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Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction 36 (2007) S69–S73
L’impact de l’analyse de la morphologie du sperme sur le résultat de la FIV The impact of sperm morphology analysis on IVF results D’après la communication de K. Lundin Reproductive Medicine, Sahlgrenska University Hospital, Göteborg, Sweden
MOTS CLÉS FIV ; ICSI ; Cycles ; Infertilité ; Morphologie ; Paramètres Spermatiques ; Seuil ; Tératozoospermie ; Tygerberg
KEY WORDS IVF; ICSI; Cycles; Infertility; Morphology; Sperm analysis; Threshold; Teratozoospermia; Tygerberg
Résumé L’évaluation des paramètres spermatiques est mal corrélée aux résultats, avec un important chevauchement entre fertilité et infertilité. Les valeurs seuils pour une morphologie spermatique normale ont changé, passant de 80þ% en 1951 à 14 % aujourd’hui. Dans notre service, nous observons un bon taux de fécondation avec une valeur seuil de 10 %, sans diminution du taux de grossesse. Seul un petit groupe de patients a réellement un faible taux de fécondation et requiert une ICSI. Utiliser la morphologie pour déterminer quel traitement proposer conduit à un nombre élevé d’ICSI inutiles, alors que l’ICSI est invasive et que l’évaluation de la morphologie, même avec de l’entraînement, est difficile. Nous avons mené une étude prospective d’un an, sans analyse de la morphologie avant traitement. Si le sperme semblait normal dans son ensemble, avec plus d’un million de spermatozoïdes mobiles, nous pratiquions une FIV conventionnelle. Nous avons réalisé 400 cycles au total. Le taux global d’échec de fécondation était de 4 %. Le taux d’ICSI est passé de 61 % à 48 % après ce travail. Aujourd’hui, nous n’étudions plus la morphologie spermatique et pratiquons une FIV au 1er cycle quand les valeurs spermatiques de base sont normales et qu’il y a plus d’un million de spermatozoïdes mobiles. Nous réalisons 150 ICSI en moins par an. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Analysis of sperm factors correlates rather poorly with results and there is a considerable overlap between fertility and infertility. The threshold values for normal sperm morphology have changed, falling from 80% in 1951 to around 14% today. Using a threshold value of 10% normal sperm in the ejaculate, we find a high fertilisation rate and no reduction in pregnancy rate when performing conventional IVF in our department. Only a small group of these patients actually have such a low fertilisation rate that ICSI is required. Morphology analysis, even with training, is difficult, and using current morphology methods to establish the type of treatment to offer leads to an unnecessarily large number of ICSI being performed. It has to be remembered that ICSI is more invasive, more time-consuming and more expensive than conventional IVF. We have conducted a prospective, one year study of not analysing morphology before treatment. If the sperm sample appears normal overall and there are more than one
Adresse e-mail :
[email protected] (K. Lundin).
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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D’après la communication de K. Lundin million motile spermatozoa after swim-up preparation, we perform conventional IVF. We included a total of 369 cycles. The overall fertilisation failure rate was 4% and the proportion of ICSI fell from 61% to 48% after this work. As a result of this, we now no longer analyse sperm morphology, and we perform conventional IVF in the 1st cycle when we have normal sperm values and more than one million motile spermatozoa after swim-up. We thereby perform 150 fewer ICSI treatments per year. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
L’évaluation des paramètres spermatiques n’est pas très bien corrélée aux résultats et il y a un important chevauchement entre fertilité et infertilité. Pour pratiquer une FIV, il faut bien sûr disposer de sperme venant de l’homme et d’ovocytes de la femme. La mission du sperme est de se lier à la zone pellucide, de la pénétrer et de fusionner avec l’ovocyte. Il doit être capable de se décondenser à l’intérieur de l’ovocyte, de transférer l’ADN paternel, d’activer l’ovocyte afin que l’ovocyte continue sa maturation, démarre la méiose et forme le pronucléus femelle. Enfin, il doit pouvoir transférer le centrosome et établir le premier fuseau mitotique pour la première division. La morphologie influence certaines de ces compétences, principalement la liaison et la pénétration. Comment pouvons-nous mesurer la qualité du sperme ? Qu’est-ce qu’un bon sperme ?
Les critères de normalité Il existe des standards, notamment ceux de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et de la NAFA (Nordic association for andrology). Ils permettent de comparer les analyses et d’avoir des contrôles de qualité inter- et intra-laboratoires, particulièrement utiles dans le cadre de recherches. Cependant, suivre systématiquement ces standards représente une charge de travail importante pour les laboratoires ; ils sont très chronophages et en outre très onéreux. La plupart des laboratoires suivent ces recommandations le plus souvent, mais pas toujours, du moins pas en routine. Les paramètres cliniques les plus couramment utilisés sont la concentration spermatique, le nombre total de spermatozoïdes mobiles, la mobilité (totale et progressive) et la morphologie. Pourquoi avons-nous besoin de la morphologie spermatique et en avons-nous vraiment besoin ? Les valeurs seuils pour une morphologie spermatique normale ont changé, passant de 80 % en 1951, date de la première publication [1], à 30 % en 1992 selon l’OMS [2] qui a ensuite repris les critères stricts de Tygerberg de 1986 de 14 % [3]. En 1997, nous
avons publié une étude où nous avons trouvé comme valeur seuil de normalité pour une FIV un taux de 10 % et non pas14 % [4]. Selon les critères stricts de Tygerberg, une valeur supérieure à 14 % était considérée comme normale, entre 5 et 14 % comme de bon pronostic et une valeur au-dessous de 5 % était associée à un mauvais pronostic [3]. Ceci a conduit de nombreux laboratoires à pratiquer l’ICSI en présence d’un sperme avec moins de 5 % de formes normales. Dans notre travail de 1997, nous avons observé un bon taux de fécondation avec plus de 10 %, significativement supérieur à celui obtenu avec des valeurs entre 5 et 9 % ou inférieures à 5 % (Fig. 1). Cependant nous n’avons pas trouvé, contrairement à l’équipe de Tygerberg, un taux de grossesse diminué pour les valeurs les plus basses ; nous avons obtenu un taux de grossesse comparable dans les 3 groupes. La plupart des études sur le sujet concluent également à un impact sur le taux de fécondation mais pas sur le taux de grossesse. Pour l’ICSI, la valeur seuil n’avait aucune influence du tout, indiquant qu’elle est principalement corrélée à la liaison à la zone pellucide et à la pénétration. Mais le taux de fécondation est statistiquement diminué dans un petit groupe de nos patients ; en outre, c’est une valeur moyenne pour ce groupe, avec en fait plus des 2/3 de ces patients qui ont un taux normal de fécondation C’est donc seulement un tout petit nombre de patients, avec un faible taux de fécondation, qui a réellement besoin d’ICSI. Comment les identifier ? En effet, la morphologie peut être utilisée pour déterminer quel traitement utiliser (ICSI, concentration spermatique augmentée), mais elle conduit à un nombre élevé de traitements par ICSI inutiles. En Suède, nous essayons d’utiliser le moins possible l’ICSI car c’est une technique invasive.
La tératozoospermie sévère L’évaluation de la morphologie est difficile à réaliser et subjective. Des valeurs normales pour la tête, l’acrosome, la partie moyenne et la taille du spermatozoïde ont été définies par l’équipe de
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70 60 50 40 > 10 % 30
5-9 %
20
<5%
10 P < 0,02
0 Fécondation avec FIV
Fécondation avec ICSI
Naissance avec FIV
Naissance avec ICSI
Figure 1. Influence de la valeur seuil pour la morphologie normale sur le taux de FIV. Figure 1. Influence of the threshold value for normal morphology on the IVF rate.
Tygerberg (Encadré 1). Elles sont déterminée principalement par l’œil du biologiste, même si quelques laboratoires disposent de programmes spécifiques sur ordinateurs. Si nous analysons 100 spermes, nous trouvons 5 % de formes normales, avec un intervalle de confiance entre 2 et 11 %. Avec 200 spermes analysés, l’intervalle de confiance est entre 2 et 9 %. Avec 400 spermes, la vraie valeur est entre 3 et 8 %. Avec de l’entraînement, les résultats obtenus sont plus précis, avec un intervalle de confiance plus étroit. Mais l’évaluation reste difficile. Et finalement, nous ne savons pas si le patient a vraiment un mauvais pronostic ou non. Beaucoup de patients ont des paramètres spermatiques normaux à l’exception de la morphologie, qualifiée de « tératozoospermie sévère ». Les patients se demandent s’ils sont complètement stéEncadré 1. Sperme normal selon les critères stricts de Tygerberg. Box 1. Normal sperm morpohology according to strict Tygerberg criteria. Tête :
Acrosome : Pièce intermédiaire : Taille :
longueur : 4-5 µm largeur : 2,5-3 µm forme ovale 40-70 % de la surface de la tête longueur : 6-10 µm largeur : 1 µm 45 µm
riles. Nous savons que pour un grand nombre de ces patients ce n’est pas si important, ils peuvent être encore fertiles. Aussi, il me semble que nous pratiquons trop d’ICSI inutiles, avec en outre une surcharge de travail pour le laboratoire (nous réalisons presque 2 500 analyses morphologiques de sperme par an). Je pense que les résultats de la morphologie ne sont pas assez fiables, en plus d’inquiéter les patients, souvent inutilement. (Fig. 1) [4].
Analyser ou ne pas analyser la morphologie ? Nous faisons depuis plusieurs années, comme probablement dans de nombreux autres services, 50 % FIV et 50 % ICSI pour les ovocytes quand nous sommes un peu incertains des paramètres spermatiques. Les critères pour séparer les œufs en moitié ICSI et moitié FIV sont les suivants : au moins 1 million de spermatozoïdes mobiles après préparation standard, < 5 % de morphologie normale, au moins 10 ovocytes, ce qui représente peu de patients au total (environ 1 % de tout notre programme). Est-il possible de se passer de la morphologie ? Nous avons réalisé une évaluation prospective, de l’automne 2001 au printemps 2002, sans aucune analyse de la morphologie spermatique effectuée. Pendant tous les premiers cycles, si nous avions au moins 1 million de spermatozoïdes mobiles disponibles après préparation standard, si le sperme sem-
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D’après la communication de K. Lundin Encadré 2. Résultats de la pratique de la FIV conventionnelle en présence de plus d’1 million de spermatozoïdes (1er cycle) Box 2. Results of conventional IVF practices in presence of more than 1 million spermatozoids (1st cycle)
Nombre de cycles Aspiration/Insémination d’ovocytes Taux de fécondation (%) Pas de transfert d’embryon en raison de la faible fécondation
<5% 129 12,3 56
≥ 5 % de formes normales 240 12,1 67
13 (9 %)
4 (2 %)
blait normal dans son ensemble, nous pratiquions seulement une FIV conventionnelle. Ensuite, après le traitement, nous analysions la morphologie. Nous avons ainsi réalisé près de 400 cycles au total (Encadré 2). Le taux moyen de fécondation était moins important dans le groupe avec moins de 5 % de formes normales, comme c’est le cas dans les cycles 50/50 FIV/ICSI Le taux global d’échec de fécondation dans l’ensemble du programme était de 4 %. Je pense que c’est acceptable ! Nous ne pourrons jamais identifier tous les patients qui ne fécondent pas. Nous avons ainsi réduit le taux d’ICSI de 61 % à 48 % après ce travail.
En pratique Aujourd’hui, nous avons décidé de ne plus étudier la morphologie spermatique. Les médecins qui nous adressent les patients en sont très satisfaits, car ils avaient bien du mal à expliquer ce diagnostic de « tératozoospermie sévère » à leurs patients.
Désormais, nous pratiquons une FIV conventionnelle au premier cycle si les valeurs spermatiques de base sont normales et en présence d’au moins 1 million de spermatozoïdes mobiles après préparation standard (même 800 000 aujourd’hui, mais nous manquons encore de recul avec ce chiffre). Ainsi, nous avons une charge de travail moins importante pour le laboratoire (pas de dépistage de morphologie pour plus de 2000 patients par an) et nous pratiquons environ 150 ICSI en moins chaque année, ce qui réduit les coûts pour le service ou le patient. Cependant, il y a entre 15 et 20 patients par an qui doivent avoir un cycle supplémentaire (< 2 %). Je pense que c’est acceptable, même si c’est contraignant pour le patient. La comparaison de nos résultats entre 2000 et 2006 est donnée Fig. 2. Par ovocyte prélevé, nous avons exactement le même taux de naissances vivantes. En revanche, il y a eu une forte augmentation du taux d’embryon unique transféré, de 15 % à plus de 70 % (Fig. 2).
80 70 60 50
PR / OPU
40
% SET
30 20 10 0 2000 Figure 2. Résultats pour les FIV traditionnelles. Figure 2. Results for conventional IVF.
2006
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L’impact de l’analyse de la morphologie du sperme sur le résultat de la FIV
Références [1]
[2]
MacLeod J. Semen quality in 1000 men of known fertility and in 800 cases of infertile marriage. Fertil Steril 1951;2: 115-39. World Health Organization (1992). WHO Laboratory Manual for the Examination of Human Semen and Sperm-Cervical Mucus Interaction, 3 rd ed. Cambridge University Press, Cambridge.
[3]
[4]
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Kruger TF, Acosta AA, Simmons KF, Swanson RJ, Matta JF, Oehninger S. Predictive value of abnormal sperm morphology in in vitro fertilization. Fertil Steril 1988;49:1127. Lundin K, Söderlund B, Hamberger L. The relationship between sperm morphology and rates of fertilization, pregnancy and spontaneous abortion in an in-vitro fertilization/intracytoplasmic sperm injection programme. Hum Reprod 1997;12:2676-81.