Le bilan de compétences : effets sur l’état émotionnel des bénéficiaires

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Le bilan de compétences : effets sur l’état émotionnel des bénéficiaires§ The impact of bilan de competence on beneficiaries’ emotional states S. Thibauville *, D. Castel Laboratoire CRP-CPO (EA 7273), université de Picardie-Jules-Verne, chemin du Thil, 80000 Amiens, France Reçu le 19 décembre 2014 ; rec¸u sous la forme re´vise´e le 17 avril 2015 ; accepté le 1er mai 2015

Résumé L’impact du bilan de compétences (BC) sur l’état émotionnel des bénéficiaires est peu étudié. Le BC permettrait néanmoins de réduire les émotions négatives associées à la situation professionnelle des bénéficiaires tout en générant des émotions positives. Deux études successives ont permis de tester cette hypothèse. Dans la première, 38 participants ont rempli un questionnaire sur les états émotionnels, le POMS-f, en début et/ou en fin de BC. Six d’entre eux ont également participé à un entretien en fin de bilan. Dans la seconde, 59 participants ont rempli le même questionnaire en début et en fin de bilan. Dans les deux études, le BC entraîne une réduction de la plupart des états émotionnels négatifs mesurés et une augmentation des états émotionnels positifs. # 2016 Association internationale de psychologie du travail de langue française (AIPTLF). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Bilan de compétences ; Émotion ; Travail ; Transition ; Orientation

Abstract Bilan de compétences (BC)’ effects on workers’ emotional states remain little explored. BC may reduce work-related negative emotional states and enhance positive ones. This was tested using a two-study design. In the first study, 38 respondents filled in the POMS-f, a questionnaire on emotional states, at the beginning

Cet article se compose de deux études. La première a fait l’objet d’une communication lors du XVIIIe congrès de l’Association internationale de psychologie du travail en langue française (AIPTLF) avec publication dans les actes du congrès (paru chez L’Harmattan en 2016). La seconde est entièrement inédite. Les recouvrements sont mineurs. * Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (S. Thibauville), [email protected] (D. Castel). §

http://dx.doi.org/10.1016/j.pto.2016.02.003 1420-2530/# 2016 Association internationale de psychologie du travail de langue française (AIPTLF). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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or/and at the end of their BC. Six of them were also interviewed one week after the end of their BC. In the second study, 59 respondents filled in the same questionnaire at the beginning and at the end of their BC. In both studies, BC significantly reduced most of negative emotional states and increased positive ones. # 2016 Association internationale de psychologie du travail de langue française (AIPTLF). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Skills assessment; Emotion; Work; Career change; Career counseling

Le bilan de compétences (BC) a des effets psychologiques positifs à différents niveaux (voir Gaudron & Croity-Belz, 2005 pour une revue). Des études ont ainsi démontré l’impact positif du BC sur la connaissance de soi et de ses compétences (Bernaud & Gaudron, 1997 ; Gaudron, Bernaud, & Lemoine, 2001 ; Lemoine, 1997 ; Ruffin-Beck & Lemoine, 2011), l’estime de soi (Ferrieux & Carayon, 1998 ; Gaudron et al., 2001 ; Lévy-Leboyer, 1993 ; Piller & Bangerter, 2007), l’internalité (Doutre, 2003), le sentiment d’efficacité personnelle (François & Botteman, 2002), l’agentivité (François & Langelier, 2000), la dynamisation psychologique (Gaudron et al., 2001), la mobilisation personnelle (Ferrieux & Carayon, 1998) ou encore l’autoperception d’employabilité (Piller & Bangerter, 2007). Les émotions quant à elles ont été peu mises en relation avec le BC en dépit de l’importance du rôle des émotions dans les démarches d’orientation et de transition professionnelle (Hartung, 2011 ; Kidd, 1998, 2004). Cet article vise à étudier l’impact du BC sur les états émotionnels des bénéficiaires. Par états émotionnels, nous entendons l’ensemble des mouvements affectifs qui traversent la personne au cours du BC, allant des émotions telles que la peur, la colère ou la joie aux humeurs telles que la lassitude, la nonchalance ou la vigueur en passant par les sentiments tels que le découragement, l’espoir ou la confusion. Ce choix a été opéré pour deux raisons principales. Premièrement, bien que les concepts du champ affectif (émotion, sentiment, humeur, affect) se différencient notamment au niveau de leur intensité et de leur durée (Van De Weerdt, 2009), les frontières sont minces et s’estompent davantage lorsque ces concepts sont transformés en variables à mesurer. Deuxièmement, le BC est susceptible d’avoir un impact sur les différents types de manifestations émotionnelles, étant entendu que nous portons ici notre attention sur celles-ci en tant qu’états psychologiques survenant à l’occasion du BC et non en tant que traits dispositionnels. Dans la première partie de cet article, nous décrivons les deux processus, distincts mais complémentaires, au travers desquels le BC est en mesure d’avoir un impact sur les états émotionnels : le BC comme espace d’expression des états émotionnels générés par la vie professionnelle et le BC comme générateur d’états émotionnels. Dans la seconde partie, nous rendons compte de deux études successives réalisées afin de tester l’impact du BC sur les états émotionnels des bénéficiaires. 1. Le BC : espace d’expression des émotions liées à la situation professionnelle Les émotions sont fortement mobilisées en contexte professionnel, en témoigne l’essor des travaux sur l’intelligence émotionnelle (Chanlat, 2003 ; Goleman, 1998 ; Salovey & Mayer, 1990). Par ailleurs, le travail génère diverses émotions, positives et négatives (Weiss & Cropanzano, 1996). Toutefois, elles y sont sous contrainte : prescrites lorsqu’elles concourent à la qualité du travail et proscrites dans le cas contraire. Au travail, les individus (en particulier ceux

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qui sont au contact de la clientèle, des usagers ou des patients) réalisent un véritable travail émotionnel (Jeantet, 2003 ; Soares, 2003) consistant à simuler ou ressentir les émotions prescrites (ex. : sourire, amabilité) tout en écartant les émotions proscrites (ex. : émotions négatives). Cela peut conduire à des situations de dissonance émotionnelle (Van Hoorebeke, 2005) lorsque l’émotion exprimée, prescrite, ne correspond pas à l’émotion réellement ressentie, proscrite. En offrant un cadre privilégié d’expression hors de tout rapport hiérarchique et de toute prescription, le BC permet un rapport distancié au travail (Ruffin-Beck & Lemoine, 2011) dans lequel les émotions proscrites au travail sont susceptibles de s’exprimer (Foulard, 2014). Dans le cadre d’une relation de confiance entre conseiller et bénéficiaire, renforcée par le secret professionnel (article L. 6313-10 du CT) auquel est soumis le conseiller, le BC fournit un espace pour dire ce qui ne peut être dit au travail (Lemoine, 2005). À travers ce processus, le BC peut générer chez les bénéficiaires une prise de conscience des significations sous-tendues par les émotions évacuées. L’expression et l’analyse des émotions ressenties en lien avec les situations professionnelles rencontrées peuvent permettre à la personne d’évaluer ces dernières et l’efficacité des comportements mis en œuvre, de donner du sens et de la valeur aux expériences vécues et d’en retirer des enseignements (Lazarus, 1991 ; Van Hoorebeke, 2008). À son tour, cette prise de conscience influe sur les décisions des bénéficiaires, en lien notamment avec la définition de leur projet professionnel : « lorsque la décision s’établit comme un processus cognitif avec le temps pour la réflexion, dont la conséquence est un choix entre diverses alternatives, l’émotion, sans prévaloir, intervient. » (Van Hoorebeke, 2008, p. 34). Le BC permet également d’exprimer et de gérer les états émotionnels liés à la période de transition professionnelle dans laquelle se trouvent les bénéficiaires : « La transition peut être définie comme le passage d’un état connu à un état fréquemment incertain. Dans le cas d’une transition professionnelle, le changement est le plus souvent occasionné par des évènements imprévus voire imposés (nouvelle affectation, licenciement, maladie professionnelle, situation familiale, etc.). Ces situations peuvent fragiliser l’individu, favoriser le doute sur le devenir professionnel et provoquer la perception de bouleversements possibles sur les autres domaines de vie. On peut considérer que ces transitions, ces ruptures et les changements qu’elles occasionnent (statuts, rôles, habitudes, relations sociales, image de soi, sens du travail, etc.) constituent des moments de crise difficilement acceptés et source de stress » (Gaudron & Cayasse, 2004, p. 117). Ces transitions professionnelles, d’autant plus qu’elles sont soudaines et inattendues, sont en effet génératrices de stress, de doute et de découragement (Cusin, 2012 ; London, 1998). Elles engendrent de l’incertitude de nature à susciter d’importantes émotions (Mallet & Gaudron, 2005) et ce d’autant plus qu’elles prennent place dans un environnement économique global où les trajectoires professionnelles sont de moins en moins sécurisées (Kidd, 1998). En permettant d’exprimer les émotions négatives dans un cadre facilitant, le BC favorise leur réduction : « il s’agit ainsi de gérer le traumatisme psychologique lié au fait d’avoir été écarté de façon inattendue. Le conseiller va notamment rassurer la personne sur le fait que ses réactions de colère, de déception et de désespoir sont tout à la fois naturelles et saines. Il fait preuve d’écoute empathique et épaule l’individu pour qu’il gère ses sentiments de honte et de culpabilité et pour qu’il préserve son estime de soi » (Cusin, 2012, p. 82). Le conseiller bilan exerce un rôle de soutien social primordial pour atténuer les effets perturbateurs des situations de transition professionnelle sur le plan psychologique (Gingras & Sylvain, 1998). En tant que praticien conseiller d’orientation, « il est non seulement une ressource clef pour le dépassement des difficultés (. . .) professionnelles rencontrées et/ou concernant les décisions à prendre, mais également pour favoriser l’expression des inquiétudes, des doutes, des angoisses, des mal-être même qui peuvent déborder la seule sphère (. . .) professionnelle ou interférer avec elle » (Mallet & Gaudron, 2005, p. 292).

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Le BC offrirait donc un espace privilégié d’expression et d’analyse des émotions négatives liées à la situation professionnelle des bénéficiaires, contribuant ainsi à les réduire, et ce d’autant plus que l’expression et l’acceptation des émotions négatives liées au travail et à la transition professionnelle vécue constituent un préalable indispensable à la prise de décision concernant l’avenir professionnel (Kidd, 1998 ; Kirk, 1994). 2. Le BC : générateur d’états émotionnels Le BC confère un espace où le participant prend conscience de ses compétences mais aussi de ses désirs et attentes et définit, redéfinit, réoriente son projet professionnel (Lemoine, 2005 ; Lévy-Leboyer, 1993). Inévitablement, des mouvements affectifs surviennent au cours de ce processus. Ces derniers ne sont sans doute pas linéaires, le processus du BC pouvant générer momentanément doutes et inquiétudes, mais aussi, lorsque le bénéficiaire est bien accompagné et que le processus d’accompagnement est conduit à son terme, confiance en soi et entrain (Gaudron et al., 2001 ; Gaudron & Croity-Belz, 2005). Le BC est « le support d’un discours positif et encourageant du consultant visant à prouver au bénéficiaire sa capacité à agir » (Cusin, 2012, p. 92). La dynamisation psychologique, la hausse de l’estime de soi, le repérage de ses compétences et la finalisation d’un projet s’accompagneraient donc de l’augmentation d’états émotionnels positifs tels que l’entrain et de la réduction d’états émotionnels négatifs tels que la confusion ou l’anxiété. 3. Hypothèses Ces constats nous amènent à formuler trois hypothèses qui seront testées lors des deux études successives présentées plus bas. D’abord, l’état émotionnel général des bénéficiaires devrait être plus positif en fin qu’en début de BC (H1). Ensuite, les états émotionnels positifs devraient être plus élevés en fin qu’en début de bilan (H2). Enfin les états émotionnels négatifs devraient être moins élevés en fin qu’en début de bilan (H3). 4. Étude 1 4.1. Méthode 4.1.1. Participants et lieu de recueil La première étude a pris place dans un centre agréé de BC situé dans l’Oise (prestataire privé). La durée d’un bilan était de 24 h réparties sur trois mois maximum et son déroulement suivait les trois phases régies par l’article R6322-35 du Code du Travail (phase préliminaire, phase d’investigation, phase de conclusion). Quarante et une personnes réalisant un BC au moment de l’étude y ont participé. Le recueil s’est déroulé sur un intervalle de temps restreint (novembre 2012 à mars 2013). Par conséquent, certains participants avaient entamé leur BC avant que l’étude ne démarre tandis que d’autres ne l’avaient pas terminé lorsqu’elle a pris fin. Certains répondants ont donc répondu au questionnaire proposé, le Profil of Mood States (POMS-f – version française ; voir ci-dessous), soit en début (première séance) soit en fin (dernière séance) de bilan, tandis que d’autres, minoritaires, y ont répondu en début et en fin. Nous avons donc adopté un plan mixte dans l’analyse des résultats au questionnaire (cf. Tableau 1). De plus, conformément aux instructions des auteurs (Cayrou, Dickès, & Dolbeault, 2003), les questionnaires contenant deux données manquantes ou plus ont été retirés de l’étude (3 sur

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Tableau 1 Caractéristiques des groupes de l’étude 1.

Début de BC

Groupe apparié

Groupes indépendants

n = 6 (5 F et 1 H) Âge moyen = 40,9 ans Cadre (privé) : 1 Prof. Interm. (public) : 1 Employé (public) : 1 Employé (adm. privé) : 1 Dem. d’emploi : 2

n = 17 (8 F et 9 H) Âge moyen = 41,4 ans Commerçants : 2 Cadre (public) : 1 Cadres (privé) : 3 Prof. Interm. (public) : 3 Prof. Interm. (privé) : 3 Employés (commerce) : 2 Serv. Particuliers : 1 Ouvriers : 2 n = 15 (7 F et 8 H) Âge moyen = 40,3 ans Cadres (privé) : 2 Prof. Interm. (privé) : 4 Agent de maîtrise : 1 Employé (public) : 1 Employés (adm. privé) : 2 Employés (commerce) : 2 Serv. Particuliers : 1 Ouvrier : 1 Dem. d’emploi : 1

Fin de BC

BC : bilan de compétences ; F : femme ; H : homme.

41) : l’effectif final est donc composé de 38 participants. D’une part, dans le cadre d’une procédure à mesures répétées, un groupe apparié a été constitué composé des six participants (5 F et 1 H, âge moyen : 40,9 ans) ayant rempli le questionnaire en début et en fin de BC. D’autre part, dans le cadre d’une comparaison entre deux groupes indépendants, les scores des 17 répondants ayant rempli le questionnaire en début de BC (8 F et 9 H, âge moyen : 41,4 ans) ont été comparés aux scores des 15 répondants ayant rempli le questionnaire en fin de BC (7 F et 8 H, âge moyen : 40,3 ans). Les CSP des participants sont indiquées dans le Tableau 1. Les motivations à réaliser un BC sont diverses (reconversion souhaitée ou subie, évolution, licenciement, déménagement. . .) et similaires à celles généralement observées en bilan, sans qu’une en particulier ne soit plus représentée que les autres. Les six bénéficiaires du groupe apparié ont également participé à un entretien semi-directif individuel une semaine après la dernière séance du BC. 4.1.2. Outils de mesure 4.1.2.1. Questionnaire. Le Profil Of Mood States (POMS-f) (Mc Nair, Lorr, & Droppleman, 1992 ; traduction et validation françaises par Cayrou et al., 2003) est un outil destiné à mesurer les états émotionnels. Il se compose d’échelles Likert en 5 pas de réponse (de 0 = « pas du tout » à 4 = « extrêmement ») sur lesquelles les répondants indiquent l’intensité avec laquelle ils ont éprouvé, au cours de la semaine écoulée, chacun des 65 états émotionnels proposés. Ceux-ci se répartissent en sept sous-échelles, dont cinq négatives et deux positives (alphas de Cronbach issus de Cayrou & Dickès, 2003) :  anxiété–tension, 9 items (ex. : tendu), a = .85 ;  colère–hostilité, 12 items (ex. : irrité), a = .84 ;

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confusion–perplexité, 7 items (ex. : hésitant), a = .73 ; dépression–découragement, 15 items (ex. : triste), a = .88 ; fatigue–inertie, 7 items (ex. : lessivé), a = .85 ; vigueur–activité, 8 items (ex. : joyeux), a = .79 ; relations interpersonnelles, 7 items (ex. : aimable), a = .79.

L’outil permet le calcul d’un score par sous-échelle ainsi que d’un score global de détresse émotionnelle (ScG) par addition des échelles négatives et soustraction de l’échelle de vigueur– activité (l’échelle de relations interpersonnelles n’est pas prise en compte dans le ScG car elle renvoie à un trait émotionnel et non à un état ; elle subsiste cependant dans la version validée du POMS-f). Ce questionnaire a été choisi pour ses qualités psychométriques, sa rapidité de passation malgré les 65 items proposés, sa sensibilité au changement et son applicabilité en dehors du champ clinique (Cayrou et al., 2003). De plus, et conformément à la position adoptée dans cet article, la validité de l’outil réside selon les auteurs dans le fait de mesurer l’intensité du ressenti émotionnel sur un délai précis plutôt que dans le fait de définir ce ressenti comme une humeur ou une émotion alors même qu’il n’y a pas de consensus dans la littérature pour définir la durée à partir de laquelle l’émotion devient humeur ou l’intensité à partir de laquelle l’humeur devient émotion. De façon à adapter le questionnaire aux objectifs de la présente étude et avec l’accord de la première auteure, nous avons légèrement modifié la consigne de départ, demandant aux répondants d’indiquer ce qu’ils avaient éprouvé au cours de la semaine écoulée en lien avec leur travail. Les questionnaires, confidentiels, ont été transmis et récupérés en mains propres. 4.1.2.2. Entretien. Nous avons réalisé une série d’entretiens individuels semi-directifs en abordant systématiquement les thèmes suivants : états émotionnels positifs et négatifs ressentis avant, pendant et après le BC ; perception d’une évolution entre le début et la fin du BC. Les entretiens ont été enregistrés avec l’accord des participants puis retranscrits. L’analyse de contenu a été réalisée sur la base des catégories préétablies à partir des thèmes abordés. Les unités de sens ont ensuite été regroupées par sous-catégories sémantiques (type d’émotion ressentie, étape du bilan citée, etc.) définies a posteriori. 4.2. Résultats 4.2.1. Questionnaire groupes indépendants Nous avons réalisé sous Statistica des analyses de covariance (ANCOVA) permettant de tester l’effet de la variable indépendante (ici : période du bilan : avant ou après) tout en contrôlant l’effet éventuel des co-variables continues mesurées (ici : l’âge). Les ANCOVA révèlent que la détresse émotionnelle ainsi que l’ensemble des affects négatifs mesurés (anxiété, colère, confusion, dépression et fatigue) sont significativement moins élevés chez les répondants interrogés en fin de BC que chez ceux interrogés en début de BC (cf. Tableau 2). Les tailles d’effet observées sont particulièrement élevées, généralement supérieures à un écart-type : détresse émotionnelle (d = –2), anxiété (d = –1,61), colère (d = –1,92), confusion (d = –0,98), dépression (d = –1,19) et fatigue (d = –1,53). À l’inverse, les affects positifs sont significativement plus élevés chez les répondants interrogés en fin de BC que chez ceux interrogés en début, notamment pour vigueur–activité (d = +1,42) et dans une moindre mesure pour relations interpersonnelles (d = +0,75).

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Tableau 2 Scores au POMS-f avant et après le BC (groupes indépendants). Échelles

M (ET) avant

M (ET) après

ANCOVA

Anxiété (9 items) Colère (12 items) Confusion (7 items) Dépression (15 items) Fatigue (7 items) Vigueur (8 items) Relationnel (7 items)

15,88 23,18 9,76 14,53 13,18 14,06 15,65

8,07 9,87 5,53 4,8 5,07 19,73 18,73

F F F F F F F

ScG

62,47 (32,18)

(5,95) (8,56) (4,91) (11,66) (5,82) (4,15) (4,33)

(3,73) (5,34) (3,68) (4,71) (4,8) (3,83) (3,88)

13,6 (16,66)

(1,29) = 18,34*** (1,29) = 26,52*** (1,29) = 7,04* (1,29) = 8,76** (1,29) = 11,11** (1,29) = 15,41*** (1,29) = 4,58*

F (1,29) = 25,03***

Sur chaque item, les scores varient de 0 à 4. ScG : anxiété + colère + confusion + dépression + fatigue–vigueur ; M : moyenne des scores individuels (somme des items) ; ET : écart-type ; * : p < .05 ; ** : p < .01 ; *** : p < .001 ; N1 (avant) : 17 ; N2 (après) : 15.

4.2.2. Questionnaire groupe apparié Les Anova mesures répétées (cf. Tableau 3) confirment la diminution significative de la détresse émotionnelle entre le début et la fin du BC ainsi que des affects négatifs suivants : anxiété, colère, confusion et dépression. Les tailles d’effet observées sont élevées : détresse émotionnelle (d = –1,45), anxiété (d = –1,11), colère (d = –0,97), confusion (d = –1,94) et dépression (d = –1,50). Bien que des tailles d’effet moyennes à fortes soient observées pour la fatigue (d = –1,15), la vigueur (d = +0,67) et les relations interpersonnelles (d = +0,69), les différences observées ne sont pas significatives sur ces trois variables du fait du faible nombre de participants. 4.2.3. Entretien Les entretiens ont permis d’analyser en détail l’évolution des états émotionnels et d’établir un aperçu de leur variabilité au cours du BC. Les plus fréquemment associés à l’avant BC sont la confusion et le doute (évoqués par les six répondants), la lassitude et la démotivation (formulés par cinq d’entre eux) et la peur (4/6). Dévalorisation, colère et tristesse sont également abordées (3/6). Ces états émotionnels, tous négatifs, sont liés par les répondants aux évènements, souvent subis, qui les ont amenés dans une situation de transition professionnelle : licenciement, restructuration, accident du travail, stagnation de carrière, etc. Les ressentis émotionnels cités en Tableau 3 Scores au POMS-f avant et après le BC (groupe apparié). Échelles

M (ET) avant

M (ET) après

Anova

Anxiété (9 items) Colère (12 items) Confusion (7 items) Dépression (15 items) Fatigue (7 items) Vigueur (8 items) Relationnel (7 items)

17,2 19,9 12,3 23,3 11,2 14,7 14,5

8,67 10,7 5,8 7,3 5,5 18,7 17

F F F F F F F

ScG

69,2 (44,1)

(9,2) (13,7) (5,4) (17,4) (6,2) (5,2) (4,2)

(6,18) (5,32) (1,3) (3,9) (3,7) (6,7) (3,1)

19,3 (24,7)

(1,5) = 8,76* (1,5) = 8,06* (1,5) = 8,48* (1,5) = 11,03* (1,5) = 4,69, ns (1,5) = 2,55, ns (1,5) = 2,95, ns

F (1,5) = 14,36*

Sur chaque item, les scores varient de 0 à 4. ScG : anxiété + colère + confusion + dépression + fatigue–vigueur ; M : moyenne des scores individuels (somme des items) ; ET : écart-type ; * : p < .05 ; n = 6.

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référence aux premières étapes du BC sont divers : motivation (3/6), soulagement (3/6) mais aussi peur (3/6) et confusion (2/6). Les occurrences positives sont reliées à la possibilité de se confier au conseiller et aux encouragements reçus. Celles négatives sont associées à des craintes quant à l’avenir professionnel, à la charge de travail et d’organisation que représente le BC, ou encore au fait de relater des expériences négatives. Les états émotionnels évoqués concernant les dernières étapes du BC sont eux aussi partagés : joie et bien-être (4/6), soulagement (4/6) mais aussi peur (4/6) et confusion (3/6). Les occurrences positives sont associées essentiellement à la définition du projet professionnel, tandis qu’à l’inverse les émotions négatives sont reliées à la difficulté de faire un choix ou à une déception quant à la faisabilité du projet. Une semaine après la fin du BC, les états émotionnels dominants sont clairement positifs : bien-être (4/6), soulagement (4/6) et confiance en soi (3/6). Ces affects positifs sont associés à la définition du projet professionnel et aux résultats des tests et de l’inventaire de compétence (meilleure connaissance de soi). Enfin, lorsqu’on interroge les participants sur le fait d’avoir perçu ou non une évolution de leur état émotionnel global entre le début et la fin du BC, quatre affirment qu’il s’est amélioré tandis que deux ne perçoivent pas d’évolution. Les premiers attribuent cette évolution positive à la définition du projet professionnel, au fait d’avoir les idées plus claires quant à leur avenir, ainsi qu’au gain de confiance en soi engendré par l’inventaire des compétences. Les seconds allouent cette stagnation de leur état émotionnel au temps insuffisant pour permettre une définition satisfaisante du projet professionnel pour l’un, et inversement pour l’autre : il exprimait le désir d’arrêter le BC plus tôt, éprouvant des doutes sur son utilité.

4.3. Discussion et limites de l’étude 1 L’évolution des états émotionnels des bénéficiaires interrogés avant et après BC ainsi que les différences observées entre les moyennes des deux groupes indépendants interrogés avant ou après BC vont dans le sens des hypothèses formulées. Toutefois, et en dépit des tailles d’effet observées, ces conclusions sont fragilisées par le nombre réduit de participants. De plus cette étude présente une limite au niveau de la consigne utilisée dans le questionnaire. Trois répondants étaient sans emploi au moment de l’étude. Pour eux la consigne, qui demandait aux participants d’indiquer leur état émotionnel en lien avec leur travail, a parfois été source de confusion. Une autre limite à mentionner, qui ne peut être entièrement contrôlée, concerne le risque de désirabilité sociale susceptible d’introduire un biais dans les résultats obtenus (Furnham, 1986 ; Holtgraves, 2004). En effet, bien que la désirabilité sociale soit moins élevée en situation de BC que dans d’autres situations d’évaluation (Juhel & Rouxel, 2005), il peut paraître socialement désirable d’exprimer des états émotionnels positifs en fin de BC, ne serait-ce que pour justifier l’engagement dans la procédure. Toutefois, des précautions importantes ont été prises dans cette étude pour réduire ces risques au minimum (confidentialité, incitation à la sincérité, indépendance entre l’étude et le BC lui-même ou l’organisme prestataire). Enfin, cette étude présente la même limite que toute analyse s’appuyant sur les verbalisations des acteurs : ces derniers ne peuvent dire que ce dont ils ont conscience au moment où on les interroge. Nous n’avons donc pas eu accès aux ressentis émotionnels eux-mêmes mais uniquement aux résidus émotionnels et éprouvés subjectifs (Cahour & Lancry, 2011). Afin de répondre aux limites contrôlables de la première étude, à savoir principalement les faibles effectifs et dans une moindre mesure l’inadéquation de la consigne, une seconde étude a été mise en œuvre au sein d’un autre centre de BC dans le but de vérifier la réplicabilité de ces résultats sur un échantillon plus conséquent. Ceci permettra par ailleurs de tester la robustesse des

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effets observés au-delà des différences de pratiques d’accompagnement éventuelles d’un organisme prestataire à l’autre. 5. Étude 2 5.1. Méthode 5.1.1. Participants et lieu de recueil L’étude 2 s’est déroulée au sein des centres interinstitutionnels de bilan de competences (CIBC) de Picardie de septembre 2013 à septembre 2014. La durée d’un bilan était de 24 h réparties sur une durée maximum de trois mois. Son déroulement suivait les trois phases régies par l’article R. 6322-35 du Code du travail (phase préliminaire, phase d’investigation, phase de conclusion). L’échantillon initialement constitué de 64 participants, après qu’en ait été retirés cinq questionnaires contenant deux données manquantes ou plus, se compose de 59 participants (38 F, 21 H) d’âge moyen de 42 ans (ET = 8,61) représentant différents statuts et secteurs d’activité (cf. Tableau 4). Ici aussi, les motivations observées à réaliser un BC sont diverses et représentatives de celles généralement observées en bilan, sans qu’une en particulier ne soit plus représentée que les autres. Les participants ont répondu au questionnaire au démarrage de leur BC (première séance) puis à la fin (dernière séance). 5.1.2. Outil de mesure La seconde étude s’est articulée autour de la passation du POMS-f en mesures répétées (début et fin de BC) auprès d’un échantillon plus conséquent de bénéficiaires de BC. Le questionnaire utilisé est identique à celui présenté dans l’étude 1, si ce n’est que la consigne a été légèrement modifiée pour répondre aux limites évoquées précédemment. Ainsi, les répondants doivent indiquer ce qu’ils ont éprouvé au cours de la semaine écoulée en lien avec leur situation professionnelle. À l’inverse de la première étude, les questionnaires ont été transmis et récupérés par les conseillers BC, et non directement par les auteurs. Les conseillers, familiers de la passation de tests et questionnaires de par leur profession, ont reçu pour consigne d’appliquer des conditions de passation standardisées et de ne faire aucun commentaire susceptible d’influencer Tableau 4 Catégories socioprofessionnelles représentées. CSP

n

Commerçants Cadres de la fonction publique ou professions intellectuelles Cadres d’entreprise Professions intermédiaires de l’enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises Techniciens Agents de maîtrise Employés de la fonction publique Employés administratifs d’entreprise Employés de commerce Personnels des services directs aux particuliers Ouvriers qualifiés Demandeurs d’emploi

1 5 4 9 6 2 1 4 11 4 2 6 4a

a

Trois sont devenus demandeurs d’emploi en cours de BC, portant le total à 7.

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les répondants ou de rompre la standardisation. Nous n’avons pas pu mener d’entretiens durant cette seconde étude. 5.2. Résultats Les Anova mesures répétées confirment les résultats de la première étude (Tableau 5). On observe une diminution significative de la détresse émotionnelle entre le début et la fin du BC ainsi que des affects négatifs suivants : anxiété, colère, confusion et dépression. La diminution de la fatigue entre début et fin de BC n’est pas significative. La vigueur connaît dans le même temps une augmentation significative. C’est également le cas de la dimension relations interpersonnelles, pourtant conceptualisée comme un trait émotionnel et non un état (Cayrou et al., 2003). Les tailles d’effet observées sont modérées ou faibles : détresse émotionnelle (d = –0,43), anxiété (d = –0,33), colère (d = –0,42), confusion (d = –0,43), dépression (d = –0,34), fatigue (d = –0,19), vigueur (d = +0,42) et relations interpersonnelles (d = +0,24). 5.3. Discussion et limites de l’étude 2 Les résultats de la seconde étude confirment ceux de la première. Elle permet de répondre aux limites de l’étude 1 concernant la taille réduite de l’échantillon et l’ambiguïté de la consigne. Elle confirme également l’impact du BC sur les états émotionnels des bénéficiaires au sein d’un autre centre de BC, démontrant ainsi la robustesse des effets observés au-delà des différences de pratiques éventuelles. Les affects négatifs observés en début de BC étant moins élevés dans cette étude que dans la première, les tailles d’effet observées sont toutefois moindres en comparaison de l’étude 1. Par ailleurs, cette étude présente ses propres limites, que nous n’avons pu éviter. D’abord, l’absence d’entretiens n’a pas permis de prendre en compte la non-linéarité des effets observée lors de la première étude. Ensuite, le recours aux conseillers BC pour la passation des questionnaires est susceptible d’avoir renforcé les risques de désirabilité sociale Néanmoins, d’importantes précautions ont été prises à travers les consignes transmises aux conseillers. On peut également penser que la relation de confiance nouée avec leur conseiller a pu inciter les participants à répondre sincèrement. Enfin, l’étude ayant été conduite avec la collaboration d’un centre de BC, il n’a pas été possible d’avoir accès à des personnes non bénéficiaires de BC aux caractéristiques similaires afin de constituer un groupe témoin. Par conséquent, la prudence s’impose dans l’attribution au BC des effets observés. Tableau 5 Scores au POMS-f avant et après le BC (groupe apparié). Échelles

M (ET) avant

M (ET) après

Anova

Anxiété (9 items) Colère (12 items) Confusion (7 items) Dépression (15 items) Fatigue (7 items) Vigueur (8 items) Relationnel (7 items)

11,02 14,19 8,09 11,29 9,03 14,34 15,88

8,85 10,32 6,17 7,8 7,71 16,44 17,02

F (1,58) = 9 ** Test du signe : pc = .0028 F (1,58) = 19,97*** F (1,58) = 10,68** F (1,58) = 3,78, ns F (1,58) = 10,66** F (1,58) = 4,44*

ScG

39,27 (38)

(7,44) (10,66) (4,66) (11,03) (7,31) (5,27) (5,28)

(5,89) (7,92) (4,22) (9,56) (6,87) (4,74) (4,39)

24,41 (32,14)

F (1,58) = 20,81***

Sur chaque item, les scores varient de 0 à 4. ScG : anxiété + colère + confusion + dépression + fatigue–vigueur ; M : moyenne des scores individuels (somme des items) ; ET : écart-type ; * : p < 05 ; ** : p < .01 ; *** : p < .001 ; n = 59.

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6. Discussion générale Ces études mettent en évidence un effet positif méconnu du BC : la réduction des affects négatifs et l’amélioration des affects positifs des bénéficiaires. Les entretiens réalisés lors de l’étude 1 montrent que cette évolution n’est pas linéaire : certaines étapes du bilan, telles que la définition du projet professionnel ou l’étude de sa faisabilité, peuvent générer momentanément des affects négatifs comme l’anxiété ou la confusion. Néanmoins, dans l’ensemble l’état émotionnel général des répondants est bien plus positif en fin qu’en début de BC ainsi qu’en attestent les résultats obtenus. L’évolution positive des états émotionnels des bénéficiaires au cours du BC peut être expliquée par deux dynamiques complémentaires. Premièrement, le BC permet d’exprimer les ressentis négatifs liés au travail et à la transition professionnelle (Cusin, 2012). Il permet ainsi un cadre où ces affects, tels que la colère ou l’anxiété, peuvent être librement exprimés sans être réprimés. En d’autres termes, le BC offre un espace de légitimation des affects qui aide à en réduire l’intensité. L’expression et l’analyse de ces derniers contribue au développement de la métacognition (Lazarus, 1991 ; Van Hoorebeke, 2008) qui participe à son tour au mieux-être observé en fin de BC. Deuxièmement, en favorisant la définition d’un projet professionnel cohérent, le BC constitue directement une réponse aux causes des affects négatifs ressentis en lien avec la situation professionnelle : craintes quant à l’avenir, confusion engendrée par la perte d’identité professionnelle, etc. (Lévy-Leboyer, 1993 ; Lemoine, 2005). Il génère également des affects positifs tels que l’entrain (Cusin, 2012). Cela n’exclue pas comme précisé précédemment que certaines étapes du BC puissent entraîner momentanément des affects négatifs, ou que ces affects puissent perdurer en cas d’échec dans la définition du projet professionnel. De plus, l’évolution à long terme n’a pas été prise en compte dans cette étude ; celle-ci n’écarte donc pas la possibilité d’une réduction des affects positifs et d’une augmentation des affects négatifs par la suite en cas d’échec dans la mise en œuvre du projet (Cusin, 2012). La diminution de la détresse émotionnelle, la réduction des affects négatifs et l’augmentation des affects positifs sous l’effet du BC témoignent du rôle du dispositif dans l’amélioration du bien-être des personnes qui en bénéficient. De plus, l’impact des états émotionnels sur les processus attentionnels et le traitement de l’information (Methivier, 2012) suggère que l’effet positif du BC implique une modification de la façon dont les bénéficiaires perçoivent leur situation professionnelle, qui peut à son tour impacter positivement leur engagement dans leur projet professionnel. Enfin, ces résultats attestent de la place de la sphère affective dans l’accompagnement des bénéficiaires de BC. Ce dernier, loin de se réduire à un simple inventaire de compétences, consiste en l’accompagnement d’un individu dans sa globalité, y compris dans sa dimension affective (Kirk, 1994). Cela pose la question de l’indispensable formation des conseillers : l’expression des émotions, notamment négatives, générées par la situation professionnelle passée et présente des bénéficiaires ne s’opère pas naturellement et ne peut s’établir qu’au fil des séances grâce au travail de questionnement et de reformulation du conseiller (Cusin, 2012). Cela interroge également la durée des BC. En effet, nos résultats, montrant, en moyenne, une amélioration de l’état émotionnel des bénéficiaires au cours du BC, signifient que pour une part conséquente de nos participants les 24 heures du dispositif ont été suffisantes pour reconstruire un lien affectif positif avec leur situation professionnelle. Mais cette durée ne peut être suffisante pour que le processus soit abouti chez l’ensemble des bénéficiaires (Cusin, 2012). Pour illustrer ces propos, notons que si 46 des 59 participants de l’étude 2 évoquent un niveau de détresse émotionnelle plus faible en fin qu’en début de BC, les 13 autres évoquent un niveau de détresse émotionnelle en fin de BC supérieur ou égal à celui évoqué en début de BC.

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7. Conclusion Cet article met en évidence l’impact positif du BC sur les états émotionnels des bénéficiaires à travers la retranscription de deux études successives mesurant les états émotionnels sur différentes dimensions (anxiété, colère, confusion, découragement, fatigue, vigueur. . .) en début et en fin de BC. Essentiellement centrées sur deux temps de mesure, ces études pourraient être utilement complétées par d’autres mesurant l’évolution des états émotionnels des bénéficiaires à chaque étape du BC ; permettant ainsi de mettre au jour les fluctuations émotionnelles aperçues au travers des entretiens réalisés dans l’étude 1. De même, le rôle des émotions dans les décisions et la définition du projet professionnel durant le BC demanderait d’être davantage étudié. Enfin, l’analyse de l’effet modérateur de certaines variables personnelles ou contextuelles (sexe, âge, évènements vécus, personnalité, secteur d’activité, métier, etc.) sur l’impact émotionnel du BC serait également un prolongement utile à cette première étude sur le sujet. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Remerciements Les auteurs remercient le centre interinstitutionnel de bilan de compétences (CIBC) de Picardie et en particulier Sabine Sené ainsi que l’ensemble des conseillères pour avoir accueilli la seconde étude et participé activement à sa réalisation. Les auteurs remercient également le centre de BC situé dans l’Oise qui a accueilli la première étude. Enfin, les auteurs adressent leurs remerciements à Sandrine Cayrou pour ses précieux conseils et l’autorisation d’utilisation et d’adaptation du POMS-f. Références Bernaud, J.-L., & Gaudron, J.-P. (1997). Évaluation des effets individuels des bilans de compétences : Théories, méthode et résultats. In E. Brangier, N. Dubois, & C. Tarquinio (Eds.), Compétences et contextes professionnels (pp. 79–83). Metz: Université de Metz. Cahour, B., & Lancry, A. (2011). Émotions et activités professionnelles et quotidiennes. Introduction du Numéro Spécial « Émotions et activités ». Le travail humain, 74, 97–106. Cayrou, S., & Dickès, P. (2003). Manuel du POMS-f : Version française du Profil Of Mood States. Cayrou, S., Dickès, P., & Dolbeault, S. (2003). Version française du Profil of Mood States (POMS-f). Journal de thérapie comportementale et cognitive, 13, 83–88. Chanlat, J. F. (2003). Émotions, organisation et management : Une réflexion critique sur la notion d’intelligence émotionnelle. Travailler, 9, 113–132. Cusin, J. (2012). Le conseiller en bilan de compétences du CIBC 33 : Un tuteur de résilience pour les personnes en situation d’échec professionnel ? @GRH, 5, 75–112. Doutre, E. (2003). Améliorer l’investissement personnel : Lien entre pratique du bilan de compétences et internalité. In N. Delobbe, G. Karnas, & C. Vandenberghe (Eds.), Évaluations et développement des compétences au travail (pp. 307–318). Louvain: Presses Universitaires de Louvain. Ferrieux, D., & Carayon, D. (1998). Évaluation de l’aide apportée par un bilan de compétences en termes d’employabilité et de réinsertion des chômeurs de longue durée. Revue européenne de psychologie appliquée, 48, 251–259. Foulard, A. (2014). Le bilan de compétences, un lieu d’expression de la souffrance au travail. Le journal des psychologues, 314, 40–44. François, P. H., & Botteman, A. (2002). Théorie sociale cognitive de Bandura et bilan de compétences : Application, recherches et perspectives critiques. Carriérologie, 8, 519–543.

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