Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2012) 11, 230—232
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
ÉDITORIAL
La vie. . . Avant, pendant et après. Soins palliatifs pédiatriques
MOTS CLÉS Soins palliatifs pédiatriques ; Formation
KEYWORDS Pediatiric palliative care; Training
Depuis plus de dix ans le développement constant des soins palliatifs pédiatriques contredit notre questionnement initial sur leur pertinence en tant qu’entité propre. En effet, l’enfant n’étant pas un adulte en miniature, la spécificité de la prise en charge des enfants et des adolescents n’est plus à démontrer et le tabou de l’éventualité de sa mort, même dans nos sociétés occidentales, n’est plus un obstacle à l’introduction des soins palliatifs dans le scénario d’une maladie potentielle mortelle. Nous restons par ailleurs persuadé qu’ils ne doivent pas devenir une spécialité de la médecine et des soins de santé prodigués par tous les soignants qui un jour font face à un petit patient dont ils ne peuvent plus guérir la maladie, mais dont ils doivent maintenant soigner tous les symptômes y compris ceux de l’âme. D’ailleurs, la multiplicité des formations ouvertes à tous les professionnels de la santé, les divers colloques, la place que les soins palliatifs pédiatriques prend dans les congrès adultes, l’intérêt pour notre congrès international de Montréal, le seul exclusivement consacré à la pédiatrie, et le développement du site du réseau francophone en soins palliatifs pédiatriques (palliavepédiatrie.org) sont la démonstration de l’évolution des mentalités des soignants dans ce nouveau champ médical. Nous le répétons souvent, la pédagogie doit être au centre de la démarche en soins palliatifs pédiatriques en commenc ¸ant dès les premières années des études de médecine, puis lors de nos interventions cliniques dans nos institutions ou à domicile. C’est pourquoi le choix de ne pas ouvrir d’unité géographique de lit de soins palliatifs participe à cette pédagogie. En effet, en travaillant en appui des équipes traitantes, non seulement nous évitons l’écueil de l’effet d’abandon du malade qu’on ne peut pas guérir, mais aussi celui de la non-transmission des connaissances. Sans parler de l’aberration de priver le patient et son entourage d’une équipe traitante souvent interdisciplinaire qu’ils connaissent parfois depuis des années comme en hémato-oncologie ou en neurologie. Nous nous permettrons ici une petite digression politique concernant une menace qui, si elle se réalise, pourrait mettre en danger cette pédagogie et notre conception des soins palliatifs non seulement en pédiatrie, mais également en médecine adulte. Le ministre de la Santé du Québec considérant les soins palliatifs comme une philosophie, et non faisant partie du domaine clinique, pense qu’ils doivent être exclus des CHU pour les cantonner dans des maisons privées. Pour simplifier sa pensée et la caricaturer quelque peu : l’hôpital public universitaire veut bien tenter de vous guérir, mais s’il échoue, allez donc mourir dans une maison privée dirigée par une fondation qui sollicitera peut être votre entourage à participer à des levées de fonds en vendant des tablettes de chocolat pour pouvoir payer ceux qui vous soigneront.
1636-6522/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2012.09.005
La vie. . . Avant, pendant et après. Soins palliatifs pédiatriques Nous avons rappelé à ce brillant esprit, médecin de formation, que dans CHU, il y a « U » comme universitaire et par conséquent le CH avait pour vocation entre autres missions de former les futurs médecins. Cette petite parenthèse pour nous souvenir que rien n’est jamais acquis même dans un mouvement irrémédiable de progression, comme en politique la réaction n’est jamais très loin. La preuve de cette évolution des soins palliatifs pédiatriques se manifeste également aujourd’hui par l’importance de la recherche dans ce domaine qui était encore un grand désert, il y a seulement quelques années. En témoignent, les nombreux abstracts rec ¸us par le comité scientifique du cinquième congrès international de Montréal qui aura lieu cet automne. Environ une vingtaine a été retenue pour une communication, il y en avait cinq en 2009. Un autre développement significatif a jalonné ces dix dernières années. En parallèle à la création d’équipes de consultation intra et extra hospitalières, la définition même des bénéficiaires de soins palliatifs pédiatriques a évolué. Identifiée au départ principalement à l’hématooncologie elle a tranquillement englobé la neurologie, la néonatologie, les services de réanimation, la cardiologie, la pneumologie, la néphrologie, l’obstétrique (mortinaissances et avortements), la génétique et même la dermatologie (épidermolyse bulleuse). Notre unité est représentative de cette évolution puisque de 85 % au début de son existence les consultations en hémato-oncologie représentent aujourd’hui seulement la moitié de notre activité. Pour résumer cette classification quelque peu austère, nous pourrions simplifier la liste en écrivant que chaque enfant, y compris ceux à naître, atteint d’une maladie potentiellement mortelle devrait pouvoir bénéficier de soins palliatifs qu’il survive ou non à sa maladie. Une des spécificités revendiquée par les soins palliatifs pédiatriques est la prise en charge non seulement du patient, mais également de son entourage, parfois même s’il ne voit pas le jour (mortinaissance ou interruption de grossesse du troisième trimestre). Des études menées par notre centre de recherche ont démontré les effets collatéraux, pour utiliser un langage militaire, sur la fratrie et les grandsparents par exemple. D’autres recherches devront répondre aux besoins des parents après le décès de leur enfant, notamment à propos de cette auberge espagnole qu’on nomme le suivi de deuil. Un autre champ d’investigation devra comprendre également la souffrance des soignants. Les défis des prochaines années porteront sur la généralisation de l’enseignement des soins palliatifs dans les facultés de médecine dès les premières années, un long chemin reste à parcourir. En effet, nous avons interrogé des étudiants de la faculté de médecine de l’université de Montréal à propos du nombre de cas cliniques présenté dans les toutes les spécialités enseignées qui décédait de leur maladie, résultat : un. Comment peut-on passer à travers la néphrologie, la cardiologie, l’hématologie l’oncologie, la neurologie sans imaginer une fois que le patient pourrait décéder de sa maladie. Nous suspectons, même, que le seul décès a dû être évoqué lors du cours de gériatrie. Cette approche quasi psychotique de l’enseignement n’est pas étrangère aux difficultés que rencontrent les praticiens lorsqu’ils sont face à un malade qu’ils ne peuvent
231 plus guérir. Au Québec, 40 % du budget total des dépenses de santé sont comptabilisés dans les six derniers mois de vie d’un patient. Cet indicateur est assez symptomatique, pour employer un langage médical, de l’activisme acharné des médecins pour compenser leur impuissance et leur manque de connaissances, quand ils abordent la phase palliative de la maladie de leur patient. L’autre défi majeur des soins palliatifs pédiatriques de ces prochaines années sera leur intégration dans les soins de santé des pays défavorisés. Actuellement, ils sont encore perc ¸us dans les milieux médicaux et gouvernementaux comme faisant partie d’une approche pour pays privilégiés, ce qui est souvent malheureusement vrai, même dans nos pays hypermédicalisés. Cela ne doit toutefois pas servir d’excuse pour ne pas redoubler d’effort pour favoriser leur accessibilité pour la population pédiatrique de notre terre qui a en le plus besoin. Même si le véritable scandale réside dans le fait que les enfants qui constituent les populations de l’encadré ci-dessous ne devraient pas mourir s’ils recevaient des soins appropriés. • 7,6 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année. • Quarante pour cent meurent durant leur premier mois de vie. Ce sont ainsi trois millions de nouveaunés qui meurent chaque année, soit 9000 décès par jour. • La moitié de ces bébés meurent durant leurs 24 premières heures de vie. • Les causes de la plupart de ces décès néonataux sont la prématurité, l’asphyxie à la naissance ou les infections. • Soixante pour cent des enfants de moins de cinq ans meurent après leur premier mois, essentiellement de pneumonie, de diarrhée ou du paludisme. • 1,4 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année de pneumonie. • Plus d’un tiers des cas de décès d’enfants sont liés à la malnutrition. • Un tiers 2/3 des décès d’enfants pourraient être évités en favorisant l’accès à des interventions pratiques, peu coûteuses et à des soins primaires efficaces. • Quatre-vingt-dix pour cent des infections au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) chez l’enfant sont le résultat d’une transmission mère—enfant qui aurait pu être prévenue. Mille quatre cent enfants sont infectés chaque jour. Plus de la moitié meurent faute de traitement. • Trois quarts des décès d’enfants surviennent en Afrique ou en Asie du Sud-Est. La mortalité infantile est plus élevée en milieu rural, chez les pauvres et dans les familles dont le niveau d’éducation est moins élevé. En attendant de relever ces défis, nous vous invitons à prendre connaissances des actes du congrès de Montréal (4, 5 et 6 octobre 2012) qui a abordé, entre autres sujets, les thèmes du suivi de deuil, des soins palliatifs en néonatologie, des soins palliatifs en obstétrique et des limites des soins palliatifs à domicile. Ceux-ci seront publiés dans la revue
232 Médecine palliative et sur le site du Réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques [1]. Et pour conclure, nous crierons, avec un brin de dérision et d’humour, comme chaque année lors de la soirée de Noël de notre unité au moment de porter un toast : « Longue vie aux soins palliatifs pédiatriques ». Et nous ajouterons pour souligner l’anniversaire de la revue qui nous soutient depuis de nombreuses années : « Longue vie à Médecine palliative et à notre collaboration fructueuse ».
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Éditorial
Références [1] Site Internet du Réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques (RFSPP). Montréal: RFSPP; ©2010. Accessible à l’adresse : http://www.pediatriepalliative.org [consulté le 10/8/2012].
Nago Humbert 1 Unité de consultation en soins palliatifs pédiatriques, hôpital Sainte-Justine, CHU, 3175 Côte-Sainte-Catherine, Montréal, QC H3T 1C5, Canada Adresse e-mail :
[email protected] 1
Directeur de l’unité de consultation en soins palliatifs pédiatriques; président du réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques. Disponible sur Internet le 4 octobre 2012