Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2013) 130, 314—317
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ARTICLE ORIGINAL
Le « signe de la Marée » : son rôle dans le diagnostic de diverticule de Zenker et l’évaluation des résultats chirurgicaux夽 J.-R. Chen a,b, H. Mirghani a, A. Jafari a, O. de Crouy Chanel a, S. Périé a, J. Lacau St Guily a,∗ a
Service d’ORL et chirurgie cervico-faciale, université Pierre et Marie-Curie, Paris 6, hôpital Tenon, AP—HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France b Department of otolaryngology-HNS, RenJi hospital of Shanghai Jiao-Tong university, Shanghai 200001, Chine
MOTS CLÉS Diverticule de Zenker ; Signe de la marée ; Déglutition ; Vidéoendoscopie
Résumé Objectif. — Évaluer le rôle d’un signe observé en nasofibroscopie, le signe de la marée (SLM), dans le diagnostic et le suivi post-chirurgical dans les diverticules de Zenker. Type d’étude. — Rétrospective. Patients et méthode. — Cent quarante-huit patients porteurs de diverticules de Zenker ont été opérés dans notre service. Une étude vidéo-endoscopique de la déglutition était effectuée dans notre service en pré- et en postopératoire et les deux examens étaient comparés en ce qui concerne la présence du SLM. Dans un sous-groupe de 38 patients, la taille du diverticule sur le transit baryté et le délai de survenue du SLM ont été comparés. Résultats. — Tous les patients présentaient un SLM à l’examen préopératoire. Aucune corrélation n’a été observée entre le délai de survenue du signe et la taille du diverticule. Des données de suivi postopératoire ont pu être obtenues chez 121 patients (suivi moyen : huit mois) : 111 patients ont été significativement améliorés pendant tout le suivi avec une disparition complète du SLM. Une récidive des symptômes a été observée durant la période de suivi chez dix patients ; sept d’entre eux avait une réapparition concomitante du SLM et eurent une chirurgie de reprise. Conclusion. — Le SLM observé en vidéofibroscopie de la déglutition est un outil supplémentaire pour le diagnostic de diverticule de Zenker et pour l’évaluation de l’efficacité de la chirurgie lors du suivi postopératoire. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2011.11.005. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Lacau St Guily). 夽
1879-7261/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2013.04.004
Le « signe de la Marée »
Introduction Le diverticule de Zenker est une hernie postérieure de la muqueuse pharyngo-œsophagienne à la jonction des deux portions du muscle constricteur inférieur du pharynx. Les symptômes cliniques consistent en divers degrés de dysphagie et régurgitation. La régurgitation (aussi appelée rumination) est évocatrice de diverticule de Zenker, la poche diverticulaire retenant le bolus alimentaire puis le renvoyant dans le pharynx. Le diagnostic de diverticule de Zenker est habituellement suspecté sur les symptômes et confirmé par un transit baryté [1,2]. L’étude vidéofibroscopique de la déglutition (EVD) est maintenant utilisée en routine pour évaluer la déglutition [3—6]. La fonction du sphincter supérieur de l’œsophage (SSO) ne peut être directement évaluée par l’EVD, qui peut seulement suggérer des signes indirects de cette atteinte tels qu’une stase salivaire hypopharyngée ou des fausses routes. Nous avons précédemment décrit [7] un signe spécifique de diverticule de Zenker en EVD, que nous avons appelé le « signe de la marée » (SLM) : la bouchée déglutie disparaît complètement de l’hypopharynx puis réapparaît, correspondant à la visualisation de la rumination. Ce signe est étroitement corrélé avec l’existence d’un diverticule de Zenker, aussi confirmé par une étude barytée [7]. Le seul traitement curatif de cette pathologie est chirurgical soit par voie endoscopique [8,9], soit par chirurgie ouverte. Le but de cette étude est de montrer que le SLM mis en évidence en EVD peut être utilisé comme un outil supplémentaire de diagnostic préopératoire et de suivi postopératoire des diverticules de Zenker.
Méthode Cent quarante-huit patients consécutifs (66 femmes et 82 hommes, âge moyen : 73 ans, 38—99 ans) ont été opérés dans notre service entre mai 1998 et avril 2010 pour un diverticule de Zenker symptomatique et ont été inclus dans cette étude rétrospective. Un examen clinique, un transit baryté et une EVD avec un naso-fibroscope laryngé ont été réalisés avant la chirurgie chez tous les patients. L’évaluation fonctionnelle de la déglutition comportait un examen en EVD lors de la déglutition d’une crème et d’un aliment solide type chamallow. Une attention spéciale était portée à la présence d’un SLM tel que nous l’avons précédemment décrit : ce signe est caractérisé par la disparition complète de la crème de l’hypopharynx et des sinus piriformes après déglutition, suivie de la réapparition rétrograde de la crème dans l’hypopharynx, puis finalement de la disparition de la crème déglutie avec la déglutition suivante. Dans tous les cas, le diverticule de Zenker était confirmé par le transit baryté. Le SLM peut être observé après une seule bouchée ou après un nombre variable de déglutitions. Les enregistrements des EVD et les transits barytés ont été rétrospectivement étudiés dans un sous-groupe de 38 patients choisis au hasard dans la série. Ces patients étaient classés en trois groupes selon le temps de survenue du SLM en EVD : survenue après une déglutition, après cinq ou moins, après plus de cinq bouchées. Ils ont été aussi
315 classés en trois types selon la taille du diverticule sur les transits barytés : • type I — petit (moins de 2 cm) ; • type II — modéré (2—5 cm) ; • type III — grand (plus de 5 cm). Les diverticules étaient traités selon deux types de techniques chirurgicales : chirurgie ouverte et chirurgies endoscopiques. La chirurgie endoscopique a été réalisable chez 120 patients (81 %) et une conversion en technique ouverte a été nécessaire chez 28 patients (18 %) du fait d’une exposition insuffisante. L’EVD était répétée en postopératoire dans le mois suivant l’intervention chez 121 des 148 patients opérés tandis que 27 étaient perdus de vue.
Considérations éthiques Cette étude a été approuvée par le Comité de protection des personnes (Committee for the Protection of People in Biomedical Research) — Île-de-France VI — Pitié-Salpêtrière.
Résultats Le SLM a été observé en préopératoire chez tous les patients lors de la déglutition d’un aliment (crème). Dans le sousgroupe de 38 patients, les profils de SLM observés sont présentés dans le Tableau 1 : le SLM a été observé après une déglutition chez 16 patients, après cinq bouchées ou moins chez 19 patients et après plus de cinq bouchées chez seulement trois patients. Ces mêmes patients classés en trois types selon leur profondeur sur le transit baryté étaient de type I (petits) dans neuf cas, de type II (moyens) dans 28 cas et de type III (grands) dans un cas seulement. Aucune corrélation n’était observée entre la taille du diverticule et le temps de survenue du SLM. Une chirurgie consistant en une myotomie transmuqueuse du SSO, c’est-à-dire en une section du collet et du mur entre œsophage et diverticule, a été effectuée avec succès par voie endoscopique chez 120 patients (81 %). La technique de myotomie tranmuqueuse la plus habituelle dans notre série a été la section par endoGIA® (n = 98) pendant que les autres techniques endoscopiques utilisaient le laser CO2 (n = 3), la section-coagulation par Ligasure® (n = 6) et Ultracision® (n = 13). La technique endoscopique a dû être convertie en chirurgie ouverte dans 28 cas (19 %) du fait d’une exposition endoscopique insuffisante liée à la conformation anatomique du patient. La chirurgie ouverte consistait en une myotomie extramuqueuse du cricopharyngien sans diverticulectomie. En définitive, une chirurgie endoscopique a pu être effectuée chez 120 patients et une conversion en chirurgie ouverte fut nécessaire chez 28 patients. Deux patients ont développé des complications postopératoires : un patient a eu une perforation du diverticule par l’extrémité de la pince endoGIA® ; immédiatement identifié, il a été traité par cervicotomie immédiate et drainage ; il en est résulté une fistule pharyngo-cutanée postopératoire qui cicatrisa après deux semaines permettant une reprise de l’alimentation orale sans complication. Un autre patient sous anticoagulant développa un hématome
316 Tableau 1
J.-R. Chen et al. Caractéristiques des patients avec diverticules de Zenker. Taille du diverticule (cm)
Délai de survenue du SLM (nombre de déglutitions)
1 2∼5 >5 Total
<2
2∼5
>5
Total
5 3 1 9
11 16 1 28
0 0 1 1
16 19 3
SLM : signe de la marée.
cervical après chirurgie ouverte qui nécessita une reprise chirurgicale au troisième jour postopératoire. L’évaluation postopératoire de la déglutition était effectuée dans le mois suivant l’intervention mais 27 patients ont été perdus de vue en postopératoire après leur sortie de l’hôpital. Parmi les 121 patients chez lesquels l’évaluation postopératoire avec EVD est disponible, une amélioration symptomatique majeure a été rapportée par 119 d’entre eux tandis que deux d’entre eux se considéraient comme toujours dysphagiques ; ces deux patients ainsi que deux autres se considérant comme améliorés avaient un SLM persistant sur l’EVD tandis qu’il n’était plus observé chez 117 patients sur les 119 se disant améliorés. Les données de suivi sont disponibles pour les 121 patients avec un suivi moyen de huit mois (2—96 mois). Cent onze patients restèrent indemnes de symptômes et améliorés avec disparition complète du SLM. La récidive de symptômes fut observée chez dix patients pendant le suivi. Sept d’entre eux avec récidive concomitante du SLM furent réopérés après un suivi moyen de 37 mois, réintervention suivie d’une disparition complète du SLM dans les sept cas. Une reprise chirurgicale ne fut pas réalisée chez les trois autres patients qui considérèrent que leurs symptômes restaient mineurs, tandis qu’aucune récidive du SLM n’était observé. Quatre patients de la série suivie moururent de causes sans rapport avec le diverticule.
Discussion Le diagnostic de diverticule de Zenker repose classiquement sur l’histoire clinique et sur le transit baryté. Celui-ci reste la technique de référence. L’EVD peut être utilisé comme un outil supplémentaire pour étudier un patient dysphagique au cours de la déglutition sèche et de différentes consistances d’aliments. Nous avons précédemment rapporté l’efficacité de l’EVD pour le diagnostic de diverticule de Zenker [7] et décrit le SLM comme associé spécifiquement au diverticule de Zenker. La présente étude confirme que ce signe est caractéristique du diverticule de Zenker. Cette étude montre aussi l’absence de corrélation entre le délai de survenue du SLM au cours de l’observation de la déglutition et la taille du diverticule, suggérant que, en plus de la profondeur de la poche diverticulaire, la forme du collet et la structure du muscle cricopharyngé pourraient jouer un rôle. Cette étude démontre que l’EVD peut être utilisée pour évaluer l’efficacité de la chirurgie chez les patients opérés d’un diverticule de Zenker. Le SLM disparaît en effet dans la plupart des cas après correction chirurgicale réussie.
Pendant le suivi postopératoire, dix patients ont développé une récidive de leurs symptômes avec une réapparition simultanée du SLM, ce qui a constitué une indication de reprise chirurgicale chez sept d’entre eux. Réciproquement, la persistance d’une image de diverticule sur un transit baryté postopératoire n’est pas un signe fiable puisque la poche n’est pas réséquée la chirurgie endoscopique de myotomie transmuqueuse [9] ; c’est pourquoi la recherche du SLM en EVD constitue une exploration fonctionnelle plus performante pour objectiver les conséquences du diverticule chez des patients opérés présentant une récidive de dysphagie.
Conclusion L’EVD fournit une exploration non invasive de la déglutition qui peut être facilement effectuée y compris chez des patients sévèrement atteints ou âgés. Le SLM est un signe caractéristique du diverticule de Zenker qui est corrélé avec les symptômes préopératoires et l’évolution postopératoire. Cette technique est facilement disponible en environnement otorhinolaryngologique. Nous concluons que l’EVD devrait être utilisé comme outil d’exploration à la fois en préopératoire pour le diagnostic de diverticule de Zenker et en postopératoire pour évaluer les résultats de la chirurgie à court et long terme, spécialement chez les patients présentant une récidive de leurs symptômes.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Annexe A. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl. 2013.04.004.
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