C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
Contents lists available at SciVerse ScienceDirect
Comptes Rendus Palevol www.sciencedirect.com
Paléontologie humaine et préhistoire
Le débitage Levallois du site d’Amane Oukider (Sud-Est du Maroc) : analyse technologique d’un assemblage standardisé The Levallois debitage in the Amane Oukider site (South-East Morocco): Technological analysis of a standardized assemblage Marta Arzarello a,∗ , Larbi Boudad b , Carlo Peretto a , Stéphanie Guislain c , Mohammed Aarab b a b c
Sezione di Paleobiologia, Preistoria e Antropologia, Laboratorio TekneHub, Università degli Studi di Ferrara, C.so Ercole l d’Este 32, 44100 Ferrara, Italie Faculté des Sciences et Techniques, Université Moulay Ismail, Errachidia, Maroc Lycée Victor-Hugo, Marrakech, Maroc
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 18 novembre 2009 Accepté après révision 17 janvier 2012 Disponible sur internet le 15 novembre 2012 Présenté par Henry de Lumley Mots clés : Acheuléen Débitage Levallois Standardisation Site de plein air Sud-Est du Maroc
r é s u m é Le site d’Amane Oukider (Tinghir, Anti-Atlas) a été étudié dans le cadre d’une coopération italo-marocaine dont l’objectif est la réalisation d’une carte archéologique du Sud-Est marocain. Il s’agit d’un site de plein air situé près des gîtes de matière première consistant en affleurements de dolérites. Seule la méthode Levallois (linéale et récurrente centripète) est attestée et les produits de plein débitage ont été systématiquement emportés en dehors du site. Les éclats Levallois préférentiels sont caractérisés par un très haut niveau de standardisation et le contexte régional permet de supposer qu’ils ont été probablement utilisés en tant que supports pour la fabrication d’hachereaux. © 2012 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Acheulian Levallois debitage Standardization Open-air site South-East Morocco
The Amane Oukider site (Tinghir, Anti-Atlas) was discovered by an Italo-Moroccan field crew during an archeological mapping project in South-East Morocco. It is an open-air site located near a outcrop of raw materials composed of dolerite. The only debitage method in evidence is the Levallois (lineal and recurrent centripetal) method; the plein débitage products were systematically exported from the site. The Levallois preferential flakes are characterized by a very high level of standardization and they were probably used as blanks for cleaver production. © 2012 Académie des sciences. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Abridged English version Introduction ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Arzarello).
The Amane Oukider site is located near the town of Tinghnir in the central area of the Anti-Atlas. The site is near
1631-0683/$ – see front matter © 2012 Académie des sciences. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. doi:10.1016/j.crpv.2012.01.006
568
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
the outcrop of raw materials and near the Targuit oued at 1300 m above sea level. It covers an area of about 29,147 m2 , with a maximum length of 232 m and a maximum width of 207 m (Figs. 1 and 2). The lithic assemblage The analyzed lithic material comes from a nonexhaustive collection of cores and flakes from the whole site and by an exhaustive collection from 1 m2 . The exploited raw material consists of small- and medium-grained dolerite that outcrops directly at the site. The raw material was collected from cores by the “bloc-contre-bloc” technique, as at several sites in Morocco (Antoine and Biberson, 1954; Biberson, 1961; Glory and Allain, 1952; Guislain, 2000), or by collecting large blocks. The only method of debitage observed at Amane Oukider is Levallois, especially lineal and more rarely recurrent centripetal (Boëda, 1994). All cores have large dimensions, with lengths and widths ranging, between 17 and 25 cm. The lineal cores were exploited by direct percussion to obtain four different types of large Levallois flakes: lateral debordant flakes, lateral and distal debordant flakes, bi-lateral debordant flakes and non-debordant flakes (Figs. 3–5). The reduction sequence is not completely represented at the site because the plein débitage phase is nearly absent. All cores were abandoned after the detachment of just one preferential flake, probably due to the minimum dimension of the wanted blanks. Centripetal recurrent production was performed generally on flake-cores that have the same characteristics as those used for lineal production. The wanted products have an elongated or triangular shape and a size that is half that of the preferential flakes. Also in this case, a lot of blanks are lateral debordants and the plein débitage is absent. Each core provided a maximum of 6 flakes and was abandoned after the first phase of production. The lithic material from the exhaustive collecting shows that the preparation of the cores was made at the site along with the rest of the studied material. The large and standardized Levallois preferential flakes produced at Amane Oukider can be related to a secondary reduction sequence finalized to the fac¸onnage of cleavers, as observed at many Saharan sites (Alimen et Zuber, 1978; Clark, 2001; Guislain, 2000; Inizian et al., 1995; Tixier, 1957; Tryon et al., 2006). The Levallois lineal flakes could represent the blank for Type III or IV cleavers (Tixier, 1957). Conclusion The Amane Oukider site was a workshop dedicated to a substantial production of large flakes by a Levallois method. Its localization is strictly related to the presence of raw material. Chronologically, the Levallois production associated with the Acheulian complexes in Morocco is linked by Biberson (1961) to the late Middle Pleistocene. Based on the technological characteristics, we can attribute the site to the Late Acheulean, irrespective of whether we can obtain radiometric data or stratigraphic correlations for the Amane Oukider site.
1. Introduction L’étude des industries lithiques du Sud-Est marocain entre dans le cadre d’une coopération entre l’Université Moulay Ismail d’ Errachidia (Maroc) et l’Université de Ferrara (Italie) et d’une coopération avec l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du patrimoine marocain. L’étude des industries lithiques de sites de surfaces où la stratigraphie fait défaut ne peut être menée que par une approche technologique. Le matériel d’Amane Oukider est localisé directement sur le gîte de la seule matière première exploitée. La présence de sites à proximité des gîtes de matière première est fréquente dans le Sud-Est marocain (Boudad et al., 2008 ; Camps et Riser, 1978 ; Guislain, 2000 ; Guislain et al., 2008 ; Tillet, 1993). Le site s’étend sur une très grande superficie, le débitage est exclusivement Levallois avec, sans doute, un seul objectif : l’obtention d’éclats de grande taille. 2. Localisation du site et contexte géologique Le site d’Amane Oukider se situe au cœur de l’Anti-Atlas oriental au nord des formations ordoviciennes du massif du Saghro, à 15 km au sud-ouest de la ville de Tinghir (Schiavo et Taj-Eddine, 2007). Les formations ordoviciennes, très répandues dans cette région, sont constituées d’argilites et traversées par des filons de dolérites d’âge liasique (Malusà et al., 2007). Ces filons ont été exploités par les hommes préhistoriques pour leur approvisionnement en matière première (Fig. 1 et 2). Le site est localisé sur un glacis couvert de matériel caillouteux, provenant essentiellement des formations ordoviciennes et des filons de microgranite et de dolérites. L’industrie lithique est éparpillée sur le sol et contribue à la formation de ce glacis attribué au Pléistocène moyen « Tensiftien » (Texier et al., 1985 ; Texier et Raynal, 1985–1986). Plus bas dans la vallée, se trouvent des dépôts limoneux qui portent des sortes de regs et qui se raccordent à des terrasses sur les berges des affluents d’oued ; ces dernières formations sont d’âge Pléistocène supérieur « soltanien ». 3. Le site Le site d’Amane Oukider a été découvert en 2006 par Ahmed Ait Touchnt qui l’a signalé aux chercheurs de l’Université Moulay Ismail d’Errachidia. Entre 2006 et 2007, plusieurs missions ont été programmées sur le site, afin de délimiter sa surface et d’étudier sur place les caractéristiques de l’industrie. Ce site de surface se trouve à une altitude moyenne de 1300 m par rapport au niveau de la mer. Il s’étend sur une surface d’environ 29 147 m2 avec une longueur maximale de 232 m et une largeur maximale de 207 m. Le site occupe une position privilégiée pour l’installation des hommes, à environ 900 m de l’oued Targuit, affluent de l’oued Rhéris. L’idée d’organiser des fouilles sur ce type de site n’est pas envisageable, non seulement par le manque de moyen logistique, mais aussi en raison de l’érosion que connaissent ces types de gisements affectés par le ruissellement et l’action du vent.
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
569
Fig. 1. Cadre géologique et position géographique d’Amane Oukider. Fig. 1. Geological map and geographical position of Amane Oukider (carte géologique du Maroc IMTIR 1/50,000, Schiavo et Taj-Eddine, 2007, modified). Carte géologique du Maroc IMTIR 1/50 000, Schiavo et Taj-Eddine, 2007, modifié.
Fig. 2. Cadre topologique et position géographique d’Amane Oukider. Fig. 2. Topological map and geographical position of Amane Oukider (topological map of Boumalne 1/100,000, modified). Carte topographique de Boumalne 1/100 000, modifié.
570
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
Tableau 1 Caractérisation des nucléus Levallois. Table 1 Characterization of Levallois cores. Total (%)
Nucléus Levallois linéale Nucléus Levallois récurrent centripète
77
Éclat débordant latéral droit ou gauche Type 1
Éclat débordant latéral droit ou gauche et distal Type 2
Éclat débordant latéral droit et gauche Type 3
Éclat non débordant Type 4
24 %
18 %
6%
52 %
23 100
Les pourcentages sont donnés sur base statistique.
En outre, l’abondance du matériel rend impossible le ramassage systématique de la totalité de l’industrie lithique. Le meilleur moyen de documenter ce type de site et son matériel est de faire l’analyse d’un échantillon statistiquement représentatif. 4. L’ensemble lithique Une première série d’artefacts constituée de nucléus et d’éclats de grande dimension a été ramassée sur toute l’étendue du gisement ; une seconde série d’artefacts constituée de produits de débitage a été collectée de fac¸on exhaustive sur une surface d’un mètre carré. L’extension du site sur plusieurs milliers de mètres carrés ne permet pas, en l’état actuel des reconditions de travail, de faire une étude exhaustive du matériel. Du point de vue technologique, l’homogénéité du matériel lithique, caractérisé par un système de production uniquement Levallois, permet d’aboutir à des observations que nous pensons pertinentes bien que partielles. Toutes les pièces présentent le même degré d’altération : la totalité du matériel d’Amane Oukider se caractérise par une épaisse patine brun foncé d’environ 2 mm, les surfaces sont légèrement polies (parfois de fac¸on différentielle sur la même pièce en fonction de sa position sur le sol) et les nervures sont émoussées. En revanche, le matériel archéologique ne montre ni craquelure, ni fracture, ni striation. Sur la base de ces caractéristiques, on peut affirmer que les processus environnementaux qui ont influencé le plus l’aspect externe de l’assemblage lithique sont les effets tribologiques et chimiques (Burroni et al., 2002 ; Levi Sala, 1986 ; Shackley, 1974 ; Tringham et al., 1974). L’érosion a certainement eu des conséquences importantes, aussi bien sur la répartition spatiale des artefacts, que sur le degré d’altération des pièces. Les petites pièces, notamment les éclats de mise en forme, sont les plus affectées par ces processus post-dépositionnels, mais néanmoins une large part semble être présente sur le site, comme l’attestent la récolte exhaustive effectuée sur 1 m2 et l’observation générale des caractéristiques du site. La matière première exploitée est exclusivement de la dolérite à structure grenue moyenne à fine. Cette roche est exposée sur une dizaine de mètres de long et le filon a été exploité directement sur place, comme cela est souvent attesté pour cette époque en Afrique (Féblot-Augustins, 1990, 1997 ; Boudad et al., 2008).
L’acquisition des matrices pour la production de grands éclats s’est faite à partir de blocs naturellement détachés du filon ou par percussion directe sur de gros blocs qui affleurent (nucléus dormants), selon la « technique bloccontre-bloc » pratiquée au Maghreb comme au Sahara au Paléolithique inférieur, mais également décrite au Tafilalt (Guislain, 2000), dans la vallée du Drâa (Glory et Allain, 1952), dans la région de Goulimine (Antoine et Biberson, 1954) et au Maroc atlantique (Biberson, 1961). 4.1. Stratégies de débitage Le matériel lithique présent sur le site d’Amane Oukider est exclusivement issu d’un système de production Levallois avec deux modalités : un débitage linéal à éclat préférentiel et plus rarement un débitage récurrent centripète (Boëda, 1994) (Tableau 1 et Fig. 3). Les nucléus ont toujours une largeur et une longueur comprises entre 17 et 25 cm. Dans le cadre de la méthode à éclat préférentiel, quatre différents types de produits recherchés ont été identifiés (Fig. 4) : • • • •
type 1 : éclat débordant latéral droit ou gauche (Fig. 5) ; type 2 : éclat débordant latéral droit ou gauche et distal ; type 3 : éclat débordant latéral droit et gauche ; type 4 : éclat non débordant (Fig. 5).
Les nucléus, obtenus dans la plupart des cas sur de gros blocs, montrent une préparation sommaire du plan de frappe, caractérisé par la présence de grandes plages corticales. En outre, de grands éclats ont été également utilisés comme nucléus. Ce choix peut découler de deux facteurs non exclusifs : la méthode d’extraction de la matière première et la présence d’une morphologie apte à la mise en forme des convexités, avec un investissement technique minimum. Dans les deux cas, la préparation du plan de frappe reste sommaire et un résidu cortical est toujours présent. La percussion directe à la pierre dure était la seule technique utilisée. La surface Levallois était préparée généralement par des enlèvements centripètes et, moins fréquemment, par le détachement d’éclats débordants latéraux de même direction que l’éclat préférentiel et ceci dans le but de préparer rapidement les convexités (Beyries et Boëda, 1983). D’après les produits de mise en forme
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
571
Fig. 3. Amane Oukider. 1) nucléus Levallois récurrent centripète ; 2) nucléus Levallois à éclat préférentiel ; 3) éclat Levallois récurrent centripète ; 4) éclat de préparation de la surface Levallois ; 5) éclat Levallois-« Kombewa » de préparation de la surface Levallois. Fig. 3. Amane Oukider. 1) Levallois centripetal recurrent core; 2) preferential Levallois core; 3) Levallois centripetal recurrent flake; 4) flake of Levallois surface preparation; 5) Levallois-« Kombewa » flake of Levallois surface preparation.
récupérés sur le site, une première phase de décorticage de la surface de débitage par le dégagement de trois à quatre éclats de grandes dimensions est probable, suivie par une remise en forme des convexités par un maximum de cinq à six éclats épais et de grandes dimensions. D’après l’observation des nucléus, presque la moitié des éclats obtenus étaient débordants latéraux ou latéraux et distaux. Cette caractéristique des produits semble avoir été recherchée de fac¸on systématique. Les produits de la phase de plein débitage sont pratiquement absents sur le site ; les seuls produits Levallois présents sont constitués par de grands éclats qui
témoignent d’erreurs de débitage telles un important réfléchissement ou un débordement, probablement trop marqué de la partie distale. Seuls de très rares éclats correspondent aux produits recherchés. Il s’agit de grands éclats Levallois à talon lisse ou dièdre, avec un bulbe arrondi et bien marqué. Leurs dimensions sont comprises entre 12 et 17 cm pour la longueur, entre 9 et 15 cm pour la largeur et entre 1,5 et 5 cm pour l’épaisseur. Elles correspondent parfaitement à celles mesurées sur les négatifs des nucléus. La morphologie des éclats préférentiels est standardisée, avec une forme quadrangulaire pour les éclats tant débordants que non débordants.
572
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
Fig. 4. Schéma des variantes du débitage Levallois à éclat préférentiel dans le site de Amane Oukider ; type 1 – éclat préférentiel débordant latéral ; type 2 – éclat préférentiel débordant latéral et distal ; type 3 – éclat préférentiel débordant latéral sur les deux côtés ; type 4 – éclat préférentiel non débordant. Fig. 4. Scheme of the lineal Levallois method variants in the Amane Oukider site; type 1 – lineal flake lateral debordant; type 2 – lineal flake lateral and distal debordant; type 3 – lineal flake bi-lateral debordant; type 4 – non-debordant lineal flake.
Fig. 5. Nucléus Levallois : 1) à éclat préférentiel débordant latéral ; 2) à éclat préférentiel non débordant. Fig. 5. Levallois cores 1) lineal with lateral debordant flake; 2) lineal with non-debordant flake.
Tous les nucléus ont été abandonnés en cours d’exploitation : un unique éclat Levallois a été produit à partir de chaque nucléus. Seule une contrainte de standardisation dimensionnelle des produits finaux recherchés peut expliquer ce comportement assez exceptionnel. La production Levallois récurrente centripète est intervenue à partir de supports de matière première aux caractéristiques identiques à celles des nucléus à éclat préférentiel. La plupart des nucléus sont sur éclat, probablement de manière à réduire les opérations techniques de mise en forme des critères volumétriques. La préparation du plan de frappe est sommaire. La phase de mise en forme de la surface de débitage n’est plus visible sur les nucléus, mais, à partir des rares produits de plein débitage retrouvés, il est possible d’affirmer qu’elle a été faite par des enlèvements centripètes et par quelques éclats débordants. Les produits recherchés ont des dimensions plus petites que ceux issus du débitage à éclat préférentiel (environ la moitié) et ont une forme plus allongée ou triangulaire. Dans ce cas, plusieurs produits de plein débitage sont également débordants latéraux. La convexité de la surface de débitage est souvent très prononcée. Néanmoins, cette morphologie reste dans le domaine de la variabilité de la méthode. Ces nucléus ne peuvent donc pas être considérés comme discoïdes (Boëda, 1993). Les éclats de plein débitage sont très rares. Lorsqu’ils sont présents, ils ont une forme irrégulière (morphologie que l’on observe très rarement sur les négatifs des nucléus) ou sont caractérisés par un important réfléchissement. Ils ont tous une épaisseur plus grande en moyenne que celle des éclats préférentiels. Comme pour les nucléus préférentiels, ces nucléus ont été abandonnés bien avant leur exploitation totale et une seule série de production a été réalisée sur chacun pour obtenir un maximum de six éclats. 4.1.1. La récolte exhaustive La récolte exhaustive du matériel archéologique a été réalisée sur une surface de 1 m2 . Le matériel récolté est constitué de 28 éclats dont 17 sont corticaux (des entames et des éclats à cortex latéral ou des éclats de mise en forme de la surface Levallois/plan de frappe) et 11 sont des éclats de préparation des convexités sur la surface Levallois. Les premiers, toujours de morphologie allongée et épaisse, montrent que la mise en forme de la surface du plan de frappe ainsi que la préparation de la surface Levallois ont été faites par le détachement de rares d’éclats. Les éclats de préparation des convexités de la surface Levallois ont une forme ovale/quadrangulaire et le nombre de négatifs d’enlèvements ne dépasse jamais trois. Cela indique que la préparation de la surface des nucléus a été réalisée par un nombre minimal d’enlèvements. Ce choix est également attesté par la présence de nombreux éclats débordants latéraux, résultat de la préparation des convexités latérales. Les caractères des produits analysés s’accordent avec ceux des nucléus et des grands éclats. La présence de toutes les étapes de mise en forme sur le site (établie par la récolte exhaustive et sur le reste du site) démontre que certaines étapes de la chaîne opératoire sont effectivement absentes (produits de plein débitage et de fac¸onnage). Elle peut s’expliquer par la réalisation des actions de modification
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
des supports hors du site, après exportation des grands éclats Levallois.
4.2. Finalités de la production La production de grands éclats standardisés par débitage Levallois ayant été ensuite emportée en dehors du site, pourrait être mise en relation avec une chaîne opératoire secondaire de fac¸onnage pour la production de hachereaux, attestée dans plusieurs sites africains et du Sahara du NordEst (Alimen et Zuber, 1978 ; Clark, 2001 ; Guislain, 2000 ; Inizian et al., 1995 ; Tixier, 1957 ; Tryon et al., 2006). Les caractéristiques des éclats Levallois linéaux, y compris ceux qui présentent un débordement latéral (Fig. 3, types 1 et 3) issus du débitage Levallois d’Amane Oukider, peuvent constituer le support d’un hachereau (des types III ou IV selon Tixier, 1957). Le tranchant est formé par une ligne polygonale et les deux bords peuvent être retouchés ou non, selon la présence d’un débordement latéral (simple ou double). Dans le premier cas, les débordements latéraux, probablement intentionnels, peuvent représenter un expédient technique qui permet de minimiser la phase de mise en forme des bords latéraux (« technique TabelbalaTachenghit » selon Tixier, 1957). Il est pourtant difficile, dans ce contexte, d’expliquer les éclats Levallois linéaux à débordement distal. Ces derniers, peu représentés, pourraient résulter d’erreurs de débitage dues à une mauvaise préparation de la convexité distale. Cette hypothèse est confirmée par leur présence sur le site, alors que les produits de plein débitage potentiellement fonctionnels sont systématiquement absents. L’absence de produits liés aux opérations de retouche des bords des hachereaux indique elle aussi, très probablement, une exportation des grands éclats Levallois bruts, donc avant toute modification. Cette hypothèse est confortée par le fait que seuls de petits éclats de mise en forme ont été observés sur le site. Il est plus difficile de bâtir des hypothèses au sujet de la finalité de la production des éclats Levallois issus du débitage récurrent centripète, puisque leurs dimensions ne semblent pas être compatibles avec une production de hachereaux. Ces produits de débitage ont également été emportés en dehors du site sous leur forme brute. Une seule production, très similaire à celle d’Amane Oukider, a été décrite pour le site de Jbel Kfiroun, à quelques kilomètres au sud-ouest du village de Taouz (Guislain, 2000). À la différence d’Amane Oukider, la production de grands éclats par la méthode Levallois y était surtout destinée au fac¸onnage de bifaces essentiellement cordiformes, allongés ou amygdaloïdes, plutôt qu’à la production de hachereaux qui présentent une retouche des bords latéraux peu envahissante et unifaciale. À Amane Oukider, en revanche, on peut probablement exclure l’hypothèse d’éclats Levallois linéaux comme supports potentiels pour le fac¸onnage de bifaces, en raison de leur morphologie quadrangulaire et surtout des fréquents débordements latéraux qui auraient demandé un investissement technique trop important et une grande réduction du volume.
573
5. Conclusions Le site d’Amane Oukider est un atelier de taille destiné principalement à la production de grands éclats par la méthode Levallois. Sa localisation est à mettre en stricte relation avec un affleurement de dolérite, comme source de la matière première utilisée. Il représente, une production « à grande échelle » estimée à plus de 3000 éclats Levallois linéaux. D’après la littérature, une production aussi importante, quasi uniquement destinée à l’exportation des produits finis, est un cas très rare dans l’Acheuléen marocain. Les processus d’érosion ont porté en surface la totalité du matériel lithique et son accumulation pourrait représenter plusieurs phases d’occupations dispersées sur de nombreuses générations, attestant alors l’existence d’une « tradition » perdurant dans le temps. L’association entre le débitage Levallois récurrent centripète et le débitage Levallois linéal n’est donc pas certaine. Le débitage récurrent, bien que beaucoup moins fréquent que le débitage linéal, pourrait représenter une phase chronologique plus récente et confirmer alors la théorie qui voit l’apparition du débitage Levallois récurrent pendant le Middle Stone Age (MSA) (Tryon et al., 2006). D’un point de vue chronologique, la production Levallois dans l’Acheuléen du Maroc est associée par Biberson (1961) à la phase finale du Pléistocène moyen. Dans le cadre des assemblages lithiques acheuléens avec du débitage Levallois, un âge plus ancien que 350 Ka a été proposé pour Cap Chatelier et un âge d’environ 300–200 Ka a été donné pour Sidi-Abderrahmane-Extension (Lefèvre et Raynal, 2002 ; Raynal et al., 2001, 2009 ; Rhodes et al., 2006 ; Texier et al., 2002). Amane Oukider pourrait être contemporain de Sidi-Abderrahmane-Extension, même si dans ce dernier la production Levallois n’est pas dominante et est accompagnée par une importante composante discoïde, ou de Cap Chatelier où les supports pour les hachereaux sont souvent obtenus par débitage Levallois à éclat préférentiel (Debénath et al., 1984a, b ; Raynal et al., 2009). Même si le site d’Amane Oukider ne permet pas d’obtenir des dates radiométriques, ni d’établir des corrélations stratigraphiques, les caractéristiques de l’assemblage lithique et l’importance du débitage Levallois permettent de l’attribuer à l’Acheuléen supérieur régional et de le caractériser comme un site d’atelier aux fins d’exportation d’une production Levallois standardisée. References Alimen, H., Zuate y Zuber, J., 1978. L’Évolution de l’Acheuléen au Sahara Nord-Occidental (Saoura-Ougarta-Tabelbala). Centre National de la Recherche Scientifique, Meudon, France. Antoine, M., Biberson, P., 1954. Compte rendu d’une mission de preˇıhistoire dans la reˇıgion sous contrôle franc¸ais du Drâa infeˇırieur. Bulletin de la Société Préhistorique du Maroc 7–8, 17–27. Beyries, S., Boëda, E., 1983. Étude technologique et traces d’utilisation des « éclats débordants » de Corbehem (Pas-de-Calais). Bullettin de la Societé Préhistorique Franc¸aise 80/9, 275–279. Biberson, P., 1961. Le Paléolithique inférieur du Maroc Atlantique. Publication du Service Des Antiquités du Maroc 17, 554 p. Boëda, E., 1993. Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripète. Bulletin de la Société Préhistorique Franc¸aise 90–96, 392–404. Boëda, E., 1994. Le concept Levallois : variabilité des méthodes, 9. C. Éditions, Monographie du CRA, Paris. Boudad, L., Arzarello, M., Aarab, M., Guislain, S., Peretto, C., Oujaa, A., Oulmaki, N., Roubet, C., Ridaoui, M., Atit Touchnt, M., 2008. Les sites de
574
M. Arzarello et al. / C. R. Palevol 11 (2012) 567–574
plein air du Tafilalt. Cartographie et problèmes de conservation. Actes de la Quatrième Rencontre des Quaternaristes marocains. Publications de la Faculté des Sciences d’Oujda, pp. 320–333. Burroni, D., Daonahue, R.E., Pollard, M., et Mussi, M., 2002. The surface alteration features of flint artefacts as a record of environmental Processes. Journal of Archaeological Science 29, 1277–1287. Camps, G., Riser, J., 1978. Le gisement de l’Oued Neffid dans le Tinzouline (vallée moyenne du Dra) : un exemple de l’Acheuléen du Sud-Est marocain. Bulletin de la Société Préhistorique franc¸aise 75, 291–302. Clark, J.D., 2001. Variability in primary and secondary technologies of the Later Acheulian in Africa. In: Milliken, S., Cook, J. (Eds.), A very remote period indeed: Papers on the Paleolithic presented to Derek Roe. Oxbow Books, Oxford, pp. 1–18. Debénath, A., Raynal, J.P., Texier, J.P., 1984a. Fouilles du Cap Chatelier in : Activités de la mission préhistorique et paléontologique franc¸aise au Maroc. Années 1981–1982. Bulletin d’Archéologie Marocaine 15, 18–20. Debénath, A., Raynal, J.P., Texier, J.P., 1984b. Sidi-Abderrahmane Extension in : Activités de la mission préhistorique et paléonthologique franc¸aise au Maroc. Années 1981–1982. Bulletin d’Archéologie Marocaine XV, 20–22. Féblot-Augustins, J., 1990. Exploitation des matières premières dans l’Acheuléen d’Afrique : perspectives comportementales. Paléo 2, 27–42. Féblot-Augustins, J., 1997. La circulation des matières premières au Paléolithique. Eraul 75, 2 t. Glory, A., Allain, C., 1952. Les quartzites taillés de la haute bordure du Draa supérieur (Maroc). Actes du Congrès Panafricain de Préhistoire, IIe session, Alger, 1952, pp. 435–448. Guislain, S., 2000. Organisation de la production lithique au Paléolithique inférieur et moyen. Approche et détermination de quelques modes d’acquisition et d’exploitation des matières premières du Tafilalt (SudEst marocain). Université de Provence-Centre d’Aix. Guislain, S., Boudad, L., Arzarello, M., Aarab, M., Peretto, C., Ait Touchant, A., 2008. Étude préliminaire d’un vaste gisement de surface du Sud-Est marocain. In: Le Quaternaire Marocain dans son contexte méditerranéen. Publications de la Faculté des Sciences d’Oujda, pp. 334–344. Inizian, M.L., Reduron, M., Roche, H., Tixier, J., 1995. Technologie de la pierre taillée. CREP, Paris. Lefèvre, D., Raynal, J.P., 2002. Les formations plio-pléistocènes de Casablanca et la chronostratigraphie du Quaternaire marin du Maroc Revisitées. Quaternaire 13, 9–21.
Levi Sala, I., 1986. Experimental replication of postedepositional surface modification on chert. In: Owen, L., Unrath, G. (Eds.), Technical Aspects of Microwear Studies on Stone Tools. Early Man News., pp. 103–109. Malusà, M.G., Polino, R., Cerrina Feroni, A., Ellero, A., Ottria, G., Baidder, L., Musumeci, G., 2007. Post-Variscan tectonics in eastern Anti-Atlas (Morocco). Terra 19, 481–489. Raynal, J.P., Sbihi-Alaoui, F.Z., Geraads, D., Magoga, L., Mohi, A., 2001. The earliest occupation of North-Africa: the Moroccan perspective. Quaternary International 75, 65–75. Raynal, J.P., Sbihi-Alaoui, F.Z., Mohib, A., Geraads, D., 2009. Préhistoire ancienne au Maroc atlantique : bilan et perspectives régionales. Bulletin d’Archéologie Marocaine 21, 9–53. Rhodes, E.J., Singarayer, J.S., Raynal, J.-P., Westaway, K.E., Sbihi-Alaoui, F.Z., 2006. New age estimates for the Palaeolithic assemblages and Pleistocene succession of Casablanca, Morocco. Quaternary Science Review 25, 2569–2585. Schiavo, A., Taj-Eddine, K., (Coord.) 2007. Carte géologique du Maroc au 1/50 000, feuille Imitir. Notes et Mémoires, Serv. Géol. Maroc, 518. Shackley, M.L., 1974. Stream abrasion of flint implements. Nature 248, 501–502. Texier, J.P., Raynal, J.P., et Lefevre, D., 1985. Nouvelles propositions pour un cadre chronologique raisonné du Quaternaire marocain. C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. II 301, 183–188. Texier, J.P., Raynal, J.P., Lefevre, D., 1985–1986. Essai de chronologie du Quaternaire marocain. Bulletin d’Archéologie Marocaine 26, 11–26. Texier, J.P., Lefevre, D., Raynal, J.P., El Graoui, M., 2002. Lithostratigraphy of the littoral deposits of the last million years in the Casablanca region (Morocco). Quaternaire 13 (1), 23–41. Tillet T. (1993). L’Atérien du Sahara méridional. Thèse d’État en Lettres, Université d’Aix-Marseille I. Tixier, J., 1957. Le hachereau dans L’Acheuléen nord-africain Congrès Préhistorique de France, Comptes Rendus de la XVe Session 1956, Poitiers-Angoulême, pp. 914–923. Tringham, R., Cooper, G., Odell, G., Voytek, B., Whitman, A., 1974. Experimentation in the formation of edge damage: a new approach. Journal of Field Archaeology 1, 171–196. Tryon, C.A., McBrearty, S., Texier, P.J., 2006. Levallois lithic technology from the Kapthurin Formation, Kenya: Acheulian Origin and Middle Stone age diversity. African Archaeological Review 22, 199–229.