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Dossier thématique Médico-économie de la santé
Le « trou de la Sécu », trou noir du débat public sur la réforme du système de santé français The Public Health Insurance deficit: Blind spot of the public debate on the French healthcare reform
F. Pierru Chargé de recherche au CNRS, CERAPS-CNRS (UMR 8026), Université Lille 2.
Résumé La problématique du « trou de la Sécu » phagocyte le débat public sur la réforme du système de santé depuis la création de la Sécurité sociale. Son emprise est allée croissante à mesure que la situation financière de l’institution se dégradait, particulièrement depuis le début des années 1990. Une telle omniprésence, qui sert des intérêts variés, fait obstacle à l’ouverture de questionnements plus pertinents et productifs : la croissance des dépenses de santé est-elle une charge ou un atout pour la « compétitivité » de l’économie française ? Quel niveau de couverture publique de ces mêmes dépenses ? Comment mieux utiliser les ressources investies dans le secteur ? Finalement, le « trou de la Sécu » est un lieu commun qui, mobilisé dans des argumentaires alarmistes, sape la confiance en la pérennité de l’Assurance maladie, et justifie le transfert d’une fraction croissante des dépenses de soins courants vers les assurances maladie complémentaires et les malades eux-mêmes.
Mots-clés : Sécurité sociale – assurances maladies complémentaires – reste à charge – franchise – régulation. Summary The problem of the “Trou de la Sécu” (“blind spot”) is monopolizing the public debate on the French healthcare reform since the creation of Social Security. As the financial situation of the institution deteriorated, it increased its influence, particularly since the early 90s. Such ubiquity, which serves diverse interests, precludes more relevant and productive questions about the future of the French healthcare system: Is the growth of healthcare expenditures an asset or a burden to the “competitiveness” of the French economy? What should be the level of public spending? How can we better use the money dedicated to health? Finally, the “Trou de la Sécu” is a commonplace undermining confidence, when it is used in rhetorical dramatization, in the sustainability of public health insurance and justifies the transfer of an increasing proportion of health expenditure to private health insurance market.
Key-words: Public health insurance – private health insurance – deductible – regulation – charge supported by patients. Correspondance : Frédéric Pierru CERAPS 1, place Déliot BP 629 59024 Lille cedex
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Introduction Qu’elle serve les tenants de réformes « structurelles » de l’Assurance maladie ou qu’elle soit l’objet de critiques
expertes, politiques ou syndicales, la problématique du « trou de la Sécu » constitue, au final, le centre de gravité des controverses relatives à la réforme du système de santé, et ce, dès la création
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Le « trou de la Sécu », trou noir du débat public sur la réforme du système de santé français
de la Sécurité sociale. Nombreux sont ceux qui s’étonnent qu’une thématique aussi pauvre soit parvenue à occulter les profondes (et bénéfiques) transformations du rapport à la maladie, à la santé et à la médecine induites par la mise en place, puis la généralisation, d’un mécanisme obligatoire de mutualisation des coûts médicaux. De fait, à compter de la seconde moitié des années 1970, et singulièrement depuis la création de la Commission des comptes de la Sécurité sociale par le gouvernement Barre, en 1979, le « trou de la Sécu » est devenu un marronnier journalistique et l’objet de polémiques politico-syndicales, aussi convenues que récurrentes [1]. Cette omniprésence dans l’espace public va, certes, de pair avec la dégradation de la situation financière des régimes obligatoires de Sécurité sociale, au premier rang desquels ceux de l’Assurance maladie. Cependant, ce fait « objectif » n’explique pas, à lui seul, une telle fortune publique. En effet, le « phagocytage » du débat par la mise en scène alarmiste du « trou » vient de ce que ce lieu commun sert des intérêts économiques, politiques et journalistiques. Le « trou de la Sécu » constitue, en particulier, un argument clé dans la stratégie de légitimation de réformes susceptibles de heurter le fort attachement et le haut niveau de satisfaction de la population à l’égard du système de santé. Pour autant, l’emprise de ce topique fait l’objet de remises en cause récentes de la part d’économistes de la santé, de sociologues et, bien sûr, de certains groupes d’intérêt sectoriels qui, s’ils ne nient pas les grandes difficultés financières de l’institution, cherchent à ouvrir le débat public sur des questionnements plus pertinents et productifs.
Un « déficit » peu pertinent, mais envahissant • La notion de « trou de la Sécu » est à l’évidence un abus de langage : − en premier lieu, elle sert à désigner la seule branche maladie de la Sécurité sociale, alors même que celle-ci en comporte trois autres (vieillesse, famille, accidents du travail et maladies professionnelles) ;
− en second lieu, et surtout, parler de déficit est problématique, dès lors que la Sécurité sociale n’a pas de budget, au sens où l’on parle du budget de l’État. De fait, jusqu’à la création du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) par le Plan Juppé de 19951996, le « déficit » était en réalité un « besoin de financement », lié à un décalage entre le taux de progression des recettes et celui des dépenses. Mais, même depuis 1997, l’on ne peut parler en toute rigueur de « budget », en ce sens que le Parlement se prononce sur un « objectif » de dépenses – l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam) – et une « prévision » de recettes. Nous y reviendrons. L’Ondam n’a, d’ailleurs, jamais été tenu jusque 2010. Par ailleurs, comme le reconnaît le Conseiller maître à la Cour des Comptes et ancien directeur de la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), Bertrand Fragonard, les « tuyauteries » et les « jeux de bonneteau » entre les comptes de l’État et de la Sécurité sociale sont nombreux et complexes, ce qui rend d’autant plus incertaine la vision consolidée de la situation financière, même si des progrès notables ont été accomplis depuis le début des années 2000 [page 289, in 2]. Les incertitudes comptables et les manipulations opérées par la Direction du budget ont d’ailleurs alimenté les critiques, non seulement des syndicats de salariés (autour du thème des « charges indues »), mais également des ministres des Affaires sociales et de la Santé, de droite comme de gauche. Les « comptes de la Sécu », loin de clore les polémiques, ont été eux-mêmes érigés en objets de virulents débats. • Par ailleurs, un bref regard historique montre que les discours alarmistes sur l’état des finances de la « Sécu » et de l’Assurance maladie ne datent pas du milieu des années 1970 et de l’entrée de l’économie française dans une croissance ralentie. Dès le début des années 1950, les tenants de « l’objection libérale », pour reprendre le terme de l’historien Henri Hatzfeld, se sont emparés de la moindre difficulté passagère pour dénoncer le « moloch bureaucratique » et déresponsabilisant que serait la Sécurité sociale,
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alors même que les sommes en jeu étaient, à l’époque, modestes [3]. Les débats contemporains sur les « abus » (la « bobologie », les congés maladie), les « fraudes », les « gaspillages » suscités par une institution, décidément trop généreuse, trouvent un étrange écho dans les lointaines prises de position de certains députés, de certaines franges patronales, de certains porte-parole de syndicats de médecins libéraux, et même de représentants du mouvement mutualiste dans les années 1950. Pour des raisons différentes, tous ces acteurs avaient intérêt à fragiliser la légitimité d’un dispositif de mutualisation des coûts médicaux, financé par des cotisations sociales obligatoires, et organisant une solidarité entre malades et bien-portants, riches et pauvres. Selon eux, mieux valait s’en remettre à des dispositifs de prévoyance individuelle, fondés sur le volontariat, et gérés de façon paternaliste. En un sens, si les débats contemporains sont très proches de ceux ayant entouré la naissance, puis la montée en charge de l’Assurance maladie, c’est parce que les intérêts poussant à sa privatisation partielle n’ont guère changé. • Pourtant, une telle dramatisation n’a longtemps eu guère de fondement objectif. D’abord, nous l’avons dit, parce que les sommes en jeu étaient encore assez limitées. Ensuite, parce qu’il s’agissait de difficultés passagères, vite résorbées par la reprise de la forte croissance économique des « Trente Glorieuses ». Enfin, l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) – organisme chargé de la collecte et de l’affectation des cotisations aux différentes branches de la Sécurité sociale – n’avait pas le droit de s’endetter. Elle ne pouvait qu’obtenir des avances, très limitées, auprès de la Caisse des dépôts et consignation, en cas de problèmes de trésorerie passagers. La situation a commencé à changer au milieu des années 1970 et, singulièrement, depuis le début des années 1990.
La Sécurité sociale, victime des « Trente Piteuses » • Le ralentissement de la croissance économique et la sortie (progressive)
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Dossier thématique Médico-économie de la santé du consensus « keynésiano-fordiste » des années 1945-1975 ont percuté le dynamisme de la progression des dépenses de santé. L’Assurance maladie est entrée dans l’ère des « besoins de financement » récurrents, comblés par la litanie des plans de « redressement des comptes de la Sécurité sociale » (un plan tous les 18 mois, sauf les années d’élection), lesquels consistaient à apporter des recettes nouvelles et à diminuer, dans une moindre mesure, les dépenses. Pour autant, comme le montrent les figures 1 et 2, la situation est restée gérable jusqu’à la fin des années 1980. • On notera, à la suite de Julien Duval [1], que, contrairement à l’idée reçue selon laquelle le « trou de la Sécu » serait la pierre de Sisyphe des partenaires sociaux et des gouvernements, la branche maladie du régime général a connu des périodes d’excédents (en 1982-1985, ou encore en 1988-1989) qui n’ont guère reçu, sur le moment, l’attention de la presse et des hommes politiques, plus prompts à s’emparer des périodes de disette financière.
De fait, le réel tournant se situe dans la grave récession économique qui frappe l’économie française au début de la décennie 1990. C’est à ce moment que le solde financier passe définitivement dans le rouge. Dès lors, l’amélioration des « comptes » de l’Assurance maladie consistera, non en un retour à l’équilibre ou, mieux, en un « excédent », mais en une réduction de son « déficit », comme en 1996-1999 (période de reprise de la croissance) et en 2004-2008 (suite à la réforme de 2004 et à la stratégie de privatisation rampante du financement des soins courants). C’est également à cette époque que la Sécurité sociale commence à accumuler une dette. Faute de volonté politique de lever les recettes nécessaires à la couverture de la croissance des dépenses d’Assurance maladie, le choix est fait de les financer à crédit, choix symbolisé par la création de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), en 1996, alimentée par un prélèvement obligatoire nouveau, la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Initialement prévue en 2009, la
Figure 1. Évolution de la balance du régime général de la Sécurité sociale, de 1977 à 2009 [Source : Institut de recherche et de documentation en économie de santé, Irdes].
Figure 2. Évolution du solde maladie du régime général de la Sécurité sociale, de 1977 à 2010 [Source : Institut de recherche et de documentation en économie de santé, Irdes].
fin de vie de la CADES a été repoussée à quatre reprises depuis.
De la « budgétisation » à la privation du « petit risque » • Les gouvernements, de droite comme de gauche, ne sont cependant pas restés inertes, et ont suivi, peu ou prou, les mêmes stratégies. Ils ont d’abord cherché de nouveaux modes de financement, à l’assiette élargie. La Contribution sociale généralisée (CSG), créée par le gouvernement Rocard, en 1991, pour financer, initialement, la seule branche famille, a ainsi vu son taux progressivement relevé, de façon à prendre le relais des cotisations maladie « salarié ». Ce basculement des cotisations maladie salarié sur l’impôt a été achevé à la fin des années 1990. Il a contribué, avec l’affectation de taxes diverses, sur l’alcool et le tabac notamment, à fiscaliser en partie les recettes. Ensuite, les gouvernements ont tenté d’imposer aux dépenses d’Assurance maladie une contrainte budgétaire [4]. L’idée était ancienne, puisqu’elle avait été élaborée, dès le milieu des années 1970, à la Direction du budget. Il s’agissait, à l’époque, de s’inspirer (déjà) du « modèle allemand » et, en particulier, de son « action concertée pour la santé » (1977). Soulignons qu’une idée concurrente naît également à cette époque, toujours à la Direction du budget : le rapport des deux inspecteurs des Finances, Pierre Nora et Jean-Charles Naouri, prône, en 1979, le déremboursement du « petit risque » et le recentrage des régimes obligatoires sur le « gros risque ». Cette idée, promise à un bel avenir à partir de 2004, a été, pour l’heure, écartée, tant pour des raisons techniques (comment distinguer « petits » et « gros » risques » ?) que politiques (Pierre Laroque a jugé, lors des États généraux de la Sécurité sociale de 1987, ce projet contraire aux principes de son plan de Sécurité sociale de 1945). Le projet de « budgétisation » des dépenses d’Assurance maladie a cheminé dans l’administration, particulièrement à la direction de la Sécurité sociale. Le « budget global » hospitalier
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en a été une première concrétisation. D’autres tentatives ont été faites afin d’étendre le principe aux soins de ville, mais avec des succès mitigés. En particulier, les syndicats de médecins libéraux ont refusé catégoriquement ce qu’ils dénonçaient comme étant une « maîtrise comptable », à laquelle ils opposaient une « maîtrise médicalisée ». L’on voit ici les limites de la stratégie de transposition d’un dispositif de maîtrise conçu dans un tout autre contexte institutionnel, à savoir la cogestion des caisses d’Assurance maladie allemandes par les partenaires sociaux et une représentation unifiée des médecins. En France, l’opposition historique des syndicats de médecins libéraux à la Sécurité sociale, au nom des principes de la charte libérale de 1927, a hypothéqué l’effectivité d’une telle maîtrise négociée. Face à ces résistances, le gouvernement Juppé a décidé de passer en force, le payant cher dans les urnes lors des législatives anticipées de 1997. Le plan de novembre-décembre 1995 a ainsi créé l’Ondam, voté dans le cadre du nouvellement créé PLFSS. Cet Ondam était assorti de mécanismes de « régulation », censés garantir que l’enveloppe serait tenue. Mais ces mécanismes ont tous été annulés, suite à la guérilla juridique de ces mêmes syndicats. L’Ondam, de « budget » est alors devenu un simple « curseur », un outil de sémantique politique, censé signifier aux intérêts sectoriels la détermination du gouvernement à maîtriser les dépenses de santé. Et, de fait, de 1998 jusque 2010, l’Ondam sera constamment dépassé, même si c’est dans des proportions inégales (figure 3). • L’on constate, toutefois, que l’ampleur du dépassement de l’Ondam a eu tendance à décroître à partir de 2003-2004. Cette « amélioration » a tenu, dans un premier temps, au vote d’un Ondam plus réaliste. Mais, et de façon plus préoccupante, elle s’explique également par la montée en charge de la réforme de l’Assurance maladie de 2004, qui a fait le choix de reporter toujours plus de dépenses de soins courants vers les assurances maladie complémentaires (AMC) et les malades (franchises). Autrement dit, le haut niveau de prise en charge des soins hospitaliers (91 %) et
Figure 3. Évolution du « budget » de l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam), de 1997 à 2010 [Source : Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2013 ; annexe 7, page 3].
des Affections de longue durée (ALD, 100 %) a été financé, en grande partie, par le désengagement de l’assurance maladie obligatoire (AMO) des soins courants, lesquels ne sont plus couverts qu’à hauteur de 55 %. Ainsi, l’échec de la stratégie de « budgétisation » a permis à sa rivale de la privatisation du « petit risque » d’être remise au goût du jour. Enfin, la meilleure tenue de l’Ondam doit beaucoup, dans la période la plus récente, au ralentissement de la croissance des dépenses de santé, ralentissement dont les partisans de la « responsabilisation financière » des assurés sociaux se gargariseront, mais dont les déterminants sont, bien entendu, plus complexes [5]. • L’état très dégradé des comptes de l’Assurance maladie est donc d’abord le résultat de la grave récession économique dans laquelle est plongée l’économie française depuis la crise financière de 2008. Ce sont les recettes qui s’effondrent, et non les dépenses de santé qui « explosent », comme le sousentendent les pourfendeurs du « trou de la Sécu ». Face à cette situation, plusieurs leviers sont disponibles, et face au décalage croissant entre les taux d’évolution des recettes et des dépenses, plusieurs stratégies sont a priori envisageables [2] : − d’un côté, le choix d’une Sécurité sociale préservée, sinon restaurée, supposerait de consentir une hausse de la CSG et/ou des cotisations sociales, scénario repoussé par ceux qui estiment que le poids des « prélèvements obligatoires »
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a déjà passé la cote d’alerte et grève désormais la « compétitivité » et l’« attractivité » de l’économie française ; − d’un autre côté, une politique volontariste de maîtrise des dépenses de santé, privées et publiques, permettrait de limiter la casse, mais certainement pas de ramener le taux, déjà fortement « durci » depuis 2008, de progression de l’Ondam (2,7 % pour 2013) au niveau de celui de la croissance française (le très optimiste 0,8 % de croissance pour 2013). Cela ne serait d’ailleurs pas souhaitable, selon certains économistes, puisque les dépenses de santé contribuent de façon importante à la croissance économique [6]. Certains estiment qu’il existe de considérables « gisements de productivité et d’économies » dans le système de santé français, arguant des 20 milliards d’euros qui le séparent de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’exploitation de ces gisements impliquerait de « s’attaquer à la liberté et à l’autonomie des professionnels de santé » et de lutter contre les comportements opportunistes liés à la trop grande « gratuité » des soins [page 294, in 2]. Aussi, l’on voit que la tentation réside moins dans la maîtrise des dépenses de santé dans leur ensemble qu’en la seule maîtrise des dépenses publiques d’Assurance maladie, notamment en institutionnalisant le rôle et en élargissant le champ d’action des assurances maladies complémentaires (AMC). Cela, en dépit du fait qu’il est aujourd’hui bien
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Les points essentiels
Références [1] Duval J. Le mythe du « trou de la Sécu ». Paris: Raisons d’agir, 2007.
• Le « trou de la Sécu » est un topique qui fait écran à la problématique du mode et du niveau de financement public de dépenses de santé, dont le taux de progression est structurellement plus rapide que la croissance de la richesse nationale. • Le « trou de la Sécu » sous-entend que la Sécurité sociale a un « budget », ce qui est contestable : il s’agit, en réalité, d’un besoin de financement. • Confronté au décalage chronique entre recettes et dépenses, les gouvernements successifs ont tenté, en vain, de mettre sous enveloppe budgétaire l’Assurance maladie. • Face à cet échec, depuis le début des années 2000, la stratégie – cachée – a été de recentrer progressivement l’Assurance maladie sur le « gros risque », et de transférer le financement du « petit risque » aux assurances maladie complémentaires et aux malades. • Cette stratégie entre en contradiction avec deux objectifs affichés des réformes : l’efficience et l’égalité d’accès aux soins.
documenté que le marché de l’assurance maladie privée, « régulé » ou pas, est à la fois inefficient (quel paradoxe pour les hérauts de l’efficience !) et intrinsèquement inégalitaire [7, 8]. Les projets de franchise généralisée (d’un montant de 300 euros annuels) ou de « bouclier sanitaire » sont les versions les plus radicales de cette stratégie de réforme. Face
[2] Fragonard B. Vive la protection sociale ! Paris: Odile Jacob, 2012. [3] Hatzfeld H. Du paupérisme à la Sécurité sociale 1850-1940. Essai sur les origines de la Sécurité sociale. Collection Espace Social. Nancy: Presse Universitaires de Nancy, 1989. [4] Pierru F. Budgétiser l’Assurance-maladie. Heurs et malheurs d’un instrument de maîtrise des dépenses publiques : l’enveloppe globale (1976-2010). In: Siné A, Bezès P (directeurs). Gouverner (par) les finances publiques. Paris: Presses de Sciences Po, 2011:393-449. [5] Elbaum M. L’évolution des dépenses de santé depuis vingt ans : quelques éléments d’analyse. Les Tribunes de la santé 2010;5(Hors série):15-29.
aux coûts politiques de cette dernière, l’on imagine que la dramatisation du « trou de la Sécu » a encore de beaux jours devant elle. Déclaration d’intérêt L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflit d’intérêt, avec les organismes budgétaires et sociaux, en lien avec cet article.
[6] Dormont B. Les dépenses de santé : une augmentation salutaire ? Collection du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAC). Paris: Éditions Rue d’Ulm/Presses de l’École normale supérieure, 2009. [7] Batifoulier P. La désocialisation de la santé en France, un choix politique inégalitaire. Les notes de l’Institut Européen du Salariat 2010;16:1-4. [8] Bras PL, Tabuteau D. Les assurances maladies. Collection Que sais-je ? Paris: Presses Universitaires de France (PUF) 2012;3942.
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