la voix dans la psychanalyse

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CONGRES Journke de Saint-Vincent-de-Paul la

- juin 1998

voix dans lo psychanalyse M.ECastarede

maitre de conf+ences de psychologie clinique ri I’universite’RenP Descartes-Paris r/: membre de la SociPt&psychanalytiquede Paris, membre du chew de L’Orchestrede Paris

rkfkrences L la voix dons le corpus psychanalytique Freud a eu des rapports complexes et ambivalents avec le sonore et le musical : il se disait lui-m&me ganz unmusikaliscb, totalement non musicien. Pour lui, le risque avec la musique etait de perdre la maltrise rationnelle qu’il s’ttait fmte comme objectif et de se laisser prendre par l’appel maternel de la voix. Ses premiers commentateurs n’ont guere en? interesses par les problemes de la voix et de l’audition (les editeurs de la Standard Edition ne font m&me pas figurer ces termes dans leur index). Theodor Reik (1888-1969) a, le premier, remis en question dans l&its sur Lamusique (1953) le theme de la melodic obsedante (Introduction rt la psychanalyse) pour montrer, contrairement a Freud qui ne s’interessait qu’au texte, que la structure musicale peut rep&enter des sentiments. Pour Reik, l’air est une traduction de l’emotion beaucoup plus adequate que les mots. Plus tard, Anzieu a, en 1976, Ccrit un article fondateur sur <(Nouvelle Revue de Psychanalyse 1976 ; 13 : 161-79) : la premiere enveloppe psychique du bebe, c’est la voix maternelle. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis tournCe vers lui pour la direction de ma these d’Etat sur ce sujet, bien qu’il m’ait dit qu’il n’etait ni musicien, ni melomane. 11 s’etait neanmoins interesse, entre autres, a la voix de Beckett, le dramaturge, montrant que la langue fran$se lui avait fourni l’espace transitionnel necessaire a sa creativite, espace rendu jusque-la inutilisable par les empietements de sa mere. La voix de JOURNAL

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l’ecrivain aurait remedie aux trois prinsources de souffrance de cipales I’auteur : la suffocation, l’incommunicabilite et l’angoisse devant l’amour. Paradoxale est la position de Lacan, qui a isole la voix et le regard comme objets pulsionnels, a c&e des objets pulsionnels freudiens, oral, anal et phallique. Dans l’index des I?crits, qui comporte plus de trois cents noms d’auteurs, pas un seul musicien ne figure. Son deploiement culture1 ne le portait en art que vers les lettres et les arts plastiques. Au tours d’un colloque lacanien, oh je suis intervenue, ses disciples ne parlaient que du (( Surmoi acoustique )) a travers la voix du pere, puissance legislatrice. Lacan etablit la c&e paternel, present&e voix du comme entretenant un rapport etroit a la loi, au detriment de sa composante maternelle. Pourtant, plus recemment, dans une journee scientifique du Centre Alfred Binet (Paris), lacanienne, une M.C. Laznik-Penot, montrait que la voix, dans le destin de certains enfants qui ne pouvaient pas s’alimenter normalement, etait le premier objet de la pulsion orale : le bebe boit les paroles (
venue au monde et signe son entree dans le monde des humains. De simple expression vocale d’une souffrance, la mere va I’tlever au statut de demande. Des le second cri, rien n’est plus comme avant, car il s’insere alors dans un reseau de significations et d’interactions. Le premier repons de la voix maternelle prend pour l’enfant valeur de jouissance : cet objet irremediablement perdu devient objet de nostalgie. L’attraction pour la voix et la musique chez l’adulte s’enracine, pour moi, dam ces premieres jouissances sensorielles. Ce que la mere donne a entendre a son bebt, y compris ses propres fantasmes concernant l’harmonie vocale avec lui (on pense a (
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domaine est celui du jeu, de I’art, de la subjectivite, de I ‘inconscient et du corps, encore qu’il soit remodel6 par le code secondarise dam lequel I’expressivite se formule. De cette distinction, je trouve un echo chez ma collegue exptrimentaliste, B. de Boysson-Bardies, darts son beau livre Comment la parole vient aux enjhts (Paris : 0. Jacob ; 1996) oh elle classe en dew groupes les bebes : d’une part, les beb&s referentiels ou analytiques, ceux qui, sous l’influence notamment de l’environnement, vont s’indresser plus nettement aux elements phonetiques et a la structure des syllabes, autrement dit a I’aspect denominatif de la langue (sign&ant) ; d’autre part, les b&b& expressifs ou holistiques, qui ont consacre leur attention aux contours d’intonation et aux rythmes, et qui restent plus longtemps attaches a I’expressivite sonore. Les uns sont du c&t des mots, les autres du c&e de la voix. II y a toujours une antinomie entre la langue et la voix, entre la musique et les mots, comme le montre R. Strauss dans son opera Capriccio (1940).

mimiques et des postures vocales d’une grande subtilite, qui donnent a la seance son rythme temporel. A. Green distingue deux types d’analystes, d’une part ceux qui ont une predilection pour la peinture, d’autre part ceux pour la musique : ccJe suppose que les analystes qui aiment la musique sont ceux pour qui l’affect a une dimension essentielle dans la psychanalyse, et qu’a aucun moment ils ne peuvent se contenter des jeux de langage et des r&its charmeurs )Y (Un psychanalyste engagk Paris : Calmann-Levy ; 1994. p. 116). Un peu plus loin : ccLes messages Venus de l’affect, de la melodic, du ton, et aussi des evocations non linguistiques, interviennent B coup stir au moment construire interpr&ationdR (ibid. p. 117). “0: peut aussi parler, avec Serge Lebovici, ccd’empathie metaphorisante )).

La cure analytique nous donne l’opportunite de tenter de resoudre le paradoxe entre langue et corps. La parole ne peut avoir sa quake transitionnelle que si elle ne bascule ni dans le formalisme du langage et des mots, ni dans l’expressivite corporelle desordonnee. Aussi fautil se her a la voix de nos patients et a leurs inflexions pour les comprendre et communiquer avec eux; pour paraphraser Winnicott, on pourrait dire que la psychanalyse est un jeu a deux voix. Ike Barande, psychanalyste, ecrivait en 1976 : h le contre-transfert est inform& par la vocalisation )).

Une de mes patientes, que j’appellerai Clemence, est en analyse avec moi depuis de nombreuses anntes et notre periple pourrait se prolonger encore longtemps. 11 est vrai qu’elle ne presente pas un cas classique de n&rose. Elle appartient a la categoric de ce qu’on appelle aujourd’hui c(les &tats limites )>ou les cas border-Line : elle est avec moi dans une relation d’urgence, oh la vie et la mort se cotoient sans cesse. Avec elle, je ne me sens pas dans l’interpretation plutot confortable d’une n&rose de transfert, mais mobilisee, comme une mere transferentielle qu’elle appelle au secours et qui l’aide a mener sa lutte pour survivre. Je ne suis pas appuyee au dossier de mon fauteuil pour me detendre, mais le corps en avant, I’oreille aux aguets. Si j’ai choisi de parler d’elle, c’est parce que son cas nous plonge au cceur de la problematique du. sonore, du vocal, du musical, de l’aflect et des mots.

L’ecoute se distingue de l’audition. Celle-ci represente la fonction et l’exercice du sens de I’otiie, alors que l’ekoute est beaucoup plus globale, sensible a la fois aux mots mais aussi B la voix qui les Porte et a tout le contexte plus large de la communication humaine. La disponibilitt de I’analyste aux effets de voix est amplifiee, non inflechie par les exigences du dialogue, de la rtplique, de la joute des id&es, de la politesse. Les intonations sont des

Dans toutes les cures, c’est l’affect qui est le noyau du sens : quand il surgit, s’attache Q un souvenir, I’analyse sait qu’il se passe quelque chose d’important qui lui appartient en propre, qui ne doit rien aux Clucubrations oh la memoire de son theoriques, corps est engagee, et qu’il va s’efforcer de mettre en mots. Quand Clemence pleure, ce qui lui est arrive souvent, elle ne sait pas a quoi le rattacher : elle ne peut pas me communiquer ce qui a

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declenche son emotion et j’en ai seulement la preuve par les traces humides qu’elle laisse sur I’oreiller de mon divan. Quand Clemence commence son analyse avec moi - elle m’a dit venir pour retrouver ses sentiments - je n’entends pas sa voix. Ses mots sont choisis dam un vocabulaire trks riche et t&s p&is, voire litttraire, mais la voix sort inaudible d’un corps qui ne peut pas se faire entendre. J’entends done des sons qui franchissent a peine la limite de I’audible acoustique (pas assez de decibels), mais j’e’coute une plainte. Je lui demande de repeter.. . Je pense a la nymphe I&ho qui ne pouvait pas s’adresser a Narcisse, qu’elle aimait, et se retira au fond des bois oh elle habitait, selon la legende, dam une grotte. De sa personne evanescente, il ne restait plus qu’une voix ge’missante, qui repetait les dernieres syllabes pronon&es. &ho se mourait de solitude, de n’Ctre pas entendue et regardee : comment ne pas penser que ma patiente n’avait peut-Ctre Ctt ni entendue, ni regardee. La suite me l’apprendra. En effet, la voix et le regard sont constitutifs des premiers moments interactifs entre la mere et le bebe. L’apprentissage plus tardif du code linguistique que Clemence maitrise tres bien - ce fut une brillante &e-se revele aujourd’hui fragile, ineffkace ; il n’y a pas de place pour une parole portee par une voix, mais pour des mots inaudibles qui n’engagent pas son expressivitt corporelle. Avec sa voix t&rue, ma1 assuree, de petite fille ou de petit garson (on l’appelle parfois (( Monsieur )), ce qui la vexe profondement), Ckmence me confronte a son deficit narcissique et a son absence d’identite vocale sex&e. La voix est une emanation du corps ; il y a un poids du corps, une densite charnelle, un volume de l’air inspire que l’on entend dans la voix. La sienne Cmane d’un corps fragile, evanescent, sans assise. Par ailleurs, les mots qu’elle utilise sont d’une grande richesse : j’ai requ quelques lettres qui temoignent d’une remarquable precision et subtilit& Je comprends qu’en elle, affect et code langagier sont dissocies. De mon c&e, je vais prononcer des mots, des paroles, mais je sais que ma JOURNAL

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patiente va Ctre beaucoup plus sensible, a certains moments surtout, a la voix qui les Porte qu’a leur signification. Elle aime que je lui parle, lorsqu’elle peut interioriser ma voix comme un bon objet. En revanche, mes paroles peuvent Ctre vecues comme intrusives, des lors qu’elle se sent menacee dans son integrite narcissique, (( empietee )) : elle rejette alors ma voix comme un mauvais objet. Nous voila revenues ensemble a ces moments precoces d’avant I’instauration du langage. Ma patiente m’a connue comme enseignante, c’est-a-dire maniant les mots et les idees, mais elle sait, par ailleurs, que je fais du chant, domaine oh la voix tient une place preponderante par rapport aux mots. Ces deux registres d’ecoute qu’elle m’attribue (kozlter la voix, entendre les mots) vont marquer nos liens reciproques. L’enseignante cede la place dans le transfert B celle qui a de la voix, c’est-a-dire un corps expressif, ce qui lui manque. Ce n’est pas un hasard si elle est venue me trouver : il s’agit d’une authentique rencontre et je lui dtdie cette histoire que je vous raconte dans une tentative de formulation romanesque, pour parler comme M. de M’Uzan. Elle m’a toujours interesste, meme dam les moments oh je pouvais ceder a un total decouragement. Pour rendre plus vivante sa problematique, je vais utiliser quelques fragments de cure pour illustrer mes propos :

- ccAvec vous, je suis dam Dtre; je n’aime pas Ctre dam le faire, ni dam hair. ,FJ’entends qu’elle ne peut pas jouer, (SCJouer, c’est faire )>dit Winnicott), ni avoir, ce qui nous ramenerait a une probkmatique plus banale de la casrration, mais qu’elle est dam I’urgence de la survie. - <
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fois explique que sa douleur venait de cette succession discontinue entre des &tats de vide et de plein, ces derniers survenant avec la musique ou aussi lorsqu’elle mime chez elle nos seances, essayant de me rendre presente pour penser. Par contraste, le vide lui est devenu insupportable. (> (Je pense a la mere morte dont parle A. Green.) (( En fait, ma douleur est irrepresentable. Pour lutter contre elle, il me faut imaginer un ideal, une abstraction, comme la musi)) Je que.. . Je n’aime pas la r&lid... comprends B quel point la musique lui est indispensable pour vivre ; ce n’est ni un passe-temps, ni un derivatif, ni m&me une passion : c’est le leurre affectif qu’elle a pu substituer a la <).. .

- ccMa mere aime ma sceur et mon frere cadet comme ils sont, pas moi. Quand je suis gentille, ma sceur me dit : quoi que tu fasses, tu n’arriveras pas a te faire aimer. FFMa patiente, n’ayant pu Ctre accept&e pour ellememe, s’est refugiee dans une attitude en faux-self <
poison )) avait Ctt la plus forte bien que, loin de I’analyse, elle se sente mourir psychiquement : ccen ne pensant pas, j’annule ma naissance )). - (( Quand j’ttais petite, j’etais toujours souffrante : ma1 au ventre, mal a la t&e. Le medecin ne trouvait jamais rien. Aujourd’hui, je suis encore une petite fille chiffon&e, recroquevilke et j’ai peur que les mots passent dans mon corps .)) ((A la naissance de mon neveu (1 er enfant de son frere aine), j’ai et6 t&s angoissee par les prenoms qu’on lui a don&s. Hormis le premier choisi par ma belle-soeur <
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incohtrent - Ctat de non-integration pour parler comme Winnicott - dts lors que la psych6 maternelle ne lui a pas fourni un contenant adequat pour le lier et lui donner un sens. Aussi la musique est-elle le seul substitut convenable et calmant pour son angoisse existentielle : elle me dira rkemment qu’elle n’a plus de plaisir, ni g lire, ni k aller au cinema, ni d visiter des expositions, toutes activitts qu’elles utilisaient auparavant pour passer le temps. D. Stern montre trb bien que les mttaphores musicales sont les plus approprites pour rendre compte de la vie psychique du btbC. Pour elle, la musique est seule apte &calmer sa douleur, parce qu’elle lui offre un temps structurk et coherent, cn% par le compositeur, qui donne un contenant d ses affects dCsordonnCs. Son addiction g la musique (comme parfois ?I la nourriture : elle se plaint d’accks de boulimie) la protege vraisemblablement de somatisations plus graves qu’elle redoute dans les moments d’angoisse : ccj’ai peur d’avoir un cancer de la peau )>. Elle se fait r&dikement enlever des grains de beau& sans qu’elle me pa_rle de leur teneur maligne. Par ailleurs, elle constate une amknorrhte persistante dont elle me dit la nature psychogtne ; - ce qu’elle m’a racontk rfkemment, ce sont des cauchemars, Baboration psychique de sa douleur, oh son psychiatre

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devient fou devant elle. c(Saurez-vous me prodger de la folie ? )) semble-t-elle me dire. 11 s’agit de l’amener progressivement & cet &at d’intkgration, dont parle Winnicott, oh l’association psych& soma devient possible. Aprks beaucoup de vicissitudes &+apeutiques, Ckmence a pu Baborer autrement la mort du frkre (dont on a toujours garde la place reprbentke par une chaise dans la Salle g manger de ses parents). Elle comprend qu’elle doit se dkpartir progressivement de son intense culpabiliti et commencer de vivre pour elle, en dehors du mandat maternel. D’accord avec son psychiatre, elle a demand6 rkemment une hospitalisation pour Ctre prise en charge. Elle revient ces jours-ci vers moi avec une volontk plus ferme de construire son seK tentant d’abandonner le <
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l’entourage. Ma patiente n’a pas pu faire cette exptrience fondamentale : aussi ses mots n’kaient-ils pas reliCs aux affects. Sa voix commence d’tmerger enfin de son corps, en regard de sa pa&ite possession de la langue. Elle m’a co&C rkcemment qu’elle avait envisagd la fin de son analyse : elle m’accompagnerait au piano (instrument qu’elle vient d’acqukrir) dans un lied de Mozart, Skparation.

L’intCr&t ¢ pour les interactions prkoces, notamment sonores, a montre la valeur de I’dchange vocal entre le bkbbC et son environnement, non exclusif &en stir des autres formes d’gchanges. L’apprentissage proprement dit de la langue est pr&kdt d’une pkriode prkverbale ou pr&linguistique dont on mesure aujourd’hui tome l’importance. Certains de nos patients, comme Cl& mence, ont besoin de refaire ce chemin pour retrouver, & wavers la cure, l’aire transitionnelle qu’il leur a fait dbfaut, ce jeu de voix entre corps et code.

hrence Castarede ME La voix et ses sortikges. Paris : Les Belles Lettres ; 1987, 4e Ed. 2000, traduit en oortuaois.

- juin 1998 ont et.6 publites dans le no 6-2000.

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