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AMEPSY-2828; No. of Pages 6 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2019) xxx–xxx
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Entretien
Le Plancher de Jeannot Jeannot’s Floorboards Guy Roux a, Jean-Pierre Bouchard b,c,* a
16, boulevard des Pyre´ne´es, 64000 Pau, France Institut Psycho-Judiciaire et de Psychopathologie (IPJP), Institute of Forensic Psychology and Psychopathology, centre hospitalier de Cadillac, 10, avenue Joseph-Caussil, 33410 Cadillac, France c Unite´ pour Malades Difficiles (UMD), poˆle de psychiatrie me´dico-le´gale (PPML), centre hospitalier de Cadillac, 10, avenue Joseph-Caussil, 33410 Cadillac, France b
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx
Voici l’histoire de Jeannot et des drames familiaux qui ont pre´ce´de´ sa maladie, un de´lire paranoı¨de a` deux, partage´ par une sœur aıˆne´e, l’histoire de leur claustration, du de´ni de la mort de leur me`re, apre`s laquelle fut re´alise´e par Jeannot la gravure du plancher de sa chambre, avant qu’il ne meure a` son tour. Cet entretien avec le neuropsychiatre Guy Roux e´voque la de´couverte de cette œuvre et ses premie`res expositions en milieu psychiatrique. L’engouement dont elle fut l’objet, relaye´ par la presse, fut conse´cutif aux e´ve´nements culturels que permit son acquisition par les laboratoires Bristol-Myers Squibb. L’installation du plancher devant l’hoˆpital Sainte-Anne a` Paris, a` l’initiative du Professeur JeanPierre Olie´, fut salue´e par de nombreux commentaires, dont certains critiques. Divers romans et pie`ces de the´aˆtre se sont inspire´s de cette affaire.
C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.
Mots cle´s : Art brut Dangerosite´ De´lire Inanition Isolement Passage a` l’acte Psychose
A B S T R A C T
Keywords: Acting out Art brut Dangerousness Delusion Inanition Isolation Psychosis
This is the story of Jeannot based on a number of tragic events that predated his disease, a paranoid delirium shared by his older sister, their seclusion and the denial of their mother’s death, after which the engraving of his room’s wooden floor was realized and just before he died. This interview with the neuropsychiatrist Guy Roux relates the discovery of this piece of work and the very first exhibitions in the psychiatric circles. The acquisition by the laboratory Bristol-Myers Squib triggered many cultural events with a broad media exposure so it was received with a great enthusiasm. The setting of the floorboard at hospital Sainte-Anne in Paris initiated by Pr Jean Pierre Olie´ was greeted by several comments of which some criticisms. Multiple novels and pieces of theatre were inspired by this story.
C 2019 Published by Elsevier Masson SAS.
« Je n’avais pas achete´ une surface de quinze me`tres carre´s de plancher grave´, mais rachete´ un temps, une histoire de´ja` ancienne de plus de quarante ans de de´tresse, de mise`re physiologique et affective, de culpabilite´ et de mort, dont il faudrait renouer le fil, dans la mesure du possible. » Guy Roux
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-P. Bouchard).
1. Introduction Du hasard de sa de´couverte a` l’inlassable volonte´ de compre´hension, de sauvetage et de partage de son de´couvreur, voici l’histoire extraordinaire du plancher de Jeannot. Dans cet entretien, le neuropsychiatre be´arnais Guy Roux, re´ve´lateur et promoteur de cet objet psychopathologique singulier, e´voque sa de´couverte et les processus humains qui ont conduit a` sa re´alisation. Est ensuite e´voque´e l’installation de ce plancher grave´, re´sultat d’un de´lire paranoı¨de pour certains, œuvre d’Art brut pour d’autres [1– 4,7,9,14,15], rue Cabanis, devant l’hoˆpital Sainte-Anne a` Paris.
https://doi.org/10.1016/j.amp.2019.11.003 C 2019 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 0003-4487/
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003
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Le Dr Guy Roux est neuropsychiatre a` Pau. Ancien Pre´sident de la Socie´te´ Franc¸aise de Psychopathologie de l’Expression (SFPE), il est Pre´sident d’Honneur de la Socie´te´ Internationale de Psychopathologie de l’Expression (SIPE). Il est e´galement l’auteur de plusieurs e´tudes sur Opicinus de Canistris (E´ditions Le Le´opard d’Or a` Paris) [11–13] et, en 2019, d’Art singulier et Psychiatrie – Psychopathologie de l’Expression au quotidien, aux E´ditions Gypae`te a` Pau.
2. Interview 2.1. Jean-Pierre Bouchard : qu’est-ce que « Le Plancher de Jeannot » ? Comment l’avez-vous de´couvert et sauvegarde´ ? Guy Roux : Lorsqu’elles e´chappent a` la destruction, les productions spontane´es des patients psychiatriques empruntent des cheminements divers avant de parvenir a` la connaissance du me´decin psychiatre d’exercice prive´. Telles œuvres sont glisse´es dans sa boıˆte aux lettres par un psychotique de´sireux d’e´viter une consultation. Telles autres sont offertes au praticien par des familles qui souhaitent par leur don se de´barrasser de la maladie de fac¸on magique, en espe´rant secre`tement qu’elles seront appre´cie´es comme œuvres d’art. D’autres sont achete´es, en escomptant que les transactions auront aussi un effet psychothe´rapeutique. Mais le facteur hasard intervient parfois en faveur du psychiatre en provoquant l’articulation improbable de faits a priori disparates. Il se trouve que lorsque nous e´tions re´unis en famille pour le repas dominical, la conversation finissait souvent par aborder les questions touchant a` ces productions dont certaines traıˆnaient sur mon bureau, et dont l’e´trangete´ fascinait nos enfants et leurs camarades invite´s, si bien que le virus de la curiosite´ leur fut pre´cocement inocule´. C’est ainsi que, par hasard, notre fille, alors marie´e a` un brocanteur, fut amene´e fin 1993 a` se rendre dans le Vic Bilh (le Vieux Pays) connu pour ses vignobles de Madiran et pour son Pacherenc, vin blanc moelleux traditionnellement servi avec le foie gras, a` l’invitation d’un personnage qui de´sirait vider le contenu d’une ferme dont sa femme venait d’he´riter et qu’il voulait vendre. Ce fut le de´but d’une aventure inattendue, d’emble´e place´e sous le signe du myste`re et de la me´fiance. Au terme d’un trajet labyrinthique inutilement complique´ comme pour brouiller les pistes, on parvint a` une ferme de´labre´e. Le sol d’une chambre, attenante a` la cuisine sentant le moisi e´tait jonche´ de paille, couvert de terre, de de´tritus divers et de plaˆtras que la pluie filtrant du toit creve´ avait fait tomber du plafond. Le plancher e´tait par endroits bizarrement grave´, et ce que l’on pouvait en lire sous les ordures intrigua au plus haut point notre fille qui, le soir meˆme m’appela, persuade´e d’avoir fait une de´couverte majeure. Je me rendis a` mon tour en sa compagnie examiner de plus pre`s ce plancher grave´, imme´diatement submerge´ par la somme d’interrogations que soulevait la contemplation de cette œuvre insolite, et songeant de´ja` aux strate´gies susceptibles d’aboutir a` son sauvetage, car il e´tait e´vident qu’il fallait d’urgence la sauver. A` l’e´poux ne´gociateur qui avait haˆte de se de´barrasser de cette baˆtisse ruine´e et qui visiblement veillait a` eˆtre le seul interlocuteur en empeˆchant tout contact avec la ve´ritable he´ritie`re (il avait dissimule´ dans le fourneau de la cuisine la photographie de son mariage, autrefois suspendue au mur, sur laquelle, aux coˆte´s de sa jeune femme, son image avait e´te´ de´chire´e, ne laissant voir que ses mains gante´es de blanc et ses jambes. . .), il fut insinue´ que la ferme ne pourrait jamais eˆtre vendue avec ce plancher qui susciterait une foule de questions embarrassantes et fournirait aux acheteurs e´ventuels un argument pour en minorer le prix.
Au terme de prudentes ne´gociations, un marche´ finit par eˆtre ˆ le´, comme on pouvait s’attendre a` ce qu’il conclu. Au lieu d’eˆtre bru le soit, le plancher serait e´change´ contre son e´quivalence de parquet neuf. A` cet effet, le tronc d’un gros sapin fut achete´ et de´bite´ en chevrons et en planches (mars 1994). Le plancher fut par conse´quent soigneusement de´monte´, ses e´le´ments marque´s a` la craie pour eˆtre remonte´s a` l’identique. Ses deux fragments furent lessive´s, de´barrasse´s de leurs ordures, cire´s et encaustique´s a` plusieurs reprises pour re´ve´ler enfin la totalite´ de leurs gravures, sur fond de nervures et de nœuds de bois de chaˆtaignier, de´tail qui ajoutait a` l’ensemble une sorte de cette patine qui confe`re aux meubles anciens une part de leur prestige ve´ne´rable et de leur se´duction. Cependant, rien n’e´tait encore fait. Car, si un pas essentiel avait e´te´ franchi, on ne pouvait se satisfaire de seulement de´chiffrer l’e´criture d’un de´lire paranoı¨de de perse´cution avec automatisme mental, mettant en cause l’E´glise et le pouvoir, et relever l’esquisse d’une revendication me´galomaniaque visant le souverain pontife (Fig. 1). Je n’avais pas achete´ une surface de quinze me`tres carre´s de plancher grave´, mais rachete´ un temps une histoire de´ja` ancienne de plus de quarante ans de de´tresse, de mise`re physiologique et affective, de culpabilite´ et de mort, dont il faudrait renouer le fil, dans la mesure du possible. 2.2. Jean-Pierre Bouchard : que nous apprennent « Le Plancher de Jeannot » et sa de´couverte sur Jeannot et son entourage ? Guy Roux : Qui e´tait l’auteur de cette inscription dont seul le pre´nom e´tait indique´ ? Qui e´tait Paule, apparemment associe´e de fac¸on intime a` cette affaire ? Quelles e´taient les circonstances qui avaient occasionne´ cette gravure ? Alors qu’il est si facile d’e´crire sur du papier, pourquoi avoir choisi le plancher d’une chambre a` coucher et cette disposition a` la teˆte et au pied d’un lit ? Et pourquoi cette ferme, dont la construction du XVIIIe sie`cle sugge´rait une prospe´rite´ ancienne, e´tait-elle a` ce point ruine´e ? En e´crivant « le myste`re engage a` la confrontation et exalte le de´sir de connaıˆtre », Gabriel Marcel [10] ne visait pas spe´cialement cette fascination qui a traditionnellement motive´ tous ceux qui se sont attache´s a` l’e´tude des productions de patients psychiatriques. Il e´tait difficile d’e´chapper a` la tentation de rechercher un peu de « tout ce qui palpite de la psychose », pour reprendre un mot de Claude Wiart1 du Centre d’E´tudes de l’Expression de Sainte-Anne, de tout ce qui se rapporte a` la vie des patients et que l’on tait le plus souvent lors des expositions de leurs travaux, par peur de choquer la sensibilite´ des spectateurs. Une premie`re tentative, sans doute naı¨ve, de re´unir des informations in situ s’ave´ra infructueuse. Au lieu de re´pondre aux interrogations, certains villageois vous interrogeaient : « Et d’abord, qui eˆtes-vous pour nous poser ce genre de questions ? Quelle importance cela a-t-il, alors que c’est une si vieille histoire ? » Si l’on insistait, en de´signant la maison, visible de loin, c’e´taient des hochements de teˆte, et des bribes de paroles : « Male´diction ». . . « Ferme hante´e ». . . « On y avait trouve´ des livres de magie noire » [. . .] « Des versets de la Bible e´taient e´crits par terre, dans la cuisine ». . . Ce fut l’opportune entremise d’un colle`gue ge´ne´raliste qui me permit de mener une ve´ritable enqueˆte plus objective, bien qu’encore approximative.
1 Claude Wiart : fondateur du « Centre International de Documentation sur les Expressions Plastiques » (CIDEP) (1963) du « Centre d’E´tudes de l’Expression » (1974) et de la « Socie´te´ Franc¸aise de Psychopathologie de l’Expression » (1964), Pre´sident d’Honneur de la « Socie´te´ Internationale de Psychopathologie de l’expression » (SIPE).
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003
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Fig. 1. Texte grave´ sur le plancher de Jeannot (Jeannot a grave´ son message sur deux fragments de dimensions ine´gales, le grand et le petit plancher, situe´s a` la teˆte et au pied de son lit).
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Je pris contact avec un ancien maire du village, une ancienne secre´taire de la mairie, le chef de la brigade locale de gendarmerie, un gendarme plus directement implique´, et une femme, membre d’une famille de voisins, re´fugie´e dans une autre localite´. Par contre, l’assistante sociale du secteur, te´moin irremplac¸able, avait pris sa retraite et de´me´nage´ sans laisser d’adresse. L’histoire de´bute en 1929, lorsqu’une famille « d’e´trangers », c’est-a`-dire originaires d’un village voisin, e´tait venue, a` la suite de graves conflits de voisinage, s’installer dans cette ferme convoite´e par beaucoup d’autres paysans dont la frustration se changera en profonde jalousie. Elle se composait du pe`re, Alexandre, ne´ en mars 1890, de la me`re, Jose´phine, ne´e en juin 1900, dont deux fre`res avaient e´te´ interne´s a` l’hoˆpital psychiatrique, et de leur fille Paule ne´e en 1927. Ils devenaient les voisins d’une autre famille « d’e´trangers », elle aussi re´cemment arrive´e, avec lesquels se noue`rent de bonnes relations d’entraide et de solidarite´ (Alexandre avait e´te´ he´berge´ chez eux le temps d’achever l’ame´nagement de sa ferme). Alexandre, un colosse barbu, qui impressionnait les enfants sur le chemin de l’e´cole, a` tel point qu’ils refusaient de monter dans sa carriole, et Jose´phine, petite femme menue, affaire´e et me´ticuleuse, re´gentant son monde et veillant a` e´viter les longues discussions avec des tiers, e´taient des travailleurs acharne´s et intelligents, au courant des dernie`res innovations, les premiers a` posse´der un tracteur, et les premiers a` acheter une Traction Avant, ce qui ne pouvait qu’attiser l’envie des te´moins de leur re´ussite. Une autre fille naquit quelques anne´es plus tard, appele´e Simone. Le cadet, Jean, fut mis au monde le 20 mars 1939. Quelque temps apre`s, Jose´phine, qui accompagnait son mari aux rudes travaux des champs, accoucha dans un sillon d’un enfant mort-ne´, assiste´e de sa fille Paule. Jean, dont tout le monde appre´ciait le se´rieux, la gentillesse et la disponibilite´, a` tel point qu’il n’e´tait connu que sous le diminutif affectueux de « Jeannot », e´tait un excellent e´le`ve qui reˆvait de poursuivre ses e´tudes, tiraille´ entre le petit se´minaire et l’e´cole normale d’instituteurs. Lorsque Simone se maria, le jeune couple vint s’installer a` la ferme dans l’intention de prendre la succession, puisque Jeannot ne la prendrait pas. Mais le gendre e´tait loin de faire preuve de la meˆme ardeur au travail, et ne tarda pas a` braver l’autorite´ de son beau-pe`re, et notamment son interdiction de chasser sur ses terres. Furieux, Alexandre pendit le chien de chasse, de´chira la photo du mariage et les jeunes marie´s furent mis a` la porte, si bien qu’il n’e´tait plus question que Jeannot puisse s’e´manciper. C’est ainsi que ce dernier devanc¸a l’appel, ce qui l’autorisait a` choisir son affectation la plus proche, a` quelques dizaines de kilome`tres, ou` e´tait base´ un re´giment parachutiste. Comme beaucoup d’autres soldats, il fut envoye´ en Alge´rie. Il nous faut cependant dire un mot au sujet de la grossesse de Paule, jeune femme au caracte`re inde´pendant, fantasque et manipulateur, qui avait cause´ une grande surprise, du fait de l’isolement dans lequel sa famille avait choisi de vivre. Nul ne sait ou` elle avait accouche´ car aucune mention de naissance ne fut retrouve´e dans le registre d’e´tat civil de la commune. L’ancien maire me certifia que c’e´tait une relation incestueuse avec le pe`re qui e´tait en cause ; hypothe`se confirme´e par une confidence de Paule a` un tiers. Mais cette accusation fut juge´e calomnieuse par certains et mise sur le compte de la jalousie. Un soir du 29 novembre 1959, Alexandre, on ne sait pourquoi, tenta d’aller discuter avec les voisins. Mais Jose´phine et Paule le rattrape`rent et le ramene`rent a` la maison. Quelques minutes plus tard, les femmes le retrouve`rent pendu dans une grange. Jeannot fut par conse´quent de´mobilise´ au titre de soutien de famille, et retrouva sa me`re, effondre´e par le malheur, qui semblait
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003
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de´missionner, et sa sœur aıˆne´e, Paule qui avait pris la situation en mains avec autorite´. Si, les premiers temps, rien ne semblait avoir change´ dans la gestion des travaux agricoles, peu a` peu se modifiait le comportement du fre`re et de la sœur. Ils ne sortaient plus qu’exceptionnellement. Ils s’e´clipsaient si s’annonc¸ait un visiteur. Autrefois, toujours preˆt a` transporter ses copains dans la Traction Avant paternelle, Jeannot ne fre´quentait de´sormais plus personne. Il demeurait de longues heures, assis, immobile, sur le perron devant la porte, a` ruminer des messages menac¸ants en provenance d’une antenne-relais installe´e un peu plus loin. Les gens supposaient qu’il avait eu un profond chagrin d’amour. D’autres pensaient qu’il avait vu « trop de choses » lorsqu’il crapahutait dans le djebel avec la Le´gion. Sa me`re n’avait plus le droit d’aller a` la messe dominicale et demeurait consigne´e aux taˆches domestiques. Paule se chargeait des commissions et organisait cette claustration dont il est question dans les travaux de Legrand du Saulle. La proprie´te´ pe´riclitait, les re´coltes pille´es par les passereaux et les souris. Ce rapide de´clin e´tait e´videmment impute´ a` la conjuration male´fique de l’E´glise et du pouvoir politique. Peu a` peu se pre´cisait, dans l’esprit malade de Jeannot et de Paule, la conviction que tout cela re´sultait des e´ve´nements dramatiques de la guerre, de la Re´sistance et du climat de´le´te`re de de´lation et de violence dont Jeannot avait entendu parler en famille. Une nuit de la fin avril 1966, alors que soufflait un fort vent chaud d’Espagne, un incendie se de´clara dans la ferme des voisins ou` avait e´te´ ame´nage´ un e´levage de poussins. A` un homme venu chercher du secours, Jeannot de´clara : « Si tu as le feu, tu n’as qu’a` l’e´teindre. » Le village s’e´tait ensuite mobilise´ pour aider au nettoyage des locaux ravage´s, mais Jeannot n’avait pas bouge´. Trois semaines plus tard, surexcite´, profe´rant des injures et des menaces de mort, il avait surgi chez les sinistre´s, cassant une vitre de la cuisine et tirant un coup de fusil a` l’inte´rieur, heureusement sans blesser personne. La me`re s’e´tait enfuie, pieds nus, a` la rencontre de son mari, de leur fille et de son enfant de quelques mois : « Cachez-vous, Jeannot veut vous tuer. » Tout le monde avait couru se re´fugier et se barricader dans une autre ferme. Les gendarmes e´taient venus constater les faits et le me´decin de famille re´digea un certificat de placement d’office : « excitation psychomotrice intense. . . menaces de mort. . . incohe´rence des propos, vagues ide´es de perse´cution dirige´es contre les preˆtres. . . isolement pathologique ancien. . . » Un arreˆte´ municipal avec re´quisition du maire fut signe´ le lendemain, 1er juin 1966. Mais celui-ci ne fut pas suivi d’effet, car une pe´tition avait e´te´ lance´e dans la commune : « Fallait-il interner Jeannot ? » Le re´sultat de ce re´fe´rendum local fut mitige´ : ceux qui avaient vote´ pour l’internement furent accuse´s de jalousie par une autre fraction de la population qui s’opposait a` ce que Jeannot, si gentil et si de´voue´, soit conduit chez les fous. Si bien que ce ne fut qu’en janvier 1967 que le Procureur de la Re´publique remarqua cette affaire non re´solue et envoya les gendarmes s’assurer de la personne de Jeannot. La population tremblait car la rumeur locale avait re´pandu le bruit que Jeannot, ex-para, avait constitue´ un de´poˆt d’armes et d’explosifs. Retranche´ dans la ferme, et soutenu par sa sœur criant des injures, il menac¸ait de son fusil les repre´sentants de la loi qui, au terme de palabres ponctue´es des insultes du couple fraternel, tourne`rent les talons pour ne plus revenir. Alors une lourde chape de silence et de peur isola de plus belle la ferme et ce fut une longue pe´riode qui s’instaura de claustration et d’incurie [6]. Comme souvent a` la campagne, le temps, ce juge de paix implacable, se chargerait un jour de rendre sa sentence. Jeannot, hirsute et veˆtu de haillons, arme´ de son fusil, patrouillait au volant du tracteur pour de´busquer d’e´ventuels ennemis. Il ne
re´pondait a` aucun courrier, a` aucune convocation qu’il soupc¸onnait eˆtre des pie`ges pour le capturer. Depuis longtemps, la me`re avait compris que ses enfants e´taient fous, et elle tentait de faire face, comme elle le pouvait, a` cette situation inge´rable. Jusqu’au jour ou`, le 11 de´cembre 1971, le ve´te´rinaire en charge du be´tail rendit visite a` la ferme comme il le faisait pe´riodiquement. Dans la cuisine, la me`re e´tait assise pre`s du feu. Comme elle ne re´pondait pas a` son salut, il s’approcha et vit qu’elle e´tait morte. Dans une attitude de de´ni, ses enfants cherchaient a` la re´chauffer. Il n’e´tait pas question de l’enterrer au cimetie`re. Faisant preuve d’une obstination ine´branlable, ils obtinrent meˆme que leur me`re soit enterre´e dans la maison, graˆce a` une autorisation spe´ciale ne´gocie´e par la municipalite´, obtenue le 13 de´cembre, « a` titre provisoire ». Un article parut dans la presse locale : « . . . Lorsque la me`re est morte, le fils l’a enterre´e lui-meˆme, seul, au milieu de la maison et a commence´ une garde vigilante. Le maire est venu, le cure´ aussi, pour tenter de lui faire entendre raison. Il les a chasse´s, en brandissant son fusil. Sa sœur est reste´e a` ses coˆte´s, folle elle aussi, dit-on, ou peut-eˆtre simplement respectueuse de cette de´votion jusqu’a` partager la folie du fre`re. « Le fils a commence´ alors la ce´le´bration d’une sorte de culte antique des anceˆtres. Il ne s’est plus e´loigne´ du centre de la maison ou` il avait conserve´ le corps de sa me`re comme pour y ve´ne´rer ses dieux lares. A` l’exte´rieur, les cent quatre-vingt-dix habitants de M. . . n’ont pas cherche´ a` bouleverser ce rite. . . » A` la suite de cette ce´re´monie, la claustration des deux survivants devint encore plus e´tanche. Le couple ne se nourrissait plus que de cueillettes et d’œufs. Un jour, Jeannot coula du sable dans le moteur du tracteur. Il ne dormait plus que sur un vieux sie`ge de voiture aupre`s du feu, et passait ses journe´es accroupi dans sa chambre, maniant une chignole, un couteau et un outil a` tailler la vigne, s’appliquant a` graver le plancher autour de son lit, a` une cloison pre`s de la tombe maternelle. C’est ainsi qu’en cinq mois environ il re´alisa cette œuvre qui nous livre la clef d’un de´lire a` deux [5,8], dont Paule fut probablement l’instigatrice, et Jeannot le bras arme´, et l’explication de l’attaque des voisins dont il avait appris en famille la sympathie active dont ils avaient fait preuve pour les maquisards durant la guerre. Les auteurs ont souvent insiste´ sur l’urgence de s’exprimer qui poussait certains interne´s a` recourir a` des mate´riaux insolites (terre, nourriture, sang, excre´ments) sur des supports inhabituels (murs de couloir ou d’enceinte) pour re´aliser leurs œuvres. Cependant, a` l’exemple de Jeannot, qui avait pourtant encre et papier a` sa disposition, certains patients pris en charge ambulatoirement, bien qu’ils ne manquent ni de plumes, de pinceaux, de gouaches et de toiles, pre´fe`rent recourir a` des substances qui e´voquent l’activite´ me´nage`re, c’est-a`-dire maternelle : ketchup, cire de bougie, teintures pour meubles, ce qui entraıˆne secondairement un souci de conserver leurs productions a` proximite´. Le 28 mai 1972, a` 33 ans, Jeannot s’e´teignit a` son tour. Malgre´ l’opposition ve´he´mente de Paule, il fut inhume´ dans le cimetie`re communal : « A` M. . ., un paysan be´arnais se laisse mourir sur la tombe de sa me`re enterre´e sous l’escalier de la ferme. . . » . . .. . .. . .. « [. . .] Et les choses ont e´volue´ ; le pauvre homme s’est finalement laisse´ mourir d’inanition en refusant peu a` peu toute nourriture devant la tombe maternelle, sur laquelle chaque jour il disposait des corbeilles de fruits. . . La sœur reste de´sormais seule a` la ferme avec le be´tail et les volailles. Une assistante sociale va la voir de temps en temps. . . »
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003
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Demeure´e seule, Paule laissa la maison se de´labrer, les cultures pe´ricliter et de´pe´rir le troupeau. Des vaches moururent de faim, non sans avoir meugle´ durant des jours et des jours. On retrouva leurs squelettes, encore attache´s aux mangeoires vides de l’e´table. Attire´e par les charognes, la vermine pullula dans les de´pendances. Il fallut organiser une ve´ritable expe´dition avec les gendarmes pour exfiltrer, malgre´ Paule, les animaux survivants, malades et e´tiques, qui n’avaient plus la force de grimper dans les be´taille`res. . . Les taxes demeuraient impaye´es, l’e´lectricite´ avait e´te´ coupe´e, a` l’exception d’une ou deux lampes, que la municipalite´ avait obtenu de conserver. A` l’inte´rieur de la demeure toujours ferme´e, ce n’e´taient que chiffons, emballages e´ventre´s, de´chets, de´tritus et ordures. Paule ne s’alimentait plus que des fruits des larcins et de rapines nocturnes dans les champs des voisins. Par peur d’eˆtre empoisonne´e, elle refusait syste´matiquement les colis que l’assistante sociale lui apportait de temps en temps. Ce calvaire allait durer une vingtaine d’anne´es. Un jour de l’e´te´ 1993, plus aucun signe de vie n’e´tant perceptible autour de la maison, les gendarmes de´couvrirent son cadavre parchemine´, veˆtu de chiffons et d’un sac, recroqueville´ dans l’e´table a` cochons. Le gendre, autrefois chasse´, mais de´sormais le´gitime´, revint dans la maison et fut le premier a` lire sur le plancher, dont la superficie n’exce`de pas celle de deux pierres tombales, cette e´criture non ponctue´e, « me´rovingienne », anime´e d’un rythme particulier, dont la valeur de « re´quisitoire-plaidoyer, de testament tourne´ vers le ciel et vers Dieu » fut plus tard souligne´e par Thierry Grillet lors d’une rencontre a` Sainte-Anne. 2.3. Pourquoi avez-vous souhaite´ faire partager votre de´couverte ? Quelle est l’histoire de ce partage ? Guy Roux : Toute trouvaille engage a` rechercher des re´fe´rences dans la litte´rature spe´cialise´e, et meˆme dans les actualite´s dont chacun est abondamment abreuve´ par les me´dias. Le bilan des investigations s’ave`re des plus maigres, et sans rapport avec le lien privile´gie´ des psychotiques avec leur me`re. Dans Into the Wild, film ame´ricain (2007), le he´ros grave son histoire sur une planche, a` l’inte´rieur du Magic Bus. Le « Lambris de Cle´ment » a fait l’objet d’une publication dans le Cahier de l’Art brut, no 1. « Dans la Revue de Rouen de de´cembre 1835, un e´rudit local, Ch. Richard, de´die a` Nodier l’e´tude qu’il fait d’un cultivateur de Limets, Bruno Chevalier qui, rebute´ par tous les imprimeurs, poussa la typographie jusqu’a` ses dernie`res conse´quences. . . Il inventa la xylographie : abat un poirier, l’e´quarrit, le scie, le re´duit en planches, s’arme d’un couteau, et le voila` qui sculpte avec ardeur ses extravagances, ste´re´otype soigneusement ses lubies et fonde une imprimerie particulie`re » (A. Blavier. Les Fous litte´raires. H. Veyrier, 1982). Ces pauvres re´fe´rences m’ont incite´ a` faire connaıˆtre le Plancher de Jeannot a` mes colle`gues psychiatres. Il fut donc expose´ a` l’Universite´ de Pau lors des Journe´es de Printemps de la Socie´te´ Franc¸aise de Psychopathologie de l’Expression et d’Art-the´rapie (S.F.P.E.), 20–21 mars 1995, sur le the`me « Le Sacre´ et le Religieux dans la psychose ». A` Biarritz, en octobre 1997, lors du Congre`s International de la Socie´te´ Internationale de Psychopathologie de l’Expression (S.I.P.E.). A` Bordeaux, a` l’Atelier de l’Art Cru, espace Chantecrit, en 2000. A` Paris, au Congre`s jubilaire de la World Psychiatric Association (W.P.A.) en 2000. A` Toulouse, chapelle de l’Hoˆtel-Dieu Saint-Jacques, lors des « Chants de la Cre´ation » organise´s en octobre 2001 par la MGEN (Dr Page`s Bord). De passage a` Pau, John Mac Gregor, auteur de Discovery of the Art of the Insane, 1989, recommanda le Plancher a` la revue anglaise
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Raw Vision qui, par l’interme´diaire de Laurent Danchin, me retourna les photos du Plancher car « n’e´tant pas un support visuel suffisant pour justifier un article » (22 juillet 2001). Cependant, la multiplication des de´placements et des manutentions, le poids des contraintes chronophages et budge´tivores finirent par imposer leur charge, tandis que s’e´veillait et croissait l’inte´reˆt pour le Plancher de Jeannot. Au bout d’une chaıˆne de relations et de sympathies, le directoire du laboratoire Bristol– Myers Squibb (BMS) manifesta le de´sir de l’acheter, afin de l’exposer lors de diverses re´unions professionnelles et d’e´ve´nements culturels. Il e´tait e´vident que les moyens du laboratoire me´ce`ne e´taient sans commune mesure avec les miens. Nous tombaˆmes d’accord sur le prix qui e´quivalait au total de mes de´penses personnelles (2001). BMS l’exposa pour la premie`re fois a` Paris, au Salon de l’Ence´phale (2002). A` Prague, en 2003, lors de l’European College of neuropsychophamacology qui re´unit plus de 5 000 psychiatres du monde entier, certains participants, au lieu de poser les questions que soulevait ce myste´rieux ouvrage e´rige´ comme un menhir, se laissaient gagner par l’e´motion, le caressaient de leurs mains et se frottaient contre sa surface, a` la manie`re des visiteurs extatiques des pierres leve´es de Stonehenge. Les spe´cialistes d’Art brut organise`rent a` leur tour une exposition a` la Collection de l’Art Brut – Lausanne en 2004, a` la suite de laquelle un dramaturge helve´tique, Pascal Rebatez, e´crivit une pie`ce intitule´e Les mots savent pas dire, joue´e a` Gene`ve dans le The´aˆtre de Poche : 2004, Publication de l’ouvrage de Madeleine Lommel : L’Aracine et l’Art Brut et publication de l’E´criture en De´lire, Collection de l’Art Brut, Lausanne, 5 Continents E´ditions – dans lesquels figure l’Histoire du Plancher ; 2005, Publication de Histoire du Plancher de Jeannot, G. Roux – Pre´face d’Alain Bouillet – E´d. Encre et Lumie`re, 3026 Cannes et Clairan ; 2005, juillet, Exposition « L’E´criture en de´lire », Halle SaintPierre, Paris ; 2005, septembre-octobre, Bibliothe`que Nationale de France, exposition ou` le Plancher est de´signe´ comme « œuvre de me´moire ». Ces deux dernie`res expositions inspire`rent plusieurs articles dans la presse : Le Nouvel Observateur (22–28 septembre 2005), « Œuvre d’un fou ou d’un artiste », Isabelle Monnin ; The Observer (2 octobre 2005), « Paris revolts over morbid Art work », Alex Duval Smith ; La Re´publique des Pyre´ne´es (octobre 2005), « La folie grave´e sur un plancher », Andre´ Laxalt ; Sud-Ouest (10 octobre 2005). BMS avait expose´ le Plancher lors de colloques psychiatriques re´gionaux (Angers, Montpellier, juin 2003). Mais c’est en 2006 que le Laboratoire BMS, associe´ a` Otsuka Pharmaceutical France, envisagea, a` la suite de la de´marche a` l’initiative du Professeur Jean-Pierre Olie´, de le confier a` l’hoˆpital Sainte-Anne, dont les murs devaient eˆtre prochainement abattus. C’est le 14 juin 2007 qu’eut lieu ce transfert, a` l’occasion duquel se tint un colloque. Ce nouveau mouvement fut salue´ par une autre se´rie d’articles de presse : 10 juillet 2007 : Libe´ration – « La manifestation posthume de Jeannot le Fou », Ge´rard Lefort ;
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003
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12 juillet 2007 : L’Express – « Le testament de Jeannot le Fou », Estelle Saget ; 18 juillet 2007 : Te´le´rama – « Le manifeste de l’E´corche´ », David Conrod ; 28 juillet 2007 : Le Monde – « Grave´ par un fou, un joyau de l’Art Brut », Emmanuel de Roux ; automne 2007 : Cassandre no 71 – « Chronique d’une capture », Ce´line Delavaux ; 2007, 08, 009 : Annales Me´dico-Psychologiques – « Le plancher de Jeannot a` Sainte-Anne », J.-G. Veyrat ; Re´quisitoire : « Le plancher de Jean », Pre´face du Professeur J.-P. Olie´, Martin d’Orgeval, E´d. du Regard, 2007. Cette dernie`re manifestation, dont le symbolisme de son emplacement e´chappait a` certains, n’allait pas uniquement inspirer des messages de sympathie envers le malheureux Jeannot, mais aussi de´chaıˆner de violentes diatribes de la part de ceux qui auraient souhaite´ que le plancher revienne a` un muse´e d’Art Brut. Avec son franc-parler habituel, Madeleine Lommel2 m’a e´crit : « Foi de Lommel, il eut mieux valu que ce plancher soit reste´ incognito, et mort a` la place ou` il fut grave´ ! » Je rec¸us meˆme une lettre anonyme. Et c’est pourquoi j’e´crivis : « Fallait-il sauver le Plancher de Jeannot ? » Cahier de l’Institut no 3, 2009, IREFEL, 54122 Fontenay le Joute. La palette des contributions ne cessait pas de s’e´largir : un astrologue me communiqua le fruit de ses observations sur la « Disposition des Plane`tes, le jour de la naissance de Jeannot (20 mars 1939) : ‘‘Je remarque le coˆte´ Poissons tre`s prononce´ avec la Lune, le Soleil, et Jupiter (la plane`te des Poissons). Il est ne´ juste avant une Nouvelle Lune. Je peux lire la tendance ‘‘mystique’’ de´bordante, avec une ne´cessite´ pour lui de s’exprimer couˆte que couˆte : le Soleil au carre´ de Mars, ce qui fait les re´volte´s, les gens qui brisent le cadre e´troit de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Bien suˆr, sans l’heure de naissance on reste dans le vague, mais cela donne quand meˆme une ide´e des forces en jeu ». Deux scenarii de films demeure`rent inaboutis. A` ma connaissance, trois livres furent publie´s : Nous sommes tous innocents, Cathy Jurado Lecina, Aux forges de Vulcain, 2014. Le Plancher de Jeannot, Ingrid Thobois, Buchet/chastel, « Qui Vive », 2015. Le Plancher, Perrine Le Querrer, E´d. L’E´veilleur, 2018. Cet engouement spectaculaire dissimule toutefois ce que l’on ne dit pas toujours, a` savoir qu’un temps, un temps seulement, la psychose impose son dynamisme et son tempo, sans que l’environnement, side´re´ et de´contenance´, sache reprendre l’initiative. Sa manifestation irrationnelle excelle a` multiplier les interrogations sur ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire, et a`
de´signer des responsables, c’est-a`-dire des coupables sur lesquels planera longtemps un sentiment de re´probation parfois muette et impuissante. Comment Paule et Jeannot ont-ils pu, tout ce temps, s’e´loigner autant de la communaute´ villageoise, et comment ont-ils pu imposer a` celle-ci leur isolement, organise´ et ve´cu jusqu’a` la mort ? Le Plancher de Jeannot demeure aujourd’hui visible devant le Centre Hospitalier Sainte-Anne, rue Cabanis a` Paris. Au-dela` du temps, il persiste a` transmettre son message ambivalent, refle´tant le de´sespoir furieux de Jeannot aux prises avec des forces obscures, habiles dans la pratique du mal que relaie la de´ception bruyante de ceux qui s’estiment le´se´s et de´posse´de´s, et re´fle´chissant en meˆme temps une infinie compassion devant son long calvaire, qui se traduit concre`tement par une volonte´ agissante de s’affranchir des anciennes pratiques et de mettre en œuvre tous les moyens les mieux adapte´s a` la prise en charge de la psychose dans un environnement ouvert sur la cite´. ˆ ts De´claration de liens d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Bouchard JP. Violences, homicides et de´lires de perse´cution. Ann Med Psychol 2005;163:820–6. [2] Bouchard JP. Pathologies mentales et passages a` l’acte dangereux. Soins Psychiatrie 2015;296:12–6. [3] Bouchard JP, Viel D, Ponchaut J, Vivien G. Malades mentaux dangereux : images de « Melting-PainTherapy ». Soins Psychiatrie 2020 [A` paraıˆtre]. [4] Bourgeois ML, Masson M. E´criture et Psychiatrie. Ce qui n’est pas e´crit n’existe pas. Ann Med Psychol 2015;173:324–7. [5] Cousin F, Tremine T. Folie a` deux, trajet historique, naissance d’un doute. L’information psychiatrique 1987;63:861–8. [6] Gayral L, Carrie J, Bonnet J. La Claustration. Ann Med Psychol 1953;469–96 [111:vol.1]. [7] Ledesma E. Le Plancher de Jeannot, de la souffrance a` l’art. Soins Psychiatrie 2007;28:11. [8] Lase`gue C, Falret J. La Folie a` deux ou folie communique´e. Ann Med Psychol 1877;321–55 [5e se´rie, tome XVIII]. [9] Maisonneuve C. Le plancher de Jeannot, quand les mots ne savent pas dire. Orho Magazine 2006;12:4. [10] Marcel G. Position et approches concre`tes du myste`re ontologique. Introduction par Marcel de Corte. In: Louvain E, editor. Nauwelaerts. Paris: Librairie philosophique J. Vrin; 1949. [11] Roux G, Laharie M. Art et folie au moyen aˆge Aventures et e´nigmes d’Opicinus de Canistris (1296–1351 ?), 364. Paris: Le Le´opard d’Or; 1997 [94 ill]. [12] Roux G. Opicinus de Canistris (1296–1352), preˆtre, pape et Christ ressuscite´. Paris: Le Le´opard d’Or; 2005. p. 484. [13] Roux G. Opicinus de Canistris (1296–1352). In: Dieu fait homme et hommeDieu. Paris: Le Le´opard d’Or; 2009. p. 310. [14] Roux G. Des collections anciennes au plancher de Jeannot jusqu’aux productions adolescentes contemporaines, le vieillissement suppose´ des images. Ann Med Psychol 2020;178(1.). [15] Viel D, Ponchaut J, Vivien G, Bouchard JP. « Melting-PainTherapy » a` l’Unite´ pour malades difficiles de Cadillac : le patient est un artiste ! Ann Med Psychol 2020;178(1).
2 Madeleine Lommel est la fondatrice en 1982 de la collection d’Art brut L’Aracine. Depuis 2010, c’est la plus grande collection publique d’Art brut pre´sente´e en France.
Pour citer cet article : Roux G, Bouchard J-P. Le Plancher de Jeannot. Ann Med Psychol (Paris) (2019), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2019.11.003