Le développement psychologique des enfants intellectuellement précoces

Le développement psychologique des enfants intellectuellement précoces

] PgdiatrPugriculture 1996;9:221-226 © Hsevier, Paris PSYCHIATRIE ET PSYCHOBIOLOGIE le d( veloppement psychologique des enfants intellectuellement p...

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] PgdiatrPugriculture 1996;9:221-226 © Hsevier, Paris

PSYCHIATRIE ET PSYCHOBIOLOGIE

le d( veloppement psychologique des enfants intellectuellement pr( coces JC T e r r a s s i e r Association nationale pour les enfants in~:ellectuellementpr6coces (ANPEIP), 366, avenue de Fabron, 06200 Nice

Re~u le 8 f6vrier 1996 ; accept6 le 11 f6vrier 1996

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n France, la recherche en psychologie et en p~dagogie se pr6occupe peu d'~tudier 1'6volution des enfants qui pr~sentent un d~veIoppement intellectuel pr~coce. Les travaux d'Alfred Binet, au d~but de ce si~cle, avaient abouti E la construction de la premiere ~, ~chelle m6trique de Hntelligence ,,, ensemble d'~preuves universellement reconnu comme ~tant le premier test v~ritable de d~veloppement. Chacun salt que I'un des objectifs de Binet ~tait de fournir un instrument permettant d'identifier les enfants qui ne pouvaient tirer b~n~fice de I'enseignement g~n~ral du fait d'un d~veloppernent trap lent, ce qui a abouti quelques ann6es plus tard E la cr~ation des classes dites ,, de perfectionnement ,,. Mais ce qui est mains connu, c'est que d~s 1909 Alfred Binet [1] se pr~occupait ~galement des enfants pr~coces : ~, VoicJ encore I'~colier qui ne profite pas de I'enseignement, pour une raison qui est vraiment paradoxale : il est trap intelligent. On rencontre parfois des enfants tr~s brillamment daubs, qui sont d'un niveau intellectuel tr~s sup~rieur 6 celui des enfants de leur clge. IIs ne sont pas les derniers s'en apercevoir... IIs ne travaillent que par caprice. IIs n'apprennent leurs lec;ons qu'au dernier moment. IIs sont volontiers insubordonn~s... IIs font des devoirs qui Wont pas ~t~ donn~s pour se singulariser... ,,. Binet disparut en 1911 et si ses propos n'eurent aucune incidence sur le sort JOURNALDE PF:DIATRIEET DE PUERICULTUREn° 4 - 1996

des enfants pr~coces en France, par contre le psychologue a,m@ricain Lewis Terman [6] adapta son test aux Etats-Unis et d~veloppa de larges ~tudes sur les ,, gifted children ,,. ka recherche et les initiatives p~dagogiques se d~velopp~rent ensuite largement aux Etats-Unis, alors que jusqu'E pr6sent la carence reste importante en France en ce domaine.

Les observations et les rdflexions que je propose ne sont pas le fait d'un chercheur, mais d'un psychologue dinicien qui depuis bient6t 30 ans est confrontal aux facilitds et aux difficultds d'enfants dont le ddveloppement sort de la norme. L'examen individuel et le suivi de pr&s de 3 000 enfants prdcoces ont permis de ddgager certaines similitudes psychologiques et sociales que j'ai synthdtisdes par le concept de <~[7]. Bien qu'il soit souvent dangereux et abusifde gdndraliser face ti la diversitd humaine, certains aspects de leur psychologie et de leur insertion sociale sont apparus suffisamment habituels pour qu'un profil puisse en etre mis en dvidence. Environ 5 % des enfants prdsentent une avance du ddveloppement intellectuel suffisamment importante pour que l'on dvoque la prdcocitd. Leur quotient intellectuel est de l'ordre de 125 points au moins, ce qui correspond 5 une avance d'au moins 1 an ti l'~ge de 4 ans et de 2 ans ~i l'~tge de 8 ans. Nous y reviendrons. 221

la dyssynchronie interne C'est souvent le langage, le vocabulaire et la vivacitE d'esprit, qui incitenr un pddiatre 5_proposer aux parents une consultation psychologique. Ce sont aussi parfois des manifestations d'instabilitE ou de dEsintdrat scolaires d~s l'dcole maternelle. Le langage est un assez bon indice de prEcocitd intellectuelle lorsqu'il apparak t6t chez l'enfant, mais un fangage apparemment en retard n'exclut pas la marne Eventualitd. Certains enfants prdcoces utilisenr peu le langage jusqu'au moment oil ils y tEmoignent subitement d'une makrise remarquable. Kincaid [3], dans une Etude portant sur 561 enfants tr~s prEcoces de Los Angeles (QI supErieur ~t 150 points), observe une tr~s Idg~re avance pour la parole, cette avarice &ant plus nette chez les filles que chez les garcons. Au plan psychomoteur, la makrise de la marche n'apparatt pas significativement plus prdcoce, l'Ecart Etant minime. La maturation psychomotrice des enfants intellectuellement prEcoces n'est habituellement pas 5 la mesure de leur prEcocitd intellectuelle. C'est un des aspects de la dyssynchronie interne, spdcifique des enfants prdcoces. Or, les Echelles de ddveloppement de la jeune enfance (tests de Brunet-Ldzine, de Gesell) ont une composante psychomotrice importante. En partie de ce fait, le quotient de ddveloppement qu'elles permettent d'dvaluer ne sera qu'un mediocre prEdicteur du ddveloppement intellectuel ultdrieur et du QI. Lorsque l'enfant prEcoce atteint un niveau d'efficience intellectuelle de l'ordre de 5 k 6 ans, c'est-~-dire t'~ge de 4 ans et parfois moins, l'Evaluation devient tr~s fiable. Le test le plus utilisd actuellement, ~i ce niveau, l'Echelle d'intelligence de Wechsler pour la pd_ riode prEscolaire et primaire (WPPSI), permet d'Etablir un profil assez complet. Sont dvaluEs les acquisitions verboculturelles mais ~galement l'intelligence verbale, la maturitE Visuospatiale, la makrise graphique, le niveau d'attention, la capacit6 d'observation et d'apprentissage. Or, s'il n'est pas rare qu'un enfant pr6coce de 4 ans tEmoigne globalement d'un nh'eau de 6 ans ou davantage, il est nettement plus exceptionnel que sa mattrise graphique soit aussi avancEe. U n tel enfant s'intEresse souvent pr6cocement ~ila lecture et parvient ~ l'acquErir dans sa cinqui~me annEe. Beaucoup d'enfants prdcoces en ont acquis l'essentiel de fa~on tout ~ fait illEgale en regardant l'Emission tdlEvis6e ~ Les chiffres et les lettres ,, qui ne constitue pas, a priori, la mfithode de rEfErence. En revanche, l'apprentissage de l'dcriture est gEnEralement beaucoup moins investi car les facilit~s sont moindres dans ce domaine. Cet aspect de la dyssynchrohie est ~i Evaluer avec soin lorsque se pose la question

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d'une admission prEcoce en cours prdparatoire. Depuis juin 1992, il n'existe plus de limite infErieure d'~tge pour l'admission en CP. I1 n'est plus nEcessaire de constituer un dossier ~il'attention de l'inspecteur d'AcadEmie et la derogation peut ~tre attribuEe dans le cadre m~me de l'dcole de l'enfant par les enseignants. L'dcriture est gdnEralement le seul apprentissage qui rdsiste ~icet enfant tonique, vif, intEressE par les activitEs et brillant oralement. Devant cette difficultE, l'enfant risque de rEagir par une volontE de contr61e, de maltrise anxieuse qui conduira ~i une hypertonie et ~ un trace trop appuyd, tremblant, irrEgulier. Les gar9ons davantage que les flUes, plus persdvErantes, tendent alors patrols a' r eJ"e t e r cette activitd peu gratifiante. Le risque est alors consistant que non seulement l'dcriture, mais par la suite Forthographe et route expression dcrite soient englobEes dans cet investissement nEgatif. • l'Evidence, il importe que les enseignants soient informEs de cette particularitE afin qu'ils aident les enfants prEcoces ~ garder une attitude positive face fi un apprentissage qui r6siste. Cet aspect ne dolt cependant pas inciter ~idEconseiller les admissions prEcoces en CP. Un enfant prdcoce de 5 ans qui dispose d'un age mental de 7 ans risque de vivre fort real un maintien force en matemelle. Parfois, il est assez docile pour se resigner fi s'accomoder d'une routine peu enrichissante, et le soir, il n'a plus rien raconter 5_ses parents. Quelquefois, il manifeste son d&intEr4t, son ennui, et peut flier jusqu'au refus scolaire. F D autre lois, il V a developper un comportement d ,,mstabilitE mal interprdt4 par l'enseignant Beaucoup de ces petits ~ instables ,~ adressEs k la consultation psychologique deviennent des modhles de stabilitE, d'attention et de persEvErance lots de tests qui demandent une heure et demi de mobilisation intense; I1 est d'aiileurs d~ob servation courante que les enfants prdcoces adorent les tests car 15_ enfin ils peuvenr slexpnmer jusqu'~ leurs limites de compe'tence eta' leur rythme.

la psychom~trie Les tests de ddveloppement intellectuel restent le seul moyen vdritablement fiable d'dvalutation de la prdcocitd. I1 est en effet facile de se tromper sur les possibilitEs d'un enfant, au niveau de la maternelle ou de l'Ecole primaire, lorsque celui-ci dispose d'une parole abondante, fluide, adaptEe, et qu'il se montre actifet intEressE par les activitEs proposdes par l'enseignant. O n s'aper9oit alors parfois ~i l'aide des tests que cet enfant est simplement tr& bien adaptE ~ la demande scolaire, que les apprentissages proposes arrivent bien 5. l'heure pour lui, mais que ses limites en comprehension et en raisonJOURNAL DE PEDiATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 4 - 1996

nement se situent simplement dans une bonne norme. Une prise d'avance scolaire serait tr&s risqude pour lui. Seuls les tests permettent de prdciser les limites de comp&ence d'un enfant dans divers types d'activit&. Ils peuvent mettre en dvidence que cet enfant pourrait faire beaucoup plus et mieux que ce qui lui esr proposd par le programme scolaire du niveau ou il est ins&& Sans traiter ici de la thdorie et de la pratique gdn&ale des tests, abordons certains points qui concernent plus pr&isdment leur utilisation aupr&s d'enfants prdcoces. Les dpreuves les plus utilisdes restent les tests de Wechsler, l'un pour les enfants de 4 ans ~i 6 ans et demi (WPPSI), l'autre pour ceux qui ddpassent 6 ans et demi et jusqu'~t 16 ans (WISC-R). Ils permettent d'dvaluer l'efficience intellectuelle de l'enfant dans une dizaine d'activit& diff&entes. Parmi elles, certaines sont tr~s ddpendan[es de la culture (information, vocabulaire) et indiquent la capacitd de l'enfant 5 s'approprier l'informatron. D'autres, et ce sont les plus significatives quant la pr&ocit~, &aluent la capacitd ~i saisir des relations et ~iconceptuatiser dans le domaine verbal (similitudes) ou ~ analyser l'espace (cubes). D'autres tests non verbaux, tels les <de Raven adaptdes k trois tranches d'ages diff&entes, les < de Cattell, les ,, Dominos ,, d'Anstey, font largement appel ~i la capacitd ~ d&ouvrir la loi d'organisation de syst~mes de plus en plus complexes. Et s'il fallait donner une ddfinition non scientifique, je dirais que l'intelligence c'est ce qui permet ~ un enfant prdcoce d'entendre une musique l?i o~ les aueres ne percevront qu'un bruit. La cotation de l'efficience dans ces diff&ents tests se fait en termes de QI, de moyenne 100, et d'&art type de 15 points. Ce qui signifie que seuls 5 % des enfants

Niveau Tests verbaux Information Similitudes Arithm&ique Vocabulaire ComprEhension

9 arts t 1 ans 9 ans 9 ans 9 ans

8 mois niveau global moyen : 10 mois > 10 ans 0 mois Q I standard verbal 136 8 mois 8 mois QI A M - = 143 AR

13 ans

6 mois

niveau global moyen

12 ans

6 mois

> 13 arts

11 ans 15 ans 11 arts

6 mois 10 mois 10mois

QI standard perf. 140

Testsdeperformance Compl~ternent d'images Arrangement d'images Cubes Assemblage d'objets Code

ZM QI = 185 AR

AR : ~_gerdel ; A M : age mental

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atteignent 125 points, seuls 2 % atteignent 132 points et qu'il ne reste q u ' 1 % ~i 137 points.

interpreter un profil de d6veloppement Les mddecins et les enseignants qui regoivent les rdsultats obtenus par un enfant prdcoce aux tests doivent &re informds de certains aspects sp&ifiques de l'interprdtation du profil. Ainsi, aux tests de Wechsler (WPPSI et WISC-R) qui sont les plus utilisds, un profil de ddveloppement brillant et apparemment homog~ne n'est en r&litd pas homog~ne lorsqu'on analyse plus en profondeur les niveaux d'efficience atteints dans chacun des dix subtests que comportent ces tests. Pour illustrer, prenons l'exemple d'un enfant de 7 ans (cf tableau I) qui obtient 16 en note standard 5 chaque subtest du W I S C - R (moyenne 10), aussi bien darts les dpreuves verbales que dans les dpreuves non verbales. La premiere rdaction est gdn&alement de penser que cet enfant pr&ente un d&eloppement homog~ne dans ces divers secteurs d'activit&. Ceci est vrai si l'on raisonne en termes de rang, de dassement, L'enfant qui a 16 en note standard dans chaque subtest rdussit chaque dpreuve comme seuls 2 ~t 3 % des enfants du meme age sont capables de le faire. Cette belle homogdnditd disparalt lorsque nous passons ~t la cotation en termes de niveau d'efficience ou d'age mental. I1 apparalt alors que ce m~me enfant de 7 ans pr&ente un age mental verbal global de 10 ans et un niveau global de 13 ans dans les dpreuves non verbales, dites de performance. Cette analyse met en dvidence que dans un profil apparemment homog~ne avec la cotation en notes Standards, la pr&ocitd intellectuelle est en rdalitd beaucoup plus importante dans les dpreuves non verbales. Dans le secteur verbal du W I S C - R [8], le QI standard (moyenne !00 ; dcart type: 15) obtenu par l'enfant pris en exemple, 136 points, apparalt proche de celui qui peut &re calculd par l'autre mdthode, celle du rapport entre l'age mental et l'age r&l, soit 143 points en l'occurrence. Ces deux m&hodes appliqu&s ~ila pattie non verbale, de performance, mettent en &idence un &art consid&able = QI standard : 140 compard ~iun QI, rapport d3ages, de 185 points ! De fagon gdndrale, les QI standards utilisds dans les tests non verbaux d'intelligence tendent ?i faire sousestimer l'~tge mental de l'enfant. Cattell avait eu recours dans ses propres tests 5 un &art type de 24 points et non plus de 15 pour prendre en compte la plus forte dispersion des niveaux d'efficience dans ce type d'dpreuves. 223

le d~veloppement affectif Un autre aspect de la dyssynchronie interne s'exprime dans la dyssynchronie entre le ddveloppement intellectuel prdcoce et le ddveloppement affectif qui reste g~n~ralemenc dans la norme de l'~ge avec cerraines parricularitds. L'enfant prdcoce traverse les diffdrents stades de maturation de la personnalitd commundment ddcrits par les psychogdndticiens et par les psychanalystes. Cette evolution affective est &vantage caractdrisde par la richesse et la complexitd que par la prdcocitd. L'intelligence de l'enfant exerce un effet <~loupe ,, non seulement sur la logique de l'environnement mais dgalement sur sa perception et son inrerprdtation des affdrences affectives. L'acuitd de son regard sur les aurres et sur le monde aiguise une sensibilitd qui n'a pas ~oujours les moyens d'intdgrer sans dommage l'information revue. Ceci peut fragiliser les enfants prdcoces car leur sensibilitd offre facilement de multiples objers 5- [eur anxidtd. La probldmatique oedipienne constirue pour eux une dpreuve aussi rude, e~ ndcessaire, que pour les autres enfants. Leur palette de mdcanismes de defense, et de camouflage, apparatt d'une grande richesse mais dans la mesure oil ils sont confrontds 15- 5- une probldmatique d'ordre affectif, leur tentative de ma~trise intellectuelle de Ia situation demeure inefficace. L'anxidtd et les phobies habituellement lides fi une culpabilitd de niveau cedipien ne rel~vent pas du regisrre de la raison et de l'intelligence, ce qui ddconcerte d'autant plus ces enfants habituds ~t maitriser sur ce mode. L'intelligence fait volontiers le lit de la rationalisation, ddfense visant 5- trouver un prdtexte ou une excuse raisonnables ~ un comportement, et de l'intellectualisation, ddfense qui permet de prdtendre que la compos a n t e a f f e c t i v e ne p r e n d a u c u n e p a r t dans les comportements. Le recours 5-ces mdcanismes vise ~ protdger l'enfant d'une expression pulsionnelle qui serair vdcue dangereuse et coupable. Le rdsultat esr souvent un enfant bien ,, raisonnable ,, qui correspond 5- l'attente des parents au prix d'une perte de spontanditd et de joie de vivre. Ce type de ddfenses s'observe dgalement chez des enfants de m&res cdtibataires qui paraissent surcompenser ainsi l'absence de la rdfdrence paternelle d'autoritd. Fort heureusemenr, la majoritd des enfants prdcoces rrouvent la vole de l'dquilibre en permettant 5-leurs besoins pulsionnets et affectifs aussi bien qu'intellectuels de s'exprimer et de se satisfaire. Les psychothdrapies d'enfants prdcoces comportent souvent l'objectif de les aider faire plaisir 5 ces diverses dimensions, y compris donc ~l l'intdligence qui, elle aussi, peut etre culpabilisde. I1 s'agit bien souvent de les aider ~ retrouver la vole de la simplicitd et de la spontanditd darts leur vie affective e~ 224

~t intdgrer rinteltigence comme dimension de leur personnalitd, respectable assurement mais non prdvalente sur les autres aspects. Certains enfants peuvent en effet aboutir 5-la crainte de n'etre aimds par leurs parents que pour leur intelligence, situation bien ddcrite par Miller [4]. Parfois, heureusement rarement, il est ndcessaire de rappeler aux parents que leur enfant est prdcoce certes, mais qu'il est d'abord un enfant•

la dyssynchronie sociale Devant un enfant prdcoce, la rdponse des parents, des camarades, de l'dcole, est difficilement adaptde. L'enfant est dans une situation de dyssynchronie sociale dont il convient de l'aider 5- attdnuer les effets ndgatifs. Certains parents sont d'abord amusds et dtonnds par le tonus, la curiositd, l'activitd de leur jeune enfant et en arrivent parfois au stade de l'inquidtude lorsqu'est atteint, vers 4 ans et parfois plus t6t, le stade <d'avoir de telles prdoccupations ?i cet age mais bien conseillds et rassurds ils vont permettre 5-leur enfant de continuer 5- exprimer sa curiositd sans la rdprimer ni la culpabiliser. En revanche, l'dcole et le syst~me dducatif font rdfdfence 5- une norme de ddveloppement qui a conduit 5- ddfinir des programmes scolaires imposds 5- tousles enfants. Jusqu'5- prdsent les forces de ~,, au ddveloppement ~ normal >>,est tr~s prdjudiciable au ddveloppement et a 1 epanomssement des enfants qul s'dloigent de cette norme. l'~cole, deux situations peuvent se prdsenter. - Si enfant n a pas ~td identifid comme prdcoce intellectueUement, les enseignants vont attendre de lui une e~cience simplement normale. La tendance ~t se conformer ~ l'attente du maitre, bien ddcrite par Rosenthal et Jacobson [5], va conduire dans ce cas 5- ce que nous nommons l'effet pygmalion ndgatif: l'enfant va tendre 5-renoncer 5. exprimer son veritable potentiel et se limiter 5- repo dre a une demande qui le sous-estime. I1 est di~cite pour un enseignant qui propose le programme J O U R N A L DE PE:DIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 4 - 1996

d'une classe donnde de prendre conscience que tel enfant serait capable er aurait du plaisir fi s'attaquer ~t des contenus nettement plus avancds. Hdlas, sous la pression de ce contexte, beaucoup d'enfants pr&oces se rdsignent cette progression ralentie qui ne va pas leur permetrre de d&elopper leurs qualitds d'attention, d'organisation, de rndmoire et vales inciter ~i une superficialitd dont ils paieront le prix souvent en fin de coll~ge. Ce risque de sousstimulation et de sous-rdalisation de soi est important d~s ia maternelle comme le soulignent Depeyre et Perbet [2]. - Si l'enfam a dtd identifid prdcoce, le respect de son rythme de ddveloppement n'en est pas pour autant assurd car des rdsistances s'expriment ~ plusieurs niveaux. Les textes qui rdgissent le syst~me dducatif sont parfois permissifs, comme pour l'admission en cours prdparacoire, parfois limitatifs, comme celui qui interdit de prendre plus d'une ann& d'avance au cours des cycles de l'&ole primaire. De m~me, l'obligation de constituer une demande spdciale de ddrogauon pour se pr&enter au baccalaurdat si l'on n'a pas 17 ans tdmoigne de la r&icence du syst~me face ~ la prdcocitd, alors que ces jeunes candidats obtiennent un taux de rdussite de l'ordre de 90 % con~re 70 % pour les autres lycdens. Au niveau des enseignants, on constate dgalement des aEfi~udes vari&s. Certains sont ~t l'&oute des enfants pr&oces et tentent de prendre en compte leur prdsence et leurs besoins. Parfois ils collaborent au projet de sauter u_ne dasse. Beaucoup d'enseignants par contre refusent d'envisager des r~ponses spdcifiques, ddcouragent les parents de demander une prise d'avance scolaire, dvoquent les risques divers encourus, mais ndgligenr celui de l'ennm et du ddsint&& scolaire si aucune r~ponse n'est donn& ~ l'enfant. Avec le recul que permet une exp&ience de pros de 30 ans, il est possible d'affirmer qu'une avance scolaire est le plus souvent la rdponse qui garantit le mieux le d&eloppement, l'dpanouissement de l'enfant prdcoce. Retarder un enfant prdcoce n'apporte rien ~tson dquilibre er peut lui faire percevoir que son intelligence doit &re culpabilisde et rdprimde. La dyssynchronie entre son rythme de ddveloppement et celui que veut lui imposer l'&ole entraine une souffrance. C'est pourquoi, lorsque les rdsultats de l'examen psychologique et le ddsir de l'enfant er des parents sont positifs, it convient souvent d'aider ces parents ~ oser formuler ~il'dcole une demande de prise en compte des besoins de leur enfant. Cependant, subsiste l'inconvdnient d'insdrer l'enfant pr&oce dans une classe o~t les camarades sonr de plus en plus ~g&, encore que spontandment il recherche la communication avec des plus grands que lui pour r&ablir un dquitibre de niveaux dans le dialogue. La difficultd la plus frdquen~e vient de la rdaction des enfants plus

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figds qui peuvent se sentir infdriorisds par la pr&ence de ce jeune intrus et vouloir compenser par des comportements de r&orsion divers : remarques ironiques, recherche des failles, provocations physiques. Les enseignants peuvent beaucoup pour favoriser l'acceptation d'un enfant prdcoce dans une classe, lorsqu'ils ne sonr pas euxmames ~i la recherche de ses failles.

ia pr cocit ernbarrassante L'enfant pr&oce doit rdsoudre tousles probl~mes auxquels chaque enfant est confrontal dans son ddveloppement mais est particuli~rement fragilisd par la rdponse souvent inaddquare de son environnement. L'dcole reste tr~s rigide en France. Les classes adaptdes aux enfants prdcoces ouvertes en 1987 ~ l'&ole Las Planas Nice sur un projet que j'avais dlabord ~ila demande du ministre Rend Monory n'onr pas survecu ~ l'arrivde du ministre suivant, malgrd leurs rdsultats positifs. Lionel Jospin avait en effet assurd que sa rdforme de la materhelle et de l'&ole primaire, dite des cycles, allait permettre de rdpondre ddsormais avec souplesse aux besoins des enfants les plus divers. Chactm salt ce qu'il en est advenu. Par contre, les premieres classes adapt&s crddes en 1988 au lyc& privd Michelet de Nice se d&eloppent avec succ~s, et cet exemple commence ~i&re suivi dans quelques autres &ablissemenrs. Mais la dimension de cette rdponse est ddrisoire par rapport aux besoins, et la formation des enseignants et des psychologues continue ~i ignorer totalement l'enfant pr&oce. Le grand ddbat contemporain sur les rythmes scolaires pourralt constituer une ouverrure vers une prise en compte de la diversitd des rythmes de ddveloppement des enfants, mais l't2ducation nationale va sans doute le rdduire ~tla question de la rdpartition des heures de classe dans la semaine. La politique des all~gements successifs des programmes sera poursuivie, ce qui mettra de plus en plus les enfants prdcoces en &at de manque. C'est pourquoi le pddiatre qui a une &oute attentive de ses jeunes patients est en premiere ligne pour comprendre qu'une manifestation psychosomatique ou d'anxi&d, une attitude d'instabilitd ou de refus, cer'taines inhibitions intellectuelles, une tendance ddpressive, peuvent avoir pour origine une pr&ocitd intellectuelle rdprimde et culpabilisde. I1 convient alors de prendre l'initiative pour les libdrer des carcans divers. La prdcocitd intellectuelle est, pour certains enfants, leur fa~on ~ eux d'&re ,, normaux ~. )i nous de faire que les dyssynchronies qu'elle comporte ou qu'elle entraine ne soient pas source de souffrance et d'dchec du fait de rdponses affectives, dducatives, scolaires ou sociales inadap~&s. 225

r f rences 1 Binet A. Les id6es modernes sur les enfants. Paris : Flammarion, 1973 2 Depeyre C, Perbet B.L'activit6 mentale de I'enfant en maternelle. Percevoir sa pr6cocit~. Lyon : Chronique sociale, 1994 3 Kincaid DJ. History of highly gifted pupils. Educating the ablest. Illinois: FE Peacock Publisner, 1971

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MillerA. Ledramedel'enfantdou~. Paris: PUF, 1983 Rosenthal RA, Jacobson L. Pygmalion ~ I'~cole. Paris : Casterman, 1971 6 Terman L, Oden M. The gifted group at midlife. Genetic studies of genius. Vol V. Stanford University Press, 1959 7 Terrassier JC. Les enfants surdou6s ou la prScocit6 embarrassante. Paris : I~ditions ESF, 1995 8 Wechsler D. Manuel de 1'6chelle d'intelligence pour enfants. Paris : I~ditions du Centre de psychologie appliqu~e, 1981

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