Éthique et santé (2008) 5, 236—240
DROIT
Le refus de médicament à l’aune du Droit : un exercice de liberté The right to refuse medication: A lesson in freedom M.-F. Callu IFROSS, faculté de Droit, université Jean-Moulin-Lyon-3, 18, rue Chevreul, 69007 Lyon, France
MOTS CLÉS Soins ; Refus ; Obligations ; Responsabilité
KEYWORDS Care; Refusal; Obligations; Responsibility
Résumé Dans l’article 3 de la Charte des droits fondamentaux dans l’Union Européenne, il est précisé que « toute personne à droit à son intégrité physique et mentale ». Mais jusqu’où ce droit est-il invocable ? Les approches de cette question sont nombreuses. Le point qui va être traité concerne notre droit de refuser les soins. La réponse semble s’imposer en faveur de notre liberté individuelle. Ce serait oublier que nos maladies peuvent porter atteinte à la santé d’autrui et que la communauté humaine dans laquelle nous vivons dispose de ce même droit à son intégrité physique et mentale. Que se passe-t-il lorsqu’il y a conflits entre mon droit et celui des autres ? © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Article 3 of the European Union’s Charter of Fundamental Rights states that ‘‘everyone has the right to respect for his or her physical and mental integrity’’. Can this right be invoked, whatever the situation ? There are many ways to look at the question. Here we examine the issue of our right to refuse care. The response would appear to favor our individual freedom. Meaning that we forget that disease can harm ? That the health of others and the human community in which we live also have the same right to physical and mental integrity ? What will be the outcome when there’s a conflict between my rights and others’ rights? © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Quel curieux titre que celui qui réunit trois mots aussi forts et, apparemment, disparates que refus, droit et liberté ! Mais, quels termes complémentaires et protecteurs pour chacun d’entre nous.
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Le refus de médicament à l’aune du Droit : un exercice de liberté La liberté est une situation juridique « garantie par le Droit dans laquelle chacun est maître de soi-même et exerce comme il le veut toutes ses facultés » [1]. Cette liberté est d’autant plus importante qu’elle fait partie des valeurs fondamentales protégées par notre Constitution du 4 octobre 19581 . Le droit est « un ensemble de règles de conduite socialement, édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société2 » [2]. Quant au refus, il correspond à « une manifestation de non vouloir, de non-acceptation, de non-exécution » [3]. Lorsque ces trois vocables sont appliqués aux médicaments, une autre dimension symbolique se rajoute, celle de la santé qui conduit, en corollaire, aux notions de vie et de mort. Ce premier aspect se complique dans la mesure où, sauf très rares exceptions, chaque personne vit dans un groupe social. Chaque personne est à la fois titulaire d’un droit sur sa propre santé, mais aussi d’une responsabilité vis-à-vis de la santé des autres sujets du groupe. En d’autres termes, si la liberté de « ne pas se soigner » est un attribut de notre liberté individuelle, c’est uniquement dans la mesure où elle ne se heurte pas à une obligation de se soigner en vue de protéger le groupe social.
L’obligation de se soigner, mesure de protection du groupe social Une précision pour commencer. Il ne faut pas confondre obligation de se soigner avec obligation de soigner. L’obligation de soigner concerne les professionnels de santé qui ne peuvent refuser d’intervenir, lorsqu’un patient s’adresse à eux, dans le cadre de leur spécialité. De même, l’État est tenu d’une obligation de mettre en oeuvre les moyens permettant l’accès aux soins de la population. Notre propos ne concerne que la première hypothèse, c’est-à-dire celle qui concerne les textes forc ¸ant les personnes du groupe social, dans certaines situations, à se soigner alors qu’elles ne l’auraient peut-être pas fait elles-mêmes. Il existe un certain nombre de textes ne permettant pas aux citoyens d’utiliser leur liberté de refus de soin. Deux grandes finalités peuvent être analysées : la protection des autres et la protection de la personne elle-même.
La protection des autres La protection des autres peut s’attacher soit à une notion de protection de la santé publique, soit à une notion de protection contre une éventuelle récidive d’un acte d’agression. Au titre de la santé publique, les deux hypothèses les plus connues sont celles des vaccinations obligatoires et des épidémies. • Les vaccinations obligatoires 1 Dans son préambule qui se réfère aux Droits de l’homme et dans son article 2 qui rappelle la devise de notre République « Liberté, égalité, fraternité ». 2 Notion de droit objectif.
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◦ Art. L. 3111-2 du Code de la santé publique : « Les vaccinations antidiphtérique et antitétanique par l’anatoxine est obligatoire sauf contre-indication médicale reconnue (. . .) ». ◦ Art. L. 3111-3 du même code : « La vaccination antipoliomyélitique est obligatoire, obligatoire sauf contre-indication médicale reconnue (. . .) ». ◦ Art. L. 3111-4 du même code : « Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention, de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l’exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe ». ◦ Art. L. 3112-1 du même code : « La vaccination par le vaccin antituberculeux BCG est obligatoire sauf contre-indications médicales reconnues, à des âges déterminés et en fonction du milieu de vie ou des risques que font encourir certaines activités ». • Les épidémies ou les pandémies L’article L 3114-4 du Code de la santé publique sur les épidémies a été abrogé par la loi n◦ 2004-806 du 9 août 2004. L’article L. 3115-1 de ce même code prévoit que « le contrôle sanitaire aux frontières est régi, sur le territoire de la République franc¸aise, par les dispositions des règlement sanitaires pris par l’Organisation mondiale de la santé, conformément aux articles 21 et 22 de sa constitution, des arrangements internationaux et des lois et règlements nationaux intervenus ou à intervenir en cette matière en vue de prévenir la propagation par voie terrestre, maritime ou aérienne des maladies transmissibles ». Dans un document publié en avril 2004, le ministère de la Santé, de la fmille et des prsonnes handicapées [4—6] soulignait que « la lutte contre une épidémie de SRAS passe par l’interruption de la chaîne de contamination interhumaine. Il peut donc s’avérer nécessaire, dans certaines conditions de prendre des mesures réglementaires limitant les déplacements, les rassemblements de population, autant de mesures allant à l’encontre des libertés individuelles (. . .). Ce décret a été élaboré, il a rec¸u l’avis favorable du Conseil supérieur d’hygiène publique de France. Il établit la liste des mesures pouvant réglementairement être prises dans le but de limiter l’extension d’une épidémie de SRAS. Sa publication interviendra dès lors que la situation épidémiologique, nationale ou internationale, pourra conduire à la mise en oeuvre, sur le territoire nationale, de mesures de restriction des libertés individuelles et, plus particulièrement, de quarantaine ». Ce plan prévoit la surveillance, l’alerte et la prise en charge des patients susceptibles d’être atteints par ce syndrome. Des hôpitaux de référence sont déterminés. Tous les professionnels de santé sont informés et sollicités en fonction du niveau d’alerte. La protection contre une éventuelle récidive peut découler soit d’une condamnation pénale (l’injonction de soins), soit d’un danger pour les autres (hospitalisation d’office). • L’injonction de soins
238 ◦ Art. 131-10 du Code pénal : « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent (. . .) injonction de soins ou obligation de faire (. . .) ». ◦ Art. 763-3, 3e alinéa du Code de procédure pénale : « Le juge d’application des peines peut également, s’il est établi après une expertise médicale ordonnée postérieurement à la décision de condamnation que la personne astreinte à un suivi socio-judiciaire est susceptible de faire l’objet d’un traitement, prononcer une injonction de soins ». ◦ Le Code de la santé publique prévoit, dans ses articles R. 3711-1 à R. 3711-24, le déroulement de cette obligation de soins. Toute difficulté dans la mise en pratique de cette obligation de soins relèvera du juge d’application des peines et du médecin coordonnateur. • L’hospitalisation d’office Art. L 3213-1 du Code de la santé publique : « À Paris, le préfet de police et, dans les départements les représentants de l’État prononcent, par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, l’hospitalisation d’office dans un établissement mentionné à l’article L 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de fac¸on grave, à l’ordre public ».
M.-F. Callu volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence (. . .) ». ◦ Art. D. 364 du Code de Procédure pénale : « Si un détenu se livre à une grève de la faim prolongée, il ne peut être traité sans son consentement, sauf lorsque son état de santé s’altère gravement et seulement sur décision et sous surveillance médicales. Il est rendu compte aux autorités à prévenir en cas d’incident dans les conditions visées à l’article D. 280 » [7]. En dehors des vaccinations obligatoires, les mesures attentatoires à notre liberté en matière de santé sont limitées. En cela, elles soulignent le respect que le Droit attache aux pouvoirs que chacun d’entre nous possède sur son propre corps et à son approche de la vie et de la mort.
La liberté de ne pas se soigner, attribut de notre liberté individuelle Le refus de soins de la personne concernée est une question extrêmement simple à énoncer dans son principe. Sa mise en oeuvre est infiniment délicate.
La protection de la personne Le fondement juridique du refus de se soigner La protection de la personne elle-même interviendra lorsqu’une personne est incapable de se prendre en charge elle-même, soit en raison de son âge (incapacité du mineur) ou d’un trouble particulier (incapable majeur ou hospitalisation sur demande d’un tiers), soit en raison de son inconscience et/ou de l’urgence nécessitée par son état. • L’incapacité juridique ◦ Art. 371-1 du Code civil : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé ou sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne (. . .). ◦ Art. 488 du même code : « La majorité est fixée à dixhuit ans accomplis (. . .). Est néanmoins protégé par la loi, soit à l’occasion d’un acte particulier, soit d’une manière continue, le majeur qu’une altération de ses facultés personnelles met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts ». • L’hospitalisation sur demande d’un tiers en matière psychiatrique Art. L 3212-1 du Code de la santé publique : « Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande d’un tiers que si : (1) ses troubles rendent impossible son consentement ; (2) son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier (. . .) ». • L’urgence ◦ Art. L 1111-4, 4e alinéa du Code de la santé publique : « Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa
Le refus de soins trouve son origine juridique dans un adage qui a été repris par nos codes. L’adage « Noli me tangere » « ne me touche pas », exprime l’inviolabilité du corps humain [8]. Hors les cas d’exception abordés ci-dessus, l’intervention médicale des tiers sur notre corps est liée à notre consentement. C’est l’un des multiples aspects du principe d’autonomie de la volonté selon lequel chaque personne doit pouvoir se déterminer à propos de ce qui la concerne. C’est une « théorie fondamentale selon laquelle la volonté de l’homme (face à celle du législateur) est apte à se donner sa propre loi [9] ». Le Code de déontologie médicale se fait l’écho de cette autonomie du patient dans son article R 4127-36 : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherchée dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses consequences » [10]. L’article 16-1 du Code civil, reprenant ce postulat, l’élève en droit objectif : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». De même pour l’article 16-3 de ce code : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ». Enfin, l’article L. 1111-4, 1er alinéa du Code de la santé publique, précise les contours de l’article 16-3 ci-dessus en soulignant que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Le refus de médicament à l’aune du Droit : un exercice de liberté La notion de refus de soins est immédiatement énoncée dans les 2e et 3e alinéas de ce même article : « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée de conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical (. . .) ». Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Enfin, ce refus trouve une confirmation ultime avec la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie3 [11]. L’article 6 de cette loi (art. L. 1111-10 du Code de la santé publique) énonce : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical ». Dans cette même situation, la personne peut être inconsciente. C’est pourquoi, afin, là encore, de respecter la volonté du patient, ce même texte prévoit, dans son article 9 (art. L. 1111-13 du Code de la santé publique) : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical ». Le 14 avril 2005, le Comité consultatif national d’éthique publiait sur avis no 87 sur « le refus de traitement et l’autonomie de la personne ». Il s’agit d’un long texte de 24 pages qui tente de cerner toutes les dimensions de cette décision de non-consentement aux soins. L’un des premiers paragraphes résume la problématique ainsi traitée : « Aujourd’hui, la complexité accrue des propositions thérapeutiques et une plus grande autonomie de décision reconnue aux personnes malades (loi du 4 mars 2002) dans le domaine des soins médicaux ont abouti à ce que le consentement du malade ne soit plus simplement implicite mais doive être explicite, avec pour corrélat une plus grande attention portée à sa parole, fut-elle hostile à une proposition médicale. En effet, qui dit consentir aux soins implique logiquement avoir la possibilité de refuser telle ou telle thérapeutique. Ce refus, jugé à l’aune d’une efficacité médicale réputée croissante, apparaît toujours —vu du côté de la médecine3 Pour ceux qui voudraient approfondir cette question, consulter le rapport de l’Assemblée nationale no◦ 1708, du 30 juin 2004.
239 comme une sorte de contrainte, une transgression du principe de bienfaisance. Un tel manquement au devoir d’optimiser les chances de guérison du patient (ou parfois de protéger la société) soulève un questionnement éthique d’autant plus aigu que le refus de la thérapeutique proposée peut sembler entaché d’un défaut de discernement chez un malade en situation de souffrance, dans un état de vulnérabilité particulière, diminué par la conscience de sa propre faiblesse, parfois à l’approche de la mort. Mais ce refus peut aussi être perc¸u comme une mise en cause même du concept de bienfaisance selon un point de vue unilatéral strictement médical » [12].
Les magistrats sont très sensibles au respect de cette liberté par les professionnels de santé. Encore faut-il savoir si la décision est vraiment libre et comment conjuguer cette liberté avec l’obligation de soigner qui s’impose aux médecins.
La mise en œuvre judiciaire du refus de se soigner La pratique judiciaire [13—17] est très claire sur ces points. Ainsi, ne peuvent être poursuivis du chef d’homicide par imprudence ou de défaut d’assistance à personne en danger, les médecins qui respectent le refus de soins exprimé par un patient conscient [18,19]. De même, que ce soit avant ou après la loi du 4 mars 2002, ne commettent pas d’actes fautifs les médecins qui, en situation d’urgence et lorsque le pronostic vital est en jeu, pratiquent des actes qui avaient pu être refusés avant l’intervention par les patients [20—22]. Encore faut-il que ces actes soient limités uniquement à ce qui est nécessaire pour éviter le décès du patient. En revanche, une décision a été diversement commentée. Elle concerne un praticien qui, respectant le refus de radiothérapie ou de chirurgie d’une patiente atteinte d’un cancer, la traite par homéopathie et ne l’envoie consulter un spécialiste en cancérologie qu’au stade final [23]. Cette affaire est importante car elle pose la question de ce qu’il faut entendre par médicaments. Elle soulève, également, la question du contenu des notions de soins et de traitements. Selon l’article L. 5111-1, 1er alinéa du Code de la santé publique : « On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonction physiologiques en exerc¸ant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique » [24]. Le refus de soins pourrait, dans un premier temps, être assimilé au refus de médicament ou d’investigation médicale. Mais cette approche se complique dans la mesure où la Cour de justice des Communautés européennes énonce que :
240 « La définition du médicament donnée à l’article 1er (de la directive 65/65/CEE) ne peut pas recevoir une interprétation restrictive » [25]. Dans un article publié en avril 2003, les auteurs s’interrogent sur les frontières du médicament au regard de la santé des personnes [26]. Qu’en est-il, par exemple, de « l’alicament », concept marketing combinant la notion d’aliment et de médicament, nutriment destiné à soigner (ou à prévenir l’apparition de) certaines maladies [27] ? Le refus de nourriture, par anorexie ou pour des personnes âgées, doit-il être considéré comme un refus de soins ? Fautil le respecter en tant que tel ? Bien entendu, les situations sont absolument différentes dans la mesure où le refus de nourriture, dans le premier cas, est la conséquence directe d’une maladie alors que le refus de nourriture d’une personne âgée peut provenir d’une impossibilité à avaler, d’un signe de détresse morale ou d’une volonté réelle de ne plus être soignée et de ne plus vivre. L’attitude des équipes soignantes devra être d’une très grande prudence, mais aussi d’un immense respect vis-à-vis de cette personne âgée pour écouter, comprendre, vérifier et, éventuellement, respecter sa décision. Sur la divergence entre soins et traitement, le Comité consultatif national d’éthique tente de répondre dans son avis no◦ 87 : « Un soin ne se limite jamais à un traitement car il implique un accompagnement, une écoute et un respect de la personne soignée qui, par essence, ne peuvent pas faire l’objet d’un refus et sans lesquels il n’est pas de véritable démarche médicale. Un refus de traitement ne doit jamais être compris comme un refus de soins, même si ce refus de soins doit pouvoir être, lui aussi, envisagé dans sa réalité » [28]. En conclusion, nous ne pouvons que réaffirmer, avec beaucoup de vigueur, combien le Droit tient à protéger notre liberté individuelle, en particulier dans ce qui nous est le plus intime comme notre corps ou notre esprit, notre vie et notre mort. Imposer un traitement à une personne majeure, consciente et juridiquement capable, constituerait une atteinte condamnable, même si ce refus conduit à la mort : « Venir en aide à une personne n’est pas nécessairement lui imposer un traitement. C’est ici tout le paradoxe parfois méconnu par la médecine qui doit accepter d’être confrontée à une « zone grise » où l’interrogation sur le concept de bienfaisance reste posée » [29].
Références [1] Cornu G. Vocabulaire juridique. 6e éd. PUF; 1987. p. 537. [2] Cornu G. Vocabulaire juridique. 6e éd. PUF; 1987. p. 329.
M.-F. Callu [3] Cornu G. Vocabulaire juridique. 6e éd. PUF; 1987. p. 770. [4] Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Pandémie grippale. www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/ pneumapathies/plan reponse.pdf. [5] Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Plan de lutte contre une Pandémie grippale. http:// www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/grippe/pandemiegrippale plan.pdf. [6] Ministère des solidarités, de la santé et de la famille. Circulaire no DGS/DESUS/DHOS/HFD/2005/233 du 16 mai 2005 de mise en place du Plan Gouvernemental « Pandémie grippale », 2005. http://www.sante.gouv.fr/adm/dagpb/bo/2005/05-06/ a0060031.htm. [7] Avis no 94 du Conseil consultatif national d’éthique sur la santé et la médecine en prison. http://www.ccne-ethique.fr/. [8] Roland H, Boyer L. Adages du droit franc ¸ais. 4e éd. Litec; 1999. pp. 526. [9] Cornu G. Vocabulaire juridique. 6e éd. PUF; 1987. p. 92. [10] Code de déontologie médicale. Décret no 95-1000 du 6 septembre 1995. [11] Loi no◦ 2005-370 du 22 avril 2005. J.O. du 23 avril 2005. [12] CCNE. http://www.ccne-ethique.fr/. [13] Fontrouge JM. Le refus de soins ou d’hospitalisation exprimé par le patient. Droit Déontologie et Soin 2001;2: 180—5. [14] Fontrouge JM. Et si l’homme devait mourir ? éd. Autrement, Paris, 2003. 134 pp. [15] Penneau J. Le médecin face au refus du patient de subir un acte médical. Dalloz, 2002, Chronique:2877. [16] Le Baut-Ferrasese B. La Cour européenne des droits de l’homme et les droits du malade : la consécration par l’arrêt Pretty du droit au refus de soins. AJDA 2003: 1383. [17] Pariente A. Le refus de soins : réflexion sur un droit en construction. Rev Droit Public 2003:1419. [18] Cass. Crim. 3 janvier. 1973, Dalloz, 1974:591, note Levasseur G. [19] Conseil d’État, 6 mars 1981. Revue de Droit Sanitaire et Social, 1981, note Dubouis L. [20] Cour Administrative d’Appel de Paris, 9 juin 1998. Dalloz, 1999:277, note Pelissier G. [21] Conseil d’État, 26 octobre 2001, AJDA 2002:259, note Deguerge M. [22] Tribunal Administratif, 25 août 2002, JCP 2003, II:10098, note Vialla F. [23] Conseil d’État au disciplinaire du 29 juillet 1994. Note de Dubois L. In Revue de Droit Sanitaire et Social, 1995: 57. [24] Langlois O. Pour une histoire juridique du médicament. Mémoire pour le DEA d’Histoire de la science juridique européenne, université Robert-Schuman Strasbourg-3, 1998. [25] CJCE, arrêt du 20 mars 1986, Aff. C-35/85, 1986:1207. [26] Degroote D, Benaiche L, Campion MD. Allégations santé et définition du médicament : quelle frontière ? Bull Ordre 2003;(378):69. [27] fr.wikipedia.org/wiki/Alicament. [28] Avis no 87 du CCNE, p. 4. http://www.ccne-ethique.fr/. [29] Avis no 87 du CCNE, p. 23. http://www.ccne-ethique.fr/.