Le diagnostic des sténoses carotidiennes
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C. Rodriguez-Régent, O. Naggara, B. Beyssen, D. Trystram, J.-L. Mas, J.-F. Meder Université Paris-Descartes, INSERM UMR 894, Service imagerie morphologique et fonctionnelle, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris
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Introduction Un accident ischémique cérébral sur cinq est la conséquence d’une sténose de la bifurcation carotidienne. En France, cela signifie qu’une sténose carotidienne athéromateuse induit une ischémie cérébrale toutes les vingt minutes. Les résultats de deux grandes études O. Naggara randomisées réalisées dans les années 1980 en Europe (ECST : European carotid surgery carotid trial) et aux Etats-Unis (NASCET : North American symptomatic carotid endarterectomy trial), regroupant au total 5 893 patients symptomatiques, concluent que, en fonction du degré de sténose, la chirurgie a un impact négatif (sténose < 30 %), neutre Echo Doppler, ARM, (comprises entre 30 et 49 %), angioscanner cervical, bénéfique (50 et 69 %) ou hautement bénéfique (au-delà de 70 % ont une sensibilité de sténose) [1, 2]. Le rôle de l’imaet une spécificité gerie est donc principalement de excellentes pour diagnostiquer la sténose dépister et de quantifier les sténoses selon les échelles utilisées et décider du traitement. dans ces deux essais (figure 1 et 2). L’artériographie conventionnelle a longtemps été considérée comme l’examen de référence mais comporte des risques de complications non nuls (0,5-1 % de déficit neurologique permanent). Différentes techniques non invasives de substitution ont donc été développées : écho Doppler, angiographie par résonance magnétique (ARM) avec injection de produit de contraste, angioscanner cervical, avec une sensibilité et une spécificité excellentes pour diagnostiquer une sténose et distinguer les sténoses chirurgicales de celles devant bénéficier d’un traitement médical. Nous proposons un rappel des principes, intérêts et limites de ces différentes techniques d’imagerie non invasives et les recommandations actuelles. AMC pratique n°213 décembre 2012
Méthodes d’exploration Exploration ultrasonographique L’exploration ultrasonographique permet une évaluation non invasive des vaisseaux cervicaux. Elle n’a aucune contre-indication, ne requiert qu’une coopération minimale et est la seule exploration apportant des informations hémodynamiques précises en temps réel sur la circulation extra et intracrânienne. Simplicité et facilité d’accès en font la technique de dépistage idéale des sténoses carotidiennes. Cependant, l’acquisition et l’interprétation des données sont subjectives. La fiabilité de l’exploration est donc largement dépendante de l’expérience de l’opérateur.
A B C
Figure 1. Méthode de mesure du degré de sténose du bulbe de l’artère carotide interne. A : diamètre de la carotide interne d’aval saine B : diamètre au site maximal de la sténose C : diamètre du bulbe carotidien Méthode européenne (ECST): % sténose = (C-B)/C x 100 Méthode nord américaine (NASCET) : % sténose = (A-B)/A x 100
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Évaluation et correspondance des pourcentages de sténose carotidienne en angiographie dans les grands essais thérapeutiques randomisés Méthode américaine (NASCET, ACAS)
Méthode européenne (ECST)
30 %
65 %
40 %
70 %
50 %
75 %
60 %
80 %
70 %
85 %
80 %
91 %
90 %
97 %
Figure 2. Correspondance des valeurs NASCET et ECST. ECST = 0.6 x NASCET + 40 %
L’échographie en mode B permet la visualisation en temps réel de la paroi artérielle et de la lumière circulante. Elle permet de dépister plaques et sténoses athéroscléreuses, d’en définir certaines caractéristiques morphologiques (échogénicité, ulcération). Le Doppler pulsé permet d’analyser une fenêtre limitée dont le volume et la profondeur sont définies par l’examinateur. L’utilisation d’un codage couleur du flux circulant permet de coupler l’image échographique de la paroi à l’information dynamique sur le flux sanguin. Le Doppler énergie permet d’augmenter la fiabilité de l’estimation du degré de sténose, particulièrement pour différencier sténose pseudo-occlusive et occlusion carotidienne. Le degré d’une sténose carotidienne en échographie se mesure
Figure 3. De gauche à droite, ARM, angioscanner et artériographie d’une sténose de la bifurcation carotide gauche, de 60 % NASCET. Bonne corrélation du degré de sténose entre les trois modalités.
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morphologiquement selon la technique décrite dans les essais NASCET et/ou ECST (figures 1 et 2). Des critères vélocimétriques sont également utilisés et une vitesse maximale systolique 200 cm/s permet l’identification des sténoses carotidiennes 70 % avec une sensibilité de 90 % et une spécificité de 94 % [3]. Les limites de l’exploration écho Doppler sont les suivantes : - l’existence de calcifications peut conduire à sous-estimer le degré de sténose, - les bifurcations carotidiennes hautes sont difficiles à analyser, - la fiabilité de l’exploration est largement dépendante de l’expérience de l’opérateur.
Angiographie par résonance magnétique L’ARM est davantage une méthode de quantification que de détection des sténoses carotidiennes. L’objectif de l’ARM est de visualiser l’ensemble de l’arbre vasculaire de la crosse aortique jusqu’aux vaisseaux intracrâniens en utilisant un agent de contraste (chélates de gadolinium), une antenne permettant une couverture en 3 dimensions de la tête et du cou, une séquence volumique rapide, pour une durée d’examen n’excédant pas deux minutes. L’ARM montre une bonne concordance dans la mesure du degré de sténose avec l’artériographie (figure 3). La sensibilité de cette technique pour la détection des sténoses carotidiennes 70 % est de 94,6 % et la spécificité de 91,9 % [4]. Pour les sténoses modérément sévères (entre 50 et 69 %), la sensibilité est de 65,9 % et la spécificité de 93,5 % [4] (figure 4). Par rapport à l’artériographie, l’ARM avec injection a tendance à surestimer le degré de sténose (figure 5), ce qui peut conduire à deux types d’erreurs : - considérer qu’une sténose est potentiellement chirurgicale alors que son degré réel est inférieur au seuil admis pour envisager l’intervention, - poser le diagnostic d’occlusion alors qu’il existe une sténose pseudo-occlusive avec des flux très lents en aval. Les contre-indications (pace-maker, claustrophobie, corps étranger métallique intraoculaire) peuvent limiter son utilisation. Plusieurs études montrent que la conjonction de l’ARM et du bilan ultrasonographique permettrait de poser le diagnostic de sténose AMC pratique n°213 décembre 2012
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70 % NASCET ou ECST dans 90 % des cas environ, entraînant la quasi-disparition du recours à l’artériographie [5].
Angioscanner cervical L’angioscanner cervical est une technique semi invasive de quantification des sténoses qui nécessite l’injection d’une quantité d’iode très inférieure à celle requise pour une artériographie des 4 axes. Il permet une visualisation de la bifurcation carotidienne et une mesure de la sténose concordante avec l’angiographie intra artérielle dans plus de 90 % des cas. Le diagnostic de sténose pseudo-occlusive apparaît particulièrement fiable avec cette technique. Les limites de l’angioscanner sont les suivantes : - la concordance avec l’artériographie est maximale pour les sténoses les plus sévères, mais apparaît moindre pour les sténoses modérées, - la présence de calcifications peut fausser l’appréciation du degré de sténose, - les performances de l’exploration varient suivant les techniques de reconstruction utilisées, qui sont très variables selon les centres, - les contre-indications liées à l’injection d’iode (allergie, insuffisance rénale, diabète…) peuvent limiter son utilisation.
Implications comparatives • Les artères cervicales à destinée intracrânienne peuvent être imagées par écho Doppler, ARM avec injection, angioscanner et artériographie conventionnelle. Les techniques non invasives ont une concordance avec l’angiographie par cathéter de près de 90 % (Level A) [5]. • L’écho Doppler est une technique très performante pour l’évaluation de la bifurcation carotidienne, mais présente des limites pour l’évaluation de la portion proximale et distale (Level A). L’utilisation de l’écho Doppler seul peut entraîner une mesure erronée du degré de sténose carotidienne, ce qui peut avoir des implications en terme de traitement médical et chirurgical (Level A). • L’utilisation de l’ARM avec injection en plus de l’écho Doppler permet de diminuer le pourcentage de patients ne bénéficiant pas du traitement approprié (Level B) [6, 7]. • L’ARM avec injection et l’angioscanner apparaissent plus sensibles et spécifiques que AMC pratique n°213 décembre 2012
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Figure 4. Exemples d’aspect en ARM des troncs supra aortiques (TSA) de sténoses du bulbe carotide gauche selon NASCET.
Figure 5. Exemple de surestimation en ARM des TSA d’une sténose de la bifurcation carotide, estimée à plus de 70 % NASCET, par comparaison à l’angioscanner et à l’artériographie d’une sténose en réalité de 50 % NASCET.
l’écho Doppler seul (Level A) pour réaliser l’évaluation des artères cervicales à destinée intracrânienne. L’ARM avec injection semble supérieure à l’angioscanner [5, 8]. • L’artériographie par cathéter est la technique de référence pour l’évaluation des artères cervicales à destinée intracrânienne, particulièrement en cas de discordance des techniques non invasives et qu’un traitement chirurgical est envisagé. En raison de la morbidité non nulle de cet examen, supérieure à celle des techniques non invasives, l’artériographie par cathéter est un examen de troisième intention.
Recommandations actuelles
[9]
L’indication d’un traitement chirurgical d’une pathologie sténosante ne peut être réalisée par écho Doppler seul (Class III, Level A). 11
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Pour l’évaluation du degré de sténose, deux techniques non invasives (à choisir parmi écho Doppler, ARM avec injection et angioscanner) peuvent être utilisées en association. Ceci permet de minimiser la moins bonne performance de ces examens isolément pour établir le réel degré de sténose. Cette attitude augmente toutefois le risque d’un traitement inapproprié (Class IIa, Level B). Une sténose très serrée est mieux détectée par angiographie par cathéter. Les performances de l’angioscanner sont très proches. Ce dernier peut être recommandé en première intention (Class IIa, Level: B).
Perspectives
[10, 11]
Grâce aux récents progrès techniques, l’IRM haute résolution (IRM-HR) permet de visualiser la paroi des artères cervicales et en particulier l’athérosclérose carotidienne. L’IRM-HR distingue les principaux composants de la plaque d’athérosclérose : cœur nécrotico-lipiRéférences [1] Ferguson GG, Eliasziw M, Barr HW, et al. The North American symptomatic carotid endarterectomy trial: surgical results in 1415 patients. Stroke 1999;30:1751-8. [2] Rothwell PM, Gutnikov SA, Warlow CP, for the European carotid surgery trialist’s collaboration. Randomised trial of endarterectomy for recently symptomatic carotid stenosis: final results of the MRC European carotid surgery trial (ECST). Stroke 2003;34:514-23. [3] Jahromi AS, Cinà CS, Liu Y, et al. Sensitivity and specificity of color duplex ultrasound measurement in the estimation of internal carotid artery stenosis: a systematic review and metaanalysis. J Vasc Surg 2005;41:962-72. [4] Debrey SM, Yu H, Lynch JK, et al. Diagnostic accuracy of magnetic resonance angiography for internal carotid artery disease: a systematic review and meta-analysis. Stroke 2008;39:2237-48. [5] Wardlaw JM, Chappell FM, Best JJ, et al. Non-invasive imaging compared with intra-arterial angiography in the diagnosis of symptomatic carotid stenosis: A meta-analysis. Lancet 2006;367:1503-12.
dique, hémorragie intraplaque, calcifications et chape fibreuse. Le développement de nouveaux agents de contraste se fixant sur les récepteurs membranaires ou sur des protéines devrait permettre d’augmenter la spécificité des images. Le volume global de la plaque et de ses principaux composants peut être calculé. L’analyse de la structure de la plaque d’athérosclérose participe, avec la mesure du degré de sténose, à l’évaluation du risque d’événement cérébrovasculaire. Les études pronostiques longitudinales en cours, telle l’étude HIRISC conduite en France, sont essentielles pour aider le patient et le clinicien à comprendre les implications cliniques de ces nouvelles données d’imagerie. Au-delà de la lumière artérielle, l’étude directe de la paroi devrait dans les années à venir modifier la prise en charge de l’athérosclérose. Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. [6] Johnston DC, Goldstein LB. Clinical carotid endarterectomy decision making: Noninvasive vascular imaging versus angiography. Neurology 2001;56:1009-15. [7] Johnston DC, Eastwood JD, Nguyen T, et al. Contrast-enhanced magnetic resonance angiography of carotid arteries: Utility in routine clinical practice. Stroke 2002;33:2834-8. [8] Chappell FM, Wardlaw JM, Young GR, et al. Carotid artery stenosis: Accuracy of noninvasive tests--individual patient data meta-analysis. Radiology 2009;251:493-502. [9] Latchaw RE, Alberts MJ, Lev MH, et al.; American heart association council on cardiovascular radiology and intervention, stroke council, and the Interdisciplinary council on peripheral vascular disease. Recommendations for imaging of acute ischemic stroke: a scientific statement from the American heart association. Stroke 2009;40:3646-78. [10] Oppenheim C, Naggara O, Touzé E, et al. High-resolution MR imaging of the cervical arterial wall: what the radiologist needs to know. Radiographics 2009;29:1413-31. [11] Turc G, Oppenheim C, Naggara O, et al. HIRISC study investigators. Relationships between recent intraplaque hemorrhage and stroke risk factors in patients with carotid stenosis: the HIRISC study. Arterioscler Thromb Vasc Biol 2012;32:492-9.
En pratique Le degré de sténose est au mieux évalué par deux techniques non invasives (écho Doppler, ARM avec injection et angioscanner), qui peuvent être utilisées en association.
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