La Revue Sage-femme 2007 ; 6 : 239-246.
Mémoire Le jeûne hydrique du per-partum. Vers de nouvelles pratiques ? E. Fremiot Sage-Femme. RÉSUMÉ Longtemps, l’alimentation des parturientes n’a pas posé question aux équipes soignantes. Le jeûne strict était de mise, considéré comme indispensable pour éviter les complications dues à une éventuelle anesthésie générale pendant le travail. Aujourd’hui, les avis divergent à ce sujet et les inconvénients du jeûne sont mis en avant : inconfort maternel, hypoglycémie maternelle et néonatale, augmentation des extractions instrumentales… Les réflexions se multiplient et portent principalement sur la prise de boissons en per-partum. Il semble en effet que l’alimentation solide présente un risque accru de complications et soit rarement demandée par les parturientes. Recueillir l’avis de celles-ci est par ailleurs le but de l’étude menée durant ce mémoire. Qu’attendent-elles réellement d’une prise de boissons ? Que pourrait leur apporter une hydratation per-os ? Il ressort clairement que les parturientes se plaignent de la soif en salle de naissances et les bénéfices d’une prise de boissons sont multiples : amélioration de leur confort, apaisement de la soif mais aussi de l’anxiété… Le jeûne strict pourrait aujourd’hui raisonnablement disparaître de nos maternités françaises si la résistance aux changements des équipes, mise en lumière lors de ce travail, n’était pas si importante… Mots-clés : Jeûne • Parturiente • Mendelson. SUMMARY: Per partum fluid intake: towards new practices? The longstanding response to the question of oral intake by the parturient has been simple since strict fasting was considered indispensable to avoid complications should general anesthesia be required during labor. Today however, opinions differ, certain authors noting the inconvenient effects of fasting: maternal discomfort, maternal and neonatal hypoglycemia, increased rate of instrumental extraction. The issue has been widely debated and have basically concerned per partum fluid intake. It appears that oral intake of solid foods, which is rarely requested by parturients, increases the risk of complications. The question of what these women actually request was the object of this study. What is the demand for fluid intake? What is the expected benefit? Our observations note that parturients complain regularly of thirst in the delivery room. There are many benefits of fluid intake: improved patient comfort, calming the thirst but also the anxiety. Current practices in French maternity wards, with a trend towards allowing some oral fluid intake, might evolve if resistance to change, as observed in the present work, were not so powerful. Key words: Fast • Parturient • Mendelson.
Depuis les années 1940, le jeûne absolu des parturientes s’est développé dans les salles de naissances du monde entier. Il est devenu rapidement une précaution incontournable destinée à éviter l’inhalation bronchique des patientes lors d’une anesthésie générale. Aujourd’hui, dans de nombreux pays européens, ainsi qu’aux États-Unis, les pratiques évoluent et le jeûne n’est plus imposé à toutes les parturientes. Pourquoi en France devrions-nous encore leur refuser une prise de boissons, si fréquemment demandée ? Le but de ce travail n’est pas d’analyser « médicalement » les risques ou les bénéfices encourus mais de sonder l’avis des patientes : qu’attendentelles réellement d’une prise de boissons pendant leur travail ? Que pourrait leur apporter une ali-
mentation hydrique ? Est-il possible en pratique de permettre la prise de boissons ? Après avoir rapporté quelques données bibliographiques sur ce thème, nous présenterons l’étude réalisée accompagnée de ses résultats et suivie de la discussion. DONNÉES BIBLIOGRAPHIQUES Les éléments en faveur du jeûne du per-partum
Les travaux du Docteur Mendelson Le jeûne total pendant le travail est instauré en 1946 par le docteur Mendelson. Cet obstétricien publie
Correspondance : Association Hospitalière du Bassin de Longwy, 4 rue Alfred Labbé, 54350 Mont-Saint-Martin. E-mail :
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dans l’American Journal of Obstetrics and Gynaecology son article de référence intitulé « The aspiration of stomach contents into the lungs during obstetric anaesthesia ». D’après ses conclusions, l’augmentation du taux de morbidité et de mortalité des femmes lors des anesthésies générales ne serait pas la conséquence d’infections nosocomiales, mais proviendrait d’une inhalation du contenu gastrique [1, 2, 3]. Le syndrome de Mendelson Aujourd’hui, le mécanisme et la physiopathologie de l’inhalation intra-bronchique sont bien connus. Lors de l’induction d’une anesthésie générale, les réflexes laryngo-pharyngés protecteurs sont abolis, ce qui expose les voies aériennes. En cas de vomissements ou régurgitations, le contenu gastrique peut ainsi se retrouver dans les bronches, puis dans les poumons. Ce liquide, très acide, va entraîner une pneumopathie chimique à type de brûlures, puis de réaction inflammatoire suivie de nécrose des cellules alvéolaires. Cet accident se nomme « syndrome de Mendelson », il peut conduire au décès de la patiente en réalisant un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SDRA) [4-7]. Pour pallier à ce syndrome, le Docteur Mendelson émet cinq recommandations dont trois importantes : le jeûne absolu des parturientes, l’usage de l’anesthésie locale qui doit être privilégiée à l’anesthésie générale et la présence d’un anesthésiste qualifié. Cette politique devient rapidement référence en la matière et se diffuse dans tous les hôpitaux des ÉtatsUnis et d’Europe [2, 8]. Les modifications gastro-intestinales chez la gestante et la parturiente La parturiente représente un terrain particulièrement à risque d’inhalation de par les modifications gastrointestinales qui ont lieu durant une grossesse. Dès le premier trimestre de la gestation, le tonus du sphincter inférieur de l’œsophage diminue et l’estomac s’horizontalise, ce qui entraîne un reflux gastroœsophagien (que connaîtraient 80 % des gestantes). À cela s’ajoute une augmentation du volume et de l’acidité du contenu gastrique. À l’approche du terme, il se produit une augmentation de la pression intra-gastrique, expliquée par le développement intra-abdominal de l’utérus gravide. Enfin, lors du travail, la vidange gastrique ralentit, sous l’effet des contractions utérines, de la douleur,
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du stress et des morphiniques parfois administrés [4, 5, 9-11]. En raison de toutes ces modifications, la gestante est considérée, dès 15 semaines d’aménorrhée (SA) et jusqu’à 48 heures après l’accouchement, comme « estomac plein », selon la formule des équipes anesthésiques. Cela signifie que le risque d’inhalation est toujours possible, et qu’il doit faire l’objet d’une prévention adaptée, même lorsque la patiente est à jeun [7, 9, 10]. Ce risque peut cependant être nuancé par plusieurs facteurs. Les éléments en défaveur du jeûne du per-partum
L’évolution des pratiques anesthésiques Le développement de l’analgésie péridurale en obstétrique est le premier facteur permettant de relativiser le risque de survenue du syndrome de Mendelson. Depuis le début de son utilisation en obstétrique dans les années 1980, sa place en salle de naissances ne cesse de croître. Selon les enquêtes nationales périnatales, les parturientes françaises étaient 58 % à bénéficier d’une péridurale en 1998 ; en 2003, elles étaient 62,6 %. Les anesthésies générales, quant à elles, se raréfient et passent de 2,6 % en 1998 à 1,7 % en 2003 [13]. Et lorsque la patiente est « sous péridurale », avec un cathéter fonctionnel en place, il devient en théorie possible d’effectuer la plupart des actes nécessaires, sans avoir recours à une anesthésie générale. La réalisation d’une extraction instrumentale (forceps, ventouse), d’une extraction chirurgicale (césarienne), autant que celle d’une délivrance artificielle ou d’une révision utérine peut avoir lieu avec une anesthésie péridurale uniquement, dans la grande majorité des cas [4, 12]. Cela signifie que les parturientes bénéficiant de cette analgésie loco-régionale ne subiront pas d’anesthésie générale au cours de leur travail ou après, même si l’accouchement devient dystocique. Le risque d’inhalation bronchique est alors nettement diminué, puisqu’il se produit en cas d’anesthésie générale [14]. Une autre technique d’analgésie loco-régionale est à disposition en obstétrique, il s’agit de la rachianesthésie. Celle-ci peut être utilisée comme alternative intéressante à l’anesthésie générale dans le cas d’urgence relative, c’est-à-dire lorsque le délai d’action peut être supérieur à 10 minutes. Ce sont bien évidemment l’état
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de la mère et celui du fœtus qui autorisent ce délai suffisant ; en cas de complications vitales maternelles ou d’hypoxie fœtale sévère, la réalisation d’une anesthésie générale sera alors privilégiée, puisqu’elle permet d’agir plus rapidement [4, 6]. La rachi-anesthésie est également utilisée pour la réalisation de césariennes « programmées », en dehors de tout contexte d’urgence. La pratique d’une anesthésie locorégionale représente l’attitude préventive de choix, chaque fois qu’elle est possible. Il s’agit de la prévention primaire du syndrome de Mendelson puisqu’elle évite sa survenue, en limitant le recours à l’anesthésie générale [4, 6]. Dans les cas où la réalisation de cette dernière s’avère toutefois nécessaire, des mesures sont prises par l’équipe anesthésique pour éviter l’inhalation ou du moins en diminuer les conséquences. L’intubation oro-trachéale est systématiquement réalisée chez la parturiente, ainsi que la manœuvre de Sellick. Celle-ci consiste en une pression exercée sur le cartilage cricoïde par un membre de l’équipe pendant la réalisation de l’intubation, et a pour but de comprimer l’œsophage afin de le rendre imperméable en cas de reflux. Bien appliquées, ces mesures doivent permettre d’éviter au maximum les inhalations bronchiques en cas d’anesthésie générale. Cependant, le risque est toujours présent et reste redouté par les équipes anesthésiques [4, 6, 9, 10]. La prévention secondaire de la pneumopathie d’inhalation est représentée par les mesures visant à élever le pH gastrique. Il existe en effet un lien entre la sévérité de la pneumopathie et l’acidité du liquide gastrique inhalé. L’administration d’antiacides locaux permet de tamponner le contenu de l’estomac et d’en augmenter le pH ; actuellement les molécules les plus employées sont les Anti-H2 (cimétidine et ranitidine). Les formes galéniques effervescentes de ces médicaments les associent à du citrate de sodium et permettent une action immédiate et prolongée [4, 6, 7]. En amont de cette prévention anesthésique en existe une autre, qui intéresse cette fois le domaine obstétrical. L’impact des progrès obstétricaux Les progrès obstétricaux permettent d’apprécier avec plus de précision et de justesse le risque potentiel que présente une parturiente de subir une anesthésie générale. Pour cette raison, ils font partie intégrante de la prévention de l’inhalation bronchique.
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En premier lieu, l’examen échographique réalisé autour de 32 semaines d’aménorrhée représente un élément utile pour évaluer la conduite pratique de l’accouchement. La biométrie fœtale permet d’estimer un risque ou non de macrosomie, risque lui-même corrélé à un taux plus important de césarienne. La présentation fœtale prend également de l’importance en fin de grossesse, une présentation dystocique faisant discuter l’éventualité d’une extraction chirurgicale. La réalisation de radiopelvimétrie, remplacée progressivement par le « pelvi-scanner », permet de vérifier la perméabilité du bassin maternel, et d’établir un pronostic avant la mise en route du travail. Dans le cas d’une disproportion fœto-maternelle, une extraction par césarienne peut être « programmée » [4]. Ainsi, même si on ne peut prévoir avec certitude le déroulement d’un accouchement et de ses suites immédiates, ces exemples de pratiques obstétricales actuelles permettent de détecter certaines femmes « à risque » de complications. Dès lors, l’équipe obstétricale peut discuter de la prise en charge de ces patientes et éviter la survenue de certaines situations d’urgence présentant un risque accru d’inhalation bronchique. Après avoir apporté ces premiers éléments de réflexion, il est intéressant de découvrir les recommandations émises par certains organismes, au sujet du jeûne du per-partum. Les recommandations des sociétés savantes L’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S) a publié en 1997 un guide pratique concernant les soins liés à un accouchement normal. Dans cet ouvrage, sans nier l’existence et la gravité du syndrome de Mendelson, l’organisme insiste sur la distinction à faire entre les patientes présentant un « bas risque » et celles présentant un « haut risque » face à la survenue du syndrome. Les conclusions émises sont claires : « l’approche correcte semble consister à ne pas aller à l’encontre du souhait de la femme de manger ou de boire pendant le travail et l’accouchement » [2, 15]. Plus récemment, dans un ouvrage de 2003 intitulé « Soins liés à la grossesse, à l’accouchement et à la période néonatale : Guide de pratiques essentielles », l’organisme préconise « d’encourager la patiente à manger et à boire à sa convenance tout au long du travail » [16].
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Même si les ouvrages de l’O.M.S s’adressent en priorité aux pays du tiers-monde, ils gardent tout leur intérêt puisqu’ils sont édictés dans le but de prendre en charge de façon optimale les patientes présentant une grossesse et un travail physiologiques. D’autres recommandations sont publiées par l’American Society of Anesthesiologists (A.S.A.) en 1999 [17]. Les auteurs estiment que la littérature est insuffisante pour établir une relation entre durée d’abstinence de liquides clairs et risque de vomissement, de régurgitation ou d’inhalation. Dès lors, ils autorisent lors du travail non compliqué la prise de petites quantités de boissons claires, c’est-à-dire neutres et sans particule. Après ces données théoriques, il faut à présent se pencher sur les nombreuses études menées sur le thème du jeûne pendant le travail obstétrical. Ces enquêtes sont principalement anglaises et américaines, elles sont régulièrement publiées. Elles indiquent que le débat autour de l’alimentation des parturientes n’est pas encore clos dans ces pays, malgré une évolution des pratiques tendant à autoriser la prise de boissons. Seules les études ayant un intérêt pour notre travail et dont la méthodologie a été validée sont citées ici. Les études menées sur le thème du jeûne pendant le travail
Influence de la prise de boissons sur les vomissements En 2002, l’équipe du Dr. Scrutton a publié une étude dans le périodique anglais Anesthesia Analgesia [18]. Dans cette enquête, des petits groupes de 30 parturientes ont été invités à boire une solution isotonique contenant 64 g d’hydrates de carbone par litre, en quantité conséquente de 500 ml durant la première heure puis 500 ml par tranche de 3 à 4 heures. Les patientes étaient alors en début de travail, avant 5 cm de dilatation. Le but de cette étude était d’évaluer le risque d’inhalation lié à cette prise de boisson. Dans ses conclusions, l’équipe n’a pas retrouvé d’augmentation des vomissements dans la population étudiée, en comparaison avec une population laissée à jeun. Il indique ainsi que le sur-risque potentiel de syndrome d’inhalation ne se retrouve pas lorsque l’on permet aux parturientes de boire. Il note également
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un avantage métabolique important qui est la prévention de la cétose de jeûne [5, 18]. Influence d’un apport calorique sur les extractions instrumentales En 1999, une étude réalisée par le chercheur Scheepers et le professeur Essed aux Pays-Bas tentait de mettre en relation les apports caloriques des patientes en travail et les taux d’extractions instrumentales [19]. Deux groupes de parturientes ont été mis en place, le premier est resté à jeun alors que le second a pu boire une boisson calorique. Au terme de cette enquête, menée sur 211 patientes, le taux d’extractions instrumentales pour non progression de la présentation au détroit moyen était de 24 % chez les patientes du premier groupe, contre 12,5 % chez celles du second groupe. Ce résultat, significatif, a fait conclure à cette équipe qu’il pourrait exister une relation entre le manque d’apports caloriques et une augmentation du taux d’extractions instrumentales au détroit moyen [2, 19]. Influence du jeûne sur le stress maternel Quelque peu à l’écart de toutes ces études « techniques » et « scientifiques », une femme s’est intéressée à la patiente en elle-même. Mme Penny Simkin a publié dans Birth, en 1986, un article intitulé « Stress, pain and catecholamines in labor » [20]. Elle y a montré que le jeûne imposé aux femmes durant leur accouchement influençait fortement leur vécu. En effet, pour la majorité des femmes entendues, « l’expérience la plus désagréable avait été de se voir refuser toute alimentation ». 57 % des patientes ont déclaré avoir été « modérément à très stressées » du fait de ne pas pouvoir boire [2, 20]. La quantité importante d’études menées actuellement dans de nombreux pays indique que le mode d’alimentation des femmes en travail reste un sujet préoccupant pour les spécialistes de la naissance. Nous pouvons constater cependant que ces travaux ne s’intéressent que très peu au vécu des parturientes, à leur bien-être et à leurs attentes ; ils se focalisent sur les données purement obstétricales. C’est la raison pour laquelle l’enquête que nous avons réalisée s’attache à mettre en lumière les souhaits des patientes, leurs ressentis et leurs préoccupations concernant le jeûne hydrique appliqué pendant l’accouchement.
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Mémoire • Le jeûne hydrique du per-partum. Vers de nouvelles pratiques ?
ÉTUDE RÉALISÉE ET DISCUSSION L’étude : le point de vue des patientes
L’étude réalisée est quantitative ; elle s’est greffée autour du projet d’une maternité messine de permettre la prise de boissons aux parturientes. En collaboration avec un médecin anesthésiste-réanimateur de cet établissement, nous avons proposé un protocole détaillant les possibilités et les limites d’une hydratation per-os pour les parturientes (Annexe I). L’étude s’est décomposée en deux temps. 1er temps de l’enquête : la demande des parturientes Le premier temps de l’enquête s’est déroulé avant l’application du protocole, lorsque les parturientes respectaient encore un jeûne strict. L’objectif consistait à déterminer les attentes réelles des patientes en matière de prise de boissons pendant le travail. Leurs avis ont été recueillis à l’aide de questionnaires distribués en suite de couches. Sur un échantillon de 84 femmes, les résultats obtenus sont flagrants : 88 % ont eu soif, dont 50 % de façon importante. 82 % auraient aimé boire. Les moyens proposés par l’équipe soignante pour apaiser la soif sont en premier lieu le brumisateur (69 % des patientes), suivi des compresses imbibées d’eau. Il est intéressant de soulever que rien n’a été proposé à 18 % des patientes. Quelques commentaires de ces patientes illustrent parfaitement l’inconfort qu’a entraîné chez elles l’impossibilité de s’hydrater en per-partum : « En salle de naissances j’ai eu très chaud, à cause du travail et de la chaleur qui régnait dans la pièce, en plus j’étais très angoissée. Un peu d’eau aurait été la bienvenue. » « La sensation de soif et de bouche sèche sont très difficiles à supporter. » « Il faudrait trouver un moyen de soulager la soif car elle rend l’accouchement plus désagréable. » 2e temps de l’enquête : la satisfaction des parturientes Le second temps de l’enquête s’est déroulé après l’application du protocole ; son objectif était d’évaluer la satisfaction des parturientes ayant pu boire, ainsi que les conséquences de cette prise de boissons sur leur bien-être. Sur les 68 femmes interrogées, 37 ont pu boire en salle de naissances, ce qui représente 54 % d’entre elles.
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Quelques caractéristiques de la prise de boissons : toutes les patientes ont bu de l’eau, la grande majorité d’entre elles ont bu un ou deux verres. Les apports de l’hydratation per-os sur les parturientes (par ordre de fréquence de réponses) : — l’apaisement de la sensation de bouche sèche (34 sur 37 patientes), — l’amélioration du confort, — la diminution de la soif, — la diminution de la fatigue, — l’apaisement de l’anxiété. À noter, il n’y a pas eu plus de nausées ou vomissements chez les parturientes ayant bu que chez celles laissées à jeun. Ces résultats exposés, une question fondamentale se pose : malgré la forte demande des femmes, pourquoi si peu d’entre elles ont pu profiter d’une hydratation per-os durant leur travail ? D’après l’enquête réalisée, la majorité des patientes laissées à jeun n’ont pas bu parce qu’elles ignoraient cette possibilité et que l’équipe soignante ne les a pas informées. Sept patientes sur 31 se sont heurtées à un refus de l’équipe, malgré le protocole en place. Discussion : peut-on changer nos pratiques ?
L’intérêt d’autoriser une prise de boissons aux parturientes En premier lieu, la forte demande des femmes démontre un intérêt certain d’autoriser une hydratation en per-partum. Parmi les éléments à souligner, la diminution de l’anxiété ou de la fatigue suite à une prise de boissons est intéressante. Cela nous sensibilise à un autre aspect de l’alimentation et de l’oralité, qui n’a pas seulement pour but de nous nourrir ou de nous hydrater, mais peut remplir d’autres fonctions comme le réconfort, la réassurance… En effet l’environnement des salles de naissances peut être source de stress chez les patientes et il est bien connu que pour certaines personnes, s’alimenter produit un effet apaisant. À l’inverse, la restriction d’alimentation peut déstabiliser ou angoisser, d’autant plus qu’elle est de vigueur en général chez une personne malade ou devant subir une opération chirurgicale. Les sentiments de pathologie et donc de danger peuvent ainsi être perçus chez la parturiente laissée à jeun.
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De plus, les moyens proposés aux parturientes pour apaiser la soif ne sont que très peu efficaces. D’après l’enquête réalisée, la grande majorité des patientes ayant utilisé le brumisateur auraient tout de même souhaité boire. Le point de vue des professionnels Malgré les avis favorables des sages-femmes rencontrées au cours de notre travail sur ce projet de permettre une hydratation per-os aux parturientes, force est de constater qu’en pratique, il n’a pas toujours été aisé pour elles de laisser boire les femmes. Plusieurs patientes se sont effectivement vues opposer un refus de l’équipe lorsqu’elles ont réclamé à boire. Nous allons ici tenter de donner quelques explications à ces réactions de l’équipe. En premier lieu, nous pourrions expliquer le refus des soignants de laisser boire certaines patientes par ce qui est écrit dans le protocole en lui-même. En effet, il est précisé que l’apport de liquides clairs est possible pour des patientes ayant une péridurale fonctionnelle, en l’absence de pathologie de type diabète, obésité ou à risque d’intubation difficile et enfin avec un enregistrement cardio-tocographique physiologique. Si les sages-femmes ont refusé la prise de boissons à certaines patientes, ce peut être sur les critères précédemment cités. Nous pouvons nous interroger : ont-elles suivi de façon très stricte le protocole ou était-ce celui-ci qui était trop restrictif ? Cependant, au-delà de ces faits, il semble que d’autres facteurs rentrent en jeu lors de l’instigation d’un tel changement. Il apparaît évident qu’il soit difficile de changer une pratique existant depuis longtemps. Dans notre cas et comme nous l’expliquions au cours de la première partie, le jeûne est une pratique très ancienne et très répandue. Ainsi, même si les sages-femmes se disent prêtes à l’abolir dans leurs discours, dans les faits, cela n’est pas si simple. Gérard-Dominique Carton décrit dans son ouvrage « Éloge du changement », tout ce qu’engendre un changement pour une personne et pour une équipe [21]. Il écrit : « le changement est déstabilisant. […] Confrontés au changement nous sommes toujours déstabilisés de prime abord, car il remet en cause nos points de repère. » Pour accepter et intégrer un changement, il faut traverser plusieurs étapes, dont celle de la résistance. Cette étape est quasi-constante et peut se retrouver
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même chez des personnes se disant favorables au changement instigué. Le changement est donc difficile à accepter et à intégrer, principalement lorsqu’il doit avoir lieu au sein d’une équipe. Nous allons aborder à présent quelques moyens qui pourraient permettre de faciliter son acceptation par le plus grand nombre. M. Carton préconise de faire participer au maximum les personnes concernées à une réflexion et même à l’élaboration de ce type de travail. D’après lui, « les démarches participatives sont souvent jugées plus productives que les démarches directives ». Nous aurions pu imaginer des réunions d’information traitant du thème du jeûne, afin de permettre au personnel de donner son avis et de participer au projet dès le départ. Certes, il n’est pas toujours aisé d’organiser ce type de réunions en milieu hospitalier et d’obtenir la présence d’un grand nombre de personnel mais cela aurait eu toutefois de nombreux avantages. Le personnel aurait été mieux informé du projet, se serait senti davantage impliqué, et aurait pu à ce moment-là échanger sur d’éventuelles inquiétudes liées à l’autorisation d’une prise de boissons en per-partum. Cela aurait peut-être permis à certaines sages-femmes de ne pas vivre ce changement comme « imposé ». Et c’est cela même qu’il convient d’éviter absolument car comme l’écrit M. Carton : « depuis la nuit des temps, l’homme a tendance à s’opposer à ce qui lui apparaît comme imposé ». Revenons à présent sur les résultats de l’enquête menée. De nombreuses patientes n’ont pas bu durant leur travail car cela ne leur a pas été proposé et qu’elles ignoraient cette possibilité. Au-delà d’un processus de résistance au changement, nous pouvons comprendre que toutes les sages-femmes n’aient pas pensé à proposer la prise de boissons à chaque parturiente (surcharge de travail, simple oubli du protocole tout récent…). Si les patientes elles-mêmes avaient été informées de la possibilité de boire, elles en auraient formulé la demande et pour la plupart obtenu gain de cause. L’information des patientes Les récents textes législatifs, dont la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi Kouchner), indiquent l’obligation de délivrer une information claire et précise à propos de tout élément médical concernant les patients. Cela nous parait évident lorsqu’il s’agit d’informer un patient malade des traitements dont il pourra disposer ;
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mais ça l’est peut-être moins dans le domaine obstétrical. En effet, la grossesse n’est pas une maladie, et les gestantes et parturientes ne courent pas, jusqu’à preuve du contraire, de danger pour leur santé ou celle de leur fœtus. Et pourtant, nous allons, en tant que « professionnels de la naissance », intervenir auprès de ces femmes de multiples façons, surtout en salle de naissances, et la plupart du temps sans expliquer clairement le pourquoi du comment. Combien de femmes savent que leur accouchement a été dirigé par une amniotomie et une perfusion d’ocytociques ? Et y’a-t-il par ailleurs un intérêt à ce qu’elles le sachent ? Nous abordons alors un des aspects les plus délicats de l’information à délivrer en période périnatale. Que doit-elle contenir ? Au-delà de l’information donnée à titre préventive à toute gestante, concernant par exemple les précautions alimentaires à suivre, les méfaits du tabac, alcool ou autres addictions, que doit-on expliquer ? La Haute Autorité de Santé a émis en avril 2005 des recommandations relatives à l’information des femmes enceintes [22]. D’après ce rapport, « l’information a pour objectifs de favoriser la participation active de la femme enceinte et de lui permettre de prendre, avec le professionnel de santé, les décisions concernant sa santé ». Nous avons ainsi à informer sur les examens nécessaires au suivi de la grossesse, en précisant les risques, les limites et les procédures de réalisation de ces examens. D’après les résultats de notre étude, plus les patientes sont informées de la possibilité de boire, plus elles peuvent en profiter si elles le désirent. Devant la mise en place récente d’un changement de pratiques, les femmes représentent en effet « l’impulsion » qui permet aux professionnels de ne pas oublier les nouvelles pratiques en vigueur. Il semble intéressant de ne pas se limiter à annoncer uniquement aux gestantes la possibilité de boire en salle de naissances. Le plus pertinent est de pouvoir les informer, durant la grossesse, sur la nécessité d’être à jeun dans certains cas, et sur les possibilités de boire dans d’autres cas. Il sera utile pour elles de savoir que lorsqu’elles commenceront à avoir des contractions régulières chez elle, elles pourront si elles le souhaitent continuer à s’hydrater, de préférence avec de l’eau ou d’autres liquides clairs. Ce type d’information peut facilement être diffusé lors des séances de préparation à la naissance ou lors de consultations de suivi de grossesse (9e mois).
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EN CONCLUSION…
Permettre l’apport de boissons aux parturientes n’est pas un projet inutile ou dérisoire, il répond à une forte demande et favorise un meilleur vécu de l’accouchement, en augmentant par exemple le confort des patientes. Même si la mise en place d’un tel changement n’est pas chose facile pour le personnel soignant, des réflexions similaires à celles menées dans ce travail se développent de plus en plus. Cette démarche s’inscrit dans une volonté des parents et de certains professionnels de s’éloigner quelque peu de la vague d’« hypermédicalisation », qui a submergé le domaine de l’obstétrique ces dernières années, pour se rapprocher de l’acte physiologique qu’est la naissance d’un nouvel être humain. Permettre aux parturientes de boire fait partie intégrante de cette démarche. Pour le moment, en France, nous restons prudents : la prise de boissons en per-partum, quand elle est possible, reste limitée aux patientes bénéficiant d’une analgésie péridurale et ne présentant aucun facteur de risque de complications médicales ou anesthésiques… Peut-être dans quelques années pourrons-nous étendre ces possibilités d’hydratation à un plus grand nombre de parturientes, comme c’est déjà le cas au RoyaumeUni ou dans d’autres pays ? Remerciements Au Docteur S. Robaux pour son investissement et son aide dans la réalisation de ce travail. RÉFÉRENCES 1. Pengelley L, Gyte G. Eating and drinking in labour (I). The Practising Midwife 1998; 1: 34-7. 2. Robert C. Le jeûne du per-partum. Fondement, conséquences et débat. 53p. Mémoire pour le diplôme d’état de sagefemme : Strasbourg : 2002. 3. Mendelson CL. The aspiration of stomach contents into the lungs during obstetric anaesthesia. American Journal of Obstetrics and Gynaecology 1946; 52: 191-205. 4. Cabrol D, Pons JC, Goffinet F. Traité d’obstétrique. Médecines sciences, Flammarion, 2003. 5. Diemunsch P, Wenceslao H. Apports alimentaires per os durant le travail obstétrical : Congrès des Anesthésistes Réanimateurs en Obstétrique, mai 2005, 8p. 6. Torrielli R. Syndrome de Mendelson en obstétrique. Anesthésie Analgésie Réanimation Gynécologiques et obstétricales 1998 : 132-9. 7. Enseignement d’anesthésie réanimation. Intervention du Dr. ZEMMOUCHE, C.H.R Metz-Thionville. Janvier 2004. 8. CNM data group, 1996. Oral intake in labor. Trends in midwifery practrice. Journal of Nurse-Midwifery 1999; 44: 135-8. 9. Bayoumeu F. Jeûne, abstinence tabagique avant une intervention pour intervention programmée ou urgente en obstétrique :
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E. Fremiot
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Annexe I. Protocole de jeûne en obstétrique
OBJET : Ce protocole a pour but de décrire les modalités du jeûne chez la parturiente dans le péri-partum. PUBLIC CONCERNÉ : • Anesthésistes-réanimateurs • Gynécologues-obstétriciens • Pédiatres néonatologistes • Sage-femmes (Salle de naissances, grossesses pathologiques, maternité) OBJECTIFS : • Permettre un apport per-os de liquides clairs aux parturientes en cours de travail. • Augmenter le confort des parturientes en salle de naissance. • Favoriser la phase expulsive en limitant le risque d’hypoglycémie. • Améliorer le bien-être du nouveau-né. MODALITÉS : 1. Césarienne programmée : À jeun la veille au soir (8 heures avant l’intervention) 2. Déclenchement : ⇒ Patiente désirant une péridurale + bilan pré-péridurale normal + péridurale à priori sans difficulté : La parturiente mange normalement jusqu’à l’admission en salle de naissances. ⇒ Contre-indication à la pose de péridurale ou péridurale potentiellement difficile (obésité, scoliose, tiges de Harrington, etc…) : À jeun H-6. 3. En cours de travail : ⇒ Péridurale posée et cathéter fonctionnel : Absence de pathologie type diabète, obésité et risque d’intubation difficile. RCF normal, éliminant un risque de césarienne ou d’extraction instrumentale immédiat. Apport de liquides clairs (eau, thé, café sans lait, tisane, jus de fruits sans pulpe, soda, sirop léger). La quantité de liquide étant limitée à 25 ml/h ou un verre/heure. ⇒ Absence de péridurale ou cathéter non fonctionnel : À jeun strict.
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