MISE A U POINT
LES A C C I D E N T S DES M E D I C A M E N T S C H E Z LES PERSONNES AGEES AUZEPY, L. GRAINI
Les risques de l'usage des m6dicaments chez les personnes ~g6es et la pathologie iatrog6nique qu'ils peuvent entrainer sont depuis longtemps une pr6occupation des cliniciens. D~s les ann6es 70, 10 % des admissions dans 42 centres g6riatriques anglais 6taient dus principalement ~ un accident des m6dicaments (AM) [1]. De nombreuses donn6es physiologiques et pharmacologiques, r6cemment pass~es en revue [2, 3], doivent inciter ~ une prudence de principe dans les prescriptions chez le sujet fig6 : -- le d~bit cardiaque, donc r6nal et splanchnique, diminue avec l'~ge ; -- la filtration glom6rulaire, la sensibilit6 du tube collecteur fi l'hormone antidiur6tique baissent, ce qui gene l'61imination des m6dicaments ~t 61imination r6nale pr6dominante comme les aminosides ou le lithium [2-4] ; -- les m~dicaments ~ forte extraction h6patique, comme le propranolol, ont une biodisponibilit6 accrue ; - - l ' e a u corporelle totale diminue (donc le volume de distribution des substances hydrosolubles comme la digoxine) alors que la masse graisseuse augmente (doric le volume de distribution des mfdicaments liposolubles, comme les benzodiaz@ines).
Mais les donn6es cliniques et @id6miologiques sont suffisamment h~t~rog~nes pour justifier une br~ve mise au point, s'efforqant de r@ondre ~ quatre questions : Service de r~animation m~dicale, H6pital de BicOtre, 78, rue du G6n6ral Leclerc, F-94275 Le Kremlin-BicOtre Cedex. Correspondance : Pr. Auz6py, mOme adresse. Re(~u en juin 1992. Acceptd en septembre 1992.
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Les AM ont-ils une fr6quence accrue chez les personnes &g6es ?
Cette notion 6tait consid6r6e comme 6tablie jusqu'il y a peu et les arguments physiologiques fournis en introduction tendent 5 l'accr~diter [5]. En 1966, l'incidence des AM chez ceux des 700 malades du John's Hopkins Hospital qui avaient plus de 80 ans 6tait le double de celle des quadragfnaires [6]. On retrouve cette meme corrflation avec l'fige dans une s6rie am6ricaine de 815 malades en 1979 [7] et une s6rie franqaise de 4 056 malades en 1983 [8]. Pour prendre un exemple plus ponctuel, le risque d'h@atite fi l'occasion d'un traitement pr6ventif par l'isoniazide chez 5 300 patients passe de 1,9 % chez les moins de 35 ans ~ 4,1% chez les plus de 55 ans [9]. Trois facteurs d'incertitude compliquent une juste appr6hension du probl~me : -- la possibilit~ d'erreurs du patient quant ~ la prise des m~dicaments, soit par maladresse ou mauvais rangement, soit par mfconnaissance ou inattention [1O]; -- l'autom6dication, frfquente en France (elle touche 20 % des sujets 6tudifis ~ Grenoble) [8] ; -- une meilleure prise de conscience du problame des A M : ainsi l'6tude du fichier anglais d u , Committee on safety of medicines >>indiquait que le pourcentage des d6clarations d'AM chez les hommes ~g6s de plus de 65 ans et chez les femmes ~gfies de plus de 60 ans, fitait pass6 de 24 /~ 35 % de 1965 ~ 1983, gt population de personnes fig6es rest6e, & peu de choses pros, inchang6e [11]. Toutefois, d~s 1981, une lecture plus critique de la litt6rature faisait ~mettre des doutes fi Klein et coll. qui soulignaient qu'aucune donn6e fiable n'existait sur la consommation ~ domicile [12]. R~an. Urg., 1993, 2(3), 279-281
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Les accidents des m#dicaments
Une conclusion ~ ce d6bat vient d'etre fournie par une m6ta-analyse de la litt6rature de langue anglaise de 1966 fi 1990 : la seule certitude est que le risque d'AM augmente avec le nombre de m6dicaments pris conjointement ; mais ce plus grand nombre est bien souvent le reflet du nombre d'anomalies sous-jaceutes [13]. En fait, ~t volume de prescription 6gal, les vieillards ne prfsentent pas plus d'accidents des mfdicaments que les sujets de moins de 65 ans [14].
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Les AM sont-ils plus graves chez les vieillards ?
Sur ce point, toutes les publications donnent une r@onse positive [7, 11, 15]. A l'6chelle d'un pays europ~en, l'fitude du fichier britannique de pharmacovigilance, pr6c~demment cit6, confirme que l'incidence des AM graves ou mortels est plus ~lev6e dans le 3 e age [11]. Si l'on prend comme exemple une classe m6dicamenteuse tr~s largement utilis6e, la probabilit6 d'accidents graves ou mortels par h~morragies et perforations au cours des traitements par les antiinflammatoires non st~ro'idiens cro~t ~ partir de l'age de 60 ans [11, 16]. Une sensibilit6 parficuli~re ~ la Warfarine a 6t6 d6montr6e, qui doit inciter ~ la prudence posologique en ce qui concerne les antivitamines K [17].
Le risque d'AM croft-il avec le nombre de m6dicaments administr~s de fa(;on concomitante ? D~s 1969, Hurwitz signalait, ~ partir de malades britanniques, que les 118 qui pr6sentaient un AM recevaient en moyenne neuf m~dicaments, contre quatre chez ceux indemnes de pathologie iatrog6nique [in 18]. En fait, toutes les statistiques convergent sur une sorte de seuil critique [7, 8]. Ainsi l'6tude anglaise men6e dans 42 centres g6riatriques moutre que l'incidence des AM passe de 10,8 % chez les vieillards absorbant un m~dicament ~ 27 % chez ceux en recevant six [1]. Un deuxi~me exemple est fourni par l'6tude r6cente de Larson et coll. 6tudiant les perturbations du comportement intellectuel d'origine m6dicamenteuse chez 308 vieillards. Si le risque relatif d'apparition des effets ind~sirables est par d~finition de 1 pour les sujets ne recevant pas de m6dicaments, il passe ~ 2,7 pour ceux absorbant simultandment deux gt trois m6dicaments, et 13,7 pour ceux recevant au moins six m6dicaments [19]. R~an. Urg., 1993, 2 (3), 279-281
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La prise de m6dicaments n'est-elle pas excessive chez le vieillard ?
Les 6tudes r6centes de prescription et de consommation m~dicamenteuses sont r~v~latrices : En Alsace, une enqu~te transversale sur 762 sujets indique que le nombre de classes m~dicamenteuses prescrites apr~s 85 ans est en moyenne de 3,5 ~t 3,7, contre 2,5 ~ 3 avant 75 ans [20]. La poursuite dans le temps de cette enqu~te montre qu'en 2 ans, la tendance ~t la polym6dication s'accentue, sans m~me qu'il y air une r6elle logique et une concordance des prescriptions dans la moifi6 des cas [21]. En Suede, une enqu~te montre qu'~ 75 ans, 2/3 des femmes prennent une moyenne de trois, quatre m~dicaments et ce chiffre passe ~ quatre, cinq ~t 82 ans. Ceci ne refl~te pas obligatoirement une polypathologie sousjacente, car l'auteur estime que cette derni~re n'existe que dans 60 % des cas [22]. Dans certaines maisons de retraite am~ricaines, il est fr6quent que sept ou huit m~dicaments soient prescrits simultan~ment [15]. Un quart seulement des prescriptions au long cours faites ~ 20 vieilles dames anglaises e n , residential h o m e , ~taieut justifi~es sans contestation possible [23]. Le nombre des modifications de posologie et des changements de classe m6dicamenteuse ~tait 6troitement corral6 avec le risque d ' A M dans une statistique am6ficaine de 463 consultants extemes ag6s de 58 ~ 97 ans [24]. Une 6tude r6cente des ordonnances de benzodiaz@ines gt usage hypnotique propos6es aux consultants externes d'un h6pital am6ricain, indique que les prescripteurs out tendance ~ proposer des traitements de plus longue dur~e aux sujets de plus de 65 ans [25]. Une approche indirecte peut ~tre fournie par l'6tude des chutes suffisamment graves pour justifier l'envoi aux d@artements d'urgence des h6pitaux : dans un travail prospectif r~alis6 ~ l'H6pital Henri-Mondor, le nombre moyen de m6dicaments prescrits au groupe 2 d e s , chutes sans cause 6vidente de premier abord ~ est de 4,5 contre 2,5 pour le groupe 1 des , chutes avec cause 6vidente ,. L'association de m~dicaments potentiellement hypotenseurs ou s~datifs concernait 68,5 % des patients du groupe 2 [26]. Or, ces m~mes personnes agSes, surcharg6es de m6dicaments, sont aussi celles qui sont 6ventuellement accabl6es de handicaps moteurs, sensoriels ou cognitifs : le centre antipoison de Marseille a 6tudi~ les erreurs sur les produits, les dosages ou les voies d'administration de ceux-ci, qui repr6sentaient 11,5 % des appels. Ces erreurs ~taient le fair des personnes ag6es consommatrices dans 72,5 % des cas [10]. Si l'on veut bien se souvenir qu'avec un seul mSdicament, des hypertendus de tout age ont une mauvaise fid61it6 thSrapeutique quand la prise est multi-
Les accidents des m # d i c a m e n t s -
quotidienne [27] et que dans une importante s~rie am~ricaine d~j~ cit~e la mauvaise observance des prescriptions a ~td de 28 % [24], on ne saurait trop inciter les prescripteurs ~ ne pas d~passer quatre classes m~dicamenteuses diff~rentes sur une meme ordonnance ; ils ~viteront ainsi d'enrichir une pathologie iatrog~nique lourde de consSquences dont des exemples ont ~t~ fournis r~cemment [28]. Cette mise au point s'efforce de r~pondre aux quatre questions suivantes : 1) Les accidents m~dicamenteux (AM) ont-ils une ff~quence accrue chez ]es personnes agnes ? La r~ponse actuelle est : ~ volume de prescription ~gal, les vieillards ne prdsentent pas plus d'AM que les sujets de moins de 65 ans. 2) Les AM sont-ils plus graves chez les vieillards ? La r~ponse est oui. 3) Le risque d'AM croit-il avec le nombre de m~dicaments administr~s de faqon concomitante ? La r~ponse est oui, avec un seuil critique aux alentours de 6. 4) La prise de m~dicaments n'est-elle pas excessive chez le vieillard ? La r~ponse est positive, mais avec des nuances.
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