J Fr. Ophtalmol., 2008; 31, 4, 445-453
REVUE GÉNÉRALE
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Le pigment maculaire et sa mesure in vivo M.B. Rougier, M.N. Delyfer, J.F. Korobelnik
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Service d’Ophtalmologie du CHU de Bordeaux, Unité Rétine, Uvéites, Neuro-Ophtalmologie, Hôpital Pellegrin, Bordeaux. Correspondance : M.B. Rougier, Service d’Ophtalmologie, Hôpital Pellegrin, place Amélie Raba-Léon, 33076 Bordeaux Cedex. E-mail :
[email protected] Ce texte n’a fait l’objet d’aucune présentation orale, et n’a aucun lien financier. Reçu le 16 novembre 2007. Accepté le 30 janvier 2008. Measuring macular pigment in vivo M.B. Rougier, M.N. Delyfer, J.F. Korobelnik J. Fr. Ophtalmol., 2008; 31, 4: 445-453 Interest in macular pigment has been growing since it was first identified 200 years ago. Because of its antioxidant properties and putative protection against age-related macular degeneration (AMD), clinical, experimental, and epidemiologic studies have attempted to show a positive correlation between the high density of macular pigment and low risk for macular degeneration. Since the two main components of macular pigment, lutein and zeaxanthin, cannot be endogenously synthesized, oral supplementation may be an efficient means to increase macular pigment density. However, the ideal dosage for such supplementation remains to be determined, since absorption varies greatly from one subject to another. Hence, reliable quantitative measurement of macular pigment density is necessary before any beneficial effects of oral supplementation on AMD occurrence can be demonstrated; then at-risk subjects who would require such supplementation can be targeted. Several techniques can be used to measure macular pigment density noninvasively in vivo. Psychophysical methods are the most commonly used. They include heterochromatic flicker photometry and Raman spectroscopy. Heterochromatic flicker is the most widely used method and seems to be the easiest and least costly. However, because it requires very good cooperation from patients and a good grasp of the instructions, it is probably the least reliable and reproducible method. Raman spectroscopy, on the other hand, requires less cooperation on the part of the patient. Subjects are asked to overlap a blue disc and a red polka-dot pattern to ensure proper alignment of the eye. Since these instructions are simpler than those for heterochromatic flicker photometry, this technique is more reliable. Overall, the data obtained are more objective because they are based on the analysis of a signal emitted after an argon laser excitation of the macular pigment. Nevertheless, data are closely related to pupil diameter. Finally Raman spectroscopy requires expensive equipment. Physical methods are based on retinal excitation by an incident light and the analysis of the reflected signal obtained. These methods are mainly represented by autofluorescence measurement and fundus reflectance. These two techniques differ in the wavelength used in the incident light, because the reflected signal is itself related to the amount of incident light absorbed by retinal structures. Both techniques allow rapid and objective measurement of spatial distribution of macular pigment. The software of the modified Scanning Laser Ophthalmoscope (Heidelberg, Germany) further creates a density map image after digital subtraction of the log reflectance data obtained at two different wavelengths. Physical methods require little cooperation from patients and could be considered the most objective and high-performance technique available today. However, the instruments are still expensive and therefore cannot be widely used in clinical practice.
Key-words: Macular pigment, lutein, zeaxanthin, reflectance, heterochromic flicker photometry, Raman spectroscopy. Le pigment maculaire et sa mesure in vivo Le pigment maculaire suscite un intérêt grandissant depuis sa mise en évidence il y a 200 ans. Son rôle de protection vis-à-vis de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), grâce à ses propriétés anti-oxydantes, justifie que de nombreuses études tentent de mettre en évidence une corrélation entre une densité élevée de pigment au niveau de la macula et une diminution du risque de développer une dégénérescence maculaire. Les principaux composants du pigment maculaire, la lutéine et la zéaxanthine, ne pouvant être synthétisés de manière endogène, un des moyens d’augmenter la densité du pigment réside dans la supplémentation orale. Mais, il devient alors important de pouvoir mesurer in vivo facilement et de façon reproductible
INTRODUCTION L’intérêt des ophtalmologistes pour le pigment maculaire, sa fonction physiologique et son rôle dans la prévention de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) va croissant depuis cette décennie, comme en témoignent les nombreuses publications sur ce thème [1]. Le but de cet article est de faire un résumé de nos connaissances actuelles, et d’aborder les différentes voies de recherche qui se dessinent à l’horizon 2010. Il semble que le pigment maculaire ait été mis en évidence pour la première fois dans les années 1790 sur une pièce de dissection, et décrit comme un amincissement central avec tache jaune. Puis, avec la naissance de l’ophtalmoscope en 1851, il est baptisé pigment jaune maculaire. En 1945, Wald [2] montre que ce pigment a un pouvoir d’absorption maximal pour les longueurs d’onde comprises entre 430 à 490 nm avec pic à 465 nm, ce qui permet de reconnaître qu’il appartient à une sous-classe de caroténoïdes : le pigment xanthophylle. Dans les années 1980, Bone et al. [3] individualisent les constituants du pigment maculaire : la lutéine et la zéaxanthine, deux isomères de même formule chimique C40H56O2. La lutéine est structurellement reliée à l’α-carotène, alors que la zéaxanthine l’est au β-carotène. Cependant, ce ne sont pas des pro-vitamines A. Rappelons que les caroténoïdes sont largement répandus dans les plantes, et que ce sont eux qui leur
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la densité du pigment maculaire, afin de dépister les sujets ayant un taux de pigment bas, d’évaluer les effets d’une telle supplémentation, et de cibler les sujets qui pourraient en bénéficier. Cette mise au point tente de reprendre l’état de nos connaissances actuelles sur le pigment maculaire, et de passer en revue les différentes techniques de mesure chez l’homme.
Mots-clés : Pigment maculaire, lutéine, zéaxanthine, réflectance, photométrie flicker hétérochromatique, spectroscopie Raman.
donnent leur couleur orangée automnale quand la chlorophylle disparaît et, avec elle, la dominante verte. Chez l’homme, les cinq principaux caroténoïdes parmi la vingtaine présente dans le sérum sont le lycopène, l’α-carotène, le β-carotène, la lutéine et la zéaxanthine. Seules ces deux dernières, ainsi qu’en moindre proportion la méso-zéaxanthine, sont retrouvées dans la macula, sans qu’on puisse l’expliquer. Leur concentration dans la macula est 10 000 fois celle du sérum, ce qui sous-entend un transport actif. Plusieurs protéines sont vraisemblablement impliquées dans le transport actif [4, 5].
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LOCALISATION DE LA LUTÉINE ET DE LA ZÉAXANTHINE Depuis les travaux de Bone et al. [3], la mesure quantitative du pigment xanthophylle in vitro s’effectue par chromatographie liquide de haute performance (HPLC). Les concentrations de lutéine et de zéaxanthine sont maximales au centre de la fovea (où la zéaxanthine est plus abondante que la lutéine), et diminuent progressivement vers la périphérie (où la lutéine est plus abondante que la zéaxanthine). Il est admis qu’à 6 degrés d’excentricité, il n’y a plus de pigment maculaire. Au niveau cellulaire, la lutéine et la zéaxanthine sont surtout concentrées dans les axones des photorécepteurs, ou fibres de Henlé, (ainsi la zéaxanthine serait plutôt liée aux cônes, et la lutéine aux bâtonnets) où leur orientation est favorable à l’absorption lumineuse. On en retrouve également dans les segments externes des photoré-
cepteurs et dans l’épithélium pigmentaire, où le rôle serait plutôt celui d’un filtre.
PROPRIÉTÉS DU PIGMENT MACULAIRE Filtre optique Depuis sa découverte, il est admis que le pigment maculaire augmente les performances visuelles de la macula par deux moyens : en diminuant les aberrations chromatiques d’une part, et l’éblouissement d’autre part. En raison de son spectre d’absorption dont le pic est à 460 nm, le pigment maculaire filtre les petites longueurs d’onde avant qu’elles ne parviennent au niveau des photorécepteurs, supprimant ainsi les aberrations chromatiques [6]. En effet, en théorie, si un large spectre de lumière visible arrive sur un œil emmétrope, les longueurs d’onde les plus courtes se focalisent en avant de la rétine et les plus longues en arrière, créant une aberration d’environ 1,2 dioptrie. Mais cette propriété a récemment été remise en question sur la base d’expérimentations portant sur des tests d’hyperacuité en lumière blanche et lumière jaune [7]. La disposition perpendiculaire des molécules de lutéine et de zéaxanthine dans les axones des photorécepteurs, axones ayant par ailleurs une disposition radiaire autour de la macula, donne aux molécules de lutéine et de zéaxanthine des propriétés dichroïques et permet en outre d’absorber la lumière polarisée perpendiculairement à la direction des axones. Cette propriété anti-éblouissement a été récemment confirmée [8].
Propriétés anti-oxydantes On sait que les espèces oxygénées réactives (radicaux libres entre autres), toxiques pour la macula, sont générées par le métabolisme cellulaire et les produits des réactions photochimiques via la lipofuscine. Ainsi, le pigment maculaire protège la rétine par deux mécanismes : (1) directement en tant qu’agent anti-oxydant : en « éteignant (quench) » l’état de triplet des photosensibilisants et de l’oxygène singulet, en réagissant avec les radicaux libres et en retardant la peroxydation des membranes des phospholipides. Ces propriétés sont d’autant plus importantes que les zones de fabrication des espèces oxygénées réactives sont presque superposables à celles de plus haute densité du pigment maculaire ; (2) indirectement en filtrant les petites longueurs d’onde qui sont celles qui provoquent le plus d’espèces oxygénées réactives via la lipofuscine.
PIGMENT MACULAIRE ET DMLA Les propriétés de filtre de la lumière bleue, d’une part, et antioxydantes, d’autre part, permettent d’attribuer un très probable rôle protecteur du pigment maculaire vis-à-vis de la DMLA. Rappelons que l’interaction des courtes longueurs d’onde avec la lipofuscine (en particulier sa composante A2-E, N-retinylidene-N-retinylethanolamime) qui s’accumule avec l’âge et surtout au cours de la DMLA dans les cellules de l’épithélium pigmentaire, provoque une action photochimique source importante de libérations de nombreuses espèces oxygénées réactives [9]. De plus, la présence du pigment maculaire dans une zone
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où les phénomènes oxydatifs sont les plus délétères peut témoigner d’un mode de protection naturelle de la macula vis-à-vis du stress oxydant. Ces connexions entre pigment maculaire et DMLA ont été largement étayées par des arguments cliniques, expérimentaux et épidémiologiques.
Constatations cliniques L’épargne centro-maculaire au cours de la DMLA atrophique laisse supposer un rôle protecteur du pigment maculaire. On peut faire cette même supposition pour certaines maladies dégénératives, notamment celles qui provoquent une dystrophie en « œil-debœuf ». Weiter et al. [10] mettent ainsi en évidence une superposition entre la zone d’épargne maculaire centrale et la zone de pigment maculaire.
Constatations expérimentales De nombreuses études ont permis de mettre en évidence que le taux de pigment maculaire était plus faible chez les sujets atteints d’une DMLA. Ainsi, Bone et al. [11], en comparant par HPLC la densité du pigment maculaire sur des rétines de donneurs sains et des rétines atteintes de DMLA, ont démontré une corrélation inverse entre la survenue d’une DMLA et le taux de lutéine et zéaxanthine rétinien. Ainsi, les sujets appartenant au quartile de plus haut taux de lutéine et zéaxanthine ont 82 % de risque en moins de faire une DMLA par rapport aux sujets qui appartiennent au quartile le plus bas. Inversement, les sujets ayant une DMLA ont un taux de pigment maculaire égal à 62 % de ceux qui n’en ont pas. Bone et al. [11] en déduisent que la lutéine et la zéaxanthine protègent contre la DMLA, sans pouvoir établir si la diminution de leur concentration rétinienne est la cause ou la conséquence de la DMLA. En parallèle, Beatty et al. [12] ont comparé par photométrie flicker
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hétérochromatique la densité de pigment maculaire d’yeux de sujets sans facteurs de risque de DMLA âgés de 21 à 81 ans avec des yeux à haut risque de DMLA, c’est-à-dire les yeux controlatéraux de patients présentant une DMLA. Ils montrent d’une part, que dans leur série, la densité de pigment maculaire diminue avec l’âge, et d’autre part, que la densité de pigment maculaire est inférieure dans les yeux à risque de DMLA comparée à celle des yeux à faible risque. Par ailleurs, il a été mis en évidence in vitro que l’adjonction de lutéine à des cellules de l’épithélium pigmentaire diminue la phototoxicité de la lipofuscine [13]. Il semble que ce soit davantage la zéaxanthine que la lutéine qui protège contre les mécanismes de la photooxydation [14]. Enfin, il a également été démontré que la présence de lutéine et de zéaxanthine diminue, in vitro, le taux de lipofuscine dans les cellules de l’EP [15].
Constatations épidémiologiques L’étude POLA [16] a établi une corrélation forte entre un taux sérique élevé de lutéine et surtout de zéaxanthine et le risque de développement d’une DMLA. En effet, les sujets ayant un taux sérique élevé de zéaxanthine présentent une diminution de risque de 93 %. En considérant les taux cumulés de lutéine et de zéaxanthine, le risque est tout de même diminué de 79 %. Cette étude vient compléter de nombreux travaux, qui déjà avaient mis en évidence le caractère protecteur d’un régime riche en caroténoïdes vis-à-vis du risque de développer une DMLA [17-19]. Récemment en 2006, l’étude CAREDS [20] a retrouvé une différence significative du risque de faire une DMLA uniquement chez les femmes âgées de moins de 75 ans suivant un régime riche en caroténoïdes, et qui n’ont pas modifié ce régime au cours des 10 dernières années.
PIGMENT MACULAIRE ET MICRONUTRITION L’apport de lutéine et de zéaxanthine est uniquement alimentaire ; il n’y a aucune synthèse endogène. La méso-zéaxanthine, un isomère de la zéaxanthine uniquement présent dans le pigment maculaire, est pour une large part fabriquée à partir de la lutéine rétinienne. La lutéine est très répandue dans les aliments (choux de toutes sortes, épinards, brocolis, courgette, etc.) alors que la zéaxanthine est plus rare (jaune d’œuf, poivron rouge, maïs). Indépendamment des apports alimentaires, la densité du pigment maculaire varie en fonction de certaines caractéristiques du sujet. Elle est par exemple plus élevée chez l’homme que chez la femme [21] dans certaines études, et pas dans d’autres [22], chez les sujets à iris foncés [22], chez les non-fumeurs [23] et chez les sujets ayant un indice de masse corporelle bas [24]. Compte tenu du rôle protecteur du pigment maculaire envers la DMLA d’une part, des études épidémiologiques montrant une diminution du risque de développer une DMLA chez les sujets ayant un taux sérique élevé de lutéine et zéaxanthine d’autre part, et enfin de la diversité des régimes alimentaires d’une population à l’autre, il est logique de chercher à augmenter la densité du pigment maculaire en enrichissant les apports alimentaires en caroténoïdes. Il a été montré qu’en supplémentant des patients en lutéine et zéaxanthine, on obtenait une augmentation des 2 pigments dans le sérum au bout de 3 semaines [25]. L’augmentation obtenue varie en fonction de la quantité de départ — de 5 fois environ pour 10 mg de lutéine [26] à 10 fois pour 30 mg [27], mais aussi d’un sujet à l’autre, indépendamment de la dose de départ [21]. Au niveau maculaire, la densité du pigment maculaire, chez les sujets répondeurs, augmente dans des proportions moindres (de 4 à 40 % selon les études)
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entre 1 et 3 mois après le début, pour un plateau au 5-6e mois, avec persistance de ce plateau jusqu’à 3 mois après l’arrêt [28]. Cependant, en raison de phénomènes actifs de capture au niveau maculaire, tous les sujets supplémentés n’augmentent pas systématiquement leur densité de pigment maculaire, et quand ils le font, c’est dans des proportions variables d’un sujet à l’autre. Très récemment, l’étude LUNA [28] a montré qu’il y a globalement une augmentation de la densité du pigment maculaire dès la 6e semaine, et pendant 3 mois après l’arrêt. La persistance au-delà de l’arrêt suggère l’existence d’un phénomène de saturation, des doses moindres de caroténoïdes pouvant éventuellement être suffisantes. Chez les non répondeurs, les taux sériques augmentent autant, voire davantage, que chez les répondeurs, ce qui laisse supposer un déficit de capture au niveau rétinien (et non pas une malabsorption intestinale). En revanche, on note que chez les non-répondeurs, le taux d’HDL cholestérol est significativement plus élevé. Enfin, une nouvelle approche se dessine peut-être avec la mesozéaxanthine, caroténoïde très rare dans notre alimentation, mais qui peut être absorbé au niveau sérique après supplémentation, et qui permet une augmentation de la densité du pigment maculaire [29]. Quant à l’AREDS 2, étude randomisée prospective multicentrique réalisée aux États-Unis, dont nous n’aurons pas de résultats avant 2012, elle tentera de montrer que la supplémentation en lutéine et zéaxanthine, entre autres, diminuerait le risque de survenue d’une DMLA.
MESURE DU PIGMENT MACULAIRE La différence d’apport alimentaire d’un sujet à l’autre en caroténoïdes, le rôle protecteur du pigment maculaire vis-à-vis du ris-
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que de survenue de la DMLA, et la possibilité d’augmenter la densité du pigment maculaire par la supplémentation font de la mesure du pigment maculaire in vivo une approche intéressante dans le dépistage des sujets à risque. Deux méthodes de mesure sont disponibles : psychophysiques et physiques, ces dernières ayant l’avantage d’être objectives et davantage reproductibles, mais aucune ne permet de mesurer séparément la lutéine de la zéaxanthine.
Méthodes psychophysiques Photométrie flicker hétérochromatique C’est la méthode la plus répandue, celle à laquelle toutes les autres se comparent. Différentes machines ont été conçues (MacuScope®, MacuChek ; Maculomete®, Quantifeye), mais toutes reposent sur le même principe, à savoir l’utilisation d’un stimulus visuel clignotant à deux longueurs d’onde différentes : une longueur d’onde test qui est absorbée par le pigment maculaire (typiquement bleue à 460 nm) et une longueur d’onde de référence qui n’est pas absorbée par le pigment maculaire (typiquement verte à 540 nm ou au-delà). Cette alternance de longueurs d’onde définit un effet « flicker » dont la fréquence de présentation varie en fonction de sa projection sur la rétine (plus élevée sur la fovea qu’en périphérie). Cette fréquence est telle, qu’elle induit une fusion colorée, mais le flicker continue à être perçu tant que la luminance entre les deux longueurs d’onde est différente. Il est ainsi demandé au sujet d’ajuster la luminance de la couleur test, jusqu’à ce que le flicker disparaisse ou devienne à peine perceptible. Plus la densité du pigment maculaire est importante, plus cette luminance I sera importante. Plusieurs mesures sont effectuées au centre et en périphérie (entre 4 et 8° d’excentricité selon les machi-
nes). La longueur d’onde du fond sur lequel est projeté le test est celle des cônes S (476 nm) de façon à les saturer, et la fréquence de présentation est telle, que les bâtonnets ne peuvent intervenir. Ceci garantit que seuls les cônes L et M sont sollicités. Le pigment maculaire réduisant la sensibilité de la fovea aux différentes longueurs d’onde proportionnellement à la lumière absorbée, la densité optique du pigment maculaire est calculée sur le rapport Log (I central/I périphérie). Il existe des petites variations de présentation suivant les machines. La longueur d’onde test dont le sujet doit modifier la luminance est parfois verte et non bleue, mais la procédure change peu. De même, la source lumineuse est soit une diode, soit un laser xénon. Le stimulus visuel peut être soit un disque soit un anneau. Dans ce dernier cas, et en utilisant une série d’anneaux, la distribution du pigment maculaire peut également être évaluée, mais l’examen devient long. Quel que soit le modèle, la machine est peu encombrante (fig. 1). C’est une technique simple et peu coûteuse, qui ne nécessite pas de dilatation pupillaire, qui est peu perturbée par un trouble des milieux débutants, et qui a été validée [30, 31]. Mais c’est un examen difficile chez le sujet âgé car sa coopération et sa compréhension des consignes conditionnent la reproductibilité de la technique. En effet, l’évaluation de la disparition du flicker est d’autant plus difficile que celui-ci ne disparaît jamais tout à fait, mais devient au minimum à peine perceptible. Enfin, il ne semble pas applicable aux patients glaucomateux, la perception d’un effet flicker étant précocement altérée chez eux, comme les courtes longueurs d’onde. La photométrie en mouvement (motion photometry) repose sur le même principe que la photométrie flicker hétérochromatique [32].
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Figure 1 : Réalisation d’une mesure du pigment maculaire à l’aide du MacuScope®. Le patient est assis devant la machine, observe un flicker projeté dans une chambre noire. L’opérateur modifie la luminance de la couleur test jusqu’à ce que le sujet signale la disparition du flicker. L’examen se fait œil par œil, pour d’abord une fixation centrale, puis excentrée.
Spectroscopie Raman Son principe repose sur l’excitation du pigment maculaire par un laser argon monochromatique et l’étude de la lumière diffusée en retour par spectrométrie. En effet, selon le principe Raman, la longueur d’onde d’une lumière incidente est différente de celle de la lumière diffusée, elle-même dépendante de la structure chimique des molécules rencontrées. C’est ce changement de longueur d’onde qui est étudié. Pour la mesure du pigment maculaire, la longueur d’onde du laser est de 488 nm, et l’effet Raman obtenu par les caroténoïdes est très spécifique (pas de confusion possible avec le sang ou l’épithélium pigmentaire). Cette méthode a également été validée [33]. Habituellement classée dans les méthodes physiques, elle nécessite néanmoins une certaine coopération de la part du sujet. En effet, afin d’obtenir un parfait alignement entre l’œil et l’instrument, le sujet doit d’abord superposer manuellement deux mires, puis fixer le centre du test. Aucun contrôle extérieur n’est possible, mais en raison de la simplicité des consignes, elle peut
être considérée comme plus objective que le flicker. Elle reste néanmoins très sensible aux troubles des milieux, et requiert une dilatation pupillaire. Il est établi [34] que les mesures de pigment maculaire diminuent de façon très significative si le diamètre pupillaire est inférieur à 7 mm. Enfin, la machine est coûteuse. Notons que des études comparatives entre ces deux méthodes ont été réalisées, et que les résultats ne sont pas tous concordants entre les deux techniques [34, 35]. L’une des raisons la plus importante est que les deux méthodes ne mesurent pas la densité du pigment maculaire exactement au même endroit (arc à 0,5° de la fovea pour le flicker vs. spot de 1 mm pour le Raman). Cependant, le Raman est plus reproductible.
Méthodes physiques Ces méthodes reposent sur l’imagerie du fond d’œil, et plus spécifiquement l’analyse de la lumière réfléchie après excitation du fond d’œil par une lumière incidente. Les caractéristiques de cette lumière réfléchie sont dépendantes
des paramètres de la lumière incidente d’une part, et des structures rencontrées au niveau de la rétine (pigment mélanique, pigment maculaire, oxyhémoglobine, etc.) d’autre part. Ces méthodes permettent ainsi d’obtenir rapidement une cartographie de la répartition du pigment maculaire.
Autofluorescence C’est une méthode d’imagerie qui repose sur la mise en évidence de l’autofluorescence émise par la lipofuscine d’une part, et sur l’absence totale de fluorescence émise par le pigment maculaire d’autre part. L’obtention de photos du fond d’œil en autofluorescence peut être réalisée sur différentes machines d’angiographie, équipée d’un filtre dédié (fig. 2c), mais celle qui semble donner les meilleurs résultats est le Scanning Laser Ophtalmoscope® (SLO®, Heidelberg, Allemagne). La dilatation pupillaire est indispensable. Ainsi, Robson et al. [32] obtiennent une autofluorescence en excitant la rétine avec une lumière ayant une longueur d’onde à 488 nm, et en mesurant la fluorescence de retour au travers d’un filtre
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Figure 2 : Images du fond d’œil d’un même sujet obtenues avec le SLO modifié (Heidelberg, Allemagne) avec un filtre à 488 nm (a) et un à 514 nm (b), et en autofluorescence où le pigment maculaire apparaît en noir (c).
de 500 nm. On obtient un profil de distribution de l’autofluorescence calculé en utilisant une échelle d’intensité de gris au centre de la macula et le long des méridiens horizontal et vertical. Les résultats de cette méthode semblent bien corrélés à ceux obtenus avec le flicker [32, 36]. Delori et al. [23] ont une approche un peu différente, en mesurant l’intensité de la fluorescence
à 710 nm (où il n’y a aucune absorption par le pigment maculaire) après activation de la fluorescence de la lipofuscine avec deux longueurs d’onde différentes : une bien absorbée par le pigment maculaire et l’autre pas.
Réflectométrie et réflectance Le principe repose sur la soustraction de deux images digitalisées
du fond d’œil prises à travers deux filtres de deux longueurs d’onde différentes : 480 et 540 nm. La soustraction donne une cartographie de densité optique, et un algorithme permet de calculer la densité de pigment maculaire, mais uniquement au centre et sur les axes horizontal et vertical [37]. La difficulté réside dans l’alignement des 2 images et dans les in-
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2d 2e Figure 2 : (suite) Images du fond d’œil d’un même sujet obtenues avec le SLO modifié (Heidelberg, Allemagne). Le logiciel d’analyse des données permet la soustraction entre les deux images a et b et donne une mesure de la densité du pigment maculaire qui apparaît en blanc (d). Sur le graphique associé (e) on observe une courbe de décroissance du pigment maculaire du centre vers la périphérie, ainsi que les valeurs de densité optique du pigment maculaire correspondantes (fixée ici à 0.5° sur le cercle rouge et 6° sur le cercle vert).
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terférences optiques dues aux structures antérieures de l’œil (qui se majorent avec l’âge). En utilisant un SLO spécialement conçu pour enregistrer la réflectance du fond d’œil à 488 et 514 nm (fig. 2a et 2b) dans un laps de temps très court, afin de réduire les problèmes d’alignement des images liés aux mouvements oculaires, on obtient des mesures plus précises. Le principe repose sur l’absorption par le pigment maculaire de la presque totalité de la lumière à 488 nm, alors que la lumière à 514 nm atteint l’épithélium pigmentaire en traversant le pigment maculaire sans être absorbée. Il est alors possible de déterminer la densité du pigment maculaire en comparant la réflectance fovéale et parafovéale à 488 et à 514 nm [38]. Cette mesure se fait à partir d’une carte de densité créée à partir de la soustraction du loga-
rithme de la réflectance des deux images (fig. 2d et 2e). La dilatation pupillaire est indispensable. La machine est coûteuse, non disponible en série à ce jour. Elle permet une acquisition très rapide, une bonne reproductibilité, fournit des valeurs quantitatives, et enfin donne la possibilité de faire une cartographie de la répartition du pigment maculaire sur la totalité de l’aire maculaire, et non pas un simple profil. Ainsi, il a été montré que le pigment maculaire ne suit pas chez tous les sujets une courbe progressivement décroissante du centre vers la périphérie ; il peut avoir une répartition différente en anneau [39, 40]. Il est également possible de mettre en évidence une répartition inhomogène dans certaines pathologies. Ces méthodes physiques sont certainement les plus fiables, mais nécessitent un matériel souvent
coûteux, et peu accessible en pratique clinique quotidienne à ce jour. Néanmoins, elles permettent une bien meilleure connaissance de la densité et de la répartition du pigment maculaire.
CONCLUSION Le rôle de protection du pigment maculaire vis-à-vis du risque de survenue de la DMLA est mieux compris, même si la pathogénie de la DMLA est multifactorielle, faisant intervenir également des facteurs génétiques. La mesure du pigment maculaire devrait donc prochainement se généraliser. Le clinicien pourra ainsi évaluer in vivo la densité de ce pigment maculaire, dépister les sujets avec un pigment maculaire bas, et pouvoir leur proposer de façon adaptée une supplémentation anti-oxydante à visée préventive vis-à-vis
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de la DMLA. De nombreuses inconnues demeurent cependant : il faudra en effet établir le bénéfice réel d’un tel traitement (les résultats de l’étude AREDS 2 seront pour cela très contributifs), les modalités précises de la supplémentation à instaurer, ainsi que les valeurs seuils de pigment maculaire à considérer à risque.
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