Communication brève
Rev Méd Interne 2002 ; 23 : 460-4 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866302005945/SCO
La xanthogranulomatose nécrobiotique, une histiocytose non langerhansienne à expression cutanée associée à une gammapathie monoclonale S. Roth1*, E. Delmont2, F. Heinrich1, P. Heudier1, C. Perrin3, R. Kaphan1, E. Cua1, J.G. Fuzibet1 1
Service de médecine interne, hôpital l’Archet 1, CHU, 151, route de Saint-Antoine de Ginestière, BP 3079, 06202 Nice cedex 3, France ; 2service de neurologie, hôpital Pasteur, CHU, 30, avenue de la Voie Romaine, 06001 Nice cedex 2, France ; 3service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Pasteur, CHU, 30, avenue de la Voie Romaine, 06001 Nice cedex 2, France (Reçu le 19 juin 2001 ; accepté le 9 novembre 2001)
Résumé Introduction. – La xanthogranulomatose nécrobiotique est une affection cutanée rare, fréquemment associée à une gammapathie monoclonale. Nous en rapportons deux nouveaux cas. Exégèse. – Une patiente âgée de 70 ans était suivie pour une gammapathie monoclonale de signification indéterminée. Elle présentait une diplopie en rapport avec une masse rétro-orbitaire. La biopsie montrait une pseudotumeur inflammatoire. Cinq ans plus tard, elle présentait des lésions cutanées inflammatoires dont la biopsie évoquait un aspect de xanthogranulomatose nécrobiotique. Une femme âgée de 70 ans consultait pour des lésions cutanées inflammatoires. Une gammapathie monoclonale de signification indéterminée était alors découverte. L’aspect clinique et l’analyse histologique ont permis de retenir le diagnostic initial de sarcoïdose cutanée. Quatre ans plus tard, elle est hospitalisée pour bilan d’un syndrome néphrotique. De nouvelles biopsies cutanées sont réalisées et font porter le diagnostic de xanthogranulomatose nécrobiotique. Conclusion. – La xanthogranulomatose nécrobiotique est une maladie systémique entrant dans le cadre des histiocytoses non langerhansiennes. Sa principale localisation est cutanée. L’atteinte oculaire est classique mais, à notre connaissance, aucun cas de masse rétro-orbitaire n’a été décrit jusqu’à présent. Le diagnostic de certitude est histologique. En pratique il faut savoir évoquer ce diagnostic devant des lésions cutanées survenant au cours du suivi d’une gammapathie monoclonale, quel qu’en soit le cadre nosologique (de signification indéterminée ou myélome). Le traitement reste mal codifié mais dépend essentiellement de la pathologie sous-jacente. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS xanthogranulomatose nécrobiotique / gammapathie monoclonale
Summary – Necrobiotic xanthogranuloma, cutaneous disorder associated with monoclonal gammapathy. Introduction. – Necrobiotic xanthogranuloma is a rare cutaneous disorder usually associated with monoclonal gammapathy. We describe two new cases. Exegesis. – A 70-year-old patient was affected by a monoclonal gammopathy. She presented with a diplopia related to a retro-orbital tumor. The biopsy showed inflammatory lesions. Five years later,
*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (J.G. Fuzibet).
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inflammatory xanthomatous skin lesions appeared. Biopsy specimens gave the diagnosis of necrobiotic xanthogranuloma. A 70-year-old woman was referred for inflammatory cutaneous lesions. Clinical, biological investigations and skin biopsies led to the diagnosis of cutaneous sarcoidosis associated with monoclonal gammopathy. Four years later, she developed a nephrotic syndrome. New skin biopsy specimens showed a necrobiotic xanthogranuloma. Conclusion. – Necrobiotic xanthogranuloma is a systemic disease. It is a rare non-Langerhans cell histiocytosis characterized by frequent cutaneous and ophthalmologic lesions and associated with monoclonal gammopathy. To our knowledge, retro-orbital involvement has never been reported in necrobiotic xanthogranuloma. Treatment is difficult. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS necrobiotic xanthogranuloma / monoclonal gammopathy
La xanthogranulomatose nécrobiotique est une affection cutanée rare fréquemment associée à une gammapathie monoclonale. Nous rapportons deux cas originaux par leur présentation clinique. OBSERVATIONS Cas 1 Une femme âgée de 70 ans, aux antécédents de tuberculose pulmonaire (lobectomie) était suivie pour une gammapathie monoclonale IgG lambda de signification indéterminée, stable depuis 1994. Elle consultait en juin 1995 pour une diplopie. Le scanner montrait une masse rétro-orbitaire. La biopsie révélait la présence d’une importante réaction inflammatoire granulomateuse sans cellules malignes. On retenait le diagnostic de pseudotumeur inflammatoire de l’orbite. Une corticothérapie systémique à 1 mg/kg/j entraînait une disparition de la diplopie mais il existait une corticodépendance à la dose de 30 mg/j avec récidive de la symptomatologie. On réalisait alors une radiothérapie orbitaire (24 Gy) qui faisait disparaître la pseudotumeur inflammatoire. En mars 2000, la patiente était hospitalisée pour bilan de lésions cutanées évoluant depuis cinq mois. L’examen clinique trouvait des lésions à type de xanthomes périorbitaires (figure 1), mandibulaires, du creux susclaviculaire ainsi qu’une tuméfaction dorsale (figure 2) survenant sur la cicatrice de lobectomie. Ils avaient un aspect inflammatoire et infiltré avec de petites ulcérations superficielles. Le bilan biologique révélait un syndrome inflammatoire biologique avec une vitesse de sédimentation à 103 mm à la première heure, un fibrinogène à 5,7 g/L. L’enzyme de conver-
Figure 1. Localisation péri-orbitaire de lésions de xanthogranulomatose nécrobiotique.
Figure 2. Lésion de xanthogranulomatose nécrobiotique survenant sur une cicatrice de lobectomie [3].
sion de l’angiotensine était normale. L’électrophorèse montrait un taux stable de l’immunoglobuline monoclonale à 19 g/L. L’IRM orbitaire était nor male.
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Figure 3. Histologie : granulomes inflammatoires séparés par des bandes de nécrose hyaline. Deux aspects spécifiques : panniculite (toute la photo) et dépôts de cristaux de cholestérol au sein du granulome.
Figure 4. Localisation péri-orbitaire de lésions de xanthogranulomatose nécrobiotique.
Enfin, les biopsies cutanées (figure 3) permettaient de porter le diagnostic de xanthogranulomatose nécrobiotique La relecture de la première biopsie (rétro-orbitaire) concluait au même diagnostic. La patiente bénéficiait d’un traitement par corticoïdes per os à la dose de 1 mg/kg/j. Les lésions cutanées régressaient rapidement, mais la patiente restait corticodépendante. La gammapathie monoclonale restait stable. Cas 2 Une femme âgée de 70 ans consultait en 1996 pour des lésions cutanées inflammatoires se développant dans les régions péri-orbitaires et sur une cicatrice de thyroïdectomie (figures 4 et 5). Une gammapathie monoclonale était découverte dans le même temps : il s’agissait d’une dysglobulinémie IgG kappa à 22 g /L de signification indéterminée (myélogramme normal). Les aspects clinique et histologique évoquaient une sarcoïdose cutanée. En 2000, la patiente était hospitalisée pour un syndrome néphrotique. La protéinurie initiale s’élevait à 5 g/24 h. La ponction-biopsie rénale montrait une glomérulonéphrite membranoproliférative avec dépôts d’immunoglobulines. De nouvelles biopsies cutanées permettaient de porter le diagnostic de xanthogranulomatose nécrobiotique. Une corticothérapie orale était instaurée à la dose de 1 mg/kg/j, associée secondairement à du chloraminophène ce qui permettait d’améliorer les lésions cutanées en moins d’un mois. Le syndrome néphrotique s’améliorait modé-
Figure 5. Lésion de xanthogranulomatose nécrobiotique survenant sur une cicatrice de thyroïdectomie [4].
rément. Après sept mois d’évolution, les lésions de xanthogranulomatose nécrobiotique avaient disparu, la protéinurie persistait avec un taux de 2,15 g/24 h. DISCUSSION La xanthogranulomatose nécrobiotique est une maladie rare décrite pour la première fois en 1980 par Kossard et Winckelmann [1-3]. Une cinquantaine de cas a été rapportée dans la littérature jusqu’à présent. Elle entre dans le cadre des histiocytoses non langerhansiennes [4] et est fréquemment associée à une gammapathie monoclonale de signification indéterminée [5] ou maligne. Elle atteint les sujets d’un âge moyen de 53 ans [3]. Les lésions cutanées ressemblent souvent à des xanthomes situés en particulier dans les régions péri-
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orbitaires et difficiles à différencier des lésions de xanthomatoses normo- ou hyperlipidémiques. On peut retrouver des lésions moins spécifiques à type de nodules, macules ou papules, atteignant la face, le tronc et les extrémités. Les complications ophtalmologiques sont retrouvées dans 30 % des cas [6]. Il peut s’agir de conjonctivite, kératite, uvéite, sclérite, glaucome, ptosis. Dans les cas sévères, des ulcérations extensives péri-orbitaires peuvent atteindre la cornée et entraîner une perte de la vision. Il faut noter la présence possible, mais rare, d’une masse intraorbitaire. À notre connaissance, aucun cas de masse rétro-orbitaire n’a encore été décrit dans la littérature. Enfin, la xanthogranulomatose nécrobiotique peut affecter beaucoup plus rarement d’autres organes comme le foie, la rate et le cœur avec des atteintes myocardiques [7]. Il a été décrit un cas d’atteinte des voies aériennes supérieures, une atteinte du larynx et pharynx, une atteinte pulmonaire, une atteinte ovarienne, une atteinte péritonéale et une atteinte intestinale [7, 8]. Deux cas d’atteinte rénale ont été cités dans la littérature [7] : un cas a été découvert à l’autopsie avec une atteinte spécifique granulomateuse du rein ; le second cas était celui d’une patiente présentant une atteinte cutanée de xanthogranulomatose nécrobiotique associé à un syndrome néphrotique. L’histologie de la biopsie rénale montrait des dépôts amyloïdes glomérulaires. L’atteinte rénale peut être directe avec présence de granulomes à l’examen anatomopathologique ou indirecte en rapport avec la maladie associée (glomérulonéphrite avec dépôts d’immunoglobulines ou cryoglobulinémique) [7]. Enfin, deux cas de xanthomes disséminés probablement dus à une xanthogranulomatose ont été décrits [7]. Le diagnostic de certitude se fait par l’examen anatomopathologique qui montre une inflammation granulomateuse alternant avec des foyers de nécrose collagénique et s’étendant sur toute la hauteur du derme. Ces granulomes sont constitués d’histiocytes spumeux disposés en palissade, de cellules géantes multinucléées souvent de type Touton et de lymphocytes. La présence de cristaux de cholestérol disposés en palissade au sein du granulome est spécifique de cette maladie de même que l’aspect de panniculite xanthogranulomateuse (figure 3) [9]. Les examens biologiques retrouvent de façon aspécifique une élévation de la vitesse de sédimentation, une leuconeutropénie ou une diminution du complé-
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ment. Il existe dans 70 % des cas une gammapathie monoclonale, la plus souvent IgG kappa ou lambda (un cas d’IgA et un cas d’IgM ont été décrits). Elle peut s’associer à un myélome multiple ou un syndrome lymphoprolifératif [8]. Quelques cas de cryoglobulines ont été retrouvés. L’évolution spontanée se fait vers l’aggravation locale ou l’apparition de nouvelles lésions. Le diagnostic différentiel comporte les nombreuses manifestations cutanées des gammapathies monoclonales dont les plus fréquentes [10] sont : l’amylose cutanée AL, les plasmocytomes cutanés, la mucinose, le syndrome adénocutané, l’angio-œdème neurotique, le POEMS syndrome et le syndrome de Sweet. La xanthogranulomatose nécrobiotique est une des plus rares. Le diagnostic est difficile à évoquer car il s’agit d’une maladie rare à laquelle on ne pense pas toujours. Comme l’illustrent ces deux cas cliniques, le diagnostic est souvent retardé. Dans le premier cas, le diagnostic initialement porté est celui de pseudotumeur orbitaire [11] devant une histologie montrant une importante réaction inflammatoire granulomateuse comportant de très nombreux histiocytes à cytoplasme spumeux, et l’absence de signes de malignité. Après l’apparition de l’atteinte cutanée évocatrice, l’atteinte orbitaire a pu être mise en rapport avec la xanthogranulomatose. Dans le second cas, le diagnostic clinique et histologique initial était une sarcoïdose. Ce n’est qu’après l’apparition d’une manifestation rénale que de nouvelles biopsies cutanées ont été réalisées et permis de redresser le diagnostic. L’atteinte rénale est difficile à rattacher de façon directe à la maladie dans la mesure où l’histologie ne montre pas de granulomes spécifiques. Le traitement repose sur une chimiothérapie à base d’alkylants associée à une corticothérapie générale. Les traitements locaux sont inefficaces [3] : chirurgie, corticothérapie locale. La radiothérapie n’a qu’une efficacité transitoire. Le traitement essentiel reste celui de la maladie sous-jacente. La xanthogranulomatose nécrobiotique est une maladie systémique rare classée parmi les histiocytoses non langerhansiennes qui se manifeste par une atteinte essentiellement cutanée et ophtalmologique et fréquemment associée à une gammapathie monoclonale. Le nombre limité de cas dans la littérature explique que la pathogénie soit mal connue et le traitement mal codifié.
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