Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge associant lumière et mélatonine

Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge associant lumière et mélatonine

Médecine du sommeil (2015) 12, 103—115 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Le syndrome de retard de phase : ...

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Médecine du sommeil (2015) 12, 103—115

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge associant lumière et mélatonine The delayed sleep-wake disorder: A personal experience of management combining light and melatonin C. Chaufton a,∗, S. Bioulac b,c a

Service de physiologie-explorations fonctionnelles, groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard, AP—HP, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France b Pôle de pédopsychiatrie universitaire, centre hospitalier Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France c USR CNRS 3413 SANPSY « sommeil, attention et neuropsychiatrie », CHU Pellegrin, place Amélie Raba-Léon, 33076 Bordeaux cedex, France ut 2014 ; accepté le 16 juillet 2015 Rec ¸u le 16 aoˆ Disponible sur Internet le 4 septembre 2015

MOTS CLÉS Insomnie ; Lumière vive ; Mélatonine ; Rythmes circadiens ; Syndrome de retard de phase



Résumé Le Syndrome de Retard de Phase (SRP) est un trouble du rythme circadien fréquemment rencontré lors des consultations dans les centres de sommeil. La physiopathologie reste aujourd’hui méconnue, mais repose avant tout sur l’hypothèse d’une période circadienne allongée. L’insomnie d’endormissement qui en résulte serait entretenue par des facteurs comportementaux et cognitifs. L’association concomitante lumière vive/mélatonine représente le traitement de choix du SRP mais celui-ci doit être programmé à un horaire approprié afin d’optimiser son efficacité. Ainsi, les marqueurs circadiens adéquats (Dim Light Melatonin Onset et minimum thermique) devraient théoriquement être déterminés avant de débuter le traitement, mais ces mesures sont rarement réalisées en pratique clinique. Face à cette difficulté et considérant par ailleurs l’absence de recommandations précises des sociétés savantes en termes de stratégie thérapeutique, nous présentons une revue de la littérature concernant ce trouble et proposons un protocole basé sur l’estimation des marqueurs circadiens. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Chaufton).

http://dx.doi.org/10.1016/j.msom.2015.07.002 1769-4493/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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KEYWORDS Bright light; Circadian rhythms; Delayed-sleep-phase disorder; Insomnia; Melatonin

C. Chaufton, S. Bioulac

Summary The Delayed Sleep-wake Phase Disorder (DSPD) is common in sleep clinics. Physiopathology remains little known today but it would be mainly accounted for by a significantly prolonged circadian period length. The resulting insomnia would be self-perpetuated by behavioral and cognitive factors. The concomitant use of bright light/exogenous melatonin administration represents the treatment of choice, but it must be scheduled at appropriate timing in order to optimize its efficacy. Therefore, the adequate markers of circadian phase (‘‘Dim Light Melatonin Onset’’ and temperature minimum) should be determined before initiating the treatment, but such measurements are never realized in clinical practice. To address this difficulty and considering the absence of detailed guidelines from learned societies, we provide an updated review on DSPD and we propose a protocol based upon the estimation of circadian markers. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction De nombreux paramètres physiologiques et cognitifs présentent une rythmicité de 24 heures (ou rythmicité circadienne) [1]. Le Syndrome de retard de phase (SRP) appartient aux troubles du rythme circadien veille-sommeil tout comme l’intolérance au travail posté, le décalage horaire, le syndrome d’avance de phase et le rythme veillesommeil irrégulier [2]. Le SRP a été décrit pour la première fois en 1979 comme un trouble se caractérisant par un retard de la période de sommeil de 2 heures à 6 heures [3,4]. Quelques trente cinq années plus tard, l’American Academy of Sleep Medicine (AASM) complètera la définition de ce trouble du rythme circadien par l’association des cinq critères suivants [2] : • un retard de phase significatif de la principale période de sommeil par rapport aux horaires de coucher/lever souhaités, à l’origine d’une plainte d’insomnie chronique (trouble de l’endormissement) et de difficultés au lever ; • évolution des symptômes depuis au moins 3 mois ; • en conditions de sommeil ad libitum : amélioration de la durée et la qualité du sommeil et maintien du retard de phase ; • mise en évidence sur l’agenda de sommeil (et si possible à l’actimétrie) pendant au moins 7 jours du retard de la période de sommeil, l’enregistrement devant inclure des journées scolaires/travaillées et des journées de repos ; • les problèmes de sommeil ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble du sommeil, un trouble mental, neurologique ou un trouble lié à une substance et ne sont pas liés aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale. L’objectif de cet article est de réaliser une revue de la littérature tenant compte des données épidémiologiques, cliniques, physiopathologiques et thérapeutiques relatives au SRP. À l’issue de cette mise au point, nous proposons un protocole thérapeutique basé sur une estimation des marqueurs circadiens et que nous utilisons dans notre pratique clinique.

Épidémiologie et comorbidités Le SRP est le plus fréquent des troubles du rythme circadiens. Il serait impliqué dans 6,7 % à 16 % des insomnies rencontrées en consultation dans les centres de sommeil

[5]. Sa prévalence dans la population générale adulte d’âge moyen est estimée entre 0,13 % et 0,7 % [6—9]. Le SRP est plus fréquent chez l’adolescent et le jeune adulte avec une prévalence pouvant atteindre 16 % [10—15]. Néanmoins, même si l’âge de début de la maladie semble se situer préférentiellement à l’adolescence [16,17], de tels écarts dans les estimations de prévalence s’expliquent par la diversité des méthodologies employées (utilisation ou non d’un marqueur circadien) et les critères de sévérité retenus pour le diagnostic. En termes de comorbidités, le SRP serait associé à un risque augmenté de dépression chez l’adulte [18,19] et chez l’adolescent [20]. De plus, lors d’une association dépression/SRP, le traitement du SRP améliorerait la symptomatologie dépressive [21]. Par ailleurs, plusieurs études suggèrent que certains SRP pourraient être secondaires à un traumatisme crânien [22—24]. Enfin, ce trouble du rythme circadien serait plus fréquent chez les sujets présentant un Trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H) comparativement aux sujets témoins [25,26], et son traitement améliorerait la symptomatologie du TDA/H [27].

Physiopathologie La latence d’endormissement, la durée et la structure du sommeil sont déterminées par l’interaction entre le processus homéostatique (« S ») et le processus circadien (« C »). Le processus S est lié à l’accumulation durant l’éveil d’une pression de sommeil qui se « décharge » au cours du sommeil. De son côté, le processus C génère un signal d’éveil de telle sorte que la latence d’endormissement atteint paradoxalement son maximum en soirée (i.e. « zone de maintien d’éveil ») dans des conditions habituelles d’activité et de repos ; à l’inverse, la latence d’endormissement la plus courte coïncide avec le minimum thermique, généralement vers 5 heures—6 heures du matin [28]. Le système circadien est contrôlé par une horloge biologique située dans le noyau supra-chiasmatique et caractérisée par une période endogène spécifique à chaque individu : cette période n’étant pas égale à 24 h, l’horloge doit être « remise à l’heure » (i.e. entraînée) quotidiennement par des synchroniseurs externes, en premier lieu par la lumière [1]. L’effet de la lumière sur l’horloge est sous la dépendance de différents facteurs, dont l’heure à laquelle elle est perc ¸ue. Cette relation est modélisée par une Courbe de réponse

Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge

Figure 1. Exemples de Courbes de réponse de phase (CRP) de la mélatonine et de la lumière. La flèche verticale représente le Dim Light Onset Melatonin (DLMO), le rectangle le temps de sommeil, et le triangle noir le minimum thermique. D’après [35]. Reproduit avec permission.

de phase (CRP) [29—34] : une avance de phase sera provoquée par une exposition à la lumière en matinée tandis qu’un retard de phase sera obtenue suite à une exposition à la lumière vespérale (Fig. 1) [35]. Par ailleurs, l’impact de la lumière sur l’horloge dépend de l’éclairement et de la durée d’exposition : par exemple, des expositions matinales de 3000 lux1 pendant 3 h et de 8000 lux pendant 1 heure permettent d’obtenir une avance de phase pouvant atteindre respectivement 42 mn et 27 mn [31—33,35—37]. Enfin, la réponse de l’horloge circadienne à la lumière dépend aussi de son spectre : l’horloge démontre une sensibilité maximale dans les longueurs d’onde courte (environ 470 nm—480 nm) [28]. Ainsi, une exposition à la lumière monochromatique bleue permet d’obtenir un décalage de phase identique à celui de la lumière blanche (polychromatique) pour une quantité de photons moins importante [28,31,32]. Cette donnée est importante à prendre en considération compte tenu de l’utilisation croissante des appareils électroniques. Par exemple, l’exposition à une tablette électronique équipée de LED émettrices de lumière bleue pendant seulement 2 heures peut supprimer la sécrétion de mélatonine, suggérant un probable retard de phase [38]. Enfin, la lumière stimule également l’éveil et cet effet est majoré lors d’une exposition à la lumière bleue. Or cette double propriété (chronobiotique et éveillante) intervient pour des éclairements relativement faibles. En effet, une exposition nocturne par luminothérapie à large spectre de seulement 100 lux pendant 6,5 h peut à la fois engendrer un retard de phase d’environ 1 heure et augmenter de fac ¸on significative le niveau d’éveil évalué de fac ¸on subjective [39,40]. La physiopathologie exacte du SRP reste aujourd’hui méconnue car peu investiguée. Le décalage de phase du 1 Le lux est l’unité de mesure de l’éclairement lumineux (souvent confondu avec l’intensité). Celui-ci caractérise le flux lumineux rec ¸u par unité de surface.

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rythme veille-sommeil reflète principalement un décalage des rythmes circadiens, comme le révèlent les mesures du Dim Light Melatonin Onset (DLMO)2 [41—47], du minimum thermique [46,48,49] et de la zone de maintien d’éveil [50], ainsi que l’association de facteurs génétiques au SRP [51]. Cette anomalie s’expliquerait avant tout par l’allongement de la période circadienne qui représenterait alors une contrainte majeure en termes d’entraînement. Cette hypothèse est soutenue par deux études basées sur des protocoles différents. Tout d’abord, dans une étude en « libre cours » de 17 jours, Scott et Campbell ont mis en évidence chez un sujet avec SRP une période endogène de 25,4 heures, soit 1 heure de plus que chez les 3 sujets témoins [52]. Par ailleurs, dans un protocole en « constante routine » de 78 heures, Micic et al. ont retrouvé une période de 24,59 heures chez 6 patients présentant un SRP, soit 30 mn de plus que les 7 sujets bons dormeurs [53]. De plus, les sujets du premier groupe se décalaient plus rapidement (59 mn/jour) que ceux du second groupe (24 mn/jour). L’autre facteur susceptible d’être impliqué dans cette difficulté de synchronisation serait une sensibilité accrue à l’effet de la lumière en soirée et une sensibilité diminuée à l’effet de la lumière le matin, en raison d’une asymétrie de la CRP : la zone de retard de phase serait allongée comparativement à la zone d’avance de phase [54,55]. D’autres études suggèrent une implication du système homéostatique dans la physiopathologie du SRP, avec la mise en évidence d’un angle de phase3 allongé en conditions de sommeil ad libitum [45,48,49]. Cette caractéristique apparaît contradictoire avec l’hypothèse d’une période endogène allongée [56], mais elle pourrait s’expliquer par une dynamique très lente de la pression homéostatique [57,58]. Néanmoins, ces résultats sont à discuter car ils ont été mis en évidence uniquement chez des sujets présentant un temps de sommeil allongé [42]. Dès lors, l’altération du système homéostatique ne semble concerner qu’un phénotype particulier de patients. Bien que peu explorés, des facteurs comportementaux et cognitifs sont probablement impliqués dans la pérennisation du trouble de l’endormissement lié au SRP. Tout d’abord, dans un contexte de rythme veille-sommeil imposé par des contraintes socio-professionnelles, le patient peut s’obliger à se coucher tôt dans l’espoir d’obtenir un temps de sommeil suffisant, générant ainsi une insomnie et une anxiété anticipatoire. À l’inverse, en raison de son chronotype [59], il s’engagera volontiers en soirée dans des activités éveillantes susceptibles d’interférer par la suite avec l’endormissement. Ce comportement est renforcé par la capacité du sujet du soir à maintenir au cours de la nuit un niveau d’éveil objectif supérieur au sujet du matin en

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La mélatonine est elle aussi sous régulation circadienne : chez le bon dormeur elle est indétectable la journée et sa sécrétion débute dans la soirée pour atteindre un pic en milieu de nuit. Le DLMO correspond au dosage de début de sécrétion de la mélatonine sous lumière faible (inférieure à 30 lux) : c’est l’un des meilleurs marqueurs circadiens. 3 L’angle de phase de l’entraînement représente la mesure entre un marqueur circadien et un paramètre du sommeil. Le plus souvent, il s’agit implicitement de l’intervalle entre le minimum thermique et l’heure de réveil.

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C. Chaufton, S. Bioulac

dépit d’une dette de sommeil [60]. L’implication de processus cognitifs dans le SRP est suggérée par Marchetti et al. qui ont mis en évidence un biais attentionnel envers les stimuli interprétés comme une menace pour le sommeil, mais à un niveau moins sévère comparativement à l’insomnie chronique [61]. Par ailleurs, il est démontré que le sujet du soir (dont l’adolescent avec SRP) présente un risque augmenté de consommation de stimulants (tabac, caféine) et d’alcool [10,62]. L’ensemble de ces facteurs aboutirait finalement à un contrôle du stimulus inadéquat tel qu’il est décrit dans l’insomnie chronique : selon la théorie du conditionnement opérant, le lit représenterait un « signal discriminatif » d’éveil alors qu’il constitue un « signal discriminatif » d’endormissement rapide pour le bon dormeur. En outre, contrairement à ce qui est souvent admis, les sujets avec SRP ne présentent pas une latence d’endormissement strictement comparable à celle des sujets sains en conditions de sommeil ad libitum, comme le démontrent plusieurs études avec polysomnographie [44,52,63] : selon Lack et al., ce constat pourrait s’expliquer par la présence d’un « hyperéveil conditionné » comparable à celui des insomniaques [51,64], l’association entre le lit et l’éveil s’établissant par l’intermédiaire d’un conditionnement classique (i.e. pavlovien). Enfin, Burgess et al. ont montré chez des bons dormeurs suivis à domicile (pendant 7 à 19 nuits selon les sujets) qu’un coucher à 1 h du matin (contre 22 h 00 habituellement) engendrait en moyenne un retard de phase de 36 mn, et ce malgré des horaires de lever maintenus à 7 h [65]. On peut légitimement supposer que ce phénomène est amplifié dans le SRP compte tenu du positionnement de la CRP (voir infra) : un coucher tardif et surtout un lever précoce sont susceptibles d’entretenir le décalage de phase lui-même.

Figure 2.

Syndrome de retard de phase documenté par actimétrie.

Diagnostic Les critères diagnostiques de la classification internationale des troubles du sommeil, récemment mise à jour, sont rapportés en introduction. Le SRP se caractérise par une inadéquation entre les horaires de sommeil imposés par les contraintes socio-professionnelles, et les horaires physiologiques de l’individu. Ce conflit est à l’origine d’une insomnie d’endormissement associée à une privation chronique de sommeil qui, dans notre expérience clinique, peut se manifester dans les cas les plus sévères par une forte inertie au réveil comparable à l’ivresse de sommeil décrite dans les hypersomnies idiopathiques [66]. Indépendamment de leurs contraintes socio-professionnelles, les patients rapportent fréquemment une somnolence en fin d’après-midi ou en début de soirée : il s’agit en réalité de la diminution transitoire du signal d’éveil habituellement ressentie en début d’après-midi chez les bons dormeurs. Le diagnostic est confirmé par agenda de sommeil ou actimétrie, idéalement pendant une période de congés significative (au moins 7 jours) afin de documenter le rythme veille/sommeil en conditions de sommeil ad libitum (Fig. 2). Une évaluation réalisée au cours d’une période d’activité professionnelle/scolaire donnera un tableau moins caricatural de la pathologie, le patient parvenant à s’endormir plus tôt certains soirs en raison de sa pression homéostatique élevée. Le questionnaire de Horne et Otsberg [67], permettant de mettre en évidence un chronotype du soir [59], est un élément supplémentaire confortant le diagnostic de SRP. La polysomnographie n’est pas indiquée sauf si un trouble du sommeil comorbide est suspecté. Il est conseillé de rechercher l’existence d’un SRP face à un tableau d’insomnie chronique, notamment en cas de résistance à un traitement hypnotique [68]. L’interrogatoire doit être minutieux

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et rechercher les facteurs comportementaux susceptibles de pérenniser le trouble de l’endormissement, voire le retard de phase lui-même. Par exemple, certains patients expliquent qu’ils préfèrent dormir les volets ouverts : il peut s’agir d’un élément péjoratif, la lumière impactant le système circadien même lorsque le sujet maintient les yeux fermés [69—71]. De plus, les comorbidités psychiatriques (troubles de l’humeur et TDA/H) doivent être recherchées. Enfin, le retentissement social du SRP doit être évalué car le patient est exposé à un risque accru d’absentéisme et de détérioration des performances scolaires/professionnelles [12,16,17,53].

Traitement par luminothérapie et mélatonine D’après les dernières recommandations de l’AASM de 2007 [72], la luminothérapie (par lumière vive) et la prise de mélatonine (à libération immédiate par voie orale) représentent des traitements efficaces du SRP, sans davantage de précision pour le prescripteur concernant la posologie/éclairement, l’horaire et la durée du traitement. De nombreuses études contrôlées démontrent l’intérêt de la luminothérapie ou de la mélatonine dans le SRP de l’adulte et de l’adolescent [69,72—77], mais elles ne permettent pas d’optimiser la stratégie thérapeutique. En revanche, celle-ci peut s’inspirer des travaux réalisés chez le bon dormeur pour qui l’avance de phase maximale (en moyenne 2,5 heures en 3 jours) est obtenue en réunissant les 3 conditions suivantes (Tableau 1) : l’action synergique de l’association mélatonine/luminothérapie, l’avance quotidienne des horaires de traitement jusqu’à un horaire cible plutôt qu’un traitement à horaire fixe, et la prise en compte des marqueurs circadiens [37,78—82]. Cette dernière exigence est liée à la Courbe de réponse de phase qui caractérise la réponse de l’horloge à la lumière mais aussi à la mélatonine, selon des profils opposés [83,84]. Ainsi, une avance de phase est obtenue par la prise de mélatonine vespérale alors qu’un retard de phase est engendré par une prise matinale (Fig. 1). L’exposition à la lumière ou la prise de mélatonine à un horaire inapproprié peut donc s’avérer inefficace, voire délétère4 . Indépendamment des autres facteurs qui influencent la réponse de l’horloge à la lumière (éclairement et durée d’exposition, spectre), l’ensemble des CRP de luminothérapie montre de fac ¸on quasiconsensuelle que l’avance de phase maximale d’une exposition unique est obtenue lorsque celle-ci débute au décours du minimum thermique [29—34,85—89]. En revanche, concernant la mélatonine, l’avance de phase optimale d’une prise unique semble être identique quelle que soit la posologie, mais son obtention dépend de l’horaire de prise : il se situe 3 h avant le DLMO pour une dose de 0,5 mg [83,84], soit 2 heures plus tard que la dose de 3 mg [35,83] (Fig. 3). Malgré leur intérêt, le minimum thermique et le DLMO sont rarement utilisés en pratique clinique, notamment pour des raisons de coût. Ils peuvent alors être rapportés à un 4 Il est par ailleurs intéressant de relever que, contrairement à ce qui communément admis, la mélatonine peut être un synchroniseur aussi puissant que la lumière.

Figure 3. Comparaison des courbes de réponse de phase de la mélatonine selon la posologie (0,5 mg versus 3 mg). La flèche verticale représente le Dim Light Onset Melatonin (DLMO), le rectangle le temps de sommeil, et le triangle noir le minimum thermique. Modifié d’après [35,83]. Reproduit avec permission.

horaire conventionnel qui représente un marqueur circadien moins fiable mais plus fonctionnel. Chez le bon dormeur, le minimum thermique survient en moyenne 2 heures avant le réveil spontané [28] : il apparaît alors cohérent de réaliser la luminothérapie durant cet intervalle pour engendrer une avance de phase. Théoriquement, le même principe peut être appliqué pour resynchroniser les patients avec SRP puisque, à l’exception du phénotype précédemment décrit, leur angle de phase est identique à celui des bons dormeurs [42]. Concernant la prise de mélatonine, plusieurs auteurs suggèrent d’estimer le DLMO à partir de l’heure de coucher du patient établie par agenda ou actimétrie, argumentant que cet intervalle est habituellement de 2 heures chez le bon dormeur [15,51]. Toutefois, il s’avère qu’en conditions de sommeil ad libitum le DLMO corrèle davantage avec l’heure de réveil spontané [90]. Wyatt et al. ont établi le même constat chez des sujets avec SRP dont l’intervalle DLMOheure de réveil, évalué au cours de 3 nuits consécutives, était en moyenne de 10 h 45 mn, semblable à celui de bons dormeurs (10 h 48 mn) ; l’heure de réveil était estimée par actimétrie [47]. Ces résultats concordent avec ceux de deux autres études contrôlées qui ont retrouvé des intervalles de 12 h en conditions ad libitum [44] et de 10 h 30 mn lorsque les sujets avec SRP maintenaient leur rythme veille-sommeil habituel [42], les heures de réveil étant respectivement déterminés par polysomnographie et actimétrie. Ainsi, nous proposons d’utiliser en clinique un positionnement du DLMO 11 heures avant l’heure du réveil spontané, évaluée par actimétrie ou agenda de sommeil en conditions ad libitum [91].

Luminothérapie : éclairement, durée, spectre Les lampes habituellement disponibles dans le commerce émettent une lumière blanche (i.e. à large spectre, soit 380—760 nm) avec, généralement, un éclairement de 5000 à 10 000 lux. Les modèles les plus récents sont normalement pourvus de filtres à ultra-violets, ce qui permet théoriquement de prévenir le risque de photosensibilisation.

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Tableau 1

Protocoles d’avance de phase chez le bon dormeur.

Référence

Résumé de la méthode

Résumé des résultats

[37]

Durée du protocole : 1 jour Trente-six sujets répartis parmi 4 groupes Lumière douce (∼1,9 lux) — placebo Lumière douce-mélatonine (5 mg) Lumière vive (∼3000 lux)-placebo Lumière vive-mélatonine (5 mg) La mélatonine (ou son placebo) était administrée 5,75 h avant l’horaire habituel de coucher. La séance de luminothérapie, d’une durée de 3 h, avait lieu après un réveil provoqué 1 h plus tôt que l’heure habituelle du réveil spontané Durée du protocole: 3 jours 28 sujets étaient répartis en 3 groupes selon le schéma de luminothérapie Groupe contrôle (< 60 lux; n = 9) Lumière vive intermittente (> 3000 lux par périodes de 30 mn ; n = 11) Lumière vive continue (> 3000 lux) Les séances étaient réalisées dès le lever pendant une durée de 3,5 h Dans chaque groupe les horaires de luminothérapie étaient quotidiennement avancés d’une heure Durée du protocole : 3 jours 12 sujets étaient répartis alternativement en 2 groupes (étude en cross-over) Prise de mélatonine 11 h avant le milieu du sommeil Placebo Les conditions de luminosité étaient contrôlées durant les périodes d’éveil (éclairement < 60 lux) Dans chaque bras les horaires de traitement étaient quotidiennement avancés d’une heure

L’avance de phase moyenne (DLMO) était respectivement de 37 min, 42 min, et 68 min dans les groupes 2, 3 et 4, comparativement au groupe 1

[78]

[79]

En fin du traitement l’avance de phase moyenne (DLMO) était respectivement, de 0,6, 1,5 et 2 h pour les groupes 1, 2 et 3, sans différence significative entre les groupes 2 et 3

En fin de traitement l’avance de phase moyenne (DLMO) était significativement plus importante dans le groupe 1 (1,3 h) comparativement au groupe 2 (0,7 h)

C. Chaufton, S. Bioulac

Résumé de la méthode

Résumé des résultats

[80]

Durée du protocole : 3 jours Cinquante sujets étaient partagés en 3 groupes selon le schéma de luminothérapie Quatre expositions de 30 min réparties sur 2 h (n = 16) Quatre expositions de 15 min réparties sur 2 h (n = 17) Une exposition unique de 30 min (n = 17). Les séances de luminothérapie étaient réalisées dès le lever avec un éclairement de 5000 lux en moyenne Dans chaque groupe un traitement par mélatonine (0,5 mg) était par ailleurs administré 5 h avant l’heure du coucher Les horaires de traitement (luminothérapie et prise de mélatonine) étaient quotidiennement avancés d’une heure Durée du protocole : 3 jours 15 sujets étaient répartis en 2 groupes Horaire de lever quotidiennement avancé d’une heure Horaire de lever avancé de 2 h Dans chaque groupe, les participants s’exposaient dès le réveil à la lumière vive intermittente (5000 lux par intervalles de 30 mn) pendant une durée totale de 3,5 h Durée du protocole : 3 jours Quarante-quatre sujets étaient répartis en 3 groupes selon la posologie de mélatonine Placebo (n = 15) Prise de 0,5 mg de mélatonine 5 h avant le coucher (n = 16) Prise de 3 mg de mélatonine 7 h avant le coucher (n = 13) Dans chaque groupe un traitement par luminothérapie était associé à la prise de mélatonine : les participants s’exposaient dès le lever à la lumière vive intermittente (5000 lux par périodes de 30 min réparties sur 3,5 h) Les horaires de traitement (prise de mélatonine et luminothérapie) étaient quotidiennement avancés d’une heure

En fin de traitement l’avance de phase moyenne (DLMO) était respectivement de 2,4 h, 1,7 h, et 1,8 h dans les groupes 1, 2 et 3, sans différence significative entre les groupes 2 et 3. Il était par ailleurs démontré que, pour tous les groupes, l’ampleur de l’avance de phase était inversement corrélée à l’intervalle DLMO-horaire de luminothérapie, confirmant ainsi l’intérêt de s’exposer à la lumière dès le lever. Enfin, les auteurs soulignaient que les séances de luminothérapie des groupes 2 et 3 aboutissaient à environ 70—75 % de l’avance de phase générée par celle du groupe 1: en cas d’exposition intermittente la première session contribuerait le plus à l’avance de phase du sujet En fin de traitement l’avance de phase moyenne (DLMO) était plus importante dans le groupe 2 comparativement au groupe 1 (1,9 h versus 1,4 h) mais sans différence significative

[81]

[82]

En fin de traitement l’avance de phase moyenne (DLMO) était respectivement de 1,7 h, 2,5 h et 2,6 h pour les groupes 1, 2 et 3, sans différence significative entre les deux posologies de mélatonine

Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge

Tableau 1 (Suite ) Référence

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110 Tableau 2

C. Chaufton, S. Bioulac Exemples d’éclairements lumineux.

Extérieur, temps clair, à midi

50,000—100,000 lux

Extérieur, temps nuageux, Extérieur, temps nuageux, matin, en avril Extérieur, temps nuageux, en octobre Extérieur, temps nuageux, matin, en octobre Lampe de luminothérapie Pièce à vivre Lampe de 75 W à 2 mètres Lampe de 75 W à 4 mètres Pleine lune

à midi à 8 h du

15,000 lux 3000 lux

à midi,

900 lux

à 9 h du

200 lux 5000—10,000 lux 50—200 lux 40 lux 10 lux < 1 lux

D’après [36,92].

Depuis quelques années des dispositifs émetteurs de lumière monochromatique bleue (générée par LED) sont disponibles, se caractérisant notamment par un volume moins encombrant que celui des lampes classiques [31]. Cependant, à ce jour, leur utilisation n’est pas recommandée en raison d’un possible risque de lésion rétinienne en cas d’exposition à long terme évoqué par certains experts [36,92]. Des dispositifs de luminothérapie classique enrichis en lumière bleue ont été créés afin de contourner cet obstacle, mais ils ne montrent aucun bénéfice en termes de décalage de phase comparativement à la luminothérapie classique [93]. En pratique, le protocole le plus couramment utilisé repose sur une exposition de 10 000 lux pendant 30 mn mais cette recommandation a été uniquement validée dans l’indication de la dépression saisonnière [94]. Néanmoins, considérant les données précédemment rapportée, et plus précisément l’étude récente de Crowley et Eastman [80], une exposition minimale de 5000 lux pendant 30 minutes semble indiquée : associée à la mélatonine, elle permet d’obtenir une avance de phase moyenne de 1,7 heure en 3 jours. La session peut éventuellement être abaissée à 15 mn mais il faut alors encourager le patient à répéter les séances dans les 90 mn qui suivent. Une durée d’exposition raisonnable permet de favoriser l’observance du traitement car les séances de luminothérapie sont difficiles à mettre en place de fac ¸on pérenne. En effet, elles contraignent le patient à installer le dispositif dans son champ de vision, généralement à une distance de 30 cm à 60 cm (pour 10,000 lux). Pour la même raison, on peut recommander au patient de s’exposer à la lumière extérieure si les conditions le permettent (météorologie, saison, horaire, lieu, . . .) [36,95] : on lui conseillera par exemple de prendre le petit déjeuner dans le jardin (Tableau 2). La lampe de luminothérapie n’est donc pas systématiquement utile dans le traitement du SRP. Dans tous les cas, il convient d’expliquer au patient que la session de luminothérapie doit intervenir le plus rapidement possible après le lever afin de se rapprocher du minimum thermique.

Mélatonine : modalités de prescription La mélatonine à libération immédiate doit être privilégiée car les études rapportées dans notre revue de la

littérature (chez le bon dormeur et le sujet avec SRP) ont utilisé cette forme galénique. La prescription est donc rédigée sous la forme d’une préparation magistrale et le prescripteur doit ajouter sur l’ordonnance la mention suivante afin de permettre le remboursement du traitement par l’Assurance maladie : « prescription à but thérapeutique en l’absence de spécialités équivalentes disponibles » [96]. Nous proposons une posologie de 0,5 mg pour éviter deux écueils. D’une part, une posologie supérieure à 0,5 mg (i.e. supra-physiologique) est susceptible d’occasionner une somnolence [79]. Celle-ci serait favorisée lorsque la mélatonine exogène est prise en dehors de la période de sécrétion de mélatonine endogène par atténuation du signal d’éveil : le risque serait donc maximal durant la zone de maintien d’éveil [97]. D’autre part, une prise vespérale de mélatonine à une posologie excessive peut conduire à une concentration résiduelle plasmatique impactant la CRP sur sa portion de retard de phase, et atténuer ainsi le bénéfice thérapeutique [98]. Enfin, de nombreuses interactions médicamenteuses sont rapportées dans la littérature mais la plupart d’entre elles ont été évaluées in vitro ou chez l’animal. Le prescripteur doit surtout porter son attention sur le fait que la mélatonine est essentiellement métabolisée par le cytochrome CYP1A2. Ainsi, les inducteurs (par exemple le tabac) ou inhibiteurs enzymatiques (tels que la fluvoxamine) de cette isoenzyme pourront respectivement diminuer ou augmenter les concentrations plasmatiques de la molécule [99—101].

Efficacité et tolérance Peu d’études prospectives ont évalué le risque de rechute à l’arrêt d’un traitement du SRP. Deux études ont révélé qu’après un traitement par mélatonine pendant 1 mois, l’ensemble des patients retrouvaient leur cycle veillesommeil initial en seulement quelques jours, mais le nombre de sujets était relativement faible [75,102]. Ces données contrastent avec les résultats des travaux de Dagan et al. [103] : après un traitement par mélatonine de 6 semaines, 91,5 % des 61 patients traités rapportaient certes une rechute à 12—18 mois, mais celle-ci n’était intervenue dans la semaine suivant la fin du traitement que pour 28,8 % d’entre eux. En revanche, Wilhelmsen-Langeland et al. ont évalué, après une première phase de 2 semaines (composée de 4 bras), l’efficacité d’un traitement de plus longue durée, en répartissant 38 sujets dans 2 groupes [77] : traitement par luminothérapie et mélatonine (n = 19) versus absence de traitement (n = 19). Après 3 mois de suivi, seul le groupe traité avait maintenu une avance de phase. Un traitement pendant une période minimale de 3 mois semble donc être indiqué. En termes de tolérance, deux méta-analyses (incluant des études chez l’adulte et chez l’enfant, non spécifiques du SRP) indiquent que la prise de mélatonine à court terme (i.e. durée maximale de 3 mois) n’entraîne pas davantage d’effets secondaires qu’un traitement placebo [76,104]. Les plaintes les plus fréquemment rapportées sont sans gravité : céphalées, somnolence, et nausées. Quant à la luminothérapie, à notre connaissance il n’existe que deux études contrôlées ayant évalué sa tolérance sur de très courtes périodes (1 et 7 jours) : la fréquence des effets secondaires n’était pas augmentée chez les patients traités par

Le syndrome de retard de phase : une expérience personnelle de prise en charge

Figure 4.

111

Protocole de correction du Syndrome de retard de phase.

luminothérapie classique comparativement au traitement placebo [105,106]. Les études longitudinales non contrôlées mettent en avant comme effets secondaires les plus fréquemment rencontrés des nausées, des céphalées et une fatigue visuelle. Quelques cas de virage maniaque ont été rapportés, possiblement en raison d’une exposition à des horaires inadéquats [94]. De notre point de vue, le principal risque à évaluer concerne une possible complication ophtalmologique. Gallin et al. ont suivi 50 patients traités par luminothérapie (10,000 lux pendant 30 mn pour un trouble affectif saisonnier) avec un examen spécialisé réalisé avant traitement puis répété après des expositions à court terme (2—8 semaines) et à long terme (3 à 6 ans) : aucune lésion ophtalmologique ne fût décelée [107]. Néanmoins, il est habituellement recommandé d’éviter la luminothérapie en cas de lésion rétinienne évolutive, ou de prescrire au patient un suivi ophtalmologique renforcé si le traitement est absolument indiqué [94].

En résumé et en pratique : comment procéder ? Compte tenu de l’absence de recommandations précises de la part des sociétés savantes et sur la base des investigations réalisées chez le bon dormeur (Tableau 1), nous proposons un protocole de correction du SRP en 3 phases (Fig. 4). Dans un premier temps le patient adopte ses horaires de sommeil ad libitum pendant au moins 3 jours, ce qui devrait permettre d’établir la moyenne de son horaire de réveil spontané. Puis le traitement stricto sensu peut débuter avec, dès le premier soir, une prise de 0,5 mg de mélatonine 14 h avant l’heure de lever préalablement déterminée (11 h pour l’intervalle DLMO-heure de réveil spontané + 3 h avant le DLMO). Le lendemain matin, le patient doit se lever idéalement 1 heure plus tôt (ou 30 mn plus tôt en cas d’intolérance à la privation de sommeil) et réaliser aussitôt sa séance de

luminothérapie; la mélatonine est donc prise 13 h avant l’horaire de réveil programmé. Ensuite, les horaires de prise de mélatonine et de luminothérapie sont quotidiennement avancés d’une heure (ou de 30 mn) jusqu’à l’horaire de lever cible. L’exposition à la lumière dans les heures qui précèdent le coucher doit être réduite au minimum afin de ne pas atténuer les bénéfices acquis [65]. De même, il est indispensable d’informer le sujet sur la nécessité de rester dans l’obscurité une fois couché et cela jusqu’à l’horaire de lever programmé. Cette recommandation implique de dormir les volets fermés mais aussi de porter des lunettes de soleil le matin en cas de sortie à l’extérieur avant l’horaire cible. La dernière phase du traitement est destinée à consolider l’avance de phase ainsi obtenue. Le patient maintient ses séances de luminothérapie à l’horaire cible et la prise concomitante de mélatonine pour une durée totale de 3 mois. Avant la mise en route du traitement, il est important d’évaluer la motivation du patient (motivation concernant la prise en charge, et motivation au changement) et de programmer des objectifs raisonnables en termes d’horaire de lever cible. Idéalement le traitement est débuté au cours d’une période de congés. Néanmoins, en cas de faible motivation du patient, il apparaît plus pertinent de le démarrer pendant une période de travail/scolaire afin de contraindre celui-ci à respecter les heures de lever du protocole. Ainsi, la physiologie veille-sommeil et la régulation du système circadien par l’alternance lumière/obscurité doivent être soigneusement expliqués au patient, afin de renforcer son adhésion au traitement. Il doit notamment être averti du fait que les bénéfices sur l’horaire d’endormissement surviendront avec une certaine inertie par rapport à la progression des horaires de lever qui sont programmés. Enfin, en complément des mesures habituelles d’hygiène de sommeil, les consignes de contrôle du stimulus doivent être mises en place dès le début du traitement [108]. Initialement destiné à renforcer l’association entre le lit et le sommeil dans le traitement de l’insomnie chronique, le

112 contrôle du stimulus inclut habituellement chez l’adulte les consignes suivantes : 1) « allez vous coucher uniquement lorsque vous êtes somnolent » ; 2) « réservez votre lit et votre chambre uniquement au sommeil et à l’activité sexuelle » ; 3) « si vous ne parvenez pas à vous endormir rapidement, sortez du lit et allez dans une autre pièce. Retournez au lit lorsque vous êtes somnolent » ; 4) « répétez la consigne précédente autant de fois que nécessaire » ; 5) « levez-vous tous les jours à la même heure, week-end inclus, indépendamment de votre temps de sommeil » ; 6) « ne faites pas de siestes dans la journée ». La consigne 5 ne doit être appliquée qu’à partir de la troisième phase du protocole (i.e. consolidation), mais elle est probablement essentielle dans la prévention de la rechute. En effet, il est démontré chez le bon dormeur que des horaires de lever tardifs uniquement le week-end peuvent entraîner un retard de phase significatif [109,110]. Nous utilisons ce protocole dans notre pratique clinique depuis plusieurs années mais n’avons pas pu quantifier les résultats thérapeutiques. Ils paraissent essentiellement positifs dans les formes modérées de SRP (voir infra) et parfois modestes, probablement par mésestimation des marqueurs circadiens ou par mauvaise observance (notamment en cas de trouble anxieux comorbide ou de prise concomitante d’un traitement psychotrope).

Chronothérapie Proposée dès 1981 par Czeisler et al., la chronothérapie consiste à retarder quotidiennement (habituellement de 2 heures) les heures de coucher du patient jusqu’à l’horaire souhaité [55]. Cependant, sa mise en place s’avère particulièrement contraignante : l’atteinte de l’horaire cible peut nécessiter jusqu’à 10 jours, période au cours de laquelle le patient ne peut répondre à ses obligations socio-professionnelles [51]. En outre, malgré son caractère historique, l’efficacité de la chronothérapie reste aujourd’hui peu documentée [111]. Dans notre pratique clinique le recours à ce traitement reste occasionnel : il peut s’avérer utile chez des patients particulièrement décalés qui se trouvent en échec thérapeutique après l’essai de notre protocole associant mélatonine et luminothérapie.

Conclusion Le Syndrome de retard de phase est une pathologie fréquemment rencontrée dans les consultations de sommeil, à l’origine d’un trouble de l’endormissement associé à une privation chronique de sommeil et un retentissement scolaire ou socio-professionnel. Les facteurs comportementaux de pérennisation de l’insomnie et du SRP lui-même doivent être recherchés afin d’optimiser l’efficacité du traitement pour lequel il n’existe, à l’heure actuelle, aucune véritable recommandation de la part des sociétés suivantes. Nous proposons ici un protocole thérapeutique établi à partir de travaux établis chez le bon dormeur, en particulier

C. Chaufton, S. Bioulac la récente étude de Crowley et Eastman [80]. Celui-ci repose sur l’action synergique de l’association mélatonine/luminothérapie dont les horaires de prise/exposition, établis à partir de l’estimation des marqueurs circadiens, sont progressivement avancés jusqu’à un horaire cible. Le traitement est ensuite maintenu pour une durée totale de 3 mois. Néanmoins, de nouvelles investigations chez les sujets avec SRP s’imposent afin de valider ce protocole thérapeutique et de déterminer, le cas échéant, la stratégie optimale (posologie de mélatonine, éclairement de luminothérapie, durée minimale requise) ainsi que les facteurs prédictifs d’échec.

Remerciements Les auteurs remercient Tony Bassette, Xue Chen, et Cédric Valtat pour leur aide dans la conception des figures et la mise en forme de la bibliographie, ainsi que Jacques Taillard pour son soutien.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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