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www.sciencedirect.com Revue française d’allergologie 53 (2013) 48–50
Fait clinique
Le syndrome d’envenimation massive à propos d’un cas clinique de piqûres multiples discuté par le groupe « insectes » de la SFA Discussion by the Insect Stings group of the SFA of a clinical case involving a toxic reaction to a very large venom dose resulting from multiple insect stings I. Sullerot a,*, J. Birnbaum b, E. Girodet c a Service de médecine C, centre hospitalier, 1, avenue Pierre-de-Coubertin, 89108 Sens cedex, France Clinique des bronches, allergie et sommeil, hôpital Nord, chemin des Bourrelys, 13015 Marseille, France c Service d’endocrinologie-dibétologie, hôpital Pierre-Oudot, 30, avenue du Médipôle, BP 348, 38317 Bourgoin-Jallieu cedex, France b
Reçu le 18 2012 ; accepté le 29 juin 2012 Disponible sur Internet le 26 septembre 2012
Résumé Le groupe « insectes piqueurs » de la SFA a discuté du cas clinique d’un patient ayant présenté une réaction généralisée immédiate après une centaine de piqûres de guêpes simultanées. Après sa prise en charge rapide par les urgences de l’hôpital, la récupération est complète en quelques heures. Le bilan allergologique pratiqué six semaines après montre une sensibilisation à vespula. Le groupe juge qu’un nouveau bilan à distance permettrait de trancher, en cas de négativité, à une envenimation. En cas de positivité, il ne permettrait pas de distinguer une sensibilisation d’une véritable allergie à vespula. Le patient est revu six mois plus tard, et son bilan par tests cutanés et IgE spécifiques montre une nette diminution : il est conclu à une envenimation ; le patient dispose toutefois d’une trousse d’urgence comportant un stylo d’adrénaline. Ce cas clinique est l’occasion d’un rappel du syndrome d’envenimation massive, et des propriétés pharmacologiques des venins d’hyménoptères qui en illustrent la toxicité. # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Syndrome toxique ; Envenimation massive ; Diagnostic différentiel sensibilisation-allergie ; Composition des venins d’hyménoptères
Abstract The ‘‘Insect Stings’’ group of the SFA discussed the case of a patient who presented with an immediate, generalized reaction following a hundred simultaneous wasp stings. After immediate treatment in the emergency room, recovery was complete in a few hours. The allergy workup done 6 weeks later showed sensitization to yellow jackets. The group decided that a negative result in a subsequent workup would mean that the patient had had a toxic reaction to the venom. If the result was positive, then it could not be distinguished from true allergic sensitization to vespula. The patient was seen 6 months later and the skin tests and specific IgE assay showed a significant reduction in sensitivity, which led to the conclusion that the reaction was toxic in nature. Nevertheless, the patient was given an emergency kit containing an adrenalin syringe. This case allows us to recall the syndrome of massive-dose venom toxicity and to consider the pharmacological properties of hymenoptera venoms, which illustrate its toxicity. # 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Toxic reaction; Multiple insect stings; Allergic sensitization; Differential diagnosis; Hymenoptera venom composition
1. L’exposé des faits Le cas clinique [1] concerne un patient de 36 ans, sans aucun antécédent, qui se fait piquer par plus d’une centaine de guêpes en marchant sur un nid. Il présente immédiatement une urticaire
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (I. Sullerot). 1877-0320/$ – see front matter # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2012.06.007
généralisée et un œdème du visage. Dans les 15 minutes, il est pris en charge par le SAMU qui le conduit aux urgences de l’hôpital. Le traitement instauré n’est pas précisé, le patient aurait présenté des troubles du rythme cardiaque ; la restauration est complète en quelques heures. Le bilan allergologique a lieu six semaines après l’accident. Les tests cutanés en IDR se révèlent négatifs au venin d’abeille jusqu’à la concentration de 1 mg/mL ; ils sont positifs à 0,01 mg/ mL pour les venins de guêpes vespula et poliste. Le taux d’IgE
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spécifiques est augmenté à 3,28 kU/L pour le venin d’abeille, 4,28 kU/L pour le venin de vespula, 0,47 kU/L pour poliste, et 4,34 kU/L pour le venin de frelon. La tryptasémie basale est basse.
La trousse d’urgence comportant de l’adrénaline fait l’unanimité.
2. La question posée au groupe
Le patient est revu six mois plus tard. Les tests cutanés aux venins de guêpes ne sont positifs qu’à la concentration de 1 mg/ mL. Les IgE spécifiques sont abaissés : abeille = 1,76 kU/L, vespula = 2,74 kU/L. Il a donc été conclu à une envenimation. Aucune désensibilsation spécifique n’a été entreprise et le patient bénéficie d’une trousse d’urgence avec adrénaline.
La clinique est compatible avec une envenimation massive, mais peut-il s’agir d’une allergie vraie, ou d’une simple sensibilisation ? La question de la fiabilité du bilan dans le contexte particulier de piqûres multiples se pose : l’envenimation massive ne modifie-t-elle pas le bilan biologique dans les semaines ou mois suivants ? 3. Les réponses du groupe Douze experts ont donné leur avis sur ce cas difficile et plusieurs points ont été discutés. 3.1. La réaction clinique Le tableau clinique évoque pour dix d’entre eux, une envenimation massive consécutive aux piqûres simultanées de plus de 50 hyménoptères. Néanmoins, une anaphylaxie ne peut pas être formellement exclue, mais est peu probable (5 %) devant l’absence d’antécédent de piqûres antérieures. Un expert soulignait l’absence de survenue dans les 24 à 48 heures après l’accident, d’un syndrome toxique, faisant typiquement partie du syndrome des envenimations massives. Un expert a posé la question du bien fondé d’un test de provocation pour permettre la distinction entre allergie vraie et envenimation, tout en rappelant son caractère difficilement réalisable, peu reproductible, non standardisé et médicolégalement discutable. 3.2. Le bilan allergologique Deux répondeurs ont émis des doutes quant à l’utilité du bilan initial si le diagnostic d’envenimation massive est retenu. Il leur a été opposé la dimension médico-légale de cette abstention en cas d’anaphylaxie lors d’une prochaine piqûre. L’interprétation du bilan a été consensuelle pour le diagnostic de sensibilisation. Quatre experts recommandent un bilan de contrôle à distance, soulignant qu’une négativation confirmerait le diagnostic d’envenimation. S’il revenait positif, il ne permettrait pas de trancher entre patient sensibilisé non allergique victime d’une envenimation et patient réellement allergique. 3.3. Le traitement L’indication de désensibilisation n’est pas consensuelle : cinq experts sont contre, et quatre pour, en particulier en cas de persistance d’un bilan positif, du risque de développer une réaction allergique en cas de piqûres répétées ou d’une demande éclairée du patient.
4. Les décisions prises en retour
5. Discussion Le problème posé par ce cas clinique est celui du diagnostic physiopathologique, qui détermine ensuite la conduite à tenir : s’agit-il d’une réaction anaphylactique IgE médiée et justiciable d’une désensibilisation spécifique, ou au contraire, s’agit-il d’une réaction toxique liée à la forte quantité de venin délivrée au cours de piqûres multiples simultanées. En effet, les médiateurs libérés sont les mêmes quel que soit le mécanisme initiateur : les venins d’hyménoptères contiennent des amines vasoactives comparables à celles contenues dans les basophiles ; de plus, ils renferment des substances hémolytiques et rhabdomyolitiques capables d’engendrer une insuffisance rénale aiguë par nécrose tubulaire. Le tableau clinique observé en cas de piqûres multiples est complexe, et sa gravité dépend de la quantité de venin reçue. Le syndrome toxique est décrit au-delà de 50 piqûres d’hyménoptères simultanées [2], et on parle « d’envenimation massive ». 5.1. Le tableau clinique Le tableau clinique débute par des réactions anaphylactoïdes associant les réactions locales extensives à une atteinte de l’état général avec asthénie, nausées, vomissements, vertiges, troubles de la conscience, hyperthermie, tachypnée. Le tableau se complique en un à six jours par une hémolyse (hémoglobinémie et hémoglobinurie), une thrombocytopénie, une cytolyse hépatique et une rhabdomyolyse (myoglobinurie, élévation des CPK et des LDH) entraînant en quatre à six jours, une insuffisance rénale (œdèmes, oligurie) par nécrose tubulaire [3]. Le décès peut aussi survenir dans un tableau de CIVD [4,5], ou par toxicité rénale directe sans hémolyse ni rhabdomyolyse [6]. La mortalité est estimée entre 15 à 25 %. Les décès seraient beaucoup moins fréquents qu’en cas de réaction anaphylactique. Les manifestations rénales ou les décès peuvent apparaître entre 20 et 200 piqûres de guêpes et entre 150 et 1000 piqûres d’abeille [7,8]. Tout oppose le syndrome toxique de la réaction anaphylactique : le nombre de piqûres, la douleur prolongée, l’hypertension initiale, l’apparition retardée des symptômes et les séquelles d’insuffisance rénale. Le décalage entre les piqûres et le début des troubles doit être connu, et l’hospitalisation doit s’imposer pour une surveillance clinique
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et biologique, et un traitement adapté (épuration extrarénale). La récupération de la fonction rénale est obtenue après trois à six semaines de dialyse [7]. La physiopathologie est liée aux substances hémolytiques et rhabdomyolitiques contenues dans les venins d’hyménoptères En effet, les venins contiennent des amines biogènes, des protéines et des enzymes fortement toxiques.
[10] et des kinines, cholinestérases, histidines décarboxylases, des substances hémolytiques et rhabdomyolitiques aux effets comparables à la mellitine du venin d’abeille, du mastoparan homologue du MCD peptide, et chez certaines espèces des neurotoxines [7].
5.2. Rappel sur la composition des venins
Le groupe « insectes piqueurs » de la SFA a discuté du cas clinique d’un patient ayant présenté une réaction généralisée immédiate après une centaine de piqûres de guêpes simultanées. Après sa prise en charge rapide par les urgences de l’hôpital, la récupération est complète en quelques heures. Le bilan allergologique pratiqué six semaines après montre une sensibilisation à vespula. Le groupe juge qu’un nouveau bilan à distance permettrait de trancher, en cas de négativité, à une envenimation. En cas de positivité, il ne permettrait pas de distinguer une sensibilisation d’une véritable allergie à vespula. Le patient est revu six mois plus tard, et son bilan par tests cutanés et IgE spécifiques montre une nette diminution : il est conclu à une envenimation ; le patient dispose toutefois d’une trousse d’urgence comportant un stylo d’adrénaline. Ce cas clinique est l’occasion d’un rappel du syndrome d’envenimation massive, et des propriétés pharmacologiques des venins d’hyménoptères qui en illustrent la toxicité.
Le venin d’abeille contient l’allergène majeur phospholipase A2 (Api m1), qui possède une forte activité enzymatique et cytolytique, qui est indépendante de son allergénicité. Son action sur les phospholipides membranaires induit une libération non spécifique d’histamine par les basophiles humains [9], et rend les tissus plus perméables à la diffusion rapide du venin. Elle peut aussi induire une contraction des muscles lisses, une hypotension et une augmentation de la perméabilité vasculaire. La hyaluronidase (Api m2) est une glycoprotéine capable de cliver l’acide hyaluronique et d’augmenter la perméabilité du tissu conjonctif, et de jouer un rôle important dans la diffusion du venin et la potentialisation des autres toxiques. La mellitine (Api m4) est un allergène spécifique du venin d’abeille, qui représente 50 % du poids total du venin. C’est un puissant toxique avec des propriétés de détersion du surfactant par diminution des tensions de surface. Elle possède une activité hémolytique considérable et est fortement cytotoxique. Elle intervient également dans les phénomènes d’histaminolibération non spécifiques par les mastocytes et les basophiles, et de libération des facteurs chimiotactiques des éosinophiles et des neutrophiles. Lors de la piqûre d’abeille, elle est responsable de la douleur importante et de la réaction inflammatoire persistante. Elle possède une puissante action vasodilatatrice des capillaires, entraînant une hypotension ; elle provoque également une contraction des muscles lisses. Les amines biogènes (histamine, noradrénaline, dopamine) sont responsables des phénomènes vasomoteurs observés dans la réaction non spécifique d’envenimation. L’apamine est un peptide spécifique du venin d’abeille ; il possède des propriétés neurotoxiques périphériques et centrales par passage de la barrière méningée. Le peptide mast cell degranulating (MCD), présent aussi dans le venin des vespidés est un puissant histaminolibérateur entraînant la réaction inflammatoire, la vasodilatation, et la diffusion rapide du venin. De nombreuses enzymes contribuent à la cytotoxicité du venin, certaines ayant une action ciblée comme la cardiopep qui est tachycardisante. Enfin, d’autres substances dont l’activité pharmacologique n’est pas connue, et des acides dont l’acide chlorhydrique et l’acide formique. Le venin des vespidés est variable selon les espèces ; il contient, outre des allergènes majeurs dont l’activité pharmacologique est mal connue (l’antigène 5 serait neurotoxique, la phospholipase A1 serait une enzyme digérant les membranes cellulaires), d’autres enzymes comme la hyaluronidase Ves v2, la dipeptidylpeptidase IV (Ves v3) qui sont cytotoxiques et jouent un rôle dans la diffusion du venin, des amines biogènes vasoactives : histamine, dopamine, sérotonine, noréphédrine
6. Conclusion
Déclaration d’intérêts Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. Ouvrage de référence : le livre du groupe « insectes » de la SFA, « Allergie aux insectes » 2012. Références [1] Girodet E. Intérêt d’un groupe d’experts sur internet. À propose de 50 cas difficiles d’allergie aux insectes piqueurs. Thèse de médecine. Lyon 1: Université Claude Bernard; 2011. [2] Bresolin NL, Carvalho LC, Goes EC, Fernandes R, Barotto AM. Acute renal failure following massive attack by Africanized bee stings. Pediatr Nephrol 2002;17:625–7. [3] SakhujaV, Bhalla A, Pereira BJG, Kapoor MM, Bhusnurmath SR, Chugh KS. Acute renal failure following multiple hornet stings. Nephron 1988;49:319–21. [4] Pramanik S, Banerjee S. Wasp stings with multisystem dysfunction. Indian Pediatr 2007;44:788–90. [5] Korman SH, Jabbour S, Harari MD. Multiple hornet (Vespa orientalis) stings with fatal outcome in a child. J Paediatr Child Health 1990;26: 283–5. [6] Nace L, Bauer P, Lelarge P, Bollaert PE, Larcan A, Lambert H. Multiple European wasp stings and acute renal failure. Nephron 1992;61:477. [7] Vetter RS, Visscher PK, Camazine S. Mass envenomations by honey bees and wasps. West J Med 1999;170:223–7. [8] Daher EF, Silva Junior GB, Bezerra GP, Pontes LB, Martins AMC, Guimaraës JA. Acute renal failure after massive honeybee stings. Rev Inst Med trop S Paulo 2003;45:45–50. [9] David B, Grégoire C, Dandeu JP. Venins d’hyménoptères. Structures et propriétés physicochimiques des allergènes et des différents constituants des venins. Rev Fr Allergol 1997;37(8):1057–62. [10] Owen MD, Bridges AR. Catecholamines in honey bee (Apis mellifera L.) and various vespid (hymenoptera) venoms. Toxicon 1982;20:1075–84.