Éditorial
Le défi de la prévention des risques sanitaires pour les entreprises industrielles et commerciales J-M. Gires Directeur Développement Durable et Environnement Société TOTAL
évolution du monde moderne a conduit à promouvoir le thème de la santé comme l’une des préoccupations majeures de la société civile : bien que les dernières décennies aient montré une amélioration spectaculaire de l’état de santé des populations, jamais n’aura été aussi forte la demande sociale d’une réduction des risques, voire d’un risque zéro dans le domaine sanitaire. Il s’agit, pour les entreprises, d’un véritable paradoxe mais aussi d’un défi important. En effet, les entreprises ont déjà le sentiment d’avoir fortement contribué à cette amélioration globale de la santé des populations, par la réduction des accidents du travail et des impacts environnementaux par l’amélioration du niveau de vie et des conditions de travail ainsi que par celle de la qualité de leurs produits tout au long du cycle de vie… Mais il semble bien que leur tâche ne soit pas achevée, cette évolution des attentes de la société civile leur imposant de revisiter en profondeur toutes leurs pratiques dans le domaine de la santé au travail, de leurs pratiques de production, de leurs émissions dans l’environnement et de la commercialisation de leurs produits. Essayons d’illustrer cette évolution par quelques exemples. Dans le domaine de la santé au poste de travail, si les règles du jeu du système en vigueur ont bien donné toute leur importance à la vérification de l’aptitude des travailleurs (visite médicale d’embauche, puis périodique), et donc une place de choix à la médecine du travail pour vérifier l’absence d’altération de la santé des travailleurs dans le cadre de leurs activités, cela n’a en rien entamé le devoir de l’employeur dans le domaine de la prévention de ces risques, à savoir l’art
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d’identifier, de quantifier et de maîtriser correctement les risques au poste de travail. C’est le rôle dévolu à l’hygiène industrielle dans nos usines. La démarche est comparable dans son principe à celle suivie dans le domaine de la sécurité afin de prévenir les accidents du travail. Cependant, la gestion des risques sanitaires présente des spécificités que l’on ne retrouve pas dans l’accidentologie. La cause de l’atteinte de la santé n’est pas nécessairement unique, mais parfois plurielle et résultant fréquemment d’une exposition chronique. Dans les faits, la maladie peut apparaître plusieurs années, voire dizaines d’années après les conditions d’exposition ; le cas de l’amiante a malheureusement rappelé cette triste réalité. L’identification des dangers doit donc être réalisée avec davantage de rigueur, d’exhaustivité, tout comme celle des situations d’exposition qui doivent être désormais mieux explicitées, voire quantifiées par une métrologie adaptée ; au croisement des dangers et des situations d’exposition, les risques doivent pouvoir être quantifiés et leur maîtrise assurée par un jeu de dispositions adaptées (réduction des émissions à la source, réduction de l’exposition, mesurages et contrôles appropriés). Et toute cette démarche — relevant d’un véritable référentiel d’hygiène industrielle et associant efficacement hygiène industrielle, médecine du travail et ressources humaines — doit désormais être documentée et vérifiée, ce qui est manifestement plus court à écrire qu’à réaliser concrètement dans toutes les usines. Dans le domaine de la santé et de l’environnement, la question du volet santé des études d’impact des activités industrielles prend de plus en plus le pas sur la question des impacts strictement environnementaux, devenus moins imporArch Mal Prof Env 2005
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tants avec la réduction des rejets, du moins dans les pays développés. Mais les préoccupations des riverains sont compréhensibles, surtout lorsque la nature complexe des activités développées ne leur facilite pas l’appréciation de la nature des risques potentiels induits pour leur santé ; en outre, les récents débats sur les risques bactériologiques (légionellose…) et ceux de la pollution de l’air (dioxines, composés organiques volatils, particules, métaux…) ont ébranlé leur confiance passée, exacerbant rapidement les relations avec les industriels concernés par le moindre incident significatif. Le volet santé des études d’impact s’impose ainsi comme un outil de plus en plus incontournable. Là aussi, la rigueur dans l’identification des sources, des modes de transfert et des cibles potentiellement concernées est indispensable. Cependant, la technicité de ces études, encore du domaine de l’expertise, ne les rend pas encore accessibles au plus grand nombre, et une communication pédagogique autour des résultats apparaît de plus en plus indispensable, en y associant le corps médical présent dans et autour de l’usine. Dans le domaine de la santé et des produits, l’exigence est déjà forte avec la nécessité de doter les produits commercialisés de fiches de données de sécurité (FDS),
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explicitant leurs principales caractéristiques ainsi que les dangers présentés par leur utilisation, et les recommandations d’usage qui en découlent. Mais la grande variété des situations d’exposition pouvant résulter de la distribution et de l’utilisation de ces produits impose une plus grande rigueur d’analyse, tout comme la tenue à disposition 24h/24 de ces FDS pour tous ceux qui pourraient en avoir besoin en urgence (exemple des centres anti-poison). Les dispositions prévues par le projet européen REACH vont encore renforcer cette exigence de rigueur dans l’analyse des dangers et des situations d’exposition. De même, le développement de bases de données devra permettre de mieux structurer l’effort de toxicovigilance. Il serait trop long de développer plus au-delà toutes les conséquences résultant pour les entreprises de ce nouveau contexte. Certaines actions sont déjà documentées et rendues obligatoires par la réglementation, d’autres supposent une bonne compréhension de la responsabilité première de prévention des risques qui pèsent sur l’entrepreneur. Le défi de la prévention des risques sanitaires est important, il devient même incontournable et s’inscrit désormais au cœur des projets de développement durable des entreprises industrielles et commerciales.
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