L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ?

L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ?

Modele + CND-293; No. of Pages 8 ARTICLE IN PRESS Cahiers de nutrition et de diététique (2015) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect ...

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ARTICLE IN PRESS

Cahiers de nutrition et de diététique (2015) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ALIMENTS

L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Natural food: A reality or a myth? Denis Lorient 2, allée Louis-Gerriet, 21240 Talant, France ecembre 2014 ; accepté le 15 septembre 2015 Rec ¸u le 10 d´

MOTS CLÉS Naturalité ; Consommateurs ; Alimentation industrielle ; Aliment bio ; Qualités des aliments

KEYWORDS Naturality; Food consumers; Industrial food; ‘‘Bio’’ foods; Food quality

Résumé Le qualificatif de « naturel » s’applique aujourd’hui à de nombreux produits et en particulier aux aliments. Ce terme rassure le consommateur devant les messages alarmistes diffusés par les médias, mais ne se justifie pas réellement scientifiquement. La naturalité ne peut s’argumenter non seulement sur les origines, les caractéristiques constitutives, les opérations subies par l’aliment mais aussi sur les propriétés nutritionnelles et sensorielles et l’absence de composés toxiques et de germes pathogènes. En fait, l’aliment naturel semble être un mythe qui renforce le lien social : l’obsession du retour à la nature et à la tradition, l’acceptation sociale de plus en plus réduite du progrès scientifique, la croyance que la nature est toujours bienfaisante, l’image attrayante avant tout commerciale de l’aliment naturel, font que le consommateur a souvent un comportement paradoxal car il souhaite un aliment non industriel tout en exigeant une sécurité absolue souvent obtenue par des traitements technologiques. L’aliment naturel serait donc plutôt un rêve sinon un mythe devant l’impossibilité de le définir et d’y associer une réglementation stricte. © 2015 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Today, the word ‘‘natural’’ is applied to many products, especially to foods. This reassuring term tranquilizes the consumer considering the alarmist messages from the mass media. But, this designation cannot be scientifically justified. The naturality arguments cannot be relied on the origins or on the chemical characteristics, on the technological treatments of foods, on the lack of toxical compounds and pathogenic germs, and but also on the nutritional and sensory properties. In fact, natural food seems to be a myth which strengthens the social

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003 0007-9960/© 2015 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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D. Lorient relationship. The obsession of the return to nature and of the traditional uses, the social acceptability decrease of the scientific progress, the belief that nature is always salutary, the attractive and commercial image of natural food are consistent with the paradoxal behavior of the consumer, because of wishes of a non industrial food but a requirement of an absolute safety often obtained by technological treatments. Therefore, natural food would be a dream otherwise a myth because of the inability to establish a definition and to associate it to a regulation. © 2015 Société franc ¸aise de nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Suite à la publication d’une note de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) [1] tentant de définir les caractéristiques du qualificatif « naturel », les membres de la section « Alimentation humaine » de l’Académie d’agriculture de France ont mené une réflexion visant à justifier ou non cette appellation. . . et suite à la séance de l’Académie d’agriculture de France du 12 février 2014 consacrée à « l’aliment naturel » et co-organisée par Jean-Claude Pernollet (section « Sciences de la vie »). L’objectif principal de cette réflexion vise à se demander si l’adjectif « naturel », par une définition scientifiquement établie (et non par idéologie), peut donner une valeur positive aux aliments.

Origines de la notion de naturalité et évolution historique L’origine de la notion de nature se situe en Grèce antique ; le terme de phusis désigne le principe qui guide le développement et la composition des êtres. Selon Lepiller [2], un pas est franchi par rapport à la lecture mythique ; c’est dans la phusis des êtres qu’on trouve l’origine de leur forme et de leur existence, et non plus dans l’action des forces divines et mythiques. Avec Platon et Aristote, la phusis devient un grand ensemble organisé régi par des lois ; cette notion s’oppose à l’ordre du nomos (règles qui régissent la vie de la cité). Le terme phusis sera traduit en latin en natura (nature en franc ¸ais). Peu à peu, au cours des siècles suivants, se développe une pensée objectiviste ; aux XVIIIe et XIXe siècles, on réfléchit sur la nature de l’homme et sur son rôle au sein du monde : le propre de l’homme, ce sont son mode de vie collectif et son esprit créatif qui le font échapper aux nécessités naturelles. L’idée du « retour à la nature » trouve son apogée au XVIIIe siècle avec Jean-Jacques Rousseau et Wolfgang Johann von Goethe. Malgré des analyses remarquables de John Stuart Mill [3], ce qui n’était qu’un sentiment s’est vite transformé en idéologie. « De même que la nature d’un objet donné est constituée par l’ensemble de ses pouvoirs et propriétés, la Nature, au sens abstrait, est l’ensemble des pouvoirs et propriétés de tous les objets. Le mot Nature désigne la somme de tous les phénomènes, ainsi que les causes qui les produisent, englobant non seulement tout ce qui advient,

mais aussi tout ce qui pourrait advenir ; car les facultés inemployées des objets participent tout autant de l’idée de Nature que celles qui sont employées et entrent en action. Comme tous les phénomènes qui ont été étudiés suffisamment se sont révélés survenir avec régularité, chacun se produisant dans des conditions déterminées, positives ou négatives, qui, lorsqu’elles sont réunies, provoquent invariablement leur apparition, on a réussi à établir, soit par l’observation directe, soit par des raisonnements fondés eux aussi sur l’observation, les conditions d’apparition de nombreux phénomènes — les progrès de la science reposant principalement sur la découverte de telles conditions. Une fois établies, celles-ci prennent la forme de propositions générales, appelées lois de la nature ». Cependant, à l’époque industrielle des XIXe et XXe siècles, le pouvoir de la science et de l’industrie s’impose. C’est particulièrement vrai en Allemagne, où la science devient un culte. Le succès de romans comme Anilin de K.A. Schenzinger [4], à la gloire de la chimie, ou de Radium de K. Brunngraber [5], à la gloire de la physique, témoignent de cette évolution des esprits. Même Jean Jaurès, dans son poème « Le blé » [6], loue le génie de l’homme « N’est-ce pas l’homme aussi qui a créé le blé ? Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart — celles du moins qui servent aux besoins de l’homme — l’œuvre spontanée de la nature ». La lutte militante contre la barbarie, après la guerre, s’accompagne d’un rejet de la technologie et de la science sur laquelle elle se fonde ; rejet renforcé par la guerre froide et la menace d’une destruction nucléaire de l’humanité. Malgré des progrès scientifiques continus, certains événements, comme la guerre du Vietnam, les crises « énergétiques » des années 1970 et 80 ou, encore, de nombreuses catastrophes écologiques (Seveso en Italie, Bhopal en Inde, Tchernobyl en Ukraine, Fukushima au Japon. . .), avivent un refus de la société industrielle ; ils favorisent l’émergence de mouvements écologistes et « hippie ». Une partie de la société actuelle redevient l’héritière du sentiment de la nature de Rousseau : désir puissant des populations de retrouver une vie en accord avec la nature. L’écologie se politise un peu partout en Europe. Ne conviendrait-il pas de définir d’abord, le terme « Nature » ? Selon certains philosophes et, en particulier, Donald B. Thompson [7], le terme peut avoir deux sens : une qualité ou une caractéristique des choses (ou une seconde nature, la nature humaine par exemple), ou bien il correspond à toute chose provenant du monde physique, minéral ou biologique.

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? C’est sans doute ce dernier sens qui s’applique à l’aliment.

Essai de définition de la naturalité On peut définir la nature par rapport à ce qui s’oppose à elle (la société, la culture, la nature humaine). Cette vision naturaliste oppose le naturel (ce qui se fait tout seul) à l’artificiel (ce qui se produit, se fabrique). Selon Rosset [8], cette opposition permet de fonder les bases de la morale (par exemple, certains comportements humains sont contre-nature !). Mais comme l’indique Lepiller [2], l’homme est à la fois naturel et artificiel car il résulte d’une lente et longue évolution biologique. La notion de naturalité est instable ; ainsi, les aliments sont issus de formes de vie spontanée et naturelle, mais qui, étant domestiquées (voir infra) depuis des millénaires, relèvent plus de l’artificiel ! Les aliments seraient donc des hybrides au niveau de leur production comme de leur transformation où se mêlent nature et culture [9]. L’instabilité du naturel est à l’origine de débats qui opposent le concept de naturalité biologique (régulation spontanée d’un système environnemental) à celui de naturalité anthropique (niveau d’intervention humaine dans un système environnemental). On retrouve cette opposition entre ces deux naturalités dans les diététiques non conventionnelles, qui en insistant sur une alimentation naturelle, prétendent être une alternative de la nutrition académique. Elles paraissent comme les mieux adaptées à la nature de l’homme et de son corps [10,11] ; ainsi, manger « naturel », c’est contrôler ce qu’on mange et en même temps ce qu’on devient [12].

Comment définir l’aliment naturel ? Selon l’édition 2010 du dictionnaire Larousse, l’« aliment » se définit comme « ce qui sert de nourriture à un être vivant » ; selon le Robert, on désigne ainsi « toute substance susceptible d’être digérée et de servir à la nutrition d’un être vivant », alors que le mot « naturel » est défini par le Larousse comme « Qui est issu directement de la nature, du monde physique, qui n’est pas dû au travail de l’homme », ou « qui n’est ni modifié altéré ou falsifié ». Logiquement, l’utilisation de ces deux définitions conduit à conclure qu’aucun aliment n’est naturel ; selon la définition de naturel, l’aliment ne peut pas être naturel, car nos aliments sont pour la plupart des produits d’origine végétale ou animale provenant de multiples sélections et ayant subi une transformation, si minime soit-elle ! Seuls de rares aliments peuvent être considérés comme naturels : le lait maternel des nourrissons, les végétaux ou animaux sauvages consommés crus sans avoir été découpés (même la division physique, à l’aide d’un simple couteau, en libérant les enzymes et leurs substrats, en présence d’oxygène, conduit à des modifications moléculaires analogues à celles d’un traitement thermique, ou « cuisson ») ! À propos du lait, il faudrait préciser que le lait de vache consommé par l’homme peut être considéré comme naturel, comme les œufs d’ailleurs, sauf si l’animal est nourri artificiellement ; remarquons toutefois qu’il est mal adapté à la physiologie digestive de nombreuses populations (hypolactasie, intolérance à la ␤-lactoglobuline) ; ce n’est que par une lente évolution que l’homme s’est adapté ou que la technologie laitière a permis de « materniser » le lait de ruminants [13].

3 On conclut ainsi que l’aliment naturel, pour exister, doit être défini de fac ¸on moins restrictive. Sur le plan réglementaire, il n’y a pas de définition, ni en France, ni en Europe ; le terme « naturel », selon les pouvoirs publics ne devrait s’appliquer qu’à des denrées alimentaires provenant de la nature et présentées à la vente en l’état ou après des traitements n’entraînant pas de modification importante (ici, l’adjectif introduit la possibilité de nombreuses contestations). Cependant, l’aliment peut-il être totalement naturel ou non, ou existe-t-il plusieurs degrés de naturalité. . . selon, d’après Thompson [7] : • que l’aliment a une relation directe avec une origine biologique ; • que l’importance des traitements appliqués reste dans la limite acceptable des procédés traditionnels ; • l’importance des ingrédients d’origine naturelle utilisés dans la formulation de l’aliment ; • l’importance d’ingrédients d’origine synthétique se substituant aux ingrédients naturels ; • la fac ¸on dont sont produites les sources d’ingrédients. Toutes ces nuances expliquent bien la difficulté d’élaborer une définition précise. La Food and Drug Administration américaine (FDA), dès 1991, avait tenté sans succès de préciser cette appellation. Plus récemment, dans une note de la Canadian Food Inspection Agency [14], les auteurs ont tenté de préciser les traitements susceptibles d’affecter le caractère naturel des aliments par des modifications physiques, chimiques ou biologiques minimes (parmi eux, on retrouve pourtant des traitements sévères, tels que des traitements thermiques) ou au contraire maximales (traitements chimiques ou biologiques). Quant à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en 2009, elle a bien pris conscience du problème dans sa note 2009-136, où elle essaie de préciser l’emploi du terme « naturel » dans l’étiquetage des denrées alimentaires dans plusieurs cas : • celui de denrées composées d’un seul ingrédient ; • celui des cas particuliers des arômes et additifs alimentaires ; • celui des formulations composées de plusieurs ingrédients. Les différents degrés de naturalité y sont repris et précisés : cependant, certaines propositions discutables seront reprises plus loin à propos des traitements et des additifs.

À propos de la règlementation En France, l’attribution du terme « naturel » est autorisée pour certaines catégories d’aliments, par exemple, le thon au naturel, l’eau minérale naturelle ou un produit laitier « nature ». Dans ce cas, les conditions d’utilisation du terme « naturel » ou « nature » sont prévues par la réglementation ou les usages. Une note d’information de la DGCCRF (no 2009136 du 18 août 2009) constitue la référence pour aider les services de contrôles à apprécier l’acceptabilité d’emploi du terme « naturel ». Deux cas sont envisagés : denrée alimentaire composée d’un seul ingrédient et denrée alimentaire composée de plusieurs ingrédients. Dans ce dernier cas, les arômes et les additifs alimentaires seront à considérer de fac ¸on spécifique. ¸on générale, il convient de tenir compte de De fac

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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D. Lorient deux éléments : l’ingrédient lui-même et l’éventuel traitement qu’il a subi. La difficulté essentielle réside dans l’analyse des processus de transformation : par exemple, un procédé de cuisson extrusion modifiet-il suffisamment l’ingrédient ou l’aliment pour lui faire perdre sa qualité « naturelle » ?. . . De nombreux débats ont eu lieu sans atteindre un consensus. Dans sa note d’information, la DGCCRF prévoit un certain nombre d’exemples de traitements ; toutefois, ce point essentiel peut rester encore délicat à analyser. Pour revenir aux arômes et additifs alimentaires, la règlementation européenne sur les arômes indique la définition de l’« arôme naturel »/« arôme naturel de. . . ». En revanche, il n’existe rien de particulier concernant les additifs. À cet égard, la DGCCRF propose de raisonner par analogie avec les règles applicables aux arômes. Certains pays européens (par exemple : GrandeBretagne) ont rédigé des définitions qui ne servent que leur marché national, l’extension aux autres pays pose de possibles problèmes concurrentiels vis à-vis des mêmes aliments franc ¸ais.

Cette appellation se justifie-t-elle par des critères scientifiques ? Le sens ambigu du mot « naturel », tel qu’utilisé par l’industrie alimentaire, permet à celle-ci d’offrir de plus en plus aux consommateurs des produits « naturels ». . . qui n’en sont pas toujours ! Afin de préciser la définition éventuelle de l’aliment naturel, une argumentation scientifique peut s’appuyer sur ses conditions d’obtention.

Les origines Le biologiste définira l’aliment naturel comme celui recueilli dans la nature sans qu’il y ait intervention de l’homme même au niveau de la production. Ce seront les produits dits « sauvages » issus de la cueillette, de la chasse ou de la pêche. Par extension, on pourra y rajouter les produits récoltés après culture ou élevage après intervention éventuelle de l’homme dans la sélection, l’itinéraire cultural, la récolte et le stockage. En effet, nos matières premières alimentaires d’origine végétale proviennent presque toutes issues d’une sélection naturelle ou d’une domestication par l’homme avec, pour conséquences, une augmentation de la taille de l’organe consommé (fruits, graines, racine, feuille) et une diversification de sélection (modifications des qualités, de la couleur. . .). Ainsi, en passant de la cueillette et de la chasse à l’agriculture et à l’élevage, les matières premières alimentaires ne sont plus seulement issues de la sélection naturelle. On peut noter cependant une codépendance entre l’homme et la plante (ou l’animal) : l’homme est dépendant de la plante ou de l’animal et la plante (ou l’animal) est dépendant de l’homme pour sa croissance, sa multiplication et sa survie [15]. Les exemples suivants proposés par Pitrat [16] pris parmi les végétaux montrent que la majorité des variations provient de mutations spontanées sélectionnées par l’homme. La sélection peut s’opérer : • pour les feuilles ou pour la racine : cas du céleri branche ou rave, betterave fourragère ou sucrière, chou chinois ou navet ;

• pour les feuilles ou l’inflorescence : cas du cardon et de l’artichaut, chicorée à feuille ou chicorée asperge ; • pour la partie végétative ou les graines : rutabaga et colza. Ainsi, le chou peut être « décliné » en chou Milan, rave, fleur, Bruxelles, brocoli. Les buts de la diversification sont d’agir sur : • les qualités organoleptiques ; • l’amélioration des propriétés nutritionnelles (présence de vitamines) ; • l’absence de substances toxiques et d’allergènes ; • la composition en lipides : haute teneur en acide oléique de l’huile de tournesol ou absence d’acide érucique dans l’huile de colza. Pitrat [16] note aussi qu’il y a une grande variabilité des espèces au cours du temps : de nombreuses espèces, souvent d’origine américaine ne sont connues par les humains autres que les amérindiens que depuis les grandes découvertes (maïs, tournesol, pomme de terre, piment, tomate. . .), alors que d’autres espèces anciennes ont disparu depuis Olivier De Serres [17]. À noter aussi que les agronomes, historiens et géographes découvrent de plus en plus que des lieux réputés naturels du globe sont en réalité fac ¸onnés, de longue date, par l’espèce humaine (les travaux les plus récents portent sur les terres désertiques d’Afrique et la jungle brésilienne).

Les caractéristiques constitutives L’aliment ne doit pas avoir subi une modification dans sa composition. Ici, il y a exclusion des intrants tels que les additifs : améliorants de la valeur nutritionnelle (vitamines, oligoéléments, acides aminés, probiotiques. . .), améliorants des qualités sensorielles (sel, édulcorants, arômes, épices. . .), conservateurs (antiseptiques, antibiotiques). Parmi ces molécules exogènes, certaines sont d’origine « naturelle », c’est-à-dire ayant été extraites de matière première non transformée : elles seront acceptées par opposition à celles qui proviennent d’une synthèse moléculaire. Or que craint-on ? Que la synthèse moléculaire (on dit parfois « chimique », confondant la science et ses applications ; à noter que les synthèses par voie enzymatique relèvent du même mécanisme) véhicule des produits secondaires de réaction ; toutefois, on ignore alors que l’extraction peut aussi laisser subsister des résidus de solvants ! Par exemple, qu’il s’agisse de la production par synthèse ou par extraction de l’acide ascorbique ou de la vanilline, (en réalité de l’éthyle-vanilline) les voies de formation des composés sont complexes, mais différentes, alors que les molécules produites sont identiques ; les produits, eux, peuvent être différemment « contaminés » (le terme est péjoratif ; on veut dire ici « débarrassés des impuretés éventuelles »). De surcroît, le mot « chimie » fait peur et est mal compris. D’une part, répétons qu’une science (qui produit des connaissances) ne se confond pas avec ses applications (la production de composés par utilisation des connaissances scientifiques) ; d’autre part, signalons que le fonctionnement des organismes vivants, humain notamment, résulte d’innombrables réactions que l’on nomme alors biochimiques, mais qui ne se distinguent en rien des « réactions chimiques », que l’on devrait plus justement nommer des « réarrangements moléculaires » ou « réarrangements atomiques » (Fig. 1).

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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Figure 1. Deux grandes voies existent pour produire l’acide ascorbique : la voie naturelle (no 1) et la voie de l’industrie chimique (no 2) (procédé biotechnologique par Gluconobacter oxydans). Elles font toutes intervenir de nombreux intermédiaires chimiques [18].

5 que les barèmes thermiques acceptables aux conséquences peu dénaturantes pour les constituants de l’aliment. Dans la même note, on oublie les traitements de séchage et de lyophilisation qui sont pourtant moins dégradants que la stérilisation thermique ! Ils sont moins dégradants car les conditions appliquées sont moins dénaturantes pour les protéines et certains polysaccharides. En ce qui concerne le séchage, les lipides insaturés deviennent sensibles à l’oxydation. D’autres contradictions persistent : par exemple, pourquoi le café lyophilisé, selon la DGCCRF, ne serait pas naturel alors que le serait le pain, lui qui résulte de transformations génétiques (la sélection), mécaniques (mouture et pétrissage), fermentaires et thermiques (cuisson) ? Lorsqu’on parle d’aliment « naturel », se soucie-t-on de la fac ¸on dont il est emballé ; les nouveaux matériaux d’emballage en contact avec les aliments gras sont susceptibles de libérer des substances toxiques (PVC, par exemple, qui peut contaminer des produits gras par libération de phtalâtes (plastifiants inclus dans le PVC).

Les opérations subies par l’aliment Les opérations subies par l’aliment ont été pratiquées par nos ancêtres pour mieux se nourrir, l’objectif étant de cuire, conserver et rendre comestibles des matières premières qui ne l’étaient pas. Ainsi, les définitions de l’aliment naturel excluent souvent l’intervention de procédés de transformation. Néanmoins, le terme « naturel » peut être réservé aux aliments ayant subi des traitements mécaniques qui n’entraînent pas de modification profonde (aliments parés, épluchés, broyés, tranchés, hachés) ou aliments ayant subi une stabilisation par le froid, la chaleur, par une atmosphère protectrice, une cuisson, une fermentation, etc. En revanche, les traitements qui modifient les caractéristiques essentielles du produit tels que l’hydrogénation catalytique, l’interestérification, l’ionisation, la lyophilisation, l’ultrafiltration ou le génie génétique feront perdre au vu de la législation (DGCCRF) le qualificatif de « naturel » aux aliments. Aux yeux du consommateur, ces derniers traitements confèrent au produit naturel le qualificatif d’industriel, assimilé à celui d’artificiel, alors que des procédés traditionnels tels que le fumage, le salage ou la thermisation semblent parfaitement compatibles pour la stabilisation de produits dits « naturels », mais on oublie que ces pratiques datant de plusieurs milliers d’années ne sont pas sans risques, dus aux effets hypertenseurs de l’excès de sel dans l’alimentation (fromage, salaisons) et de l’apparition de substances cancérigènes lors du fumage (viandes, poissons) [18]. Apparemment, les techniques culinaires bénéficient d’une image meilleure que les procédés industriels, alors que ces techniques traditionnelles sont beaucoup moins bien maîtrisées et menées de fac ¸on très souvent empirique : que dire de l’apparition de doses importantes de benzopyrène lors de certaines cuissons à feu vif (barbecue, par exemple !) ou de la contamination d’aliments acides (végétaux en général) par le contact avec des ustensiles en aluminium ou en cuivre, sans parler de l’utilisation de céramiques qui contiennent du plomb ou d’autres métaux lourds, qui migrent dans les aliments ? Peut-on considérer que la cuisson soit compatible avec l’appellation « naturel » comme l’affirme la DGCCRF dans sa note d’information de 2009 ? Si oui, les frites seraient des produits naturels ! Dans le cas plus général des traitements thermiques, il serait judicieux de préciser le type de traitements ou de cuisson (en milieu hydraté, à feu vif sous pression, etc.), ainsi

Ses propriétés et ses effets bienfaisants sur la santé ne sont reconnus que si l’homme a su rendre les aliments comestibles. L’aliment naturel semble abusivement associé au qualificatif « sain ». Pourtant, dans la nature, il existe de nombreuses substances toxiques naturellement présentes en plus des résidus de contaminants, de « xénobiotiques ». Afin de limiter l’impact négatif de la consommation de certains végétaux sur le confort digestif, le bien-être, voire des accidents mortels (champignons), des traitements culinaires ont permis de rendre comestibles des aliments qui ne l’étaient pas ; en effet, les végétaux renferment de nombreuses substances toxiques : glycoalcaloïdes (pommes de terre, tomates, aubergines, poivrons, etc.), glycosides cyanogènes (manioc, noyaux de fruits), glycosinolates (choux), vicine et convicine (fève et fèverole). Ainsi, par de vieilles pratiques, on traite le manioc par fermentation (rouissage), les graines de légumineuses par trempage (élimination des alpha-galactosides comme le stachyose ou le verbascose), les fèves par cuisson pour éliminer la vicine responsable du favisme [19,20]. Curieusement, il semble que le consommateur craigne plus pour sa santé la présence de contaminants ou d’additifs que les effets des traitements technologiques. Or, même les aliments issus de technologies traditionnelles comme la salaison ou le fumage génèrent des composés toxiques comme des hydrocarbures aromatiques polycycliques (cas du fumage) ou des nitrosamines (cas des salaisons) [21]. On semble oublier que la presque totalité de nos aliments ont subi des traitements physiques et qu’ils restent à la fois nutritifs et nourrissants ; notons toutefois, que la nocivité de certains toxiques est souvent liée à la dose. Souvent, l’aliment naturel est confondu avec « l’aliment complet » qui apporterait la quarantaine de nutriments indispensables : or, il n’y a que le lait maternel qui soit considéré comme aliment complet pour les nourrissons durant les 6 premiers mois de la vie. Par ses effets supposés bienfaisants sur la santé, l’aliment naturel est souvent associé à l’aliment bio ; cependant, dans ce cas, on n’exclut pas tous les traitements. Des dérives, comme le crudivorisme, l’instinctothérapie, ou la naturopathie, nous éloignent d’une discussion purement scientifique.

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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L’utilisation des additifs est-elle compatible avec la naturalité de l’aliment ? Nombre d’additifs proviennent de végétaux et d’animaux ou sont des produits de fermentation et peuvent être considérés comme « naturels » ; sans eux, de nombreux aliments transformés n’existeraient pas : produits de longue conservation et aux propriétés sensorielles satisfaisantes pour le consommateur grâce aux colorants, édulcorants, agents de textures (épaississants, gélifiants, émulsifiants), exhausteurs de goût et arômes. La production alimentaire (artisanale et industrielle) fait appel à ces additifs et à des enzymes en respectant la législation, elle-même basée sur la liste positive des additifs autorisés. En ce qui concerne les enzymes, ils sont souvent naturellement présents dans les matières premières alimentaires ; c’est le cas de la présence d’amylases et de protéases dans les graines de céréales et contribuent à la fermentation panaire, de protéases dans les muscles d’animaux et participant ainsi à leur maturation. L’ajout de ce type d’enzymes est souvent limité et a pour rôle de compenser parfois la faiblesse de l’activité enzymatique native. Il en est de même pour la chymosine présente dans la présure (extraite de la caillette de veau non sevré) utilisée pour la coagulation du lait en fromagerie, qui par suite de pénurie, peut être remplacée par des protéases coagulantes de micro-organismes (endothia parasitica ou mucor mihiei). De toute fac ¸on, ces activités sont détruites au cours des traitements thermiques qui suivent. En aucun cas, on peut considérer que ces pratiques présentent un danger ; un additif doit être avant tout utile et inoffensif. À l’évidence, aucun argument scientifique ne peut justifier cette appellation. Cependant, le qualificatif « naturel » donne une valeur positive à l’aliment en véhiculant des valeurs sentimentales et des croyances. Il s’agit donc bien d’un mythe, c’est-à-dire une construction de l’esprit qui ne repose sur aucun fond de réalité et qui, par ses symboles, influence la vie sociale.

Un mythe qui renforce le lien social ? On peut se demander quels sont les arguments qui permettent de comprendre le comportement souvent irrationnel des adeptes de l’aliment naturel.

L’obsession du retour à la nature Les adeptes de l’aliment naturel font référence à Rousseau « Tout est bien sortant des mains de la Nature, tout dégénère dans les mains de l’homme » ou de Goethe avec son leitmotiv « Ruckkehr zur Natur ». Déjà nos anciens s’étaient posés la question ; aux XVIIIe et XIXe siècles, l’appellation « aliment naturel » ne s’appliquait de fac ¸on restrictive qu’au lait, au miel, aux graines de blé (et le pain) et aux fruits ; en revanche, les produits carnés posaient problème (Mercure de France, 1761) et étaient moins bien acceptés que les produits d’origine végétale. On considérait aussi que les aliments naturels avaient beaucoup de vertus, parmi lesquelles on citait les principes nutritifs et excitants (Traité d’hygiène générale, 1868) ainsi que le plaisir de les consommer et d’ainsi mieux les digérer (Bernardin de Saint Pierre, 1818). Aujourd’hui, pour certains extrémistes, l’amélioration de la qualité de notre alimentation par des traitements

techniques est contre nature, anti-darwinienne, ce qui montre que l’homme n’est plus adapté à son environnement. Ce comportement montre qu’il s’agit d’un sentiment (ou un jugement subjectif) et non d’un fait démontré. Or on peut nier un fait, mais pas un sentiment. Il faut donc l’accepter, ce qui revient à établir un droit qui devrait dire ce qui est bon ou ce qui est mauvais. Cette tendance cherche à justifier des choix qui sont déjà faits. On a fait de la nature un principe ! Ce qui allait de soi au siècle des Lumières n’est plus adapté à la société de consommation d’aujourd’hui.

L’obsession de la tradition L’idée que l’alimentation de nos grand-mères est plus saine que celle de nos jours persiste ; le retour à la tradition, c’est aussi la garantie d’une vie paisible et chaleureuse à la campagne. Le consommateur veut retrouver, dans l’aliment naturel, les qualités nutritionnelles et sensorielles d’un produit consommé en l’état comme à la maison au cours d’un repas convivial entre amis ou fabriqué comme chez l’artisan (boulanger, fromager. . .). L’image des produits du terroir est fortement valorisée avec la vogue des foires de produits régionaux et artisanaux ! Quand passe-t-on du produit artisanal au produit industriel ? Cette considération doit mentionner que nous considérons comme « bon » ce que nous avons appris à manger, et que, pour des raisons qui relèvent de la néophobie alimentaire, il sera bien difficile de faire admettre une « dénaturation » des aliments, alors même que des produits pourtant industriels et résultant de transformations draconiennes (la fabrication industrielle du sucre) sont acceptés sans difficulté.

L’acceptation sociale de plus en plus réduite du progrès scientifique et de la science Avec l’évolution rapide et mal comprise du monde actuel, la population a perdu ses repères en perdant le contact avec le monde agricole et même avec la nature qu’elle croit toujours bienfaisante ! Le rejet des nouveautés est particulièrement marqué pour les aliments (qui sont ce que nous sommes, selon le vieil adage !) Un corollaire en est la dégradation de l’image de la science : les jeunes générations s’éloignent des carrières scientifiques, car ils fuient les postes à responsabilités dans le secteur industriel de production, dont l’image s’est dégradée, pour préférer les activités liées à l’environnement, à l’humanitaire ou à la communication ; une conséquence se retrouve aussi dans la désaffection des candidats ingénieurs ou techniciens vers les métiers de l’industrie alimentaire beaucoup moins bien rétribués que les secteurs de haute technologie ; l’image de l’agro-alimentaire reste trop liée à la tradition alors qu’elle nécessite de grandes compétences scientifiques et techniques ; cette évolution négative de l’image de la science est aussi causée, parfois, par les médias aux messages contradictoires.

L’obscurantisme de certaines sectes et de leurs interdits Des campagnes visant à dénoncer les dangers du lait et des produits laitiers sont orchestrées parfois par certains médecins, bien qu’aucune de ces allégations ne soit fondée scientifiquement. Parfois, voulant donner une crédibilité scientifique, certains se lancent dans des démonstrations totalement irréalistes à partir de l’étude de quelques cas :

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? par exemple, on affirme que pour constituer notre ossature, il n’est pas nécessaire de consommer des aliments riches en calcium ; des transmutations biologiques permettraient de transformer le potassium en calcium ! Que penser de la formation de ces pseudoscientifiques ?

Le développement de certaines disciplines (naturopathie) Il s’agit à la fois de pratiques culturales non conventionnelles ainsi que l’utilisation de plantes pour soigner certaines pathologies. Dans ce type d’alimentation, on recommande une alimentation « hypotoxique » ne générant pas de résidus toxiques dans l’organisme ; on privilégie l’alimentation végétarienne, l’utilisation limitée de produits transformés de même que celle parfois de médicaments. Évidemment, aucun argument, sinon quelques études de cas, ne vient justifier ces pratiques. La naturopathie se focalise surtout sur la pratique de l’hygiène alimentaire. Pourtant, la naturopathie est reconnue et pratiquée dans la plupart des pays européens en collaboration parfois avec la médecine conventionnelle. En France, elle n’est pas reconnue mais tolérée, car mal définie et appliquée parfois par des praticiens peu formés spécifiquement.

La croyance que la nature est toujours bienfaisante et paradisiaque Il règne chez les consommateurs de produits naturels un climat de confiance avec « la naturalité ». Il est vain de démontrer que des produits issus à l’état brut de la nature constituent parfois un danger pour la santé (exemples des inhibiteurs enzymatiques, des substances goitrigènes, des micro-organismes pathogènes dans des produits laitiers crus, des pyrènes du fumage, etc.). Pourtant, bien des traitements industriels permettent dans un but sanitaire de rendre consommables des produits non transformés supposés bons pour la santé. Par exemple : cuisson des produits comme les graines de soja contenant des inhibiteurs trypsiques et des alphagalactosides peu digestes, cuisson de l’œuf dont le blanc contient 3 inhibiteurs de protéases et 2 fixateurs de vitamines (riboflavine et biotine), élimination de substances goitrigènes de graines de crucifères par traitements thermiques ou de germination, etc.). Bien qu’issus de nombreuses transformations d’origine génétique, les fruits et légumes sont perc ¸us par les consommateurs comme des produits « naturels » !

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L’image attrayante avant tout commerciale de l’aliment naturel L’image attrayante avant tout commerciale de l’aliment naturel (extension du langage marketing) aux yeux du consommateur : sur le plan « publicitaire et commercial », le qualificatif « naturel » donne confiance au consommateur. L’industrie alimentaire en est si bien consciente qu’elle s’est emparée d’un nouveau concept « le clean label » en remplac ¸ant dans les formulations les additifs (ou ingrédients) par des préparations composées de produits « prétendus naturels » : par exemple, les colorants sont remplacés par des anthocyanes, les conservateurs par des huiles essentielles, les antioxydants par des extraits de thé vert, les rétenteurs d’eau par des fibres végétales. Mais, comme le fait remarquer Pierre Feillet [18], du « clean label » on est passé au « greenwasching » (écoblanchiment), puis au « naturewasching », procédé de marketing utilisé dans le but de se donner à l’entreprise une image écologique. On fait croire que les méthodes de fabrication traditionnelles sont naturelles ! Récemment, aux États-Unis, certains articles « grand public » affirment clairement que le Label « Naturel » ne sert à rien sinon à faire vendre ! [22]. On retrouve la même démarche pour le terme « bio ». C’est parfois un argument de vente bien que la démarche du « Bio » ne soit pas spécialement marketing : en valorisant l’image du produit, ce dernier peut ainsi être vendu plus cher ! Pourtant, comme le montrent de nombreux travaux scientifiques [23,24] dont certains ouvrages font état comme celui de Gil Riviere-Wekstein [25], l’aliment « bio », s’il paraît garantir, selon certains auteurs, de meilleures qualités organoleptiques, n’apporte aucun avantage nutritionnel mais des avantages environnementaux même si périodiquement, des études franc ¸aises et américaines contredisent ces conclusions en affirmant que les aliments « bio » renferment des teneurs supérieures en vitamines, oligoéléments et antioxydants. De plus, il s’avère que souvent, les aliments « bio » ne sont pas exempts de résidus phytosanitaires ou de bactéries pathogènes (cas de plantes consommées crues, telles que salades et racines, mal lavées contaminées par des bactéries coliformes). Le cas récent, en Allemagne, des contaminations de graines germées par Escherichia coli montre qu’un lavage insuffisant des produits ou utilisant une eau insuffisamment aseptisée (par chloration, par exemple) peut avoir des conséquences dramatiques. Le seul avantage est que la culture « bio » utilise moins d’engrais minéraux et de pesticides, ce qui représente un intérêt indiscutable sur le plan environnemental. Ainsi, le marketing industriel vise à convaincre le consommateur que les aliments vendus par l’entreprise sont « naturels », ce qui n’est heureusement pas le cas !

L’aliment naturel ou lien social ? L’avis du consommateur La société actuelle a renvoyé les mythes dans l’aire artistique et remplacé le lien social par la législation. Or les réglementations sont souvent perc ¸ues comme hostiles, une meilleure définition et une compréhension de la naturalité de l’alimentation pouvant s’y substituer. L’alimentation non réglementée, souvent contestataire, se justifie par un désir de regroupement social : le terroir, les repas festifs et conviviaux, les produits locaux, le bio en sont des manifestations. Ce lien social, jouant un rôle dans la perception inconsciente du consommateur, est largement confirmé par l’usage commercial et par l’argumentation publicitaire des produits qui est largement diffusée !

Le consommateur a souvent un comportement paradoxal ; il souhaite un aliment naturel et non « industriel », tout en exigeant une sécurité sanitaire absolue qui ne peut être obtenue sans traitement physique ou ajout d’additif. Or, le consommateur s’inquiète de la possible toxicité de ceuxci ! Parfois, il agit par préoccupation nutritionnelle, par exemple en remplac ¸ant le saccharose par de l’aspartame, jusqu’au jour il apprend que des doutes sur l’innocuité de cet édulcorant sont publiés dans la presse ! De plus en plus, le consommateur exige une information précise sur le produit qu’il achète, mais peut-il vraiment

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003

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exploiter toutes les données mentionnées sur l’étiquetage des emballages ? Pour l’aider, des labels ont été inventés mais sont-ils représentatifs de tous les aspects de la qualité ? Quant au rapport qualité/prix, il reste un indicateur qui est de plus en plus difficile à appréhender. En somme, une demande légitime d’informations et d’exigences de qualité génère plus de questions que de réponses ; le consommateur est de plus en plus éduqué, mais son souci de sécurité finit par le rendre inquiet. De plus comme l’indique Ouedraogo [26], à la suite d’une enquête réalisée auprès de clients de magasins de produits « bio », l’examen des pratiques des adeptes du « bio » révèle leur appartenance aux pionniers de la consommation « bio » et/ou des militants écologiques. Lamine [27], concernant des consommateurs « bio », constate par ailleurs une instabilité générale de leur comportement par des contradictions dues à des choix variables.

La magie des mots Il devient de plus en plus difficile d’utiliser certains mots qui « font peur » ! Ils doivent être remplacés par des synonymes : irradiation par ionisation, imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRMN) par imagerie par résonance magnétique (IRM). Il en est ainsi pour l’alimentation, où le mot « naturel » vise à rassurer le consommateur devant l’évolution rapide du monde. Le mot « nature » peut même perdre sa signification lorsqu’un yaourt est dénommé « nature » pour signifier qu’il ne contient pas de fruits !

Conclusion La définition de « l’aliment naturel » serait un rêve sinon un mythe, devant l’impossibilité de le définir avec précision et d’y associer une réglementation stricte. Elle n’aurait aucune base vraiment scientifique. C’est à chaque consommateur, par la formation qu’il a rec ¸ue, par l’approche symbolique qu’il en a ou par les informations diverses qu’il rec ¸oit en permanence, de se faire une idée de la validité des allégations diffusées sur « l’aliment naturel » dans le but de se nourrir sainement en y éprouvant du plaisir. On peut se demander s’il est utile d’ajouter le qualificatif « naturel » au mot « aliment » . . . à moins que l’on puisse rendre à ce terme par la réglementation, une légitimité qui donne une valeur positive à l’aliment dans la consolidation du lien social ?

Remerciements Jean-Jacques Bimbenet, Jean-Marie Bourre, Any Castaing, Pierre Dupuy, Maurice-Paul Durand, Pierre Feillet, André Frouin, Mongi Jemmali, Ismène Giachetti, Jean LeteinturierLaprize, Guy Linden, Didier Majou, Christiane Mercier, Gérard Pascal, Jacques Risse, Hervé This (tous membres de la section VIII « Alimentation humaine » de l’Académie d’agriculture de France).

Références [1] DGCCRF emploi des termes « naturel », « 100 % nature » et de toute autre expression équivalente sur l’étiquetage des denrées alimentaires. Note d’information no 2009-136. [2] Lepiller O. Naturalité et naturalisation des aliments : perspectives sociologiques. La Naturalité des aliments. Comptesrendus de l’Académie d’agriculture de France; 2014. [3] Mill JS. Nature. Éditions Félix Alcan; 1884. [4] Schenzinger KA. Anilin. Zeitgechichte-Verlag: Roman der deutschen Farben-Industrie; 1937, 375 seiten. [5] Brunngraber R. Radium. Hamburg: Karl Gröning und Gisela Pferdmenges; 1936 [290 seiten]. [6] Jaurès J. « La houille et le blé ». La Petite République 1901. [7] Thompson DB. Natural food and pastoral: a sentimental notion? J Agric Environ Ethics 2011;4(2):165—94. [8] Rosset C. L’antinature : éléments pour une philosophie tragique. Paris: PUF; 1973. [9] Levi-Stauss C. Le cru et le cuit. Paris: Éditions Plon; 1964. [10] Lepiller O [Thèse de Doctorat en sociologie] Critiques de l’alimentation industrielle et valorisation du naturel ; sociologie historique d’une digestion difficile (1968—2010). Toulouse: Université de Toulouse II Le Mirail; 2012. [11] Lepiller O. Les critiques de l’alimentation industrielle et les réponses des acteurs de l’offre. Cah Nutr Diet 2013;48(6):298—307. [12] Fichler C. L’homnivore. Paris: Odile Jacob; 1990. [13] Pernollet JC. Un aliment est-il naturel parce qu’il est banal ? Cas de lait. Naturalité de l’aliment. Comptes-rendus de l’Académie d’agriculture de France; 2014. [14] Canadian food inspection agency. Guide to food labelling and advertising. Chapter 4.7-Nature, Natural. [15] Gross BL, Olsen KM. Genetic perspectives of crop domestication. Trends Pl Sci 2010;5:529—37. [16] Pitrat M. Naturalité des aliments : domestication, sélection et contrôle génétiques. La Naturalité des aliments. Comptesrendus de l’Académie d’Agriculture de France; 2014. [17] De Serres O. Le théâtre d’agriculture et message des champs. Actes sud, Arles, 1460 pp. [18] Feillet P. Les industries alimentaires peuvent-elles conserver la « naturalité » des aliments ? La naturalité des aliments. Comptes-rendus de l’Académie d’Agriculture de France; 2014. [19] Feillet P. La nourriture des franc ¸ais : de la maîtrise du feu aux années 2030. Versailles: Éditions QUAE; 2007. [20] Feillet P. Nos aliments sont-ils dangereux. Versailles: Éditions QUAE; 2012. [21] Sainclivier M. L’aliment naturel, un mythe ? Econ Rurale 1977;121:3—9. [22] Ferdman RA. The word ‘‘natural’’ helps sell $40 billion worth of food in the US every year — and the label means nothing, Washington Post; 2014. [23] Gueguen L. Que penser de l’agriculture biologique et des aliments « bio ». Sci Pseudosci 2007:276. [24] Gueguen L, Pascal G. Le point sur la valeur nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique. Cah Nutr Diet 2010;45(3):130—43. [25] Rivière-Wekstein G. BIO, fausses promesses et vrai marketing. Le Publieur ed; 2011, 245 p. [26] Ouedraogo AP. Manger naturel. J Anthropol 1998;74:13—27. [27] Lamine C. Choix et pratiques alimentaires des « mangeurs intermittents », une contribution à une sociologie de la variabilité des pratiques. Tours: XXVII◦ Congrès de l’AISLF; 2004 [CR 17 « Sociologie et anthropologie de l’alimentation ». Lemangeurocha.com].

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Pour citer cet article : Lorient D. L’aliment naturel : une réalité ou un mythe ? Cahiers de nutrition et de diététique (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2015.09.003