Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale : étude anatomique de faisabilité à partir des branches du plexus cervical superficiel

Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale : étude anatomique de faisabilité à partir des branches du plexus cervical superficiel

Morphologie (2010) 94, 58—62 ARTICLE ORIGINAL Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale : étude anatomique de faisabilité à part...

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Morphologie (2010) 94, 58—62

ARTICLE ORIGINAL

Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale : étude anatomique de faisabilité à partir des branches du plexus cervical superficiel Neurocutaneous flaps applied on head and neck surgery: Anatomic study of feasibility using superficial cervical plexus branches A. Moya-Plana a, C. Vacher a,∗,b a

Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, hôpital Beaujon, AP—HP, 100, boulevard Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France b Service d’anatomie, université Paris-Diderot (Paris VII), 10, avenue de Verdun, 75010 Paris, France Disponible sur Internet le 9 juin 2010

MOTS CLÉS Plexus cervical superficiel ; Lambeau neurocutané ; Nerf grand auriculaire ; Nerf transverse du cou ; Lambeau pédiculé



Résumé But de l’étude. — Évaluer la faisabilité de lambeaux neurocutanés en chirurgie cervicofaciale à partir des branches du plexus cervical superficiel. Patients et méthodes. — Réalisation d’un travail de dissection des plexi cervicaux superficiels (essentiellement le nerf grand auriculaire et le nerf transverse du cou) de cinq sujets frais après injection de latex coloré au niveau des carotides communes. Résultats. — On observe une constance des repères anatomiques avec une faible variabilité interindividuelle. On isole facilement les différentes branches du plexus cervical superficiel dont le calibre et le trajet sont peu sujets à variation. Chaque nerf du plexus cervical superficiel est accompagné d’une artère périnerveuse, condition sine qua non à la réalisation d’un lambeau neurocutané. On privilégie le nerf grand auriculaire de calibre et de longueur supérieurs, facilitant ainsi la levée du lambeau. Celui-ci est prélevé au niveau mastoïdien bas, pédiculé sur le nerf grand auriculaire avec un point fixe au niveau du bord postérieur du muscle sternocléido-mastoïdien. Le pédicule mesure 7 à 10 cm permettant d’atteindre des régions telles que l’aile du nez homolatérale, le menton ou l’auricule. Une utilisation dans une localisation oropharyngée (face interne de joue, plancher antérieur. . .) bien que non réalisée alors, pourrait être envisagée. Conclusion. — L’étude anatomique a montré la relative constance du plexus cervical superficiel ainsi que la présence systématique d’un pédicule périnerveux accompagnant chaque branche du plexus. Le nerf grand auriculaire est un bon candidat pour la levée d’un lambeau neurocutané. L’établissement d’une procédure chirurgicale standardisée de prélèvement sera nécessaire avant toute étude clinique. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Vacher).

1286-0115/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.morpho.2010.03.006

Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale

KEYWORDS Superficial cervical plexus; Neurocutaneous flap; Great auricular nerve; Transverse cervical nerve; Pedicled flap

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Summary Objective. — To evaluate the feasibility of neurocutaneous flaps for head and neck surgery using the cervical superficial plexus branches. Methods. — Anatomic study on cervical superficial plexi (focusing on the great auricular and cervical transverse nerves) of five fresh specimens, which were injected with green colored latex. Results. — A constancy of anatomic landmarks has been observed with little inter-individual variability. The cervical superficial plexus branches were easily isolated, their length and course not varying much. Each cervical superficial plexus nerve is accompanied by a perinervous artery, essential condition to a neurocutaneous flap. We privileged the great auricular nerve for its superior length and diameter, in order to easy the raise of the flap. We took it at the low mastoidian level, pediculed on the great auricular nerve with a point on the posterior border of the sterno-cleido-mastoidian muscle. Pedicule size is 7 to 10 cm allowing to reach ipsilateral alae of the nose, the chin or the pinna. Developing this technique for oropharyngeal reconstruction (internal side of the cheek, anterior floor of mouth. . .), whereas not realized in this study, must be considered. Conclusions. — The anatomic study showed the cervical superficial plexus constancy with the systematic presence of a perinervous pedicle siding each branch. The great auricular nerve is a good candidate for the raise of a neurocutaneous flap. A standardized surgical procedure must be established before any clinical study. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

Résultats

Le concept de lambeau neurocutané est un concept original consistant en la réalisation d’un lambeau cutané pédiculé sur le nerf sensitif du dermatome concerné, celui-ci devenant dès lors le véritable axe vasculaire nourricier du lambeau. Les travaux anatomiques princeps remontent au début du siècle dernier [1—3]. Le principe repose sur l’existence d’un riche réseau artérioveineux bien mis en évidence au membre supérieur par Bertelli [3,4]. Essentiellement, en orthopédie où le lambeau neurocutané sural à pédicule distal de Masquelet est « couramment » utilisé pour la reconstruction des pertes de substances de l’extrémité distale du membre inférieur [5]. Le but de notre étude était d’évaluer la faisabilité de lambeaux neurocutanés à partir des branches du plexus cervical superficiel (lors d’une étude de dissection sur cinq sujets frais injectés).

Les différentes branches du plexus cervical superficiel ont été repérées dans tous les cas sans difficulté (Fig. 1). Chaque nerf du plexus cervical superficiel était accompagné d’une artère périnerveuse (Fig. 2). Compte tenu du fait que le calibre et la longueur du nerf transverse du cou étaient inférieurs à ceux du nerf grand auriculaire, c’est à partir de ce dernier qu’a été réalisé un lambeau (Fig. 3). La palette cutanée du lambeau neurocutané a été prélevée au niveau de la partie basse du processus mastoïde (localisation où

Patients et méthodes Cette étude a été réalisée sur cinq sujets anatomiques frais après injection de latex coloré au niveau des carotides communes. Ces deux artères ont été abordées avec une incision à la base du cou et 50 ml de latex coloré ont été injectés dans l’artère carotide commune droite puis dans l’artère carotide commune gauche. Quarante-huit heures après l’injection les nerfs grands auriculaires et transverses du cou ont été repérés et isolés, un pédicule artériel périnerveux (coloré en vert par le latex coloré) a été recherché et un lambeau neurocutané centré sur ces deux branches du plexus cervical superficiel a été réalisé en mesurant l’arc de rotation de chacun de ces deux lambeaux.

Figure 1 Mise en évidence des nerfs grand auriculaire et transverse du cou droits accompagnés chacun d’une artère périnerveuse (injectée en vert). Right great auricular and transverse cervical nerves each sided by a perinervous artery (injected with green).

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Figure 2 Nerf grand auriculaire droit accompagné sur tout son trajet par une artère périnerveuse (injectée en vert par du latex coloré). Right great auricular nerve sided, during its entire course, by a perinervous artery (injected with green colored latex).

A. Moya-Plana, C. Vacher

Figure 4 Levée d’un lambeau neurocutané pédiculé sur le nerf grand auriculaire droit. Raising of neurocutaneous flap pedicled on the right great auricular nerve.

faible ranc ¸on esthétique avec possible greffe de peau totale pour reconstruire), pédiculé sur le nerf grand auriculaire avec une origine au niveau du bord postérieur du muscle sterno-cléidomastoïdien (Fig. 4). Le fascia de ce muscle sous-jacent au lambeau a été respecté, dans le but d’assurer une meilleure cicatrisation de la zone donneuse. La longueur du pédicule était en moyenne de 7 à 10 cm, ce qui permet d’atteindre, si besoin, des régions telles que l’aile du nez homolatérale, le menton ou l’auricule (Fig. 5 et 6). Une utilisation dans une localisation intra-orale (face interne de joue, plancher antérieur. . .) bien que non réalisée alors, pourrait être envisagée.

Figure 5 Comblement d’une perte de substance de l’auricule par un lambeau neurocutané pédiculé sur le nerf grand auriculaire. An auricular defect covered by a neurocutaneous flap pedicled on the great auricular nerve.

Discussion

Figure 3 Mesure de la longueur du nerf grand auriculaire pouvant constituer le pédicule d’un lambeau neurocutané (soit 7 à 10 cm d’arc de rotation). Length estimation of the great auricular nerve, possible pedicle of a neurocutaneous flap (7 to 10 cm of arch of rotation).

La levée de lambeaux neurocutanés apparaît réalisable à partir des branches du plexus cervical superficiel. Le nerf grand auriculaire semble être le meilleur candidat de part son calibre et la longueur de son trajet, constituant ainsi un pédicule intéressant. De plus, la faible variabilité interindividuelle apparente des rapports anatomiques assure une certaine « facilité » de dissection. La palette cutanée du lambeau neurocutané prélevé au niveau de la partie basse du processus mastoïde permet d’atteindre des dimensions maximum de 5 × 3 cm soit une taille suffisante pour des petites pertes de substance cutanées (cancers cutanés par exemple) ou de la muqueuse orale (carcinome épidermoïde T1/T2). Une taille supérieure de lambeau ne semble pas raisonnable sur le plan de sa via-

Lambeaux neurocutanés appliqués à la chirurgie cervicofaciale

61 • un réseau périnerveux, nombre variable d’artères paranerveuses au contact ou à distance du nerf (3—5 mm) richement anastomosées entre elles. Elles unissent les branches perforantes issues des axes vasculaires de voisinage et représentent les artères nourricières du nerf. Les connexions entre celles-ci et le réseau sous-cutané sont constantes et nombreuses. Au plan veineux, chaque artère paranerveuse est accompagnée de deux veines satellites gagnant les troncs veineux de voisinage. Ces constatations anatomiques ont trois implications pratiques [7] :

Figure 6 Comblement d’une perte de substance de la région latéro-mandibulaire par un lambeau neurocutané pédiculé sur le nerf grand auriculaire. A latero-mandibular defect covered by a neurocutaneous flap pedicled on the great auricular nerve.

bilité. C’est une limite des lambeaux de type neurocutané dans leur ensemble. La localisation de la zone donneuse permet une faible ranc ¸on esthétique. Sa reconstruction peut être abordée par suture directe des berges (en cas de laxité cutanée suffisante) ou plus probablement par greffe de peau totale prise au niveau rétro-auriculaire controlatéral. Par ailleurs, une étude réalisée sur le devenir nerveux de la zone donneuse objective la récupération d’une sensibilité quasi normale dans les 12 mois postopératoires [6]. L’utilisation de ce lambeau peut être indiquée pour des pertes de substances cutanées de la face au sens large puisque la longueur du pédicule permet d’atteindre des régions telles que la partie latérale du menton, la commissure labiale, la joue, l’aile du nez et le pavillon de l’oreille. Son arc de rotation à partir de la face postérieure du muscle sterno-cléido-mastoïdien permet d’envisager une couverture également postérieure (occipitale et nuchale) et inférieure (face latérale du cou). Son utilisation au niveau de la cavité buccale est à considérer. En effet, le caractère sensible de ce lambeau serait un avantage déterminant dans la reprise de l’alimentation chez des patients souvent sujets à des troubles de déglutition par défaut de sensibilité de la zone excisée. Notre série est peu importante ne permettant pas d’établir des statistiques valables. De plus, cette étude anatomique ne permet d’être certain que de tels lambeaux sont réellement viables. Cependant, ils sont l’application à la région cervicale d’une technique déjà très utilisée au niveau des membres qui repose sur des principes bien établis concernant les artères qui accompagnent les nerfs. Ainsi chaque nerf est accompagné d’une artère périnerveuse, comme l’ont déjà écrit Quenu et Lejars [1], Salmon [2] et Bertelli [3,4], permet la réalisation d’un lambeau neurocutané. Selon ces auteurs, on distingue : • un réseau intranerveux, fines artères anastomosées entre elles mais aussi avec le réseau périnerveux ;

• pour ne pas léser le réseau périnerveux, il est nécessaire d’emporter une couronne cellulaire de sécurité autour du pédicule ; • la continuité de ce réseau (y compris les branches de division du nerf et l’existence de veines concomitantes) autorise les prélèvements à rétro ; • la richesse des anastomoses avec le réseau sous-cutané autorise des prélèvements de type cutané pur sans emporter le fascia. Nakajima et al. [8] ont constaté que les veines cutanées étaient, à l’instar des nerfs, accompagnées d’un réseau artériel « périveineux » ayant des anastomoses non seulement avec la paroi de la veine mais également avec la peau sus-jacente. Deux nouveaux concepts de lambeaux ont ainsi vu le jour : • le venoadipofascial flap utilisant les artères périveineuses ; • le neuroadipofascial pedicled fasciocutaneous flap utilisant à la fois les réseaux artériels périveineux et périnerveux. Les avantages des lambeaux neurocutanés sont leur facilité de prélèvement, leur fiabilité et surtout le caractère sensible de ces lambeaux. Ils épargnent les axes vasculaires majeurs. Les inconvénients de ces lambeaux sont les risques de névromes, la petite taille des palettes cutanées prélevables.

Conclusion L’étude anatomique a montré la relative constance du plexus cervical superficiel ainsi que la présence systématique d’un pédicule périnerveux accompagnant chaque branche du plexus. Le nerf grand auriculaire est le meilleur candidat pour la levée d’un lambeau neurocutané dans la région cervicofaciale. Un tel lambeau pourrait être utilisé pour la couverture de certaines pertes de substance de l’auricule et de la cavité orale. Seule l’utilisation de ce lambeau in vivo permettra de confirmer définitivement son intérêt dans la couverture des pertes de substances orofaciales.

Références [1] Quenu J, Lejars F. Étude anatomique sur les vaisseaux sanguins des nerfs. Arch Neurol 1892;23:1.

62 [2] Salmon M. Les artères de la peau. Paris: Masson; 1936. [3] Bertelli JA, Khoury Z. Neurocutaneous island flaps in the hand: anatomical basis and preliminary results. Br J Plast Surg 1992;45:586. [4] Bertelli JA. Neurocutaneous axial island flaps in the forearm: anatomical, experimental, and preliminary clinical results. Br J Plast Surg 1993;46:489. [5] Masquelet AC, Romana MC, Wolf G. Skin island flaps supplied by the vascular axis of the sensitive superficial nerve. Plast Reconstr Surg 1992;89:1115—21. [6] Gideroglu K, Hakan Gunduz O, Ofluoglu D, Akoz T. Sensorial donor site morbidity after saphenous neurocutaneous

A. Moya-Plana, C. Vacher flap. Scand J Plast Reconstr Surg Hand Surg 2005;39: 302—8. [7] Martin D. 1984—1994: Ten years of skin flaps. Development of transfer techniques. New autoplasties described during this period. Ann Chir Plast Esthet 1995;40:527—82. [8] Nakajima H, Imanishi N, Fukuzumi S, Minabe T, Aiso S, Fujino T. Accompanying arteries of the cutaneous veins and cutaneous nerves in the extremities: Anatomical study and a concept of the venoadipofascial and/or neuroadipofascial pedicled fasciocutaneous flap. Plast Reconstr Surg 1998;102: 779—91.