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Nouveautés dans le diagnostic et le suivi de la maladie de Wilson
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La maladie de Wilson est une maladie rare, mais curable, ce qui est inhabituel pour une maladie génétique. La biologie joue un rôle fondamental au diagnostic et pour le suivi. Elle permet également, grâce à l’étude familiale, de dépister les apparentés à un stade pré-symptomatique, afin d’instaurer un traitement qui préviendra toute manifestation de la maladie.
Décrite il y a 100 ans par Sir Wilson, la maladie de Wilson est rare : 1 000 à 1 500 patients en sont atteints en France. C’est une maladie métabolique caractérisée par l’accumulation toxique de cuivre dans l’organisme. Cette affection génétique est autosomique récessive, due à une mutation sur le gène codant l’ATP7B, une enzyme (ATPase) intervenant dans le métabolisme du cuivre. Cette maladie peut être traitée de manière efficace si elle est diagnostiquée précocement. L’enjeu est d’en faire le diagnostic au stade initial de maladie hépatique, avant qu’elle ne devienne multisystémique.
Le métabolisme du cuivre Le cuivre est un oligoélément essentiel. Son activité principale est enzymatique au sein de métalloenzymes, sa faculté de transition entre son état Cu1+ et Cu2+ lui conférant une activité prooxydante. Il est aussi le constituant de différentes enzymes à cuivre dont la céruléoplasmine, la cytochrome C oxydase ou des tyrosinases. L’apport en cuivre est essentiellement alimentaire, estimé à environ 1 mg/j en France, ce qui correspond aux apports journaliers recommandés. Les apports par l’eau de boisson sont très variables, car ils dépendent de la nature des canalisations d’adduction d’eau et de la robinetterie. Le taux d’absorption digestive est d’environ 50 % chez l’adulte, 77 % chez l’enfant. Celle-ci se fait au niveau de l’intestin et varie en fonction des apports en cuivre. Dans la circulation, différentes protéines lient le cuivre, principalement la céruléoplasmine. Le cuivre non lié à la céruléoplasmine comprend le cuivre lié à l’albumine (appelé cuivre échangeable), ainsi que le cuivre lié à des acides aminés et le cuivre libre (Cu2+).
Le cuivre est un élément toxique, avec une marge physiologique étroite. Il intervient au niveau de la chaîne respiratoire, exerçant une activité délétère dans les mitochondries en favorisant la formation de radicaux hydroxyl, toxiques pour la cellule. En outre, il accélère l’apoptose, entraînant une destruction cellulaire et le déversement de cuivre libre dans le sang, toxique. Les marqueurs directs du statut en cuivre sont le cuivre sérique total, la céruléoplasmine, qui évolue dans le sang dans le même sens que le cuivre (attention, il est préférable de développer un dosage enzymatique car le dosage massique peut être pris en défaut dans la maladie de Wilson), le cuivre urinaire, sur échantillon ou sur urines de 24 h, le cuivre non lié à la céruléoplasmine (calculé, peu intéressant), et le cuivre hépatique (parfois nécessaire, il signe de façon formelle une surcharge cuprique hépatique). L’interprétation d’un bilan biologique du métabolisme du cuivre est délicate car la diminution du cuivre sanguin peut à la fois refléter une carence en cuivre héréditaire (maladie de Menkès) ou acquise, mais également une surcharge en cuivre (maladie de Wilson). D’autres marqueurs plus pertinents ont été développés : cuivre échangeable et REC (relative exchangeable copper).
La maladie de Wilson Biopathologie Le cuivre est absorbé dans l’intestin. Après réduction du Cu2+ en Cu1+ au niveau de l’entérocyte, il est pris en charge par une enzyme, l’ATP7A, libéré dans la circulation sanguine, puis transporté par l’albumine (ou autres protéines) jusqu’au foie, et distribué dans certains tissus ou éliminé dans la bile. L’ATP7A et 7B sont des protéines transporteuses du cuivre exprimées dans de nombreux tissus. Elles incorporent le cuivre dans les apoprotéines et l’excrètent hors de la cellule en cas de surcharge cuprique. L’ATP7A assure essentiellement le passage du cuivre entérocytaire vers la circulation (elle est ubiquitaire) ; l’ATP7B, plus tissuspécifique (foie, cerveau), incorpore le cuivre à
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la céruléoplasmine dans le foie et libère le cuivre excédentaire dans la bile. De très nombreuses mutations ont été identifiées sur les gènes codant ces molécules, dont une mutation de l’ATP7A conduisant à un défaut d’apport du cuivre dans l’organisme, à l’origine de la maladie de Menkès, et des mutations sur l’ATP7B, entraînant un défaut de transport et d’élimination du cuivre dans la bile, à l’origine de la maladie de Wilson. La maladie de Wilson est donc une maladie de surcharge en cuivre tissulaire, avec un cuivre circulant bas.
Quand évoquer une maladie de Wilson ? À quel âge ? Sur quels symptômes ? Avant 10 ans, sont surtout observées les formes hépatiques ; entre 10 et 20 ans, des formes hépatiques et neurologiques et, plus le diagnostic est tardif, plus le mode de révélation est neurologique. Le délai moyen de diagnostic est d’1 an sur des symptômes hépatiques et de 1,5 an sur des symptômes neurologiques, ce qui est un véritable problème car la maladie s’aggrave. Les modes de révélation sont multiples : la forme hépatique peut être asymptomatique jusqu’au stade d’hépatite fulminante ; l’apparition d’un anneau de Kayser Fleischer (dépôt de cuivre autour de la cornée) peut être dépisté par un ophtalmologiste ; les formes neurologiques sont révélées par des mouvements anormaux, une dystonie, une dysarthrie, des symptômes psychologiques (dépression, irritabilité…). Le mode de révélation peut aussi être une anémie hémolytique ou des signes endocriniens (aménorrhée, fausses couches répétées). Il a longtemps été dit que la maladie de Wilson était une maladie psychiatrique, en raison des nombreux troubles cognitifs et du comportement qui la caractérisent ; en fait, il s’agit bien d’une maladie neurologique. Comment affirmer le diagnostic de maladie de Wilson ? Ce diagnostic repose sur un faisceau d’arguments : cliniques dont l’anneau de Kayser-Fleischer
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(examen à la lampe à fente), biologiques (NFS, bilan hépatique, néanmoins parfois normal, bilan cuprique, biologie moléculaire), radiologiques (l’IRM cérébrale est toujours anormale dans les formes neurologiques), voire histologiques sur biopsie hépatique (dans les cas où le diagnostic est incertain). Il est à noter que l’anneau de Kayser-Fleischer, très évocateur de la maladie, n’en est toutefois pas spécifique : il est également observé chez des patients ayant une hépatopathie chronique cholestatique et chez les enfants avec cholestase néonatale. La biologie moléculaire permet-elle toujours le diagnostic ?
Certes, la maladie est due à une anomalie sur le gène codant l’ATP7B, mais plus de 500 mutations sont identifiées ainsi que quelques délétions. Ainsi, dans 16 % des cas, la biologie moléculaire ne permet pas de confirmer le diagnostic (mutation non retrouvée) ; toutefois, dans les familles les plus récemment diagnostiquées, seuls 6 % des cas ne sont pas confirmés (grâce à l’avancée des connaissances). Quid du bilan cuprique ?
Dans la maladie de Wilson, la céruléoplasmine est basse ou effondrée (< 0,1 g/l) (N : 0,2 à 0,4 g/l). La cuprémie totale (cuivre lié + cuivre libre) est basse, en relation avec la diminution de la céruléoplasmine (< 10 μmol/l ou < 0,6 mg/l), mais non effondrée en raison de l’augmentation de la fraction non liée à la céruléoplasmine (cuivre « libre »). La cuprurie des 24 h est augmentée (+++), > 1,6 μmol/24 h (> 100 μg/24 h). Mais, le bilan cuprique est normal chez 3 % des patients ayant une maladie de Wilson ; et il est anormal chez 16 % des patients hétérozygotes porteurs sains (hypocéruléoplasminémie, hypocuprémie, hypercuprurie), rendant difficile le dépistage familial. De fait, des essais ont été menés pour évaluer le cuivre libre, toxique. Son calcul [Cu libre = cuprémie (μmol/l) – 0,49 x céruléoplasmine (mg/l)] donne des résultats non fiables. Quelques études ont été réalisées en utilisant une méthode d’ultrafiltration, mais le cuivre ultrafiltrable ainsi dosé, s’est avéré peu intéressant. Le cuivre échangeable est beaucoup plus prometteur : après incubation du sérum avec un chélateur (1h avec de l’EDTA), il est ultrafiltré sur une membrane (éliminant les principales protéines
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Tableau I. Valeurs de référence (5e – 95e percentile) chez l’adulte sain. Cuivre total (μmol/l)
11,5 – 28,8
Cuivre échangeable (μmol/l)
0,62 – 1,23
REC (% du cuivre total)
3,4 – 8,3
vectrices du cuivre), puis centrifugé, libérant le cuivre lié à l’albumine (et laissant le Cu lié à la céruléoplasmine). Les différentes fractions du cuivre peuvent être dosées par spectrométrie d’absorption atomique (SAA) en four ou ICP-MS (méthode de référence). Le cuivre échangeable est stable 24 h à température ambiante et jusqu’à 14 jours, congelé à – 20 °C. L’intérêt de ce paramètre est qu’il est peu perturbé par la D-pénicillamine (Trolovol®). Des valeurs de référence (tableau I) ont été établies chez les adultes sains, mais pas chez les femmes enceintes, chez qui les valeurs de cuivre sérique et de céruléoplasmine peuvent être augmentées jusqu’à 4 fois. D’où la définition d’un nouveau marqueur : le REC (relative exchangeable copper) = cuivre échangeable / cuivre total, dont la sensibilité et la spécificité pour le diagnostic de maladie de Wilson sont voisines de 100 % (bien meilleures que celles des autres paramètres). Ainsi le REC est-il très utile au diagnostic (toujours anormal), notamment pour celui des apparentés hétérozygotes chez qui le cuivre total est non informatif, le cuivre urinaire parfois élevé et la céruléoplasmine légèrement abaissée. En outre, il est significativement plus élevé avant traitement, dans les formes avec atteinte extra-hépatique (œil, cerveau) orientant éventuellement vers la recherche d’une atteinte neurologique chez un patient ayant une forme hépatique de maladie de Wilson.
Traitement de la maladie de Wilson Le traitement est efficace. Il repose en premier lieu sur un régime réduisant la prise d’aliments riches en cuivre (homard, foie, chocolat…) et sur la D-pénicillamine (chélateur du cuivre permettant son élimination dans les urines). En 2e intention, est proposée la triéthylène tétramine (Trientine®), mais elle présente l’inconvénient de devoir être conservée au froid. Le 3e traitement est le zinc, qui diminue l’absorption du cuivre, et in fine, la transplantation hépatique (dans les formes hépatiques ; également tentée dans des
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formes neurologiques graves avec 50 % de succès et 50 % de décès). Parfois, les patients s’aggravent à l’initiation du traitement (dans 13,8 % des cas sous D-pénicillamine, 8 % sous triéthylène tétramine, 4,3 % sous zinc). La D-pénicillamine doit être arrêtée dans 30 % des cas, car mal tolérée (elle détruit notamment les fibres élastiques). L’amélioration sous traitement est lente, débutant après 3 à 6 mois et se prolongeant des années. Les grandes règles du traitement sont de ne jamais l’interrompre, même pendant la grossesse. Tout arrêt conduit à une aggravation de la maladie, parfois vers une forme fulminante, ne répondant pas toujours à la reprise du traitement ; or, la compliance est souvent difficile à maintenir au long cours. Le suivi des patients repose sur l’évolution clinique, l’observance du traitement, la surveillance de ses effets secondaires et d’éventuelles complications tardives (en cas de cirrhose : hépatocarcinome). Le suivi biologique associe le dosage du cuivre échangeable (pour dépister précocement des interruptions de traitement) et de la cuprurie (élevée sous chélateurs, basse sous zinc). La prise en charge est multidisciplinaire, coordonnée par 2 centres nationaux de référence (CNR) en France (Paris et Lyon), avec 6 centres de compétence et l’aide d’une association de patients.
Conclusion La maladie de Wilson est une maladie complexe caractérisée par une grande hétérogénéité phénotypique et génotypique. De nombreuses questions restent posées concernant notamment l’aggravation initiale de certains patients sous traitement (marqueurs pour les identifier ?), quel traitement donner et à quel moment de l’évolution de la maladie et jusqu’où dépléter en cuivre. | CAROLE EMILE Biologiste, rédactrice scientifique
[email protected] pour en savoir plus www.cnrwilson.fr Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. source D’après les communications de Joël Poupon et France Woimant (CNR Wilson, Hôpital Lariboisière, Paris). 43e Colloque national des biologistes des hôpitaux, Marseille, novembre 2014.