale des petits-enfants peuvent également constituer une transition difficile à laquelle s’adapter. La thérapie aura pour objectif l’exploration des aspects positifs et négatifs de l’ancien rôle, ainsi que la considération des opportunités et défis occasionnés par le nouveau statut. Le sujet va devoir opérer des remaniements interpersonnels pour quitter le fonctionnement antérieur et en adopter un nouveau. Le thérapeute va pour cela devoir favoriser l’expression d’affects liés à l’ancien rôle et au nouveau rôle redouté [16].
Deuil Le domaine du deuil dans la TIP s’applique au décès d’une personne investie par le patient (conjoint, enfants, fratrie, etc.), et n’est pas considéré au sens symbolique. Le deuil pathologique s’observe lorsque les symptômes représentatifs du travail de deuil classique, observés dans la phase « aiguë » juste après la perte, ne parviennent pas à s’apaiser malgré plusieurs mois écoulés, empêchant le sujet d’opérer les remaniements affectifs nécessaires pour se détacher du défunt et revenir à sa vie, s’impliquer à nouveau dans son quotidien. L’avancée en âge est l’occasion d’une confrontation plus fréquente à la perte. Le décès du conjoint est un événement fréquent auprès de cette population, et c’est un facteur de risque de dépression. Le deuil serait de plus
un facteur de risque de suicide, surtout chez les hommes âgés [19]. En se focalisant sur ce domaine interpersonnel, l’objectif de la thérapie sera de permettre la résolution du travail de deuil en facilitant une expression ajustée des affects, envahissants ou réprimés, en rapport avec la perte (tels que tristesse, manque, culpabilité, colère, angoisse liée à l’abandon).
Déficits interpersonnels Certaines personnes ont manifesté un déficit interpersonnel toute leur vie, ont toujours eu des problèmes à amorcer et à entretenir des relations, bien qu’elles puissent éprouver le désir d’entrer en relation. On peut aussi observer des déficits interpersonnels chez des personnes qui ont entretenu un réseau adéquat de relations sociales plus jeunes, mais qui font face à l’effritement de leur réseau (les amis disparaissent, déménagent, ou deviennent moins disponibles) et à un isolement social avec l’âge, dont on sait qu’il a été associé à la dépression [19]. Toutefois en pratique clinique, les personnes âgées ayant des déficits interpersonnels sont moins susceptibles de consulter que celles ayant d’autres problèmes au plan interpersonnel. Les objectifs du traitement sont l’identification des relations passées qui ont été significatives, et l’engagement du patient dans un effort pour réduire l’isolement social. Dans cette optique, le praticien analyse les aspects positifs et négatifs des relations antérieures ; les sentiments qui y sont rattachés, et cherche à identifier le pattern relationnel pathologique utilisé. Les problèmes répétitifs dans les relations significatives du sujet seront identifiés (la relation avec le thérapeute est incluse dans le champ d’observation). Enfin, on utilise des stratégies de communication et des jeux de rôle afin d’aider l’individu à combler ses déficits interpersonnels [16].
Phase finale (entre les 12e et 16e séances) Les acquis thérapeutiques sont passés en revue avec le patient, et consolidés. La fin du traitement est expliquée au patient, notamment dans ses composantes de transition. Une éventuelle récurrence de l’épisode dépressif est envisagée et discutée. Le thérapeute doit rester vigilant vis-à-vis surtout des patients insécures ambivalents dont le fonctionnement est marqué par la dépendance, qui risque de poser problème à la fin de la thérapie [16]. La problématique de dépendance apparaît d’ailleurs notable avec les personnes âgées à l’approche de la fin de la thérapie, mais il ne semble pas pour autant pertinent de prolonger les séances au-delà du nombre habituel. Cette phase est l’occasion de constater l’amélioration de l’état dépressif voire même sa résolution, notamment grâce aux échelles utilisées dans les premiers temps de la thérapie. On pourrait hésiter à mettre fin à la TIP après les 13 séances, car face aux problèmes continus que vivent les personnes âgées, le thérapeute pourrait se sentir protecteur, à tort. En revanche, envisager une forme de traitement de maintien peut être utile pour certaines personnes âgées. Il convient évidemment d’analyser sur le plan clinique la pertinence de cette prolongation au-delà de 16 semaines, auquel cas les séances passent à un rythme mensuel et non plus hebdomadaire.
Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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Techniques spécifiques
L’encouragement de l’expression des affects
La pratique de la TIP fait usage d’un certain nombre de techniques, dont certaines lui sont propres et d’autres sont moins spécifiques à cette approche.
La gestion des émotions constitue une technique spécifique à la TIP car elle est considérée comme un levier important dans le changement escompté. Il s’agit d’une méthode qui tend à inciter le patient à exprimer, à comprendre et à gérer ses affects. Auprès des sujets âgés, c’est une technique qu’il faut manier avec d’autant plus d’habileté car nombre d’entre eux font partie d’une génération pour laquelle l’expression et le partage d’émotions revêt un caractère très pudique, sur lequel on n’a pas souvent eu l’habitude de se pencher.
L’utilisation de la relation thérapeutique Elle est d’une importance capitale puisqu’elle doit permettre au patient d’aborder et d’explorer sa problématique interpersonnelle. De plus dans le cadre d’une thérapie qui travaille directement autour du contexte interactionnel du patient, il apparaît comme évident de s’y intéresser en premier lieu. Le type de lien établi avec le thérapeute reflète globalement les modes relationnels habituels du patient avec des personnes significatives. Pour autant, la relation thérapeutique ne sera pas abordée à l’aune du mouvement transférentiel et de son aspect inconscient. Le lien thérapeutique doit être empreint de confiance, de sécurité et d’empathie pour offrir un cadre suffisamment sécurisant au patient. Dans la pratique auprès des personnes âgées, cela nécessite pour le thérapeute d’être sensibilisé aux problématiques spécifiques que ces sujets rencontrent, aux préoccupations qui les animent (problématique du vieillissement, visibilité sur l’avenir réduite, se diriger plus ou moins progressivement vers la fin de vie). Cette relation doit être respectueuse des singularités générationnelles et de ce qu’elles impliquent, en termes de représentations, de valeurs, et de modes de contact.
L’exploration Il s’agit d’explorer les difficultés du patient, dans une analyse ouverte et objective, afin d’identifier les symptômes dépressifs et les problèmes interpersonnels. Dans la pratique auprès des sujets âgés, certains problèmes financiers, légaux, médicaux, ou liés au transport ou à la maison, nécessiteraient un travail plus méticuleux d’exploration et de recommandation que dans la pratique auprès des sujets plus jeunes, sans pour autant que cela n’entache le déroulement ni les résultats du travail thérapeutique.
La clarification C’est l’une des techniques les plus utilisées en TIP, qui consiste à mettre en concordance la description faite par le patient et la compréhension qu’en a le thérapeute. À partir d’un travail d’écoute active, elle implique un travail de reformulation par le thérapeute afin de s’assurer de sa bonne compréhension, et permet par la même un échange et une communication précise et empreinte de clarté entre les deux interlocuteurs. Chez les personnes âgées, on observe une plus grande difficulté à maintenir un focus. C’est le phénomène de « verbosité qui s’égare », lié aux changements dans le cerveau vieillissant, qui rendent difficile la cohérence verbale. Cette particularité nécessite de clarifier à nouveau le cadre de travail, et de réorienter la personne âgée vers le domaine problématique pertinent plus fréquemment.
L’analyse de la communication C’est une technique particulièrement importante dans la mesure où la TIP postule que les difficultés sont causées, maintenues ou exacerbées par une communication inadéquate, ou des attentes non réciproques ou irréalistes. Les objectifs sont d’aider le patient à identifier ses patterns de communication ; à prendre conscience, sans le culpabiliser, de sa contribution au problème de communication ; et de l’aider à trouver de nouveaux modes de communication plus adaptés. Auprès des sujets âgés, il faut parfois travailler sur des modes de communication ancrés très profondément dans le fonctionnement interpersonnel du sujet.
Efficacité de la TIP Les succès obtenus dans la dépression de l’adulte ont conduit à l’exploration de la TIP dans d’autres conditions cliniques, c’est ainsi que l’efficacité de cette méthode a été prouvée notamment auprès des sujets âgés déprimés avec idées suicidaires [20]. Différentes études montrent que l’amélioration clinique de l’état dépressif est plus fréquente chez les patients dont le traitement associe TIP et médication [17,21,22]. En outre, Sloane et al. [22] ont observé un phénomène de décrochage pour certains patients traités par médication, mais aucun chez les patients traité par la TIP. L’alliance thérapeutique permet donc de diminuer le risque de décrochage auprès de cette population. Concernant le traitement de maintien, Reynolds et al. [21] constatent que c’est dans la condition de traitement par TIP et médication que le taux de récidive de l’épisode dépressif a été le moins important (20 %). Le traitement uniquement par médication donne des résultats moins satisfaisants (43 % de récurrence), de même que la condition TIP et placebo (64 %) et le traitement par placebo uniquement (90 %). Cette association de la TIP avec un traitement médicamenteux lorsque les sujets âgés le supportent, aide à résoudre la dépression dans la phase aiguë tout comme dans la phase de maintien. Au regard de l’intrication de comorbidités médicales et de problèmes psychosociaux propres à cette population, elle constituerait la forme de traitement préférable pour prévenir la récurrence de la dépression [21], et un mode de traitement psychosocial particulièrement efficace pour la dépression du sujet âgé [13]. Toutefois, l’efficacité de la TIP peut s’avérer variable en fonction de la sévérité ou des modalités d’apparition de la
Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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dépression. D’après Van Schaik et al. [15], elle est particulièrement efficace pour les dépressions sévères à modérées (54 % d’efficacité, contre 26 % dans le groupe témoin), mais les résultats sont moins significatifs pour le traitement des dépressions légères (49 % d’efficacité, contre 40 % dans le groupe témoin). D’autre part, l’étude de Reynolds et al. [23] permet de constater l’efficacité de la TIP pour la phase de traitement intensif, mais en ce qui concerne la phase de maintien, la seule médication a réduit la probabilité de récurrence, et non pas le traitement mensuel en TIP. Ces résultats sont à relier avec l’apparition tardive du syndrome dépressif, c’est-à-dire que lorsque les sujets expérimentent leur premier épisode de dépression à un âge avancé, la TIP n’est pas aussi efficace car la dépression tardive chez les personnes âgées est associée au risque de démence vasculaire, qui pourrait rendre la psychothérapie moins efficiente. Mossey et al. [24] ont évalué l’application du counseling interpersonnel, une version abrégée de la TIP, pour des patients âgés hospitalisés pour des problèmes médicaux, qui manifestaient des symptômes dépressifs sans pour autant répondre aux critères d’un épisode dépressif majeur ou de dysthymie. Au lieu du traitement habituel consistant à exposer le patient à un service de santé mentale, le traitement par counseling interpersonnel a été assigné aléatoirement à certains. Les résultats démontrent une proportion plus importante de réduction des symptômes dépressifs pour ces patients, attestant de l’efficacité de cette forme simplifiée de la TIP pour les personnes âgées avec des symptômes dépressifs et une autre pathologie associée. L’absence d’études randomisées et de méta-analyses plus nombreuses concernant cette méthode de psychothérapie chez le sujet âgé fait néanmoins défaut.
de personnes âgées, les forces et les problèmes de développement habituellement observés chez elles, ainsi que les institutions et programmes qui font partie intégrante de leur vie. Dans notre service de psychiatrie, la prise en charge des patients âgés en TIP se développe davantage. Nous travaillons actuellement sur l’amélioration de la version initiale pour une meilleure prise en considération de la théorie d’attachement, qui ouvre des perspectives psychopathologiques et thérapeutiques très prometteuses. À partir de notre expérience, nous souhaitons contribuer au développement de pratiques adaptées aux besoins et particularités du sujet âgé, à côté d’autres thérapies telles que les TCC [25]. Par ailleurs, à l’instar des pays anglo-saxons [15], l’introduction de la TIP dans le système de santé général serait un moyen de pallier une certaine réticence de cette population à consulter dans le domaine psychiatrique, car l’orientation vers des consultations spécialisées va plus rarement jusqu’à son aboutissement. Enfin, la problématique de dépendance est une notion à préciser dans la prise en charge des sujets âgés, une réflexion autour de cette variable est à envisager notamment en termes d’application dans le cadre de la thérapie.
Conclusion
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Les perturbations dans le domaine interpersonnel augmentent le risque de dépression chez le sujet âgé et inversement, le syndrome dépressif majeur a un effet néfaste sur ses relations interpersonnelles, problèmes qui persistent même après la résolution de la dépression. De plus l’évolution de la dépression dans cette population est particulièrement corrélée avec la qualité des relations et le réseau de soutien. L’objectif de la TIP est de résoudre des problèmes relevant du domaine interpersonnel, qui précèdent l’installation de la dépression et/ou coexistent avec elle. La TIP est efficace aussi bien dans la phase aiguë que dans le processus de maintien des dépressions récurrentes chez le sujet âgé, et s’avère être une thérapie particulièrement adaptée aux problèmes auxquels les aînés font face, notamment de deuil et de transitions de rôle. Au fil des années, cette thérapie a été modifiée pour être utilisée avec des populations spécifiques, comme celles avec dépression récurrente ou pour dépression à l’adolescence ou au temps de la vieillesse. On retrouve aujourd’hui la TIP proposée à côté des thérapies cognitives et comportementales comme traitement de choix de la dépression dans de nombreuses recommandations. L’application de tout type de thérapie implique néanmoins de comprendre globalement les problèmes que ces personnes rencontrent, les normes et les valeurs particulières à chacune des catégories
Formation Une formation diplômante à la TIP basée sur l’attachement est proposée par l’Association franc ¸aise de thérapie interpersonnelle (AFTIP), www.aftip.fr.
Déclaration de liens d’intérêts
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Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006
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Pour citer cet article : Freitas M, Rahioui H. La thérapie interpersonnelle dans la dépression du sujet âgé. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2015.10.006