Affections du plancher de la bouche

Affections du plancher de la bouche

EMC-Stomatologie 1 (2005) 126–140 http://france.elsevier.com/direct/EMCSTO/ Affections du plancher de la bouche Diseases of the mouth floor P. Boule...

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EMC-Stomatologie 1 (2005) 126–140

http://france.elsevier.com/direct/EMCSTO/

Affections du plancher de la bouche Diseases of the mouth floor P. Bouletreau (Assistant, chef de clinique) a,*, N. Froget (Interne) a, A. Gleizal (Interne) b, P. Breton (Professeur, chef de service adjoint) a a

Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, centre hospitalier Lyon Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex, France b Service de chirurgie maxillofaciale, hôpital de la Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France

MOTS CLÉS Plancher buccal ; Stomatologie ; Cavité buccale

KEYWORDS Mouth floor; Stomatology; Oral cavity

Résumé Le plancher buccal est une région anatomique particulière de la cavité buccale qui peut être le siège de pathologies stomatologiques spécifiques ainsi que d’atteintes lésionnelles communes à d’autres régions de la cavité buccale. Après un rappel anatomique et la définition de ses limites, nous traiterons, de la manière la plus exhaustive possible, des pathologies pouvant atteindre cette région, à savoir : les pathologies de la muqueuse, les pathologies des glandes salivaires, les tumeurs bénignes, les tumeurs malignes, les pathologies malformatives, les pathologies infectieuses et les pathologies traumatiques. Les pathologies du plancher buccal sont diverses et traitées pour un certain nombre dans d’autres articles de l’EMC. Aussi nous vous conseillons de vous y reporter pour une information plus complète quand cela est nécessaire. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The mouth floor is a particular anatomic zone of the oral cavity where specific stomatologic diseases can be located, together with some other lesions of the oral cavity. Anatomic limits of the floor of the mouth are described, followed by the description of the most common diseases affecting this anatomic region, namely: diseases of the mucosa; diseases of the salivary glands; benign tumours; malignant tumours; malformative diseases; infectious diseases; traumatology. Many diseases of the mouth floor are already treated elsewhere in the EMC and we suggest you refer to these articles when additional information is needed. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Définition et rappel anatomique Le plancher de la bouche est défini par Rouvière comme l’ensemble des parties molles qui ferment en bas la cavité buccale. Une conception plus moderne limite le plancher à la région sus-mylohyoïdienne, moins la langue mobile. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Bouletreau).

Le plancher buccal est donc limité en avant et sur les côtés par la table interne de la mandibule, et en arrière et médialement par le massif lingual. En arrière et latéralement, la limite est théorique par le repli amygdaloglosse et le pilier antérieur de la loge amygdalienne. Le plancher repose sur les muscles mylohyoïdiens et il est recouvert d’une muqueuse. La partie antérieure du plancher est formée des deux loges sublinguales, séparées sagittalement en profondeur par les muscles géniohyoïdiens et génio-

1769-6844/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcsto.2005.01.009

Affections du plancher de la bouche glosses, et au niveau muqueux par le frein de langue. En arrière et latéralement, le plancher correspond aux régions sus-hyoïdiennes et sousmandibulaires. Le plancher antérieur contient les glandes sublinguales, les canaux de Wharton, les nerfs linguaux ; le plancher, dans ses portions postérieures, contient de manière symétrique : le prolongement conoïde antérieur de la glande sous-mandibulaire, le nerf lingual (branche du nerf V3) et les vaisseaux linguaux.

127 Aphtose buccale mineure C’est la forme la plus fréquente. Les aphtes de formes ovalaires ou ronds sont au nombre de 1 à 5, mesurent de 1 à 9 mm de diamètre. La guérison est spontanée en 5 à 10 jours. Aphte géant Aussi appelée maladie de Sutton, les aphtes mesurent 1 à 5 cm, ils sont au nombre de 1 à 5 et sont atrocement douloureux. Ils peuvent s’accompagner d’un œdème ou de dysphagie. L’évolution vers la guérison se fait en 3 à 6 semaines. Une cicatrice rétractile peut persister.

Point fort La pathologie du plancher buccal correspond donc à toute lésion endobuccale intéressant la région sus-décrite. Remarquons que la partie supérieure du plancher est recouverte par la langue en position physiologique de repos, ce qui le protège d’un certain nombre de lésions, notamment dans la pathologie muqueuse et traumatique.

Pathologies de la muqueuse du plancher buccal Le plancher buccal peut être le siège de toutes les pathologies classiques de la muqueuse buccale, mais son atteinte semble moins fréquente que dans les autres localisations, probablement du fait de la protection relative par la langue mobile.

Aphtose buccale Fréquent et le plus souvent bénin, évoluant par poussées, l’aphte est une ulcération très douloureuse à fond déprimé, recouverte d’une membrane nécrotique de couleur blanc-jaunâtre beurre frais et entourée d’un halo érythémateux. Dans un certain nombre de cas, l’aphtose est le symptôme d’une pathologie qu’il faut rechercher. Aphtose buccale récidivante D’étiologie inconnue, c’est la pathologie de la muqueuse buccale la plus fréquente. Les lèvres, les joues et la langue sont plus fréquemment atteintes que le plancher. L’origine en serait plurifactorielle, notamment immunologique et génétique. Des facteurs favorisants sont souvent retrouvés : traumatismes mécaniques, troubles endocriniens, période prémenstruelle, stress émotionnel, certains aliments (noix, fromage, fruits frais, coquillages...). Trois formes sont classiquement distinguées.

Aphtose buccale herpétiforme Les ulcérations sont petites (0,5 à 2 mm), nombreuses (10 à 100) et confluentes en plaques érosives irrégulières. La guérison se fait en 1 à 2 semaines sans séquelles. Le traitement de l’aphtose buccale récidivante fait appel aux traitements locaux : corticoïdes locaux ou en injection, antibiotiques et antiseptiques en bains de bouche, anesthésiques locaux avant les repas, acide trichloracétique et nitrate d’argent. Les poussées sévères peuvent être traitées par voie générale : colchicine, thalidomide, corticothérapie. Aphtose de la maladie de Behçet Les aphtes, identiques aux aphtes buccaux récidivants, doivent êtres associés à deux des atteintes suivantes (critères cliniques diagnostiques majeurs) : ulcérations génitales récurrentes, lésions oculaires, lésions cutanées, hyperergie cutanée. Aphtoses buccales secondaires L’aphte ou plutôt l’ulcération aphtoïde est ici un symptôme. Il faut alors systématiquement évoquer : • les entérocolopathies telles que : maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, maladie cœliaque ; • un déficit en vitamine B12, fer, zinc, acide folique ; • une neutropénie cyclique ; • une agranulocytose (chimiothérapie) ; • une prise médicamenteuse. Le bilan étiologique d’une aphtose récidivante peut donc comporter : hémogramme, dosage de la ferritine, du zinc, de la vitamine B12, des folates.

Ulcérations muqueuses Une ulcération est une perte de substance muqueuse profonde, atteignant l’épithélium et le chorion, et pouvant laisser une cicatrice indélébile.

128 Une ulcération du plancher buccal doit faire évoquer en premier lieu une pathologie maligne comme le carcinome épidermoïde et, au moindre doute, une biopsie s’impose. Ulcération traumatique L’aspect de la lésion varie en fonction du mécanisme traumatique (prothèse dentaire inadaptée, mauvais état dentaire, aliments durs, etc.), de la durée d’évolution et d’une surinfection éventuelle. Les traumatismes physiques (chaleur) ou chimiques (acides, bases) laissent habituellement des cicatrices rétractiles (Fig. 1). Il s’agit en règle d’une lésion unique, douloureuse, à surface lisse, de couleur jaune ou blancjaune, à bord érythémateux, pouvant saigner, mais souple au contact. Une lésion ancienne peut devenir irrégulière, végétante, indurée. Le frein lingual peut être atteint, notamment lors de traumatismes labiaux en traction, ou chez le nouveau-né atteint de quintes de toux (coqueluche). L’arrêt du traumatisme doit entraîner la disparition complète de la lésion en une dizaine de jours. Les diagnostics différentiels à évoquer sont une pathologie néoplasique, la syphilis, l’aphte, la tuberculose, le granulome éosinophile. Carcinome épidermoïde Le carcinome épidermoïde ou épithélioma spinocellulaire représente 90 % des cancers de la cavité buccale. Le plancher est la deuxième localisation la plus atteinte après la langue. Classiquement, il s’agit d’une lésion chronique ulcéreuse et/ou bourgeonnante, à surface irrégulière, végétante, à bords surélevés, à base indurée et saignant au contact. Des adénopathies cervicales sont systématiquement recherchées. Cependant, les formes cliniques sont multiples : asymptomatiques au début, simples lésions érythémateuses ou blanchâtres, ulcérations d’aspect bénin ou masses exophytiques.

P. Bouletreau et al. Dans ces cas, c’est le terrain qui doit orienter le diagnostic : antécédent de cancer des voies aérodigestives supérieures, homme de plus de 40 ans, tabagisme, éthylisme, mauvaise hygiène buccodentaire. Le diagnostic repose sur la biopsie (qui doit être réalisée en limites de lésion avec une zone saine) avec examen anatomopathologique. Autres ulcérations du plancher Le chancre syphilitique, l’ulcération tuberculeuse (secondaire à une tuberculose pulmonaire), le granulome à éosinophile sont des affections rares de la muqueuse buccale. Leurs localisations préférentielles sont la langue, le palais et les lèvres. Lésions œdémato-ulcéreuses Elles sont peu fréquentes, et habituellement dues à des agents physiques (froid, chaud, radiations ionisantes) ou à des agents chimiques (acide acétylsalicylique, sels d’or, isoniaside, mercure, nickel, etc.).

Érosions muqueuses L’érosion ou exulcération est une perte de substance douloureuse limitée à l’épithélium, non nécrotique et qui guérit sans cicatrice. Un caractère bien circonscrit avec une collerette épithéliale doit faire évoquer une lésion primitive telle qu’une éruption vésiculeuse ou bulleuse. Une érosion peut donc être le premier stade d’une ulcération ou la manifestation d’une maladie vésiculeuse ou bulleuse. Ces maladies sont fréquentes en pathologie buccale et très souvent accompagnées de manifestations cutanées. L’atteinte de la muqueuse semble préférentielle sur les lèvres, les joues, la langue et le palais, mais toute la muqueuse peut être atteinte. Ces lésions sont douloureuses, empêchant une alimentation normale et sont souvent confondues initialement par le patient avec des aphtes. Érosions postvésiculeuses : viroses Ce type d’érosions muqueuses peut être rencontré au décours des viroses suivantes : la primoinfection herpétique (virus herpès simplex [HSV] 1 ou 2), l’herpangine (virus coxsackies du groupe A), le syndrome mains-pieds-bouche (virus coxackie A16), le zona du nerf V3. Maladies bulleuses

Figure 1 Séquelles de brûlure pelvienne par eau de Javel (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Érythème polymorphe Il donne essentiellement des lésions cutanées typiques en cocardes et atteint l’adulte jeune. Les manifestations buccales sont des vésicules laissant

Affections du plancher de la bouche place à des érosions couvertes d’une pseudomembrane nécrotique, préférentiellement sur les lèvres et la région buccale antérieure. Il survient le plus souvent 7 à 10 jours après une poussée d’herpès. Le syndrome de Stevens-Johnson est une forme d’érythème polymorphe atteignant les muqueuses, dans 90 % des cas la muqueuse buccale. Il survient 1 à 3 semaines après une prise médicamenteuse. Il est parfois associé à une infection à Mycoplasma pneumoniae. Le syndrome de Lyell est la même maladie, mais la cavité buccale est constamment atteinte et plus de 30 % de la surface cutanée peut se décoller, donnant un aspect de linge mouillé. L’origine médicamenteuse est la plus fréquente et la mortalité reste très élevée. Pemphigus C’est une maladie auto-immune. La cavité buccale est atteinte surtout dans le pemphigus vulgaire et paranéoplasique. Les lésions érosives irrégulières atteignent essentiellement le palais, les joues, les lèvres et peuvent précéder de plusieurs mois l’atteinte cutanée. Une biopsie périlésionnelle fait le diagnostic : acantholyse en histopathologie et dépôt d’immunoglobulines G (IgG) périkératinocytaire en immunofluorescence. Pemphigoïde bulleuse C’est la lésion la plus fréquente. Les lésions cutanées précèdent habituellement les lésions buccales qui sont présentes dans environ 40 % des cas. Les lésions buccales atteignent surtout la muqueuse jugale, du palais, de la langue et de la lèvre inférieure. La biopsie fait classiquement le diagnostic : dépôt d’IgG ou de C3 sur la membrane basale en immunofluorescence.

Lésions colorées du plancher Leucoplasies Il s’agit de lésions blanches de la muqueuse buccale, qui ne se décrochent pas au grattage et qui ne peuvent être classées cliniquement ou histologiquement dans une entité clinique connue. La leucoplasie est une lésion précancéreuse et l’atteinte du plancher buccal est la plus à risque de transformation carcinomateuse (43 %). Cette lésion, kératosique, est favorisée par des facteurs irritatifs exogènes : le tabac, l’alcool, les candidoses, certains virus. On distingue plusieurs formes cliniques : • la forme homogène qui est une plaque blanche homogène asymptomatique à surface lisse, ridée ou crevassée ; • la forme nodulaire ou ponctuée qui est plus rare, caractérisée par de multiples petits nodu-

129 les blancs posés sur une base rouge. Le risque de dégénérescence est majoré ; • la forme verruqueuse proliférative est d’aspect exophytique. Là aussi, le risque de dégénérescence est accru ; • la leucoplasie chevelue du sujet infecté par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) atteint surtout la langue et ne dégénère pas. La conduite à tenir devant une telle lésion, d’autant plus qu’elle se situe sur le plancher buccal, est la réalisation d’une biopsie en bordure de la lésion, au besoin guidée par une application de bleu de toluidine et l’examen anatomopathologique. En l’absence de dysplasie, la simple éviction des facteurs favorisants et irritants, une bonne hygiène buccale et la surveillance régulière peuvent être envisagées. Les dysplasies légères et modérées peuvent être traitées par laser ou cryothérapie. Les dysplasies sévères et carcinomes in situ doivent être traités chirurgicalement. Dans tous les cas, une surveillance clinique régulière s’impose, le risque de récidive est important. Érythroplasie L’érythroplasie est définie comme une lésion rouge feu asymptomatique, généralement plane ou légèrement surélevée, à surface lisse et bien délimitée, parfois érodée, voire ulcérée, et ne pouvant être rattachée à aucune étiologie (c’est-à-dire ne pouvant pas être rattachée à un ensemble lésionnel). Si cette lésion est peu fréquente dans la bouche, le plancher est une localisation préférentielle. L’étiologie peut être une irritation chronique ou une mycose. Une fois ces diagnostiques éliminés, il faut rechercher une « érythroplasie de Queyrat » à haut risque de dégénérescence et la biopsie confirme le degré de dysplasie. Le traitement est l’exérèse chirurgicale.

Lichen plan Le lichen plan atteint exceptionnellement le plancher buccal. Il s’agit d’une lésion asymptomatique le plus souvent, et qui peut présenter plusieurs formes cliniques. La lésion pathognomonique est constituée de stries blanchâtres entrelacées donnant un aspect en feuilles de fougères (stries de Wickham). Dans les autres formes (papuleuse, réticulée, en plaque, atrophique, érosive, bulleuse) où la distinction avec une leucoplasie est difficile, et dans la forme striée, au moindre doute, une biopsie avec examen anatomopathologique doit être réalisée. Elle permet le diagnostic et la détection éventuelle d’une transformation maligne (rare, existe surtout pour les formes atrophiques et érosives).

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Lésion pigmentée Une lésion pigmentée unique du plancher buccal doit faire évoquer systématiquement un mélanome malin et faire pratiquer une biopsie. La maladie de Kaposi ou sarcome de Kaposi se présente sous la forme de taches violacées ou brunâtres ne disparaissant pas à la pression, indolores, évoluant sur un mode tumoral. La localisation buccale est très fréquente, préférentiellement sur le palais et la gencive. Le sarcome de Kaposi est retrouvé chez les patients immunodéprimés et doit faire évoquer une infection par le VIH. Les diagnostics différentiels sont un tatouage par incrustation d’amalgame lors d’un soin dentaire, ou des dépôts isolés de mélanine décrits sous le nom de macules mélaniques.

Pathologie des glandes salivaires Lithiases salivaires La lithiase est la plus courante des affections des glandes salivaires, la glande sous-mandibulaire étant la plus fréquemment atteinte (Fig. 2). Lithiase submandibulaire Elle est de découverte parfois fortuite (examen clinique, cliché radiologique). Ce sont le plus souvent les accidents mécaniques qui révèlent la pathologie. Hernie salivaire C’est une tuméfaction pelvibuccale postérieure, sous le bord basilaire de la mandibule, rythmée par les repas et qui disparaît en laissant sourdre un flot salivaire buccal par l’ostium du canal de Wharton. Colique salivaire C’est la manifestation d’un blocage complet de l’écoulement salivaire avec spasme du canal de

Figure 2 Lithiase sous-mandibulaire intracanalaire (Collection des professeurs Breton et Béziat).

P. Bouletreau et al. Wharton. Le tableau clinique est identique à la hernie salivaire, mais il s’y associe une douleur violente siégeant dans le plancher et la langue et irradiant dans l’oreille. L’évolution naturelle de cette pathologie en l’absence de traitement se fait vers les manifestations infectieuses (sialodochite, cellulite pelvienne, sous-mandibulite, etc.). Lithiase sublinguale Elle est plus rare. Les signes de lithiase de la glande sublinguale sont pelvibuccaux antérieurs, en dehors du trajet du canal de Wharton et en dedans de la mandibule. Le diagnostic de lithiase submandibulaire ou sublinguale se fait sur l’interrogatoire et la palpation bidigitale (Fig. 3) qui permet parfois de sentir le calcul. L’association d’un cliché radiologique occlusal antérieur et postérieur avec un cliché en profil strict ou un orthopantomogramme permet d’objectiver un calcul radio-opaque, qu’il soit intracanalaire ou dans le bassinet de la glande (Fig. 4). En cas de doute (ou de calcul radiotransparent), une échographie peut être réalisée (calculs visibles à partir de 3 mm), ainsi qu’une sialographie aux hydrosolubles. Le traitement repose sur l’association d’antalgiques, spasmolytiques et sialagogues pendant les crises. Des antibiotiques peuvent être ajoutés en cas de signes inflammatoires. La tendance est à la répétition des crises et à la surinfection. Le traitement radical est chirurgical : extraction du calcul par voie endobuccale s’il est intracanalaire antérieur, par voie externe sous-mandibulaire avec sous-mandibulectomie s’il est postérieur ou intraglandulaire. La sublingualectomie peut être pratiquée pour les lithiases sublinguales.

Figure 3 Palper bidigital (Collection des professeurs Breton et Béziat).

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131 Sialodochites chroniques Il s’agit d’une infection chronique des canaux salivaires qui est rencontrée essentiellement dans la pathologie lithiasique, les mégacanaux, la calcinose et le syndrome de Sjögren surinfecté.

Pathologie infectieuse Les sialites du plancher concernent les glandes submandibulaires, sublinguales et glandes accessoires. En cas d’atteinte essentiellement parenchymateuse, on parle plutôt de sialadénite ; si c’est le canal excréteur qui est atteint, on emploie le terme de sialodochite. Complications des lithiases salivaires Figure 4 Cliché radiologique occlusal antérieur. Lithiase pelvienne (Collection des professeurs Breton et Béziat).

L’apparition récente de la lithotripsie extracorporelle et de la sialendoscopie interventionnelle, qui peuvent être utilisées parfois de manière concomitante, permet le traitement endocanalaire de certains calculs. Lithiase des glandes salivaires accessoires Ces lithiases sont très rares et sont l’apanage du sujet âgé.

Pathologie canalaire Dyskinésies salivaires Il s’agirait d’une dilatation canalaire en réflexe à une « épine irritative buccofaciale ». Des phénomènes ortho- et parasympathiques, en réponse à un stimulus (douleur d’origine muqueuse, dentaire, articulaire...), peuvent entraîner des spasmes et dilatations des voies salivaires responsables de blocages et rétentions, donnant ainsi des tableaux de hernies et coliques sous-mandibulaires alithiasiques. Le bilan clinicoradiologique ne retrouve pas de lithiase. Le traitement est étiologique. La sialendoscopie peut mettre en évidence une sténose canalaire et la dilater. Mégacanaux salivaires Il s’agit d’une dilatation chronique bilatérale des canaux de Wharton sans qu’une étiologie puisse être retrouvée. Cette pathologie rare se manifeste après 40 ans, et la découverte se fait au décours d’une complication infectieuse. Les ostiums sont alors inflammatoires, la salive abondante et de viscosité augmentée, et la pression de la glande provoque un « éjaculat salivaire » plus ou moins inépuisable. La palpation des canaux est indolore.

Whartonite Elle se manifeste par l’apparition brutale de douleurs pelviennes irradiant dans l’oreille, associées à une dysphagie, une sialorrhée, une impotence linguale, et parfois une hyperthermie modérée. L’examen retrouve une tuméfaction douloureuse inflammatoire homolatérale de la crête salivaire avec écoulement de pus à l’ostium (Fig. 5). L’évolution en l’absence de traitement se fait vers la périwhartonite ou abcès péricanalaire : diffusion de l’infection au plancher, avec apparition d’un trismus et de signes généraux plus marqués. Il s’agit d’une cellulite sus-mylohyoïdienne unilatérale, séparée de la mandibule par un sillon (signe du sillon). Sous-mandibulite ou sialadénite submandibulaire Elle peut être aiguë ou chronique, donnant des tableaux dont les signes fonctionnels et généraux sont plus ou moins intenses. La glande sous-mandibulaire est tuméfiée, de localisation sus-hyoïdienne latérale en dedans de la

Figure 5 Whartonite (Collection des professeurs Breton et Béziat).

132 table interne mandibulaire, de volume constant, et cette tuméfaction n’est pas rythmée par les repas. Il s’y associe des signes canalaires inflammatoires. Une sous-mandibulite d’origine lithiasique peut être inaugurale ou faire suite à un accident mécanique. Sialadénites infectieuses non lithiasiques Sialadénite virale ourlienne L’atteinte des glandes submandibulaires par le virus des oreillons n’est pas rare. Elle peut être uniou bilatérale, isolée ou associée à l’atteinte des autres glandes. Les glandes sublinguales peuvent aussi être atteintes. Cliniquement, il existe une tuméfaction douloureuse de la glande, dans un contexte d’infection virale avec notion de contage, hyperthermie, énanthème, sécheresse buccale et atteinte parotidienne le plus souvent. Autres atteintes virales La sialadénite submandibulaire à cytomégalovirus (CMV) atteint l’adulte âgé ou immunodéficient. Il s’agit d’un phénomène de réactivation virale. Le diagnostic peut être fait par la mise en évidence de cellules à corps d’inclusion caractéristiques dans la salive. L’atteinte par l’échovirus de type 9 semble possible. Sialadénite submandibulaire bactérienne Les sialadénites submandibulaires aiguës suppurées non lithiasiques se traduisent par un tableau de tuméfaction inflammatoire du plancher avec pus à l’ostium, dans un contexte fébrile. Cette pathologie est exceptionnelle chez l’adulte, contrairement à son homologue parotidien. C’est une pathologie du nourrisson, d’atteinte unilatérale, qui apparaît dans un contexte de déshydratation, d’immunodépression. Le germe en cause est soit un staphylocoque, soit un streptocoque, parfois transmis par la mère (galactophorite, abcès). Les atteintes tuberculeuses et paratuberculeuses sont rares et réalisent un tableau d’adénite sous-mandibulaire chronique, qui, en l’absence d’un traitement médicochirurgical, fistulise. Il s’agit toujours d’une tuberculose secondaire. De même, pour l’atteinte syphilitique, la syphilis secondaire donne classiquement une hypertrophie asymptomatique sous-mandibulaire, un tableau aigu étant cependant possible en cas de surinfection. La syphilis tertiaire semble pouvoir donner un tableau évocateur avec tuméfaction sous-mandibulaire fistulisant à la peau.

P. Bouletreau et al. Sialadénite submandibulaire actinomycosique Due à Actinomyces israelii, cette infection de la glande évolue vers la fistulisation avec émission de grains jaunâtres typiques. Sialadénites non infectieuses Sialadénite submandibulaire chronique sclérosante. Autrefois appelée « tumeur de Küttner », cette pathologie atteint essentiellement la femme après 50 ans. Elle se traduit par une tuméfaction submandibulaire uni- ou bilatérale chronique. La palpation de la glande est ferme et pseudotumorale, plus ou moins douloureuse. La salive est peu abondante, épaissie mais non purulente. La sialographie montre une dilatation modérée du canal de Wharton, un parenchyme inhomogène et un retard d’évacuation du produit de contraste. La pathogénie est incertaine : dystrophie glandulaire par insuffisance hormonale (atteinte majoritaire de femmes ménopausées), immunitaire avec formation de microcristaux canaliculaires par modification de la constitution salivaire (lithiases retrouvées dans 40 à 50 % des cas). Le traitement est symptomatique, parfois chirurgical par l’exérèse des glandes volumineuses. Sialadénite sublinguale. C’est une pathologie inflammatoire rare du sujet âgé, se manifestant par une tuméfaction pelvibuccale latérale, ferme et peu sensible. L’écoulement au Wharton est clair. Elle serait due à l’involution parenchymateuse liée à l’âge et/ou aux traumatismes chroniques. Il existe une forme dite nodulaire : c’est une granulomatose à cellules géantes. Le traitement est chirurgical. Autres sialadénites Sialadénite radio-induite. Elle survient dans les 24 heures qui suivent une irradiation salivaire. Elle se manifeste par un syndrome aigu associant sialomégalie, douleur et hyposialie. Sialadénite électrolytique. C’est une dyschylie affectant la glande sous-mandibulaire, l’augmentation de viscosité entraîne une obstruction des canalicules et une inflammation interstitielle. Elle serait favorisée par le diabète sucré et la cirrhose. Sialadénites allergiques, toxiques et collagéniques. Elles atteignent surtout les glandes parotides ou l’ensemble des glandes salivaires.

Tuméfactions inflammatoires Calcinose salivaire Atteignant essentiellement la femme après 45 ans, la calcinose salivaire réalise un tableau de tuméfaction douloureuse intermittente bilatérale ou à bascule de la glande sous-mandibulaire, avec salive louche ou purulente s’évacuant au Wharton.

Affections du plancher de la bouche D’étiopathogénie incertaine (composition salivaire, trouble immunitaire), atteignant un seul groupe de glande chez un patient, l’examen histologique des glandes retrouve des calcifications canaliculaires multiples. Le diagnostic est fait par les radiographies qui montrent de multiples calcifications, et la sialographie qui montre des dilatations irrégulières des canaux et des ectasies parenchymateuses en « boules ». Le traitement consiste en des lavages glandulaires par voie canalaire avec des solutions antibiotiques (rifamycine par exemple) et permet de longues rémissions. Une antibiothérapie générale est possible en cas de poussée aiguë et la chirurgie n’est pas conseillée, au moins en première intention. Sublingualites C’est la pathologie inflammatoire des glandes sublinguales : tuméfaction latérale du plancher, indolente ou peu sensible située entre la mandibule et le canal de Wharton. La tuméfaction est palpable en région sous-mandibulaire. L’ostium du Wharton reçoit une salive claire. L’étiologie est mal connue : involution du parenchyme salivaire et facteurs favorisants (lithiase, traumatisme chronique). Le traitement définitif est l’exérèse chirurgicale. Sialite chronique sclérosante Cette lésion chronique de la glande sous-maxillaire, ou « tumeur de Küttner », a été traitée plus haut.

Kystes salivaires Mucocèle Une mucocèle ou kyste mucoïde (Fig. 6) est une tuméfaction kystique par rétention salivaire : lisse, indolore, fluctuante et de couleur bleue translu-

133 cide. On distingue deux types de mucocèle : le kyste d’extravasation et le kyste de rétention dont les parois sont recouvertes d’un épithélium. La mucocèle du plancher peut naître des glandes salivaires accessoires – elle est alors petite et superficielle – ou d’une glande sublinguale. Sa taille est variable, elle est parfois de forme bilobée par le frein de la langue, d’où l’appellation « grenouillette ». Elle peut aller jusqu’à gêner parole et déglutition. L’évolution spontanée est l’augmentation progressive de volume avec des épisodes de perforation spontanée puis de reformation du kyste. Des surinfections sont possibles. Il existe un type de mucocèle profond, sousmylohyoïdien, rare : la grenouillette plongeante. Le traitement consiste en une marsupialisation ou exérèse chirurgicale avec parfois nécessité de reprise pour récidive du fait de nombreux prolongements kystiques, et le diagnostic est confirmé par l’anatomopathologie.

Pathologie tumorale Les tumeurs des glandes salivaires représentent environ 3 % de l’ensemble des tumeurs du corps. Cinq à 10 % des tumeurs salivaires sont de localisation sous-mandibulaire, 1 % sont sublinguales. Le degré de malignité augmente avec l’âge, et évolue en sens inverse de la taille de la tumeur. Globalement, les tumeurs sous-mandibulaires sont également bénignes et malignes et les tumeurs sublinguales presque toujours malignes. Tumeurs épithéliales des glandes salivaires Adénome pléiomorphe C’est une tumeur bénigne également appelée tumeur mixte. Elle représente 53 à 64 % des tumeurs des glandes sous-mandibulaires. Cliniquement, il s’agit d’une tuméfaction bien limitée, ferme sans être dure, non fixée, parfois polylobée, d’évolution lente (Fig. 7). Le traitement est chirurgical avec risque de récidive et de cancérisation après une longue évolution (2 à 3 %). Adénome monomorphe C’est une tumeur strictement bénigne représentant 5 à 10 % des tumeurs des glandes salivaires.

Figure 6 Kyste mucoïde (grenouillette) (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Adénolymphome C’est une tumeur bénigne atteignant plus volontiers l’homme dans sa sixième décennie, et ne touchant que rarement les glandes du plancher buccal.

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Figure 7 Adénome pléiomorphe (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Adénome oxyphile Il s’agit d’une tumeur bénigne ferme nodulaire exceptionnellement localisée au plancher. Autres adénomes monomorphes Les tumeurs bénignes du sujet âgé représentent environ 2 % des tumeurs salivaires. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue : l’adénome à cellules basales, l’adénome canaliculaire, l’adénome papillaire, l’adénome à cellules claires et l’adénome sébacé. Tumeur mucoépidermoïde C’est une tumeur maligne, deuxième par ordre de fréquence en localisation sous-mandibulaire. Elle représente 3 à 10 % des tumeurs salivaires. C’est la néoplasie salivaire maligne de l’enfant. Cliniquement, elle est plutôt arrondie, ferme, mobile, de croissance lente. Tumeur à cellules acineuses Il s’agit d’une tumeur maligne rare à croissance lente presque exclusivement parotidienne. Carcinomes salivaires Ces tumeurs malignes représentent 10 à 15 % des tumeurs des glandes principales et 5 % des tumeurs des glandes accessoires. Carcinome adénoïde kystique. Aussi appelé « cylindrome », il représente 15 à 17 % des tumeurs malignes sous-mandibulaires et 25 % des cylindromes sont d’origine salivaire accessoire. Cliniquement, il s’agit d’une tumeur ferme, bien limitée, peu douloureuse et de croissance lente, et souvent confondue avec un adénome pléiomorphe (Fig. 8). Cette tumeur est infiltrante, atteint autant l’homme que la femme, surtout entre 40 et 60 ans. Récidivante, elle donne des métastases régionales, ganglionnaires, et viscérales (os, poumon, cerveaux, foie, reins) souvent très tardives.

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Figure 8 Carcinome adénoïde kystique (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Le traitement chirurgical doit être radical et passer largement en tissu sain. Il peut être très délabrant. Adénocarcinome. C’est une tumeur ferme, mal limitée de croissance rapide, qui représente 1 % des tumeurs salivaires. Les récidives et métastases sont fréquentes (50 % des cas). Carcinome épidermoïde. Il s’agit d’une tumeur à croissance très rapide et infiltrante, fixée, douloureuse avec tendance à l’ulcération et à l’envahissement nerveux. Le traitement doit être radical et le pronostic est défavorable. Elle représente 1 à 2 % des tumeurs. Carcinome indifférencié. C’est une tumeur épithéliale maligne trop peu différenciée pour pouvoir être classée avec les autres carcinomes, elle représente 1 à 3 % des tumeurs salivaires. Ces tumeurs sont d’évolution rapide et douloureuse, envahissantes localement et à distance (ganglions, poumon, os, foie, cerveau). Le traitement chirurgical doit être radical et 50 % des patients meurent de métastases viscérales dans les années qui suivent. Carcinome développé sur adénome pléiomorphe. La cancérisation d’une tumeur mixte est estimée à 2 à 5 % des cas. Elle survient sur une tumeur bénigne ancienne ou après chirurgie incomplète ou encore après irradiation d’un adénome bénin. Le symptôme typique est la croissance brusque d’une tumeur dans les conditions sus-citées. Après traitement chirurgical, les récidives sont très fréquentes (50 à 70 % des cas) et les métastases ganglionnaires et générales fréquentes (30 à 70 %). La survie à 5 ans est de 40 à 50 %. Tumeurs non épithéliales des glandes salivaires Ces tumeurs sont le plus souvent bénignes et se développent à partir des tissus mésenchymateux situés dans les loges des glandes salivaires. Ce type de tumeur est beaucoup plus fréquent au niveau parotidien que sous-mandibulaire ou sublingual.

Affections du plancher de la bouche

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Elles naissent aux dépens des enveloppes nerveuses, des vaisseaux sanguins et lymphatiques, ganglions, graisse, tissu conjonctif.

Tumeurs bénignes non salivaires Tumeurs épithéliales : papillomes C’est une lésion centimétrique pédiculée avec un aspect en « chou-fleur » de coloration rouge ou blanchâtre. Le papillome est dû à un papillomavirus. Il est retrouvé dans les deux sexes et à tout âge. Le risque de récidive après exérèse chirurgicale est élevé.

Kyste dermoïde Il s’agit d’un kyste embryonnaire dont la paroi est constituée d’un épithélium stratifié et qui contient des dérivés dermiques (follicules pileux, dents, glandes sudoripares et sébacées). Il est peu fréquent dans la bouche et siège préférentiellement dans le plancher buccal. Il peut être situé en position sus- ou sous-mylohyoïdienne. En position susmylohyoïdienne, il réalise une tuméfaction lisse, indolore et fluctuante, mais n’a pas la couleur bleutée de la grenouillette. Le traitement est chirurgical.

Figure 9 Torus pelvien (Collection des professeurs Breton et Béziat).

« Hernie sublinguale » Il s’agit d’une hypertrophie relative des tissus mous du plancher au niveau d’une zone d’édentation molaire ou prémolaire, responsable d’un aspect pseudotumoral. C’est l’équivalent d’une diapneusie.

Figure 10 Ostéome mandibulaire (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Torus mandibulaire (Fig. 9) C’est une exostose située sur le versant lingual de la mandibule, au-dessus de la ligne mylohyoïdienne, en regard des prémolaires, et qui n’évolue pas dans le temps. Les tori mandibulaires sont bilatéraux dans 80 % des cas, et leur prévalence atteint 6 % dans la population blanche. En cas de gêne fonctionnelle, notamment pour l’appareillage dentaire, une résection chirurgicale est possible.

Ostéome mandibulaire (Fig. 10, 11) L’ostéome mandibulaire est une tumeur osseuse bénigne pédiculée ou sessile à croissance lente. Elle siège le plus souvent sur le versant lingual de la mandibule et retentit donc sur le plancher. La

Figure 11 Cliché tomodensitométrique 3D du même ostéome pelvien (Collection des professeurs Breton et Béziat).

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résection chirurgicale est possible en cas de gêne fonctionnelle.

Lipome (Fig. 12) Le lipome du plancher, rare, réalise une tuméfaction d’évolution lente, molle, indolore, bien limitée, sessile ou pédiculée, lisse et avec un aspect jaune caractéristique.

Fibrome C’est la tumeur mésenchymateuse la plus fréquente au niveau du plancher buccal. C’est une masse de petite taille, dure, indolore, à croissance très lente, le plus souvent en relation avec un traumatisme, d’origine prothétique notamment.

Myxome Très rare dans la cavité buccale, cette tumeur mésenchymateuse se situe volontiers dans le plancher. Elle se présente comme une tumeur molle bien délimitée, mobile et recouverte d’une muqueuse normale.

Tumeurs d’origine musculaire Le rhabdomyome, tumeur développée aux dépens du tissu musculaire strié, se situe dans 50 % des cas au niveau du plancher quand elle est dans la cavité buccale. Elle réalise une voussure du plancher et peut entraîner un bombement sous-mandibulaire. Sa découverte doit faire rechercher d’autres localisations. Le léiomyome, né aux dépens du tissu musculaire lisse, est très rare.

Tumeurs nerveuses Le névrome traumatique réalise un nodule indolore spontanément, mais très sensible à la stimulation,

Figure 12 Lipome du plancher buccal.

Figure 13 Schwannome (Collection des professeurs Breton et Béziat).

à proximité d’une cicatrice du plancher. Il apparaît suite à une section nerveuse, parfois iatrogène. Le schwannome ou neurinome est exceptionnel au niveau du plancher (Fig. 13). Le neurofibrome, peu fréquent au niveau du plancher, doit faire évoquer une maladie de Von Recklinghausen. La tumeur d’Abrikossoff, dérivant des cellules de Schwann, peut se rencontrer au niveau du plancher. Elle se présente sous la forme d’un nodule ferme grisâtre non douloureux.

Tumeurs vasculaires Hémangiomes Ces lésions fréquentes sont dues à une prolifération de vaisseaux sanguins regroupés sous le terme de malformations artérioveineuses. Il s’agit d’une anomalie de développement qui est présente dès la naissance ou apparaît dans les premiers mois de la vie. Plusieurs classifications existent : dynamique, fondée sur l’artériographie, et distinguant les lésions actives à circulation rapide des lésions inactives à circulation lente ; ou clinique, fondée sur le potentiel évolutif de la lésion, et distinguant les tumeurs immatures, qui sont présentes dès la naissance et involuent dans les premières années de la vie, des tumeurs matures qui ne régressent pas. Enfin, la classification peut être histologique, en fonction du type de vaisseau atteint. Cliniquement, il s’agit d’une lésion colorée rouge plane (hémangiome capillaire), ou d’une lésion tumorale dépressible rouge sombre (hémangiome caverneux). La décoloration de la lésion à la pression est caractéristique. La taille varie de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Elle peut s’étendre dans toute la cavité buccale et gêner la phonation, la déglutition, la respiration, voire retentir sur la croissance du massif facial.

Affections du plancher de la bouche Le traitement peut être délicat et doit faire discuter : un traitement chirurgical, des injections sclérosantes endotumorales, ou parfois l’abstention thérapeutique. Lymphangiomes et hémolymphangiomes (Fig. 14) Il s’agit d’anomalies de développement du système lymphatique. Fréquentes, elles apparaissent dans les premières années de la vie et sont localisées fréquemment sur la langue et le plancher buccal. Les lymphangiomes se présentent comme de multiples petites tumeurs kystiques molles, incolores ou rouges et non douloureuses. La coloration dépend de la profondeur de la malformation et de son rapport avec le réseau sanguin (hémolymphangiomes). La taille, qui a tendance à augmenter jusqu’à l’adolescence, peut être très importante et entraîner une gêne fonctionnelle du même ordre que les malformations artérioveineuses. Les surinfections sont possibles. Le traitement chirurgical peut être délicat. L’hygroma kystique ou lymphangiome kystique est une tumeur de même nature : hyperdéveloppement lymphatique par défaut de drainage des vaisseaux collecteurs, souvent présent dès la naissance. Il se présente comme un gonflement diffus et mou, et sa localisation au plancher buccal peut entraîner une détresse respiratoire. Son évolution se fait par poussées et peut se compliquer d’hémorragies intrakystiques et de surinfections. Le traitement est l’exérèse chirurgicale, qui est délicate et comporte un risque de récidive.

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Autres tumeurs dysembryoplasiques Nodule thyroïdien ectopique Il peut former une voussure médiane sur le plancher buccal. Il s’agit d’un résidu embryonnaire situé sur le trajet du tractus thyréoglosse. Il mesure en général 2 à 3 cm au moment du diagnostic. Il faut réaliser une scintigraphie thyroïdienne avant tout geste chirurgical car, dans 70 % des cas, une thyroïde ectopique n’est pas accompagnée d’une thyroïde en position normale. Kyste du tractus thyréoglosse Il peut aussi être situé sur tout le trajet du tractus thyréoglosse. Il naît de restes non oblitérés du tractus et réalise également une voussure du plancher. L’augmentation de volume est possible, notamment au cours d’une poussée infectieuse. L’exérèse par voie endobuccale est possible. Kystes dermoïdes et épidermoïdes Ils naissent de reliquats embryonnaires épithéliaux. Le kyste se présente comme un gonflement indolore médian, de couleur normale ou légèrement rouge, pâteux à la palpation. Il peut se situer en position susgénio-hyoïdienne ou entre les muscles géniohyoïdiens et mylohyoïdiens, et la tuméfaction est alors sous-mentale. Il peut se compliquer de poussées inflammatoires. Le traitement est chirurgical. Kyste lymphoépithélial Il serait dû à la dégénérescence kystique de tissu lymphoïde. Il est entouré d’une capsule et situé en position pelvienne de manière physiologique (oral tonsil). Cliniquement, il forme une masse sousmuqueuse molle, indolore, mobile, de couleur normale, jaunâtre ou rouge. Sa taille va de quelques millimètres à 2 cm. Sa découverte se fait en général autour de 40 ans. Kystes gastroentérogéniques Ils peuvent rarement se situer au niveau du plancher buccal.

Tumeurs malignes non salivaires Carcinome épidermoïde

Figure 14 Lymphangiome (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Le carcinome épidermoïde est de loin la tumeur maligne la plus fréquente du plancher buccal (97 % des tumeurs malignes). Le plancher buccal est la seconde localisation préférentielle des carcinomes épidermoïdes, après la langue. Il se développe plus fréquemment chez l’homme de plus de 40 ans et

138 est favorisé par l’association tabac-alcool, la mauvaise hygiène buccodentaire, la cirrhose, et les traumatismes chroniques. Les lésions considérées comme à risque de dégénérescence cancéreuse et que l’on peut retrouver sur le plancher sont : le lichen plan, la leucoplasie, le carcinome verruqueux, l’érythroplasie, les dysplasies épithéliales, le carcinome in situ, l’atrophie muqueuse dans le syndrome de Plummer-Vinson (anémie sidéropénique) et la leucémie lymphoïde chronique. L’aspect local au stade initial peut être une lésion érythémateuse ou blanchâtre, une érosion ou une petite masse exophytique, souvent asymptomatique. À un stade plus évolué, il se présente comme une lésion chronique du plancher ulcérée, végétante, exophytique, bourgeonnante ou ulcérobourgeonnante, peu ou pas douloureuse, reposant sur une base indurée plus large que la lésion, et qui saigne au contact (Fig. 15). La localisation est plus fréquente à l’extrémité antérieure du plancher et l’extension se fait plus rapidement vers l’arrière que latéralement. Dans les atteintes postérieures du plancher, l’extension aux organes voisins est plus rapide. L’extension locale se fait en profondeur envahissant éléments musculaires, glandulaires et osseux. La lymphophylie est importante, avec envahissement des ganglions sous-mandibulaires puis sous-digastriques homolatéraux dans un premier temps. Les ganglions sous-mentaux sont envahis dans les localisations très antérieures. L’extension à distance se fait sous forme de métastases essentiellement pulmonaires, osseuses, hépatiques, ou cérébrales. Le diagnostic est fait par la biopsie avec examen anatomopathologique de toute lésion suspecte. Le traitement repose sur l’association de la chirurgie à la chimiothérapie et radiothérapie.

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Autres tumeurs malignes Elles sont rares. Nous citerons le mélanome et les tumeurs mésenchymateuses : fibrosarcome, rhabdomyosarcome retrouvé chez l’enfant, léiomyosarcome, liposarcome, sarcomes neurogènes...

Pathologie malformative Aglossie et la microglossie Elles s’associent à une hypertrophie des muscles du plancher et une hypertrophie relative des glandes sublinguales.

Ankyloglossies L’ankyloglossie partielle, correspondant à un frein lingual court, est, dans sa forme bénigne, une pathologie courante du nouveau-né. Elle se retrouve aussi dans un certain nombre de syndromes polymalformatifs (le syndrome de Van der Woude associant fente labiopalatine et fistules labiales inférieures, la cryptophtalmie, le syndrome « hypospade-dysphagie », la trisomie 13, le syndrome oro-facio-digital de type II). L’ankyloglossie totale, où le plancher se réduit à un simple sillon gingivolingual ou est inexistant, est rarissime. L’ankyloglossie latérale, affection également rarissime, se rencontre dans les syndromes des premiers et deuxièmes arcs branchiaux.

Syndrome oro-facio-digital de type I Il touche presque exclusivement des sujets féminins, associe des anomalies des extrémités, des phanères, et de la face à une atteinte pelvibuccale : des brides fibreuses relient le vestibule à la langue, en passant par le rebord alvéolaire mandibulaire et le plancher. Ces brides peuvent être uniques ou multiples, donnant ainsi un aspect plurilobé à la langue. S’y ajoutent des tumeurs à type d’hamartomes présents dès la naissance, des dents surnuméraires, des fentes faciales.

Fentes médianes inférieures

Figure 15 Carcinome épidermoïde (Collection des professeurs Breton et Béziat).

Elles résultent d’un défaut de migration des bourgeons mandibulaires au stade de l’embryogenèse et sont très rares. Elles varient de la simple encoche du vermillon à une fente totale de l’étage inférieur s’étendant jusqu’à la base du cou, atteignant donc le plancher qui est scindé en deux.

Affections du plancher de la bouche

Pathologie infectieuse (en dehors des infections d’origine salivaire) Les infections d’origine virale et mycosique ont été traitées dans les chapitres précédents (affections de la muqueuse du plancher buccal). Les atteintes parasitaires sont exceptionnelles au niveau du plancher. La leishmaniose américaine et le kyste hydatique peuvent s’y localiser. Les infections bactériennes sont fréquentes, la porte d’entrée pouvant être une ulcération néoplasique ou non, une lésion traumatique accidentelle ou iatrogène, mais le plus souvent, c’est une infection d’origine dentaire qui est en cause. L’évolution est variable en fonction de la localisation de la dent en cause, du terrain, du traitement mis en route. Les évolutions redoutées sont : le retentissement sur les voies respiratoires lié à l’œdème, l’extension locale de l’infection avec nécrose tissulaire, donnant des tableaux gravissimes, et l’extension dans les espaces de décollements parapharyngés avec extension médiastinale. Le principe de la prise en charge consiste en une antibiothérapie probabiliste ou idéalement adaptée au germe si des prélèvements sont disponibles, le drainage chirurgical d’une collection, un traitement symptomatique avec l’usage de vessie de glace et d’anti-inflammatoires stéroïdiens pour limiter les phénomènes œdémato-inflammatoires. L’usage d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est proscrit en raison d’un risque d’évolution vers une forme grave diffuse. Le traitement étiologique de la porte d’entrée est fondamental : extraction de la dent en cause le plus souvent. Différentes formes cliniques classiques peuvent être décrites.

Cellulite aiguë sous-mylohyoïdienne C’est la forme clinique la plus fréquente. Les portes d’entrées sont les dents dont les apex sont situés sous le plan des muscles mylohyoïdiens, c’est-àdire les molaires inférieures. Cliniquement, il existe une tuméfaction inflammatoire sousmandibulaire postérieure avec un œdème pouvant diffuser en région génienne et cervicale. Après un stade séreux dominé par l’œdème, une collection apparaît qui se traduit par une tuméfaction fluctuante associée à un trismus. Le drainage chirurgical se fait par voie mixte endobuccale et externe, parallèle et à distance du bord basilaire de la mandibule, avec mise en place d’un système de drainage.

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Cellulite aiguë sus-mylohyoïdienne Les portes d’entrées sont les dents dont les apex sont situés au-dessus du plan des muscles mylohyoïdiens, en général les prémolaires inférieures. Cliniquement, il existe une tuméfaction antérolatérale du plancher buccal, avec un œdème gardant le godet, et pouvant soulever la langue. L’évolution de ce stade séreux se fait vers la collection où l’on retrouve une tuméfaction fluctuante accolée à la table interne mandibulaire en regard d’une dent délabrée. Le drainage se fait par voie endobuccale.

Cellulite chronique C’est l’évolution possible d’une cellulite non ou mal traitée (persistance de la porte d’entrée, antibiothérapie inadaptée). Il se forme une fistule endo- ou exobuccale permettant l’évacuation de la collection, et une tuméfaction chronique peut apparaître avec des épisodes de réchauffement, et de fistulisation.

Cellulite diffuse grave On regroupe ici toutes les formes de cellulites à extension rapide à l’ensemble du plancher et diffusant aux régions voisines, mettant en jeu le pronostic vital. La plus connue est « l’angine de Ludwig ». Les facteurs favorisants sont un terrain débilité, l’immunodépression, le diabète, et l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens sur une cellulite banale. Le tableau est bruyant avec un syndrome infectieux clinique et biologique très marqué pouvant évoluer vers le choc septique. Localement, l’œdème inflammatoire domine avec une induration, une extension rapide et une diffusion massive à l’ensemble du plancher puis vers le cou et le médiastin. Il n’y a pas de pus, mais un liquide sérosanglant putride non collecté et une gangrène avec nécrose tissulaire. Le traitement est celui du choc, associé à un traitement chirurgical souvent délabrant qui consiste en des incisions de drainage des espaces de diffusions, excision des tissus nécrosés, lavages, et une antibiothérapie ciblée sur les germes en cause.

Pathologie traumatique Traumatologie faciale On peut observer des plaies muqueuses lors des fractures mandibulaires par phénomène de cisaille-

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P. Bouletreau et al. Enfin, des tatouages de la muqueuse pelvienne par amalgame peuvent résulter de soins dentaires.

Traumatismes chroniques

Figure 16 Hématome du plancher buccal (Collection des professeurs Breton et Béziat).

ment lors du déplacement osseux. Le plancher peut être le site d’inclusion de corps étrangers osseux, dentaires, et de projectiles lors des gros fracas et des traumatismes balistiques. De même, un hématome du plancher peut se rencontrer lors d’un traumatisme facial ou iatrogène postchirurgical ou après intubation difficile. Il peut avoir parfois un volume important et entraîner une gêne respiratoire : c’est l’hématome suffocant du plancher, qui représente un risque vital important (Fig. 16).

Lésions iatrogènes Les plaies iatrogènes par instrument rotatoire, notamment par fraise, entraînent des lésions de type déchirement et arrachement parfois très délabrantes pour les éléments nobles du plancher. La lésion du nerf lingual lors de plaies postérieures, le plus souvent iatrogènes, entraîne une anesthésie de l’hémilangue homolatérale. Des rétentions salivaires de la glande sousmandibulaire ou d’une glande salivaire accessoire (kyste mucoïde) peuvent être occasionnées par lésion iatrogène de leur voie excrétrice.

Les prothèses dentaires mal adaptées sont responsables de nombreuses lésions, à type d’ulcération, lésion papillomateuse, ou lésion parakératosique. Le diagnostic différentiel de carcinome épidermoïde doit être évoqué. La maladie de Riga-Fede ou granulome traumatique à éosinophile apparaît en réponse à un traumatisme chronique (dent délabrée) sur un terrain débilité ou chez le nourrisson lors d’éruptions dentaires. Cette lésion régresse spontanément et nécessite rarement l’exérèse chirurgicale. Des ulcérations du frein lingual par irritation sur les dents peuvent être rencontrées chez le nourrisson victime de quintes de toux (coqueluche).

Pour en savoir plus Les références bibliographiques proposées ne sont qu’indicatives, compte tenu de la diversité des pathologies présentées, et ne peuvent prétendre à l’exhaustivité. Farge P, Ajacques JC, Dallaire L, Magloire H. Manuel de génétique bucco-dentaire. Paris: Masson; 1992 (130p). Laskaris G. Atlas des maladies buccales. Paris: Flammarion; 1994 (372p). Le Charpentier Y, Aurio M. Histopathologie bucco-dentaire et maxillo-faciale. Paris: Masson; 1997 221p. Piette E, Reychler H. Traité des pathologies buccale et maxillofaciale. Bruxelles: De Boeck; 1991 1977p. Pindborg J. Atlas des maladies de la muqueuse buccale. Paris: Masson; 1995 397p. Szpirglas H, Ben Slama L. Pathologie de la muqueuse buccale. Paris: Éditions scientifiques et médicales Elsevier; 1999 308p. Vaillant L, Goga D. Dermatologie buccale. Paris: Doin; 1997 295p.