Le charbon bactéridien. Épidémiologie de la maladie en France

Le charbon bactéridien. Épidémiologie de la maladie en France

M6d Mal Infect 2001 ; 31 Suppl 2 : 257-271 © 2001 Editions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s 10 e CEMI Le charbon bact e...

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M6d Mal Infect 2001 ; 31 Suppl 2 : 257-271 © 2001 Editions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits r6serv6s

10 e CEMI

Le charbon bact en France

ridien. Epid

miologie de la maladie

J. Vaissaire ~*, M. Mock 2, C. Le Doujet l, M. Levy 2 lUnit~ des zoonoses bact~riennes, laboratoire d'~tudes et de recherches en pathologie animale et zoonoses (Lerpaz), Agence frangaise de sdcurit~ sanitaire des aliments (Afssa), 22, rue Pierre-Curie, 94700 MaisonsAlfort, 2unit~ toxines et pathogdnie bact~rienne, CNRS URA 2172, Institut Pasteur, 28, rue du Dr-Roux, 75015 Paris, France

R6sum6 Objectif: determiner les facteurs 6pid6miologiques concernant les cas de charbon bacteridien animal et humain qui peuvent expliquer la re~mergence de cette maladie depuis 1980. Materiels et methodes : il s'agit d'une 6tude r6trospective de foyers animaux et des cas et contaminations humaines recens~s de 1980 & 2000. Resultats : 114 foyers ont ~t6 r~pertori~s chez les animaux entre 1980 et 2000 en France dans 23 d~partements dont 44 foyers ces trois derni~res anndes, ce qui montre raugmentation des foyers. Les cas humains ou les contaminations sont souvent associ6es aux cas animaux, sauf pour trois cas dont rorigine est plus difficile & expliquer et qui ont etd tr~s graves. Plusieurs raisons sont a. I'origine de la r~apparition de I'affection sur notre territoire : abandon progressif de la vaccination chez les animaux, oubli de la Iocalisation des terres contaminees, nouveaux modes d'61evage... Ce sont les foyers chez les bovins qui sont les plus fr6quemment r~pertori6s. Les formes cutanees sont les plus fr6quentes chez I'homme, mais des cas tr~s graves sont enregistres avec deux d~c~s suite & des formes cutanees ou m6ningees. Commentaires : une grande vigilance est n~cessaire de la part de tousles intervenants. On devrait un peu plus penser & cette maladie oublide, dans la recherche de I'dtiologie de mort brutale en particulier chez les animaux, d'autres affections sont souvent privil6gi6es comme hypotheses. Plusieurs facteurs epid6miologiques sont rappelds, certains ont dvolu~ dans le temps. Cette maladie grave doit ~tre pr~venue chez les animaux par la vaccination et surveill6e pour 6viter toute contamination humaine. ©2001 leditions scientifiques et mddicales Elsevier SAS animal I Bacillus anthracis ! charbon bactdridien / dpid(~miologie I homme Summary - Anthrax. Epidemiologic study of the disease in France. Objective - This study had for an aim to determine whether the epidemiologic characteristics of the animal and human anthrax noted in France between 1980 and 2000 and explains the re-emergence of the disease since 1980. Material and methods - A retrospective study of the animals outbreaks and human cases and contamination. Results - A total of 114 animals outbreaks were recorded between 1980 and 2000 and 44 between 1997 and 2000. Thus indicate an increase in animal cases. The human cases or contaminations are associated with animals disease, except three cases more difficult to explain. Several factors are changed: the protective inoculation is not used, the contaminated soils are forgotten, and the disease also. Anthrax is more described in bovine breeding. The cutaneous forms are the most found in the human cases. Comments - Since 1980 several factors in the

* Correspondance : J. Vaissaire, Unit6 des zoonoses bact6riennes, laboratoire d'6tudes et de recherches en pathologie animale et zoonoses (Lerpaz), Agence frangaise de s6curit6 sanitaire des aliments (Afssa), 22, rue Pierre-Curie, 94700 Maisons-Alfort, France. Adresse e-mail : [email protected] (J. Vaissaire).

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epidemiology of animals diseases had changed. It's necessary to increase one's vigilance, for animals cases and human contamination. It's necessary to develop again the animals vaccinations and veterinary supervision. © 2001 E-ditions scientifiques et medicales Elsevier SAS anthrax / cattle / epidemiology / human

Le charbon bact6ridien ou fi6vre charbonneuse, appel6e aussi <>chez le mouton est une zoonose tr6s grave. Elle est connue depuis l'Antiquit6 et a 6t6 d6crite, entre autres, par Virgile dans son Livre III des Georgiques (37-30 avant J.C. ; vers 464 ~ 566) ol) il 6voquait non seulement les manifestations chez les animaux et chez l'homme mais, aussi, la contamination des sols. Cette maladie et son agent causal, Bacillus anthracis, ont 6t6 6tudi6s par Koch, Davaine, Delafond, Toussaint, Pasteur, Chauveau, Roux, etc., dans la deuxi6me moiti6 du XIX ° si+cle. Des travaux importants ont 6t6 faits par ces chercheurs, sur la forme v6g6tative de Bacillus anthracis, appel6e <>et sur la spore, sa forme de r6sistance, aboutissant ~ la mise au point d'un vaccin vivant att6nu6 il y a plus de cent ans (1882-1883). L'utilisation de ce vaccin et la mise en place concomitante d'6quarrissages, 6vitant l'enfouissement et donc la contamination des sols, a fait progressivement et spectaculairement r6gresser la maladie en France. Depuis le d6but du XX e si6cle, seules certaines ann6es ont connu des foyers sporadiques jusqu'en 1950. L'6volution et le d6veloppement de l'61evage, entres autres, hors sol, le contr61e des mati6res premi6res et le maintien de la vaccination par une g6n6ration d'61eveurs, h6ritiers de fermes familiales et d'une bonne connaissance de l'environnement, ont permis un recul et un oubli de la maladie. Depuis les ann6es 1980, cette affection est r6guli6rement mise en 6vidence chaque ann6e, le plus souvent de fa~on fortuite. Ces demi~res ann6es, des foyers se sont d6clar6s, touchant ~ chaque 6pisode un certain nombre d'exploitations importantes d'une m6me r6gion. Parall61ement ~ ces cas animaux, des cas humains se sont d6velopp6s et ont pu, de ce fait, ~tre rapidement soign6s et avoir une 6volution favorable. Malheureusement, quelques-uns se sont d6clar6s sans qu'aucun cas animal n'ait pu ~tre d6tect6 au m6me moment et dans le m~me environnement, leurs diagnostics cliniques ont 6t6 plus d61icats et leurs 6volutions plus d6favorables.

C'est pourquoi, apr6s de brefs rappels sur les particularit6s de l'agent causal et sur les diff6rentes formes de la maladie chez les esp6ces animales sensibles et chez l'homme, nous rapporterons les cas r6pertori6s pendant les ann6es de 1980 ~i 1996, et plus r6cemment les foyers importants qui se sont d6clar6s de 1997 h 2000, et leur r6partition g6ographique. Nous envisagerons ensuite les diff6rents facteurs de risques, dont certains sont ~t l'origine de la r6apparition de l'affection et les donn6es cliniques ; enfin, nous tenterons d'expliquer pourquoi la vigilance s'impose et quelles mesures sur le plan 6pid6miologique et de la pr6vention sont n6cessaires.

RAPPELS BACTI~RIOLOGIQUES ET CLINIQUES

Bact~riologie Bacillus anthracis est un des plus gros Bacillus, germe h Gram+, a6robie, immobile, non h6molytique g6n6ralement, peu exigeant. Les colonies sont rugueuses, larges et blanches, de 5 ~i 10 mm de diam6tre en 24 heures apr6s incubation en atmosph6re a6robie h 37 °C. Dans certains cas, elles peuvent ~tre muqueuses pour certaines souches. Si les conditions sont optimales, le germe va tr6s rapidement sporuler, donnant des spores centrales ou subterminales non d6formantes, ovoides en moins de 24 heures. I1 va s6cr6ter, aussi, une toxine de nature prot6ique compos6e de trois facteurs : LF (facteur 16tal), PA (antig6ne protecteur) et EF (facteur ced6matog6ne), atoxiques s6par6ment, mais qui, group6s deux par deux, donnent les toxines oed6matog6ne et 16tale. Si la spore est particuli6rement r6sistante, des d6cennies, dans l'environnement, il n'en est pas de m~me de la forme v6g6tative appel6e bact6ridie qui est extr6mement fragile; si elle se d6veloppe de fagon extr~mement rapide dans les organismes des animaux et de l'homme malades, elle disparaitra tr6s vite apr6s leur mort. Elle ne supporte pas la comp6tition avec les germes de la putr6faction : Proteus,

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TableauI. Charbon bact6ridien. Symptrmes Localisations Charbon interne Forme intestinale Forme pulmonaire Forme septic6mique Forme m6ning6e Charbon externe

Forme cutanre

Evolutions Formes suraigu~s Formes aigu~s Forme chronique

Aprrs ingestion de spores ou de bactrridies et en fonction de l'rtat d'intrgrit6 des muqueuses digestives : douleurs abdominales intenses, diarrh6e frtide, quelquefois noirfitre avec du sang en nature Aprrs inhalation de spores et irritation ou plaies des muqueuses bronehiques : rhinite banale et, 2 ~ 3 jours apr~s, bronchopneumonie Fait suite aux deux premi&es formes ou les prrcrde Fait suite/t une forme septicrmique D'emblre rare mais consrcutive ~tune porte d'entrre rhinopharyng6e ou sinusale Sur mains, face, 6paule, bras, cou le plus souvent Suite Ades piqfires ou/~ des 6rosions cutanres Papule, vrsicule, pustule maligne caractrristique, escarre : 6volution grnrralement favorable Dans certains cas, ced~memalin, envahissant, rapide Evolution drfavorable si non trait6 rapidement Bovins, ovins, caprins, &luins : quelques heures Carnivores sauvages (captivit6) Bovins, 6quirts, porcins, quelquefois l'homme : 1 ~ 4 jours Homme, quelquefois porcins. Quelques jours ~tptusieurs semaines Rares formes de mammites subcliniques (bovins surtout)

Pseudomonas et bact6ries ana6robies, d'ofi la difficult6 de poser un diagnostic de certitude sur des pr616vements d'animaux morts. L'analyse bact6riologique reste une m6thode classique. Les progr6s en biologie mol6culaire ont permis d'effectuer un diagnostic par amplification g6nique in vitro (PCR), mettant en 6vidence les plasmides de virulence PX01 et PX02 (de toxines et de capsule respectivement). Des progrbs plus r6cents encore permettent de diff6rencier des types de Bacillus anthracis en 6tudiant des s6quences r6p6t6es : les variable number tandem repeat (VNTR) sur diff6rents g+nes ; des 6tudes sont en cours avec diff6rentes 6quipes nationales ou internationales [ 1].

Cliniques Apr6s une incubation en g6n6ral courte, quelques heures ~ plusieurs jours (2 h 5 jours en g6n6ral) suivant le mode de contamination et son importance, les sympt6mes apparaissent le plus souvent en fonction de la porte d'entr6e du germe (tableau I). MATI~RIEL ET MI~THODES Cent quatorze foyers ont 6t6 d6nombr6s, en sant6 animale, entre 1980 et 2000 en France. Ces foyers

ont 6t6 drtect6s avec le concours des vrtrrinaires praticiens et des laboratoires d'analyses vrtrrinaires drpartementaux, et confirmrs par nos laboratoires. Pour les cas humains, ils ont 6t6 drtectrs soit par les services de microbiologie de centres hospitaliers, soit par des mrdecins grnrralistes. Les contaminations ont 6t6 rrpertorires immrdiatement par les diffrrents intervenants lors de foyers animaux. Des ingrnieurs hydrogrologues des D D A S S et des chercheurs grologues d'universit6 nous ont aidrs pour mieux cemer l'origine des cas dans deux drpartements. Chaque fois qu'un foyer 6tait confirmr, nous avons interrog6 soit les vrtrrinaires praticiens, soit les 61eveurs et nous avons travaill6 avec les directions des services vrtrrinaires (DSV) dans le cadre de l'enqu~te 6pidrmiologique pour connaitre l'origine de la contamination. L'interrogatoire porte sur l'effectif animal, les techniques d'61evage, l'alimentation, le type de prairies, la climatologie rrcente, la nature des sols, les sympt6mes observrs, leur 6volution chronologique, les 16sions trouvres/l l'autopsie, la morbidit6, la mortalitr, les transports 6ventuels d'animaux et leurs origines, les vecteurs possibles, etc., ainsi

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que sur le nombre de personnes contaminres, les possibilitrs de contamination par des produits ou des sous-produits animaux et les prrcautions ~ prendre. Ces 114 foyers ont 6t6 subdivisrs en deux groupes, les cas rrpertorirs de 1980 h 1996 off les interrogatoires et les 616ments recueillis sont plus succincts, et ceux 6tudirs entre 1997 et 2000 pour lesquels les 616ments recueillis et les recherches ultrrieures ont 6t6 plus poussres, dans la mesure du possible. RI~SULTATS Plus de 70 foyers ont 6t6 rrpertorirs dans plus de 50 communes dans 19 drpartements de 1980 ~t 1996 en France [2]. Quarante-quatre foyers ont 6t6 mis en 6vidence dans 24 communes de neuf drpartements de 1997 ~t 2000 [3, 4], ce qui montre l'augmentation des foyers ces dernirres annres. Les esprces animales concernres sont essentiellement les bovins : 109 foyers, les ovins et les 6quins dans quatre foyers associrs ou non aux bovins, les mammifrres sauvages (carnivores) en captivit6 : un foyer, les carnivores domestiques : deux foyers. Chez l'homme, les cas cliniques ou les contaminations (plus de 200) sont majoritairement lires aux probl+mes animaux, sauf dans trois cas. Pour ces derniers, l'affection a 6t6 drtectre en milieu hospitalier avec des symptrmes et des 6volutions gravissimes provoquant deux drcrs et des srquelles graves chez une troisirme personne. Aucun lien formel avec des animaux atteints n'a pu ~tre drmontr6 pour ces trois sujets. La rrpartition grographique (figure 1) montre que la maladie a 6t6 trouvre dans 23 drpartements : Ain, Allier, Hautes-Alpes, Aude, Cantal, Cher, C6te d'Or, Doubs, Eure-et-Loir, Essonne, Lozrre, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nirvre, PyrrnresAtlantiques, Haute-Sarne, Savoie, Haute-Savoie, Tam, Vienne, Yonne, Territoire de Belfort. Elle est retrouvre en cas rrprtitifs sur plusieurs annres dans certains drpartements : Cantal, Cher, Crte d'Or, Lozrre, Haute-Marne, Nirvre, PyrrnresAtlantiques, Haute-Sarne, Savoie (tableau II). Facteurs

de risques

L'affection s6vit essentiellement 1'6t6, plus des trois quarts des cas se situent pendant cette saison.

Cependant, ces derni&es annres, des foyers ont 6t6 enregistrrs aussi, trt au printemps, assez souvent en automne et mrme en hiver, soit en 6tables, soit au prr, et m~me aprrs des chutes de neige (tableaux H

et li D. De fagon grnrrale, les cas surviennent aprrs des saisons pluvieuses (hiver/printemps), suivie de prriodes de srcheresse relativement longues, puis au moment de l'apparition de chaleurs accompagnres ou non d'orages. Les types de pfitures sont majoritairement des prairies humides proches de lits de rivirres, ou des prairies d'estives en moyenne ou haute montagne au rrseau aquif~re superficiel avec des sources ou des rrsurgences en abondance. Dans plus de la moiti6 des foyers, les terres 6taient situres dans un canton off dans le passr, m~me trrs lointain (plus de 100 ans), il y avait eu des cas de charbon provoquant non seulement la mort d'animaux, mais de personnes aussi. Dans un drpartement, une enqu~te sur place a montr6 que sur les registres des cimetirres de plusieurs communes, il 6tait indiqu6 que certaines tombes ne pouvaient ~tre ouvertes sans danger, car 6taient enterrres lfi des personnes mortes du charbon. Des publications scientifiques de la fin du XIX e et du drbut du XX ° sircle signalaient aussi ces cas humains associrs ~ des cas animaux. Malheureusement, trrs souvent, les 61eveurs n'avaient plus en mrmoire le pass6 de leur commune. Sur ces terres charbonneuses, la rrapparition du charbon 6tait lire majoritairement ~ de nombreux facteurs : - travaux routiers ou autoroutiers ; - creusement de plans d'eau :dans un des cas, le plan d'eau avait 6t6 fait fi l'emplacement de ~ champs maudits >) non rrpertorirs, oublirs et dont quelques personnes figres du village se sont souvenues aprrs la rrapparition des probl+mes ; -curages de plans d'eaux existants : les curages permettent la remise en suspension de fagon massive des spores drposres dans le limon ou dans la vase. Un des foyers a cette origine, le plan d'eau 6tait en amont d'une petite rivirre off plusieurs troupeaux allaient s'abreuver. Ce problrme a 6t6 aggrav6 par une prriode de srcheresse, une baisse du niveau des eaux du ruisseau et la remise en suspension par les

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d~partements ayant eu des cas r~pertori~s durant ces 20 derni~res ann~es



Cas humains ou contaminations avec blessures et chimiopr~vention

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Figure 1. Localisation des terres charbonneuses en France (2000) et des cas de charbon bact6ridien animaux et humains et des contaminations humaines (J. Vaissaire/Afssa2001).

sabots des animaux lors de l'abreuvement (50 /l 60 litres par jour pour un bovin) d'une boue riche en spores ; - c u r a g e de foss6s, d'anciens canaux, modification de trac6s de ruisseaux (lits de ruisseaux sinueux, compl6tement canalis6s ~ trac6s devenant rectilignes) ; -remembrements intempestifs avec arrachage de haies, 61imination de chemins creux ; -travaux d'adduction d'eaux ou de drainages avec cr6ation de tranch6es larges et profondes ; - travaux de terrassements en vue d'une construction en amont des champs off des cas sont apparus ;

- p r 6 s voisins d'anciens clos d'6quarrissage ou d'anciennes tanneries. Cinquante-deux sur 70 foyers entre 1980 et 1996 et quatre sur 44 entre 1997 et 2000 sont dus h ces origines1~, apr~s enqu~tes minutieuses allant jusqu'aux archives communales ou d6partementales. L'origine de foyers tr~s importants, se d6clarant concomitamment sur plusieurs communes proches, et ne rentrant pas dans les facteurs pr6c6demment d6crits, restent plus difficiles h expliquer. Cependant, pour une s6rie de foyers ayant ~volu6 sur plusieurs mois dans plusieurs exploitations et dans plusieurs communes limitrophes (tableau III), il

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semblerait que de grands travaux (cr6ation d'un champ de neige avec apport tr6s important de terres diverses) faits sur le replat d'un sommet dans les Pr6Alpes du Nord, tr6s en amont, soient ~ l'origine des probl6mes. En effet, cette montagne est constitu6e de karstique profond avec des fissures, des gouffres, des ~ tannes >> et un r6seau d'eaux pluviales souterrain complexe aboutissant h des cascades, des r6surgences et des sources en aval, off les foyers se sont produits. Des recherches et des pr616vements sont encore en cours. Mais d'autres s6ries de foyers peuvent avoir une explication par l'intervention de vecteurs tels que les rapaces n6crophages: vautours, buses, freux, corbeaux, etc. Dans certaines r6gions, ces animaux ont 6t6 r6introduits et constituent des populations importantes. Ils peuvent essaimer des spores par leurs serres et/ou pattes et par leurs excr6ments. Des animaux morts en estive ou en alpage et laiss6s sur place, les 6quarrisseurs ne pouvant ramasser les cadavres, ont 6t6 rapidement d6pec6s par les pr6dateurs. La transmission peut se faire aussi par des mouches piqueuses : les Stomoxes ou les Simulies. Dans une r6gion, les 61eveurs se sont plaints de la multiplication anormale de ces vecteurs 1'6t6. Enfin, ~ l'autopsie de bovins atteints de charbon, les v6t6rinaires praticiens et les laboratoires ont not6, ces derni6res ann6es, que les animaux 6taient souvent parasit6s par des paramphistomes (tr6matodes, parasites du rumen et du r6seau ~ l'6tat adulte, peu ou pas h6matophages et dont la forme jeune s'enfonce dans la muqueuse intestinale de fagon transitoire). Ces parasites jouent-ils un r61e m6canique important en permettant par des microplaies aux spores de Bacillus anthracis de traverser les muqueuses ? Deux foyers ont eu pour origine la contamination des p~tures lors d'inondations par des effluents de m6gisseries d6vers6s dans des rivi~res avant la r6glementation ordonnant le traitement de ces effluents. Dans trois foyers off les animaux 6taient 61ev6s en stabulation, le r61e du foin et de la paille a 6t6 suspect6. Ils 6taient vraisemblablement contamin6s par des spores. Ces derni6res ann6es, la maladie a s6vi sur de gros troupeaux de 100 ~t 250 b~tes (vaches allaitantes ou vaches laiti6res) g6n6ralement au pr6, mais aussi en

stabulation eta pos6 un certain nombre de probl6mes 6conomiques et sanitaires. L'ensemble des troupeaux atteints n'6tait pas vaccin6. La vaccination ne se pratique presque plus en France pour des raisons 6conomiques. Elle n'est pas obligatoire et la maladie est tomb6e dans l'oubli. C'est un des facteurs majeurs de la r66mergence de l'affection, mais ce n'est pas le seul.

Donn~es cliniques Chez les animaux L'6volution est le plus souvent suraiguE h aiguE (tableau I). En fonction du type d'61evage et de la surveillance des animaux, on peut observer un tableau clinique ou non. Chez les vaches allaitantes au pr6, tr~s souvent, l'61eveur d6couvre ses animaux morts sans avoir pu observer des sympt6mes pr6existants. Chez les vaches laiti~res qui sont observ6es deux fois par jour, lors de la traite, les signes cliniques sont plus souvent d6crits, malgr6 une 6volution rapide : les animaux pr6sentent une forte hyperthermie, un abattement et, suivant le type de contamination orale ou respiratoire, on observera soit des signes digestifs avec quelquefois une diarrh6e f6tide et 6mission d'un melena en phase terminale, soit des signes respiratoires tr~s importants avec la pr6sence d'un jetage rouille et d'un ~ed~me sous-glossien caract6ristique. Quelquefois, les animaux meurent brutalement apr~s la traite. Les formes digestives et/ou respiratoires se partagent, 6galement, dans la symptomatologie d6crite dans les foyers. Chez les ovins, les 6quins et les carnivores, la maladie est de type septic6mique. Chez l'homme Dans les cas observds ou dans les contaminations li~s ?t des cas animaux [5] Les formes cutan6es sont majoritaires suite h des piqfires, des coupures, des 6raflures aux mains et aux bras essentiellement, quelquefois au visage ou au cou suite ~ des frottements avec des mains souill6es. La majorit~ de ces formes n'a pas eu la possibilit6 d'6voluer suite aux traitements pr6ventifs administr6s.

Le charbon bactrridien

Quatre cas de piqffres et coupures ont eu un drbut d'rvolution avec apparition d'un cedrme local mais le traitement trrs prrcoce a permis une gurrison trrs rapide. Un cas de contamination cutanre aprrs brfilure chez un 61eveur a 6t6 beaucoup plus grave avec l'apparition d'une escarre charbonneuse et d'un eedrme malin du bras e t a demand6 son hospitalisation et un srjour en rranimation mrdicale. Un cas de contamination cutanre associ6 /l un drbut de forme intestinale chez un 61eveur qui avait consomm6 des abats d'un de ses bovins (malgr6 l'interdiction qui lui en avait 6t6 faite) a demand6 une hospitalisation d'urgence en service de rranimation. Des cas de contamination orale, suite/t l'absorption de lair cruet de beignets confectionnrs pour une f~te de village, avec du lait d'une vache traite le matin et morte l'aprrs-midi, ont 6t6 traitrs immrdiatement par une chimioprrvention approprire (le lait des quatre quartiers de la mamelle s'est avrr6 positif quand il a 6t6 prrlev6 j uste aprrs la mort de l'animal). Dans les cas rdpertorids, non lids directement des cas animaux [51 La maladie avait drj/l bien 6volu6 quand le diagnostic a pu 6tre port6 en milieu hospitalier. Trois cas essentiellement : - une forme cutanre avec oedrme malin et complications diverses (cardiaques, rdnales) a laiss6 des srquelles graves chez un ouvrier qui avait nettoy6 une fosse/l lisier ; - une forme cutanre et viscrrale, avec drcrs, chez un ouvrier du batiment qui revenait d'Afrique et qui avait effectu6 des travaux de terrassement en France ; - u n e forme mrningre avec drcrs chez une enfant qui avait 6t6 en contact, entre autres, avec des moutons lors d'abattages clandestins, mais dont l'origine de la contamination, malgr6 de nombreuses analyses, n'a jamais 6t~ 61ucidre.

DISCUSSION Le charbon bact6ridien est pour beaucoup de praticiens et de microbiologistes une maladie du pass6. De ce fait, elle ne fait pas partie des hypoth6ses diagnostiques classiques envisag6es face ~t une

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hyperthermie, une affection respiratoire, digestive ou une mort brutale. Elle est envisagre plus facilement devant une escarre cutanre suite/~ une 16sion en milieu rural, mais quasiment jamais devant des troubles nerveux. L'rvolution de l'61evage, depuis plus de 20 ans, a fait que de nombreux petits exploitants ont fait la place/l des structures moins nombreuses mais beaucoup plus importantes. Les troupeaux de bovins de 100 h 300 brtes et plus ne sont pas rares. L'application des quotas laitiers a favoris6 la disparition de petites unitrs de vaches laiti~res au profit du drveloppement de troupeaux de vaches allaitantes au pr6 ou en stabulations. Ces 61evages constituent une activit6 annexe pour des exploitants qui ont une autre activitr, comme par exemple la production de crrrales. De ce fait, les 61eveurs ne font gu~re appel aux vrtrrinaires pour une ou deux mortalitrs dans un troupeau, ils font enlever les cadavres de leurs animaux directement par l'rquarrisseur sans vouloir connaitre l'origine de leur mort. Ce n'est que quand les probl~mes se poursuivent qu'ils cherchent /l connaitre la cause, non sans quelquefois une tr~s grande rrticence devant la possibilit6 d'une maladie 16galement contagieuse qui ferait intervenir des mesures de police sanitaire. Les choix 6tiologiques se portent sur des hypotheses telles que la fulguration, les entrrotoxrmies ou les intoxications qui permettent une indemnisation par les assurances ! Nous avons eu ce type de problrmes, dans des 61evages trrs importants, en 2000, off malgr6 une trrs forte suspicion sur des prrlrvements tardifs ou d'animaux traitrs, nous n'avons pas pu obtenir d'autres prrlrvements corrects (tableau II1). Quant aux autres esprces animales, pour les ovins qui sont particulirrement sensibles au charbon, une mortalit6 sporadique dans un troupeau de 200 1 000 trtes n'est plus prise en compte, saul si les cas se rrprtent dans le temps, ou que l'61evage fasse partie d'un groupement particulirrement vigilant. C'est pourquoi, dans les c a s q u e nous rapportons, cette esprce est si peu reprrsentre. Les rares cas que nous avons sont dus/l la curiosit6 de certains proprirmires. Une 61eveuse de 300 moutons en bergerie, complrtement indrpendante, mais dans une rrgion off des cas avait 6t6 diagnostiqurs sur des bovins au pr6 a voulu connMtre la raison de la mort d'une de

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ces brebis apr6s agnelage. Bacillus anthracis a 6t6 trouv6 en culture pure. Apr+s conseils, par mesure de pr6cautions, bien que son 61evage soit hors sol, elle a vaccin6 son troupeau. En France, le probl6me du charbon bact6ridien est lh, 6tant donn6 que l'on ne pense plus/l cette maladie, elle n'existe plus et de ce fait on ne vaccine quasiment plus. Les doses de vaccin vendues, chaque ann6e depuis dix ans, oscillent entre 30 000/l 60000 pour 20000000 de bovins et pr6s de 10 000 000 d'ovins ; donc le risque est grand vu la r6partition des terres charbonneuses, connues sur le territoire, de voir la maladie 6voluer tant chez les animaux que r6apparaitre sporadiquement et de fagon dramatique chez l'homme. Les difficult6s 6conomiques font aussi que se multiplient les 61evages familiaux d'une ou deux t~tes, voire plus, d'ovins, avec des abattages particuliers et/ou clandestins sans contr61e sanitaire. Le risque est grand 6galement de voir surgir un cas humain. Les variations climatiques qui font que depuis quelques ann6es on assiste/~ des hivers doux ou/t des 6pisodes pluvieux importants avec inondations, permettent la prolif6ration de parasites et de vecteurs qui jouent leur r61e dans la propagation de la maladie (paramphistomes, stomoxes, taons, etc.). La r6introduction et la protection de grands rapaces n6crophages/l qui on offre sur des aires de nourrissages des animaux morts en estive, th6oriquement contr616s, mais qui se nourrissent aussi de cadavres d'animaux sauvages, autres pr6dateurs pouvant ~tre morts de la maladie, risquent fort d'entretenir et de favoriser la diss6mination de l'affection. I1 en est de m~me pour d'autres esp6ces d'oiseaux charognards telles que les mouettes, les freux, les corbeaux, etc., qui prolif6rent largement. L'oubli de r6gions ou de sites off a s6vi le charbon bact6ridien dans le pass6 est aussi un 616ment important. Peu de jeunes agriculteurs savent les probl6mes qui ont s6vi auparavant dans la commune, dont ils ne sont pas forc6ment originaires actuellement, contrairement ~ ce qui 6tait le cas il y a une trentaine d'ann6es. Un certain nombre de grands travaux sont faits, sans 6tudes des probl6mes environnementaux pass6s. Nous connaissons, par exemple, la pr6occupation de certains de nos confr6res vis-a-vis du charbon concernant des futurs travaux pour une

autoroute Grenoble-Gap ! On a d~j~ connu des cas humains pour ceux de l'autoroute Lyon-Chamb6ry. Enfin, les 6changes commerciaux nationaux ou intemationaux d'animaux ou de viande nous pr6occupent. On a vu des souches isol6es en France avoir une identit6 surprenante avec des souches rares isol6es en Serbie et en Croatie [1] ou des similitudes avec des souches isol6es en Am6rique du Nord [ 1]. En effet, nous sommes convaincus que le portage sain de spores par les ruminants est important, particuli6rement pour les animaux d'un troupeau off des cas sporadiques se sont produits. Seuls des facteurs d6terminants comme le parasitisme ou des affections virales digestives (maladie des muqueuses, etc.) ou respiratoires (rhinotrach6ite infectieuse, etc.) qui provoquent des irritations ou des 16sions des muqueuses et une immunod6pression, font tomber l'animal du statut de porteur sain ~ celui de malade. Les 6tudes g6nomiques de Bacillus anthracis en cours avec des 6quipes nationales et internationales nous permettront de mieux cerner ces probl6mes et d'effectuer une surveillance ad6quate pour cette affection qui est une maladie 16galement contagieuse en m6decine v6t6rinaire et/t d6claration obligatoire en m6decine humaine. CONCLUSION L'6pid6miologie du charbon bact6ridien montre une augmentation des foyers depuis quelques ann6es en sant6 animale et, de ce fait, des contaminations humaines associ6es. Quelques cas ont 6t6 r6pertori6s chez l'homme sans qu' il y ait eu un contexte av6r6 de probl6mes chez les animaux. Nous avons envisag6 les diff6rents facteurs de risque qui expliquent la r66mergence de la maladie, un des principaux 6tant son oubli et la non vaccination des animaux. Une tr6s grande vigilance s'impose tant chez les animaux que chez l'homme. Le charbon n'est pas une maladie du pass6 et l'ensemble des partenaires : 61eveurs, v~t~rinaires, m6decins, laboratoires.., doivent y penser. REMERCIEMENTS

Nous tenons ~ remercier tous les v6t6rinaires : praticiens, responsables des laboratoires d'analyses d6partementaux, et des directions des services v6t6rinaires, les hydrog6ologues de DDASS, qui nous

Le charbon bact6ridien

ont envoy6 des pr61~vements, des souches, ou les 616ments d'enqu~tes et grace fi qui cette &ude a pu ~tre r6alis6e.

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REFERENCES 1

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