53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER THÉMATIQUE – INSTITUT PASTEUR À TAPER
Le point sur l’épidémiologie et le diagnostic des chlamydioses humaines en France Bertille de Barbeyrac a,*, Maïthé Clerc a, Laure Imounga a, Françoise Obeniche a, Olivia Peuchant a, Chloé Le Roy a, Cécile Bébéar a
Chlamydia trachomatis est le premier agent bactérien responsable d’infection sexuellement transmissible (IST) dans les pays industrialisés. Du fait du caractère le plus souvent asymptomatique de l’infection et de la disponibilité d’un traitement minute efficace, se pose la question du dépistage. De plus l’épidémie de lymphogranulomatose vénérienne (LGV) parmi les hommes ayant des rapports avec les hommes continue. Nous ferons le point sur les populations cibles à dépister, les outils diagnostiques et l’épidémie de LGV. D’autre part, la psittacose, appelée aussi chez l’homme ornithose et chez l’animal chlamydiose aviaire, est une zoonose due à Chlamydia ou Chlamydophila psittaci. L’homme se contamine auprès d’oiseaux infectés par contact direct ou par inhalation de poussières contaminées. Les professions les plus exposées sont les éleveurs, les personnels d’abattoirs, les vétérinaires. Nous ferons le point sur cette infection avec les données de l’étude descriptive sur la psittacose dans l’Ouest et Sud-ouest de la France, 2008-2009.
C. trachomatis L’infection à C. trachomatis est la plus fréquente des IST bactériennes rapportées en Europe. En 2009, 343 958 cas ont été rapportés dans 23 pays de l’Union européenne, correspondant à 185 cas/100 000 habitants, plus fréquemment chez la femme (217 cas/100 00) que chez l’homme (152/100 000) http://www.ecdc.europa.eu/. La véritable incidence de l’infection est probablement plus élevée. Les trois quarts sont rapportés chez les jeunes entre 15 et 24 ans. La tendance est à l’augmentation [1], reflétant une augmentation des cas, de la surveillance, des dépistages et de l’amélioration des outils de détection. En France, les résultats de l’enquête Natchla montrent que la prévalence chez les personnes
a Laboratoire de bactériologie EA 3671 Infections humaines à mycoplasmes et Chlamydiae CNR des infections à Chlamydiae Université Victor Segalen Bordeaux 2 146, rue Léo-Saignat 33076 Bordeaux,cedex
* Correspondance
[email protected] © 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
âgées de 18 à 44 ans était de 1,4 % chez l’homme et de 1,6 % chez la femme. Cette prévalence est plus élevée chez les 18-29 ans (hommes : 2,5 % [IC 95 % : 1,2-5,0], femmes : 3,2 % [IC 95 % : 2,0 -5,3]) [2]. Le facteur de risque commun à tous les 18-29 ans est le fait d’avoir eu récemment un partenaire occasionnel. Les autres facteurs de risque identifiés pour les hommes sont le fait de résider en Ile-de-France ou d’avoir eu récemment un nouveau partenaire et pour les femmes d’avoir eu plus de deux partenaires dans l’année, des partenaires du même sexe, et être non diplômées. Un fait notable est que la prévalence chez les femmes âgées de 25 à 29 ans ne diffère pas notablement de celle des femmes de 18 à 24 ans. De plus, dans le réseau de surveillance Rénachla, 20 % des cas sont identifiés chez les femmes entre 25 et 29 ans [3]. Or les recommandations de dépistage intéressent les femmes de moins de 25 ans laissant de côté les femmes plus âgées. Ces résultats devraient inciter à revoir les recommandations de manière à inclure les femmes jusqu’à 30 ans. Du fait du caractère paucisymptomatique de l’infection urogénitale, l’infection peut rester inconnue. Non traitée, elle peut être à l’origine de complications telles que stérilité et grossesse extra-utérine. Le coût annuel des infections à C. trachomatis et de leurs séquelles est estimé à plus de 2 billions de dollars aux États-Unis. Dans de nombreux pays industrialisés, des programmes de screening ont été proposés dans le but de réduire la transmission et les conséquences sur la reproduction. Cependant, les résultats de ces politiques de dépistage ne semblent pas atteindre leurs objectifs. Les conclusions récentes d’un essai randomisé sont que la plupart des cas d’infection pelviennes ne sont pas prévenus par un seul test de dépistage et surviennent chez des femmes qui étaient négatives au moment du dépistage [4]. Le dépistage de masse est rendu possible grâce à l’utilisation de tests d’amplification de plus en plus performants et automatisés sur des prélèvements non invasifs, comme le 1er jet d’urine chez l’homme et l’autoécouvillonnage vaginal. Nos essais récents sur la plateforme Cobas 4800 (Roche) montrent que ce système présente d’excellentes performances, notamment sur les urines. Le système d’extraction semble particulièrement efficace comme le montre le très faible taux de résultats invalides par inhibition (0,1 %) et le gain de 2,66 cycles en moyenne sur les urines positives par rapport au Cobas TaqMan avec extraction par MagNaPure (Roche). Des essais comparatifs avec le système Abbott m2000 montrent un taux de concordance de 99,7 %, avec les systèmes Gen-Probe AC2 et
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - 429 BIS //
39
BD ProbeTec Viper, des taux de concordance de 98 % et 98,3 % respectivement sur les urines masculines et de 98,8 % et 99,2 % respectivement sur les écouvillons endocervicaux. Tous ces automates sont équipés d’un extracteur et d’un amplificateur permettant de réaliser des séries plus ou moins importantes avec une parfaite robustesse et traçabilité. Ils présentent tous l’avantage de détecter simultanément C. trachomatis et N. gonorrhoeae. La société BioRad vient de commercialiser un système de PCR triplex, C. trachomatis, N. gonorrhoeae et M. genitalium dont les performances au cours de notre évaluation se sont révélées excellentes. Ce système ne dispose pas d’extracteur. La surveillance de la lymphogranulomatose vénérienne rectale (LGV) permet de décrire l’évolution du nombre de cas depuis son émergence en 2003 jusqu’à fin 2009. Cette surveillance [5] s’appuie sur un réseau de laboratoires qui envoie les échantillons ano-rectaux au CNR pour génotypage. Ce génotypage permet de différencier les cas de LGV des cas de rectites à souches non L. Le nombre de LGV augmente en 2007 (170 cas) et 2008 (191 cas) par rapport à 2005 (117 cas) et 2006 (140 cas) et diminue en 2009 avec 160 cas. Cette épidémie touche des hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH), séropositifs pour le VIH dans 90 % des cas. À noter cependant un cas de LGV rectale chez une femme.
40
C. psittaci C. psittaci a été détectée à ce jour chez plus de 450 espèces d’oiseaux domestiques et sauvages à travers le monde. Si chez les psittacidés, la chlamydiose est le plus souvent symptomatique, elle est presque toujours inapparente chez les volailles. Les oiseaux infectés, qu’ils soient malades ou non, excrètent via leurs déjections un grand nombre de bactéries dans l’environnement. Il n’y a pas de transmission alimentaire ni interhumaine rapportées. Chez l’homme, la durée d’incubation est de 5 à 19 jours. La maladie est le plus souvent bénigne mais elle peut être grave avec des pneumopathies atypiques sévères voire mortelles si un traitement antibiotique n’est pas rapidement mis en place. Les antibiotiques sont actuellement les seuls moyens de contrôler l’infection Le diagnostic biologique est difficile en l’absence d’outils sensibles, spécifiques et accessibles. En effet, le diagnostic direct ne se fait plus par culture cellulaire nécessitant un laboratoire de niveau de sécurité biologique adapté et il n’existe pas de tests PCR commercialisés. Le CNR a mis au point un test PCR maison ciblant l’ADN 23S spécifique des Chlamydia et le gène d’une protéine d’inclusion spécifique de C. psittaci [6]. Le diagnostic sérologique ne peut se faire que par IFI et doit être interprété en tenant compte des réactions croisées avec les autres espèces de Chlamydia, C. trachomatis et C. pneumoniae.
Afin de surveiller la dissémination éventuelle des souches de LGV dans la population tout-venant, le CNR a typé 4 848 échantillons uro-génitaux positifs à C. trachomatis provenant de 2 902 femmes et 1 946 hommes entre 2004 et 2009. Ces échantillons provenaient du Cerba, du laboratoire du Chemin-Vert à Paris et du laboratoire de bactériologie du CHU de Bordeaux. Les échantillons ont été testés par PCR en temps réel spécifique des souches L. Seulement trois prélèvements urétraux étaient positifs chez des hommes dont le comportement sexuel n’était pas connu. D’autre part, le CNR a détecté 11 cas de LGV avec ulcération et adénopathie inguinale, 2 cas de souches L2 dans l’urètre et 1 cas dans l’urine d’HSH. L’observation de ces cas peut faire craindre le passage de cette infection à la population hétérosexuelle comme le montre la description d’un cas de LGV rectale chez une femme.
La psittacose est une maladie professionnelle indemnisable. Les cas professionnels de psittacose sont peu nombreux : 16 salariés agricoles ont fait l’objet d’une reconnaissance de maladie professionnelle par la Mutualité sociale agricole (MSA) entre 1990 et 1999 et 39 salariés par le régime général entre 1989 et 2001.
Jusqu’à fin 2009, le typage des souches dans les échantillons rectaux était regroupé par trimestre. Pour une meilleure prise en charge et dans le but de recueillir des données cliniques et comportementales, le système de surveillance a changé en 2010. Les échantillons rectaux positifs sont désormais envoyés par les laboratoires dès leur identification au CNR qui procède au typage par une méthode rapide de PCR en temps réel spécifique du sérovar L. Le résultat est faxé le jour même au laboratoire et le clinicien reçoit le résultat par courrier avec une fiche de renseignements cliniques à renvoyer au CNR ainsi qu’une demande de consentement de recueil de données, à faire signer par le patient. Les documents nécessaires au fonctionnement du réseau peuvent être consultés et imprimés à partir du site web du CNR, http://www.cnrchlamydiae.u-bordeaux2.fr/.
Plusieurs épisodes de cas groupés ont fait l’objet d’investigations dans des abattoirs : en 1990, 18 cas en Maineet-Loire, en 1997, 15 cas dans le Morbihan, en 1998, 6 cas dans le même abattoir de canards du Maine-et-Loire qu’en 1990, en 2005, 7 cas en Mayenne. En 2006, 6 cas groupés ont été identifiés chez des éleveurs, inséminateurs ou gaveurs de canards dans les Deux-Sèvres, la Vendée et la Vienne.
// REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - 429 BIS
En 2000, une enquête de la MSA auprès des professionnels de la filière avicole des régions de Bretagne et des Pays-de-la-Loire arrêtés pour une symptomatologie et un traitement compatibles avec la psittacose, a mis en évidence une séroprévalence vis-à-vis de C. psittaci de 44 % dans la population étudiée [7]. La séroprévalence était significativement plus élevée chez les femmes que chez les hommes, en particulier parmi celles en contact avec des canards et celles travaillant uniquement en couvoir. Chez les hommes, la séroprévalence était plus élevée parmi ceux travaillant au ramassage des volailles.
Devant l’absence de données d’incidence de la psittacose en France et le peu de données actuellement disponibles chez l’animal, la gravité potentielle de la maladie chez l’homme et la persistance d’épisodes épidémiques dans divers contextes professionnels avicoles, une étude descriptive et prospective de la psittacose a ainsi été mise en place en 2008 et 2009 dans 16 départements
53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR
du Sud-ouest et de l’Ouest de la France de 5 régions, Bretagne : Ille-et-Vilaine, Côtes-d’Armor, Finistère, Morbihan ; Pays-de-la-Loire : Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Vendée ; Poitou-Charentes : Deux-Sèvres ; Aquitaine : Dordogne, Landes, Lot-et-Garonne, PyrénéesAtlantiques ; Midi-Pyrénées : Gers, Hautes-Pyrénées. Les principaux objectifs étaient d’estimer l’incidence des cas de psittacose humaine hospitalisés, de repérer les cas groupés, de décrire les expositions des cas et d’étudier la faisabilité d’un système de surveillance de la psittacose http://www.invs.sante.fr/surveillance/psittacose/ index.htm. Par définition, un cas suspect était un malade de 15 ans ou plus, résidant dans les départements de l’étude, hospitalisé au cours de la période d’étude dans un établissement participant à l’étude, présentant une symptomatologie respiratoire évocatrice de psittacose et décrivant, le mois précédant la survenue des symptômes, une exposition directe à des oiseaux, à leurs fientes ou à leurs plumes, quelle que soit l’espèce, dans un cadre professionnel ou non. Les cas ont été classés en cas possible (titre ≤ 64 sans IgM ou soit un lien épidémiologique), cas probable (présence d’IgM ou titre IgG ≥ 128) ou cas certain (PCR+, ou séroconversion ou augmentation de 4 fois le titre des IgG).
suspects. Les autres signes cliniques signalés pouvaient être regroupés en signes généraux (altération de l’état général, asthénie, anorexie, céphalée, courbature), signes digestifs (nausées, vomissements, diarrhées, douleurs abdominales), acouphènes ou vertiges, signes neurologiques autres, éruption cutanée. Parmi les 115 cas suspects, 93 ont eu une recherche par PCR et 105 une sérologie. La PCR a été positive dans 16 cas dont 9 étaient séronégatifs. Les IgM étaient positives dans 11 cas dont 5 associées à une PCR+. Un diagnostic précoce, a pu être fait dans 22 cas (PCR + et/ou IgM+) et retardé grâce au deuxième serum dans 15 cas. Le Laboratoire national de référence (LNR) de la chlamydiose aviaire, situé au Laboratoire de recherches et d’études en pathologie animale et zoonoses de l’Afssa, effectue des investigations pour déterminer les sources de contamination sur le terrain. Si quasiment toutes les espèces aviaires sont susceptibles d’être infectées, les sources significatives de contamination pour l’homme sont, en France, les psittacidés, les canards et les pigeons. Hormis pour les psittacidés, les infections à C. psittaci sont très souvent asymptomatiques et le plus souvent, ce sont les cas humains qui conduisent à l’identification d’un portage.
Les cas suspects ont été identifiés par un réseau d’établissements hospitaliers volontaires.
Les différentes études conduites sur les pigeons parisiens montrent que l’infection à C. psittaci est bien présente parmi cette population, tout comme dans les autres capitales européennes.
Durant la période de l’étude, 115 cas suspects pour suspicion de psittacose ont été signalés par les établissements participant au réseau : 68 (59 %) en 2008 et 47 (41 %) en 2009.
La particularité française semble se trouver au niveau des canards mulards destinés à la production de foie gras. Les études montrent que le portage de C. psittaci dans cette filière est très fréquent [8].
Parmi les 115 cas suspects investigués, 54 (47 %) ont été classés psittacose dont 29 en psittacose confirmée, 8 en psittacose probable, et 17 en psittacose possible.
Suite aux investigations conduites autour des cas groupés en milieux professionnels et amateurs, des recommandations ont été proposées au niveau individuel (information, protection par le port de masque, de gants, de blouse de travail, hygiène des mains etc..) et collectif (campagne de sensibilisations des professionnels de santé, investigations vétérinaires, aménagement des locaux).
Parmi les 115 cas suspects, 86 (75 %) étaient des hommes et la médiane des âges des cas suspects était de 50 ans (entre 17 et 81 ans). Les cas de psittacose confirmée et probable étaient plus souvent hospitalisés en réanimation que les autres cas. Les signes cliniques les plus fréquents étaient la fièvre (94 %) et une pneumopathie (88 %). Une détresse respiratoire était signalée pour 24 % des cas
Références [1] Goulet V, Laurent E, et les biologistes du réseau Rénachla. Augmentation des diagnostics d’infections à Chlamydia trachomatis en France: analyse des données Rénachla de 2003 à 2006. Bull Epidemiol Heb 2008;5-6:42-6. [2] Goulet V, de Barbeyrac B, Raherison S, Prudhomme M, Semaille C, Warszawski J. Prevalence of Chlamydia trachomatis: results from the first national population-based survey in France. Sex Transm Infect 2010;86(4):263-70. [3] Goulet V, Laurent E. Les infections à Chlamydia trachomatis en France en 2002, données du réseau Rénachla. Bull Epidémiolog Heb 2004;40-41:194-5. [4] Oakeshott P, Kerry S, Aghaizu A, Atherton H, Hay S, Taylor-Robinson D, et al. Randomised controlled trial of screening for Chlamydia trachomatis
Conflit d’intérêt : expertise du système 4800 Roche Diagnostics et trousse CT/NG/MG BioRad.
to prevent pelvic inflammatory disease: the POPI (prevention of pelvic infection) trial. BMJ 2010;340:c1642. [5] Gallay A, Clerc M, Kreplack G, Lemarchand N, Scieux C, Nassar N, et al. Un nombre de diagnostic de lymphogranulomatose vénérienne rectale encore élevé en 2006 en France. Bull Epidemiol Heb 2008;5-6:37-38. [6] Menard A, Clerc M, Subtil A, Megraud F, Bebear C, de Barbeyrac B. Development of a real-time PCR for the detection of Chlamydia psittaci. J Med Microbiol 2006;55(4):471-3. [7] Belchior E, Laroucau K, de Barbeyrac B. La psittacose: évolution actuelle, surveillance et investigations en France. Bull Epidemiol Heb 2010;Hors-série(14 septembre):12-15. [8] Laroucau K, de Barbeyrac B, Vorimore F, Clerc M, Bertin C, Harkinezhad T, et al. Chlamydial infections in duck farms associated with human cases of psittacosis in France. Vet Microbiol 2009;135 (1-2):82-9.
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - 429 BIS //
41