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Sociologie du travail 52 (2010) 172–194
Les ambiguïtés de la sélection par concours dans la fonction publique territoriale : une institutionnalisation inachevée The ambiguities of competitive examinations in the French local/civil service: An incomplete institutionalization Émilie Biland Équipe ETT, centre Maurice-Halbwachs, École normale supérieure, bâtiment F, 48, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France
Résumé Cet article examine le processus de construction de la fonction publique territoriale (FPT) au travers des concours sélectionnant les agents publics locaux. Après avoir étudié les logiques politiques et administratives qui président, depuis les années 1970, à l’institutionnalisation de concours qui ne remettent pas en cause les prérogatives des élus-employeurs, il montre que le processus inachevé de bureaucratisation de la FPT structure le déroulement des concours lui-même. Le « devoir de réserve » des fonctionnaires est évalué, mais par les élus, membres des jurys. La « personnalité bureaucratique » est valorisée, mais tempérée par des attentes inspirées par le référentiel managérial contemporain. Les concours territoriaux sont proches de leurs homologues étatiques mais sont aussi illustratifs d’une volonté de s’en distinguer. Ces ambiguïtés témoignent de la faiblesse du dispositif concourant, au moment où celui-ci fait l’objet de critiques tous azimuts, encore amplifiées dans une fonction publique territoriale (FPT) historiquement éloignée du modèle méritocratique franc¸ais. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Concours ; Fonction publique ; Collectivités territoriales ; Bureaucratie ; Nouveau management public
Abstract The process of constructing a civil service in France at the local and regional levels (function publique territoriale) is examined by focusing on selective examinations for recruiting and promoting personnel. The political and administrative rationales are described that have, since the 1970s, institutionalized these examinations, which do not challenge the prerogatives of the elected officials to fill the employer’s role. The
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[email protected]. 0038-0296/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.soctra.2010.03.005
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incomplete process of bureaucratization in local and regional administrations affects how these examinations take place. The duty of civil servants to avoid expressing opinions in public is evaluated but by the elected officials who serve on the panels that select applicants. Although the “bureaucratic personality” is prized, expectations stemming from the current reference to managerial criteria moderate this emphasis. Though similar to examinations conducted in the central government’s civil service, the selective examinations for local and regional government employees illustrate a determination to stand apart. These ambiguities show how weak the procedures related to these examinations are at a time when they have come under wideranging criticisms. The latter are amplified in local and regional administrations which, historically, differ significantly from the French Republic’s merit-based model. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Civil service examinations; Local government employees; Bureaucracy; New public management; France
Instituée par la loi du 24 janvier 1984, la fonction publique territoriale (FPT) compte aujourd’hui 1,7 million d’agents, soit près du tiers des effectifs totaux de l’emploi public1 . Alors que les effectifs de l’État diminuent légèrement, elle continue de connaître un rythme de croissance soutenu (DGCL, 2008, p. 104–105). Ces fonctionnaires travaillent en effet pour des collectivités aux missions étendues par les deux vagues de décentralisation (1982–1983, 2003–2004) ; ils sont en ce sens les « ressources humaines » de la République décentralisée. Si la FPT est jeune en tant que catégorie juridique, la question du statut des agents communaux se structure dès la consolidation du régime républicain. La république opportuniste les reconnaît comme agents publics (Conseil d’État, arrêt Cadot, 1889) tout en octroyant aux maires l’essentiel des prérogatives sur les personnels (loi communale du 5 avril 1884). Depuis lors, l’emploi public local suit une trajectoire d’institutionnalisation singulière, révélatrice des relations complexes entre l’État et les collectivités locales. Les parlementaires cumulants, les associations d’élus, mais aussi les fonctionnaires de l’État et leurs syndicats, ont un rôle non négligeable dans l’élaboration du droit de cette fonction publique. Quant aux pratiques des employeurs, elles renvoient à la place des personnels (fortement implantés localement, y compris dans les réseaux militants) dans les stratégies de conquête et de conservation des exécutifs locaux. Quand la « mairie » figure parmi les premiers employeurs sur les marchés locaux du travail, les préoccupations électorales recoupent celles liées à l’emploi. Au bas de la hiérarchie, le recrutement « social » permettrait de limiter les effets du chômage de masse et de gérer la marginalité sociale. À son sommet répondrait la « politisation fonctionnelle » (Dion, 1986) des cadres, garante de leur implication dans la mise en œuvre des politiques publiques locales. « Particularité structurale du jeu politique franc¸ais », la « gestion décentralisée et extrapartisane des ressources clientélaires » (Sawicki, 1998, p. 248) opérerait particulièrement dans les collectivités, en raison des pouvoirs édilitaires en matière d’embauches, de sanctions et de promotions. Souvent perc¸ue comme contradictoire avec cette gestion personnalisée2 , la question des compétences professionnelles des agents se pose avec une grande acuité dans ce segment de l’emploi public. Des municipalités-providence (Payre, 2007) de la Troisième République à la décentralisation contemporaine, chaque phase de développement des services publics locaux a vu la création d’institutions visant à améliorer les qualifications des personnels : c’est l’École
1 Je remercie Philippe Bezes et Odile Join-Lambert, ainsi que les relecteurs anonymes de la revue, pour leurs conseils au cours de la rédaction de ce texte. 2 Rappelons que Max Weber oppose l’« administration des notables » à la bureaucratie, dans laquelle « la sélection ouverte selon la qualification professionnelle » tient une place centrale (Weber, 1995 [1922], p. 290–301).
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nationale de l’administration municipale dans les années 1920 (Bellanger, 2001) ; le Centre de formation du personnel communal (CFPC) dans les années 1970 (Hourticq, 1972) ; les concours pensés comme proches de ceux de l’État au début des années 1980. Notre propos est justement d’étudier les concours territoriaux en tant qu’ils cristallisent les débats récurrents sur la compétence des agents publics locaux. De la fin du xviiie siècle aux années 1950, les concours ont été parties prenantes du processus de bureaucratisation des États occidentaux. Ils relevaient du mouvement de rationalisation procédurale décrit par Max Weber (1995 [1922]) et participaient, de manière indissociable, d’une représentation de l’aptitude professionnelle en termes de « capacités », de « vertus » et de « talents » (selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui les inspire). En ce sens, ils étaient adossés sur des valeurs (telles que l’égalité d’accès et le mérite) associées, en France, à l’idéal républicain. Cette idéologie est battue en brèche depuis les années 1980 par les discours et les réformes d’inspiration managériale. Les concours sont désormais associés au « carcan des statuts »3 : entre autres reproches figurent leur supposé académisme, leur inadaptation aux besoins des employeurs, ou encore leur contribution au manque de « diversité » de la fonction publique (Versini, 2004)4 . Les concours territoriaux sont particulièrement intéressants car ils s’institutionnalisent au moment même où ce mode de sélection est contesté. Dans la période contemporaine, le chômage de masse (qui ralentit le turnover des personnels) et la stabilité du régime (qui rend moins probable le système des « dépouilles ») limitent l’incertitude qui avait motivé la mise en place de systèmes bureaucratiques dans la deuxième moitié du xixe siècle (Silberman, 1993). De manière concomitante pourtant, la décentralisation renforce les élus locaux, et potentiellement, les mécanismes de politisation. Quant aux missions nouvelles dévolues aux collectivités, elles rendent encore plus prégnante la question de la professionnalisation des agents publics locaux. Dans ce contexte, les concours construisent la FPT comme un segment pour partie différencié, pour partie concerné par les évolutions communes à l’ensemble de l’emploi public. Les tensions structurantes de la FPT, traversée par des dynamiques contradictoires de bureaucratisation, de politisation et, plus récemment de « privatisation » (entendue comme l’adoption croissante de pratiques issues du secteur privé), sont manifestes dans les concours. Les attentes vis-à-vis des candidats apparaissent elles-mêmes comme ambiguës ; empruntant à des représentations différentes du « mérite », les critères du jugement ne sont jamais pleinement stabilisés. Pour comprendre comment ces différentes influences ont pesé sur l’institutionnalisation des concours depuis les années 1960, nous commencerons par indiquer les principales étapes de cette dernière, en montrant que la diffusion du dispositif concourant au-delà des frontières de l’État est autant faite d’imitation que de distinction. Les principales conclusions de cette mise en perspective historique seront ensuite mises à l’épreuve d’une enquête de terrain, visant à étudier, au concret et en pratique, les concours territoriaux contemporains. Notre analyse s’appuie sur une campagne d’entretiens auprès de « faiseurs » de concours5 , ainsi que sur l’observation d’épreuves et de délibérations de la session 2006 en Île-de-France. Les archives conservées au siège du Centre
3 Selon l’expression de Nicolas Sarkozy, président de la République, devant les élèves-fonctionnaires de l’IRA de Nantes le 19 septembre 2007. 4 Cette critique justifie la réforme des épreuves de culture générale annoncée, fin 2008, par André Santini, secrétaire d’État chargé de la Fonction publique. 5 Sept cadres (trois du CNFPT francilien, deux du CNFPT siège, deux du centre de gestion [CDG] francilien), ainsi qu’onze jurés (trois cadres territoriaux, un attaché d’administration centrale, quatre enseignants, trois élus) ont été interrogés, en mettant l’accent sur les parcours d’accès aux jurys (ou aux postes d’organisateur) et sur leurs activités concrètes de juré/organisateurs (choix des sujets, réunions, correction, évaluation, etc.).
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national de la fonction publique territoriale (CNFPT) permettent enfin de situer les pratiques contemporaines sur une période longue d’une trentaine d’années6 . Nous examinerons plus exactement les modes d’organisation de trois concours, choisis pour leur ancienneté et pour le nombre important de candidats qu’ils attirent. Surtout, ces concours, tous administratifs, donnent accès à des emplois relativement comparables en termes de fonctions (les services juridiques, financiers et des ressources humaines en emploient en nombre) mais situés à des niveaux différents de la hiérarchie (Tableau 1). Par ce choix, nous nous donnons les moyens d’estimer la contribution de ce mode de sélection à la construction des différences hiérarchiques (et bien souvent sociales) qui structurent l’emploi public. Si les concours participent à l’unification (partielle) de la FPT, ils concourent aussi à la différenciation interne à celle-ci. Comme l’a montré Olivier Roubieu (1999), à propos des hauts fonctionnaires territoriaux c’est d’abord dans la prise de distance vis-à-vis des discours idéologiques et partisans que se joue la professionnalisation des agents publics locaux. Les modes de constitution des jurys et de coopération entre évaluateurs montrent la prégnance des normes d’impartialité et d’égalité de traitement caractéristiques de la tradition concourante. Celle-ci constitue un enjeu d’autant plus important que les élus sont présents dans les jurys : c’est en limitant leurs prises de parole et en demandant aux candidats d’afficher, à leur tour, une posture de neutralité transpartisane, que les organisateurs fondent la croyance dans l’équité du dispositif. Ces efforts de « domestication » du politique ne sauraient pourtant laisser croire que la définition du « mérite » est acquise une fois pour toutes. Bien au contraire, l’examen détaillé des différentes activités dévolues aux jurés, depuis la conception des sujets jusqu’à la décision d’admission, montrera, dans un second temps, que des références contradictoires, bureaucratiques, managériales et locales, structurent le curriculum concourant7 . Si les concours unifient la FPT, c’est en la plac¸ant au croisement des injonctions paradoxales qui pèsent aujourd’hui sur l’action publique et sur ses « serviteurs ». 1. Des concours pour l’emploi public local : se distinguer ou faire comme l’État ? En raison du poids acquis, dès le début du xxe siècle (Thoenig, 1982), par les administrations centrales dans l’encadrement du statut juridique des agents publics locaux, les concours territoriaux sont normés par l’État : les pratiques ministérielles inspirent les modes d’organisation autant que les exigences. Les hauts fonctionnaires de la Direction générale des collectivités locales (DGCL), au ministère de l’Intérieur, auteurs des décrets et arrêtés qui fixent les épreuves et leurs programmes, se sont directement inspirés des concours homologues de leurs administrations : celui d’attaché de préfecture pour créer le concours d’attaché communal en 1978, celui d’adjoint administratif du ministère pour réformer le concours territorial équivalent en 2006. Et c’est toujours le Conseil d’État qui veille au respect des procédures (anonymat, composition des jurys, respect des programmes, etc.). 6 Il s’agit des dossiers administratifs des concours (de la publication de l’ouverture du concours au Journal officiel à la délibération d’admission), des données relatives aux inscrits et admis, des sujets posés et des indications de correction fournies aux correcteurs. Certaines de ces sources ont donné lieu à un traitement quantitatif (estimation de l’évolution dans le temps de la sélectivité et de la composition des jurys ; statistiques textuelles permettant de repérer les thématiques récurrentes dans les sujets, etc.), d’autres ont permis de compléter les données issues de l’observation (traces écrites de l’encadrement des corrections par les organisateurs, etc.). 7 Ensemble d’attendus propres à une formation donnée, le curriculum est composé d’éléments explicites (définis dans les programmes, etc.) et d’éléments implicites (sensibles dans les critères mobilisés, en pratique, dans l’évaluation notamment). Ce terme renvoie à la sociologie britannique de l’éducation des années 1970–1980, que Jean-Claude Forquin (2008) a contribué à faire connaître en France.
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Tableau 1 Trois concours anciens, quantitativement importants et hiérarchiquement différenciés. Catégorie
Attaché
Organisateur
Effectifs du cadre d’emploisb
Diplôme exigé (externe)
Candidats/admis (2006)
Traitement brut 1er /dernier échelonsa
Exemples d’emplois occupés
A CFPC-CNFPT de Conception 1979 à 2010, CDG Encadrement ensuite
Licence
32862/2256 (France entière)
1590/2998
45 603
Chargé de mission, chef de service, DGSc
Rédacteur
B Application
CFPC-CNFPT de 1974 à 1995, CDG depuis 1996
Baccalauréat
5483/617 (Île-de-France)
1353/2109
51 037
Rédacteur de marchés publics, adjoint au chef de service
Adjoint administratif 1re classe
C Exécution
CFPC-CNFPT de 1974 à 1989, CDG depuis 1990
Aucun
5788/700 (Île-de-France)
1289/1676
100 821
Secrétaire, technicien paye, accueil état civil
La filière administrative, qui regroupe un quart des agents territoriaux, comprend un quatrième cadre d’emplois, celui d’administrateur, situé au sommet de la hiérarchie et qui regroupe peu d’agents (environ 2200). Créé en 1987, il fait l’objet d’un concours spécifique que nous n’avons pas étudié. Enfin, la filière comprend un premier grade accessible sans concours (adjoint administratif 2e classe), qui est le plus important numériquement (près de 135 000 agents). a En application du décret no 2008-198 du 27 février 2008 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation. b Agents titulaires et non-titulaires affectés sur un emploi permanent (CNFPT/DGCL, 2008 : p. 77). c Directeur général des services (dans les villes de moins de 40 000 habitants).
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Nom
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Les concours de l’État, au demeurant divers selon les époques, les corps et les ministères, sont toutefois loin de peser de manière univoque sur les concours territoriaux. Depuis les débuts de la Troisième République, les maires nomment à tous les emplois communaux, suspendent et révoquent les agents – une disposition étendue aux présidents des conseils régionaux, généraux et d’établissements publics locaux en 1984. Et ils disposent de multiples voies, tant au niveau du Parlement que du Gouvernement, pour tenter de maintenir ce pré carré. Leurs prérogatives structurent les concours eux-mêmes, lesquels présentent, trois caractéristiques distinctives. On remarque d’abord que des élus siègent dans les jurys alors même que les concours sont historiquement associés au mouvement d’autonomisation des fonctionnaires vis-à-vis des politiques (Dreyfus, 2000, p. 172 et suiv.). On observe ensuite que l’admission rompt avec le principe de l’« ordre de mérite » au profit d’une liste d’aptitude alphabétique, supposée garantir la « liberté » des élus. Enfin, il faut souligner que la réussite au concours ne garantit aucunement le recrutement, les employeurs n’ayant pas d’obligation de recruter les lauréats. En d’autres termes, s’il faut se garder de confondre les pratiques historiques des administrations nationales avec l’idéaltype weberien de la bureaucratie, si les principes énoncés depuis la Révolution franc¸aise sont loin d’avoir été toujours et partout mis en œuvre (Join-Lambert et Lochard, 2010 dans ce numéro), on peut considérer que les concours communaux puis territoriaux n’ont jamais eu le caractère de généralité dont ils disposaient au niveau central. Leur histoire est bien celle d’une bureaucratisation hésitante et inachevée. Au début des années 1960 encore, les concours communaux ne concernaient qu’une part limitée8 des postes à pourvoir. Exception faite des zones les plus urbanisées (Payre, 2005 ; Bellanger, 2005), ils étaient organisés au sein même des mairies employeuses9 . Composée pour une part de juristes universitaires et de hauts fonctionnaires imprégnés de références étatiques, pour une autre d’élus locaux soucieux (en raison de leur distance au pouvoir central) de s’associer des personnels qualifiés et pleinement reconnus, une « nébuleuse réformatrice » (Topalov, 1999) se dresse alors contre ces concours « locaux ». Elle récuse le rôle central des maires dans les embauches, perc¸ue comme un élément du clientélisme politique et comme contraire au recrutement capacitaire. Ce mouvement réformateur promeut une organisation extracommunale des concours : les syndicats de communes pour le personnel, créés en 1952 mais encore peu actifs dans de nombreux départements, ainsi que le CFPC, créé en 1972, se développent au cours des années 197010 . Il demande en outre que les postes d’encadrement soient pourvus par concours, mettant ainsi aux responsabilités de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur et des agents engagés dans une démarche de formation continue. Cette revendication aboutit en 1978 à la création du concours d’attaché communal, accessible aux titulaires d’une licence ; elle permet la poursuite du mouvement de qualification de l’encadrement communal entamé au milieu de la décennie (Lorrain, 1989).
8 En 1962, moins d’un tiers des agents communaux titulaires ont été titularisés par concours (Bourdon, 1974, p. 120). Quant aux non-titulaires, par définition recrutés sans concours, ils représentent un quart des effectifs totaux (Pohl et al., 1976, p. 280). À la même période, plus de la moitié des fonctionnaires civils titulaires de l’État ont été recrutés par concours (Sadran, 1977 : p. 91). 9 Une structure fait toutefois figure de précurseur en matière de préparation et d’organisation des concours. Créée en 1961, l’Association nationale d’études municipales a préparé plus de 6000 personnes aux concours pendant ses six premières années d’existence (Hourticq, 1967). 10 Les syndicats de communes pour le personnel deviennent centres départementaux de gestion en 1985, et le CFPC est transformé en CNFPT en 1987.
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Mais alors que les élus réformateurs des années 1970 pensaient un modèle alternatif de fonction publique non-étatique, associée à des concours toujours maîtrisés par les représentants des collectivités et jamais exclusifs des autres formes de recrutement, celui-ci échoue à s’imposer au moment de la décentralisation. Élaborée entre le ministère de l’Intérieur, dirigé par le maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, et celui de la Fonction publique, dirigé par le communiste Anicet Le Pors, et soutenue par la fédération CGT des fonctionnaires de l’État, la construction « mimétique » (Rouban, 2004, p. 45–56) de la FPT, en 1983–1984, se traduit par l’édiction de règles directement inspirées par la fonction publique de l’État (organisation en corps, concours généralisés et par ordre de mérite, etc.). Depuis les années 1980 et 1990, on observe ainsi un rapprochement des profils des postulants aux deux fonctions publiques. Comme leurs homologues postiers dans les années 1990 (Cartier, 2001), les candidats aux concours de catégorie C sont à présent nettement surdiplômés par rapport au niveau officiellement requis11 . La « petite » fonction publique n’est pas seule concernée par cette convergence : les diplômes des admis au concours d’attaché territorial et des rec¸us aux instituts régionaux d’administration (IRA) sont à présent très proches12 . Et le concours de l’Institut national des études territoriales (INET), qui forme les futurs administrateurs territoriaux, est devenu, au cours des dix dernières années, celui des « grands » concours administratifs le plus prisé après l’ENA. Si les sociologies des deux fonctions publiques sont moins éloignées qu’auparavant, on ne saurait en dire de même des pratiques des employeurs. Les dispositions les plus « étatisantes » du début des années 1980 n’ont en effet jamais été mises en œuvre. Parce qu’elle est instituée au moment même où les principes fondateurs de la fonction publique franc¸aise commencent à être remis en cause, la « territoriale » est bien vite transformée dans le sens de marges de manœuvre toujours plus importantes accordées aux élus locaux. Sous la pression conjuguée des théories managériales13 , des contraintes liées aux finances publiques14 et de la montée en puissance des élus des plus grandes collectivités (conseils généraux et régionaux) suite à la décentralisation, le rapport de forces entre agents publics et employeurs locaux est redevenu favorable à ces derniers. En conséquence, le concours constitue une modalité peu contraignante de gestion du personnel. Les élus peuvent en effet recruter sans concours leurs agents d’exécution et leurs directeurs généraux, et recourir largement à la contractualisation15 . Longtemps stigmatisée comme sous-qualifiée, la FPT est régulièrement prise en exemple pour la « modernisation » de l’État16 . Construite sur un mode intégrateur et étatisant, elle fait désormais figure d’intermédiaire pour un rapprochement vis-à-vis du monde de l’emploi privé. Les critiques vont donc croissantes contre des épreuves qui seraient à la fois coûteuses17 , trop longues, inadaptées aux situations professionnelles et
11 Par exemple, 30 % des candidats au concours d’adjoint administratif 2006 ont un niveau « bac+2 » et plus, alors même qu’aucun diplôme n’est officiellement exigé. 12 Le concours interne d’attaché territorial est même légèrement plus sélectif scolairement que son homologue des IRA, où encore 30 % des admis n’ont pas de diplôme du supérieur (DGAFP, 2006, p. 157–159). 13 Les théories managériales sont alors influentes au Centre supérieur de Fontainebleau, chargé de former les cadres dirigeants des collectivités (Roubieu, 1994). 14 C’est en effet aux dépenses de personnel, et tout particulièrement à celles induites par l’avancement des fonctionnaires, qu’est régulièrement attribuée l’augmentation des charges des collectivités (Le Lidec, 2006, p. 44). 15 Les agents territoriaux sont à 20 % en contrats à durée déterminée, contrats saisonniers ou vacations (hors contrats aidés et assistantes maternelles), contre 12 % pour les agents de l’État (DGCL, 2008, p. 105). 16 Le développement du recrutement sans concours dans la catégorie C de l’État s’inspire par exemple des dispositions existant depuis 1994 dans la fonction publique territoriale. L’organisation en filières de la FPT est évoquée dans les projets de fusion des corps de l’État. 17 La gestion du CNFPT est en particulier régulièrement critiquée (Cour des comptes, 2002).
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de surcroît contournées par les employeurs locaux. La « magie sociale » de ce rite d’institution (Bourdieu, 1982) se trouve fortement affaiblie. En 2005, seuls 8 % des recrutements en collectivité ont concerné des lauréats de concours (DGAFP, 2008, p. 83)18 . Décrire les concours territoriaux à partir du seul « modèle » étatique, au demeurant daté19 , est donc excessif. Ces concours sont autant pensés avec l’État que contre lui : face à la délégitimation de celui-ci, les institutions organisatrices de concours adoptent une posture distinctive, qui met en avant la modernité et l’efficacité de l’action publique locale. Sans nier le caractère inachevé de l’institutionnalisation des concours territoriaux, il faut rendre compte de leur contribution à l’unification (certes partielle) de la FPT. Ce sont en effet ces concours qui dotent cette entité juridique d’un contenu concret fait de croyances, de représentations et de savoir-faire propres, dans une imitation critique des pratiques étatiques. 2. Dans les jurys : la domestication du politique La présence d’élus dans les jurys constitue un premier facteur d’étonnement pour qui a en tête la contribution historique des concours à la « neutralisation » des agents publics. De fait, dans les concours territoriaux, il n’est pas question d’éliminer le politique, mais plutôt de le « domestiquer », en faisant prévaloir un registre d’évaluation capacitaire (plutôt qu’idéologique) et des modes de décision pensés comme impartiaux. Ces jurys adoptent ainsi la composition collégiale historiquement associée à la croyance d’impartialité (Musselin et Pigeyre, 2008, p. 58–59). Ils réunissent principalement des cadres territoriaux et des élus locaux, dans une perspective transpartisane devant déjouer les accusations de politisation, qui pèsent de manière récurrente sur cette fonction publique. Les attentes formulées à l’égard des jurés valent aussi pour les candidats, dont on valorise les postures modérées. 2.1. Fonder la croyance dans l’impartialité du jury Aux côtés des cadres territoriaux, garants de l’adéquation entre le concours et les futures tâches des agents, et des « personnalités qualifiées » (en général des enseignants supposés assurer le « niveau » du concours), sont donc présents des élus locaux, représentant les employeurs. Nombreux sont les membres du jury rencontrés insistant sur l’importance de cette collégialité. Elle garantirait la « neutralité » du jury et la « qualité » du recrutement, chaque collège faisant prévaloir ses critères, tous nécessaires au bon fonctionnement des collectivités. La participation des élus est toutefois doublement limitée : quantitativement d’abord puisque ce sont en fait les cadres territoriaux qui disposent de la majorité des sièges ; « qualitativement » ensuite, au sens où leur expression est étroitement contrôlée. La restriction quantitative de la place des élus s’appuie sur la souplesse de la jurisprudence : seules « les situations “extrêmes”, où la totalité des deux collèges sur trois serait pourvue uniquement par des fonctionnaires, seraient contestables », indique le CNFPT20 . Le recrutement de personnes extérieures aux collectivités locales est ainsi limité, au profit d’une présence prépondérante des cadres territoriaux. Impliqués 18 En comparaison, 42 % des recrutements ont pris la forme contractuelle, 26 % ont utilisé la possibilité de recrutement direct de fonctionnaires et 24 % correspondent à la mobilité interne (mutation, promotion, réintégration, etc.). 19 Les concours de l’État évoluent eux aussi : les épreuves de composition ont par exemple une moindre importance au concours des IRA qu’à celui d’attaché territorial. Des études récentes semblables à la nôtre sur des concours nationaux comparables manquent, qui auraient permis une comparaison plus serrée entre les deux fonctions publiques. 20 Archives du CNFPT, 250w36, Note du service concours aux directeurs régionaux, 1997.
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au jour le jour dans la gestion des collectivités, ces derniers sont réputés les plus capables de sélectionner leurs futurs collègues. Du côté des élus, la capacité à sélectionner est d’abord évaluée à l’aune de préoccupations politiques. Les jurys doivent représenter la diversité des « tendances » politiques qui gèrent le territoire considéré ainsi que l’éventail des types et des tailles de collectivités. Associant les différentes appartenances partisanes, les jurys seraient alors peu suspects de faire prévaloir des critères idéologiques. Derrière cette diversité des étiquettes politiques, apparaît un point commun non négligeable : c’est la commune expérience de la gestion locale qui réunit ces élus. Tous sont en effet membres des exécutifs de leurs collectivités respectives et tiennent, au quotidien, le rôle de « patrons » du personnel communal (Fontaine, 1994). Par conséquent, toutes les forces politiques ne sont pas jugées capables d’entrer dans cet équilibre transpartisan : ne sont pas retenus ceux que leur position localement minoritaire ou leur idéologie jugée « extrême » (Front national, Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière) tient à l’écart des exécutifs locaux. La collégialité est donc un construit, à la fois capacitaire et politique, qui réduit l’hétérogénéité – y compris sexuée21 – des évaluateurs. 2.2. Valoriser des positions mesurées La distribution de la parole dans les réunions d’admissibilité et d’admission est un bon indicateur des relations entre élus et fonctionnaires. Au cours de nos observations, les cadres, qu’ils soient employés des institutions organisatrices ou membres du jury, disposent d’un quasi-monopole de fait sur les discussions. Les responsables du centre de gestion introduisent les débats et présentent les seuils d’admission qu’ils ont préalablement calculés22 . Présentées comme des aides à la décision, semblables au rôle des cadres en collectivité, leurs préconisations sont en général suivies. Quant aux cadres siégeant au titre de jurés, ils sont familiers des tableaux de données et des raisonnements chiffrés exposés par les organisateurs, et parviennent plus facilement à les commenter. La domination numérique des cadres est donc renforcée par leur expérience professionnelle. Habitués à recruter, mais aussi à évaluer et à noter leur personnel, ils transfèrent dans les concours les compétences qu’ils mettent en œuvre au quotidien : compétences scripturales, tant il est vrai que leur activité est faite de notes, de rapports et de projets ; capacités relationnelles, avec leurs subordonnés et leurs supérieurs. L’expérience acquise en collectivité sert ainsi de support aux stéréotypes associés à chacune des deux positions : exception faite des édiles multipositionnés (tels que les professeurs d’université exerc¸ant un mandat local), les élus doivent en permanence déjouer un triple soupc¸on d’incompétence, de localisme et de politisation ; tandis que les cadres bénéficient d’un soupc¸on de compétence de la part des élus les moins dotés scolairement et les moins expérimentés. Un ancien cadre du CNFPT, qui fut assistant dans une université parisienne, commente les journaux apportés par une élue lors d’une réunion de choix de sujets : « Une maire-adjointe
21 Le caractère cooptatif du recrutement explique, en partie, la moindre présence des femmes dans les jurys. Étant donné les inégalités genrées dans la constitution du capital social (Burt, 1998 ; Backouche et al., 2009), il se révèle favorable aux hommes, particulièrement dans les concours les plus élevés, qui sont aussi les plus prestigieux. La sous-représentation des femmes tient aussi aux critères de recrutement des élus, lesquels appartiennent, dans leur très grande majorité, aux exécutifs locaux plutôt qu’aux seules assemblées délibérantes (Achin et al., 2007, p. 95). 22 Soulignons ici que nos observations portent sur un centre de gestion dont le personnel administratif est nombreux et très qualifié. La place des organisateurs est moins importante dans les CDG plus petits (Biland, 2008 : 256 et suiv.).
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avait apporté le Parisien, Vingt Minutes, Métro. Le truc complètement plat, juste factuel. Un sujet n’est pas bon s’il est factuel. J’ai eu du mal à lui dire que c’était minable. »23 . « C’est eux [les cadres] qui sont responsables d’une commune. Ils connaissent plus le personnel. Ils sont plus habitués à recevoir des candidats, à les tester. Nous, on n’est pas formé. . . », déclare une conseillère municipale UMP. Ancienne commerc¸ante, elle est examinatrice du concours d’adjoint administratif 2006 pour la première fois et termine son premier mandat24 . La présence d’élus dans les jurys est pourtant loin d’être insignifiante. Elle se traduit par des exigences originales, qui éloignent les concours territoriaux tant du traditionnel « devoir de réserve » que des relations de proximité personnelle ou idéologique prévalant en collectivité. Les politiques publiques locales constituant, ainsi que nous le verrons plus loin, les principaux sujets d’interrogation, la politique est omniprésente dans ces concours. Ce faisant, les candidats parlent, face à des politiques, de sujets politiques. Si réserve il y a, c’est dans la manière de s’exprimer sur ceux-ci face à ceux-là. Le commentaire des politiques publiques demandé aux candidats est un commentaire sans acteurs : nommer un homme politique, lui imputer une action publique, ce serait courir le risque de dévoiler des désaccords. Une candidate rédactrice présente un article du Monde consacré aux mobilisations en faveur de l’inscription sur les listes électorales. Elle évoque les émeutes de l’automne 2005 : « M. Sarkozy a traité les jeunes de racailles. Il se comporte comme eux », estime-t-elle. Lors des discussions qui suivent sa prestation, la cadre territoriale présente est la plus virulente : « Vous évitez de dire c¸a dans un entretien. Vous vous confiez dans l’isoloir ! On ne peut pas la laisser en réunion toute seule. Elle manque de réserve, c’est dangereux ». Les deux autres membres du jury approuvent et lui donnent la note « six »25 . En d’autres termes, les concours bornent les affiliations idéologiques possibles : les candidats doivent produire un discours audible par les élus « de gauche » comme par les élus « de droite », puisqu’ils ignorent l’affiliation de celui qui les interroge. Partageant une commune expérience du gouvernement local, ces élus jurés revendiquent une même adhésion aux « valeurs républicaines », ensemble flou réunissant l’attachement à la démocratie, à la tolérance, ou encore à la laïcité. Déjà observés sous la Troisième République (Dumons et Pollet, 1997), le républicanisme et l’exemplarité citoyenne sont des normes prégnantes. Sont disqualifiés les discours jugés « populistes », « démagogiques » ou « poujadistes » et qui visent tout autant les positions d’extrême-droite que d’extrême-gauche. Chargés de sélectionner pour des collectivités de tous bords, les concours valorisent des postures « mesurées » et constituent une sorte d’idéologie du juste milieu. Cette posture de neutralité républicaine ne tient pas seulement aux modalités de sélection des élus ; elle s’explique aussi par les propriétés des cadres impliqués dans les concours. Tous fonctionnaires titulaires, la plupart ont passé, et réussi, plusieurs concours. En entretien, ils témoignent de leur attachement à ce mode de recrutement, perc¸u comme un gage de compétence. Or les concours ont effectivement constitué des ressources pour leur insertion sur le marché du travail ou pour leur promotion professionnelle. En revanche, ces cadres ont peu ou pas bénéficié des opportunités
23 24 25
Entretien réalisé en juin 2006. Entretien réalisé en janvier 2007. Journal de terrain, 8 juin 2006 (épreuve de conversation).
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offertes par une proximité personnelle et/ou partisane avec les élus. Indissociablement personnel et professionnel, leur goût du concours s’accompagne d’une dénonciation des formes alternatives de carrière en collectivité, stigmatisés comme « clientélistes » ou « politiques ». Cette posture s’accompagne d’un positionnement politique que l’on peut qualifier de modéré. Si tous disent avoir une pratique électorale régulière, ce sont vers les partis de gouvernement – Union pour un mouvement populaire (UMP) et Parti socialiste (PS)/Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), majoritairement, plus rarement Union pour la démocratie franc¸aise (UDF) et Verts – que s’oriente leurs votes. Plusieurs expriment d’ailleurs des doutes sur la pertinence des clivages partisans et affirment que l’action des collectivités ne dépend guère de la « couleur » de leurs exécutifs. De manière complémentaire, ces cadres s’inscrivent au sein de la classique division du travail entre administratifs et politiques : aux fonctionnaires, la maîtrise technique des dossiers et l’exposition des options possibles ; aux élus l’arbitrage en fonction des convictions politiques et des contraintes électorales. Et s’ils admettent transgresser cette frontière (Eymeri, 2003), c’est au titre de leur expertise technique – jamais au nom de préférences idéologiques. C’est justement le propos des concours d’encadrement, et tout particulièrement du concours d’attaché, que de jauger la capacité des impétrants à « doser » les transgressions autorisées par leur rôle. L’oral de conversation se termine régulièrement en demandant au candidat ce qu’il « en pense » ou ce qu’il ferait « à la place de l’élu ». Il est alors possible de prendre position, en développant une analyse pragmatique, étayée sur des faits (chiffres, dates, références juridiques) et réputée étrangère aux querelles électorales ou partisanes. On évalue ainsi la capacité des candidats au conseil politique, qui leur permettra, en collectivité, de faire avancer leur conception de l’action publique locale. De ce point de vue, les concours territoriaux se distinguent de la neutralisation historiquement promue par les concours d’État et correspondent au « devoir d’engagement » caractéristique du retour contemporain du politique (Dreyfus, 2000). L’accent mis sur la seule collaboration professionnelle avec les élus occulte les liens, partisans ou personnels, existant fréquemment en collectivité. Passant sous silence les liens de familiarité et de loyauté entre élus et fonctionnaires, les concours s’autonomisent par rapport aux pratiques de gestion du personnel dans les collectivités. Cette autonomisation doit être rattachée à la forme même de la construction des concours, institutions de la FPT, plutôt qu’instruments des employeurs locaux. Principalement organisés par le CNFPT et les centres de gestion, les concours échappent aujourd’hui à la grande majorité des élus : rares sont ceux qui sont effectivement impliqués dans les jurys. En promouvant une action publique désidéologisée, les concours s’éloignent de la rhétorique des exécutifs locaux, qui valorisent les « spécificités » locales comme autant d’arguments auprès des électeurs, des touristes et des chefs d’entreprise. En demandant aux candidats de dépasser ces « particularismes » pour construire un discours audible par delà les différences partisanes et locales, ils sélectionnent des fonctionnaires territoriaux aptes aux « partenariats » entre collectivités et adaptables aux changements de majorité politique. Mais ils ne les préparent guère à leur nécessaire adaptation, dans les pratiques quotidiennes, aux attentes toujours localisées formulées par des élus soucieux de leur réélection. 3. Face aux candidats : les injonctions contradictoires de la sélection concourante Bien que structurante, la définition d’un rapport spécifique au(x) politique(s) ne suffit pas à rendre compte de l’ensemble des exigences portées par les concours territoriaux. Si les efforts de « dépolitisation » rattachent les concours territoriaux à l’idéologie méritocratique, la définition pratique des qualités attendues des futurs fonctionnaires est traversée par des injonctions contradictoires. Dans les concours territoriaux, le mérite est à l’évidence multiple. Il renvoie pour
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partie aux critères construits par Max Weber (1995 [1922]) puis par Robert Merton (1940) pour définir la bureaucratie. Mais d’autres types d’attentes, individualisantes plutôt que collectives et générales, se font de plus en plus prégnantes, qui sont supposées contrer les critiques visant et les concours et l’ordre bureaucratique. Un troisième type d’exigences peut enfin être identifié, qui renvoie à la prétention de distinguer la FPT de son homologue de l’État. Ce mouvement de « territorialisation » des concours ne suffit pas cependant à unifier le curriculum concourant ; les ambiguïtés de celui-ci, combinée avec la disjonction croissante entre concours et recrutements, obère la confiance des jurés eux-mêmes dans ce mode de sélection. 3.1. Exigences bureaucratiques : une socialisation à l’ordre hiérarchique La norme d’impartialité, associée au principe d’égalité de traitement, pèse sur le travail des jurés bien au-delà de la seule « neutralisation » politique. Les organisateurs écrivent des « notes de cadrage » visant à préciser le contenu réglementaire des épreuves et fournissent des corrigés – deux outils devant concourir à l’homogénéité de la correction. Ils fournissent des questionstypes à poser aux candidats à l’oral et demandent de remplir des grilles d’évaluation, retournées aux examinateurs lorsqu’elles sont jugées insuffisamment renseignées. L’économie émotionnelle des jurés (« sérénité » et absence d’« agressivité » sont demandées des examinateurs du concours d’attaché 199526 ), ou encore leur tenue vestimentaire (qui ne doit laisser apparaître aucun « signe d’appartenance » selon la même note), sont elles aussi normées. En ce sens, le concours est bien plus qu’un dispositif capacitaire, il met en œuvre une évaluation morale. Le « bon » juré l’est par ce qu’il sait mais aussi par ce qu’il est : une personne discrète, calme, respectueuse des règles, qui n’affiche pas ses convictions. L’homologie entre les attentes formulées vis-à-vis des jurés et les exigences faites aux candidats est sensible. Le respect des règles et des procédures est au cœur de ces concours : ce sont bien des candidats « méthodiques, prudents, disciplinés » (Merton, 1940, p. 562) que l’on attend. Les candidats arrivés en retard, fusse avant le début de l’épreuve, ne sont pas admis ; les femmes voilées sont découvertes, dans une salle à part, pour vérifier qu’elles ne cachent aucun écouteur, source de triche potentielle ; les examinateurs coupent vivement les candidats annonc¸ant pour quelle collectivité ils travaillent ; les copies doivent être rédigées à l’encre bleue ou noire – toute autre couleur pouvant être considérée comme un signe distinctif. Le formalisme associé à la légalité du concours ne suffit pas à expliquer de telles pratiques : la discipline et l’honnêteté sont érigées en indices de la valeur professionnelle des candidats. À l’épreuve de conversation du concours de rédacteur, une candidate se présente avec un texte souligné et annoté. Ce manquement aux consignes indiquées en bas du sujet grève la note. « Le fait qu’elle ait écrit sur le texte, c’est révélateur. Elle ne sait pas respecter les consignes », explique un examinateur pour justifier sa note « quatre ». Et de poursuivre sur les problèmes qu’il rencontre avec des subordonnés incapables de suivre ses instructions. . .27 Cet exemple en témoigne : les concours contribuent à ce que la « hiérarchie de la fonction [soit] solidement établie » et « la discipline stricte et homogène » (Weber, 1995, p. 294–295). Les examinateurs incarnent le pouvoir hiérarchique et se chargent de le rappeler aux candidats qui
26 Archives du CNFPT, 200w8, Concours d’attaché 1995 : consignes aux examinateurs de l’épreuve de conversation avec le jury. 27 Journal de terrain, 8 juin 2006.
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seraient trop familiers ou donneraient l’impression de ne pas écouter le jury. Plusieurs interactions apparaissent comme des « manifestations d’allégeance hiérarchique » (Sadran, 1977, p. 91). Évoquons, par exemple, cette candidate qui manifeste son étonnement face à notre présence et qui demande à connaître les qualités des examinateurs. Les jurés reviendront plusieurs fois, au cours des délibérations, sur cet « aplomb mal placé », les confortant dans leur décision de lui donner la note « six »28 . Une autre candidate, à l’inverse, recueille leur approbation. Incapable de préciser le contenu de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, elle s’excuse presque : « je fais fausse route ; navrée ». Lors des délibérations, on estime que son exposé « a tourné en rond » mais que son attitude permet de limiter son échec : « elle reconnaît quand elle ne sait pas, c’est positif. Je me méfie de ceux qui affirment, mais ce n’est pas son cas », précise un examinateur en proposant de lui mettre « neuf ». Les concours territoriaux testent ainsi la capacité des candidats à s’inscrire dans une taxinomie statutaire largement inspirée par la fonction publique de l’État29 . Dans la définition même des épreuves, les différences entre les trois concours sont sensibles (Tableau 2) : dans le concours de catégorie C, les savoirs génériques de l’enseignement primaire et secondaire (franc¸ais et mathématique) prédominent ; dans les concours d’encadrement, les savoirs spécialisées directement indexés sur l’activité des collectivités – finances, urbanisme, action sociale, etc. – sont privilégiés. Même le droit, discipline centrale de la domination légale-rationnelle, notablement présent dans tous les concours, est décliné différemment selon les futures fonctions : le droit civil du concours d’adjoint administratif renvoie principalement aux rudiments de droit de la famille qu’ont à connaître les agents de l’état civil, tandis que les attachés – qui auront peut-être à gérer les fonds structurels de l’Union européenne – voient inclure dans leur programme des notions de droit européen. Les différences entre catégories hiérarchiques se fondent donc sur des savoirs inégalement distribués et sur des processus cognitifs eux-mêmes diversement valorisés. Les annotations portées sur les copies30 permettent de préciser les représentations associées aux différents cadres d’emplois. Officiellement « chargés des tâches administratives comportant la connaissance et l’application des règlements administratifs et comptables »31 , les adjoints administratifs doivent, d’après les correcteurs, maîtriser l’orthographe, la grammaire, l’expression écrite et la compréhension des textes. À l’autre extrême du spectre hiérarchique, les attachés, qui « participent à la conception, à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques décidées dans les domaines administratif, financier, économique, sanitaire, social, culturel, de l’animation et de l’urbanisme »32 , doivent être aptes à l’« analyse », à la « réflexion » et au « raisonnement ». Ils doivent maîtriser les « concepts », les « enjeux », les « arguments », faire preuve de « nuance », de « rigueur » et de « recul ». Aux catégories A, la complexité et les activités intellectuelles, dont témoigne la richesse des expressions mobilisées pour décrire leurs qualités. Aux catégories C, les tâches d’exécution, d’application des règlements, reposant sur des « savoirs de base ». Ces définitions des cadres d’emplois montrent bien que les concours ne visent pas à recruter des individus dotés 28
Journal de terrain, 6 décembre 2006 (épreuve de droit public du concours d’adjoint administratif). Rappelons que les catégories hiérarchiques (A, B, C) ont été établies par le statut de la Fonction publique de 1946 et reprises au moment de la construction de la FPT (la catégorie D ayant été supprimée en 1990). 30 Nous utilisons ici les tests d’accès aux préparations organisées par le CNFPT plutôt que les copies de concours parce que les annotations sont en général plus étayées dans les tests que dans les copies. Choisies de manière aléatoire, 43 copies du test d’adjoint administratif de juin 2005, 41 copies du test rédacteur de novembre 2004 et 40 copies du test d’attaché de novembre 2004 ont été dépouillées. 31 Décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d’emplois des adjoints administratifs. 32 Décret du 13 décembre 2001 portant statut particulier du cadre d’emplois des attachés. 29
Tableau 2 Épreuves des trois concours observés. Adjoint administratif
Épreuves d’admissibilité
Rédacteur
Attaché Interne
Externe
Interne
1. Franc¸ais
1. Composition sur un sujet d’ordre général relatif aux problèmes économiques, sociaux et culturels du monde contemporain
1. Composition portant sur un sujet d’ordre général relatif aux grands problèmes politiques, économiques, culturels ou sociaux du monde contemporain depuis 1945
1. Résumé en un nombre maximal de mots à partir d’un ou de plusieurs documents faisant appel à l’expérience administrative du candidat
2. Tableau numérique
2. Note de synthèse à partir d’un dossier portant sur des notions générales relatives aux missions, compétences et moyens d’action des collectivités territoriales
1. Réponses à trois à cinq questions sur des sujets relatifs aux problèmes sociaux, économiques et culturels contemporains permettant d’apprécier la culture et les connaissances générales des candidats 2. Note administrative à partir d’un dossier portant sur l’un des domaines suivants, au choix du candidat : finances, budgets et intervention économique des collectivités ; droit public en relation avec les missions des collectivités ; action sociale des collectivités ; droit civil en relation avec les missions des collectivités
2. Composition sur un sujet portant, au choix du candidat lors de son inscription, soit sur le droit public, soit sur l’économie générale, soit sur les institutions sociales et les relations sociales
2. Composition sur un sujet portant au choix du candidat lors de l’inscription, soit sur les institutions politiques et administratives de la France et de l’Union européenne, soit sur des questions économiques et financières, soit sur des questions sociales 3. Rédaction à l’aide des éléments d’un dossier soulevant un problème d’organisation ou de gestion rencontré par une collectivité, d’un rapport faisant appel à l’esprit d’analyse et de synthèse du candidat, à son aptitude à situer le sujet traité dans son contexte général et à ses capacités rédactionnelles
3. Rédaction d’une note ayant pour objet de vérifier l’aptitude des candidats à l’analyse d’un dossier soulevant un problème d’organisation ou de gestion rencontré par une collectivité
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Externe
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Tableau 2 (Suite ) Adjoint administratif
Épreuves d’admission
3. Entretien
6. Bureautique
Attaché
Externe
Interne
Externe
3. Interrogation à partir d’une question tirée au sort et portant, au choix du candidat lors de son inscription, sur des notions générales relatives à l’un des domaines suivants : les finances, les budgets et l’intervention économique des collectivités ; le droit public en relation avec les missions des collectivités ; l’action sociale des collectivités ; le droit civil en relation avec les missions des collectivités 4. Conversation avec le jury, à partir d’un texte tiré au sort, destinée à apprécier les qualités de réflexion du candidat et son aptitude à exercer les missions dévolues au cadre d’emplois des rédacteurs territoriaux
3. Interrogation à partir d’une question tirée au sort portant sur des notions générales relatives à l’un des domaines suivants, au choix du candidat lors de son inscription. Les domaines proposés sont identiques à ceux de la deuxième épreuve écrite d’admissibilité auxquels s’ajoutent : l’urbanisme et le droit de l’environnement en relation avec les missions des collectivités
4. Commentaire suivi d’une conversation avec le jury à partir, au choix du candidat, soit d’un texte court, soit d’un sujet de réflexion. Cette épreuve doit permettre au jury d’apprécier les motivations du candidat, et son aptitude à exercer les missions dévolues au cadre d’emplois
Interne
5. Interrogation orale portant, au choix du candidat au moment de l’inscription, sur l’une des matières suivantes : finances publiques, droit civil, gestion administrative
6. (uniquement en externe) Épreuve orale de langue : traduction sans dictionnaire d’un texte, puis conversation dans l’une des neuf langues étrangères permises
7. Facultatif : langue
Le concours d’attaché est nettement « allégé » depuis 2010 : les externes passent deux épreuves d’admissibilité (note et « culture générale ») au lieu de trois, les internes une seule épreuve (note). Pour l’admission, l’interrogation dite « technique » est supprimée (décret no 2009-756 du 22 juin 2009). Le concours d’adjoint administratif a été réformé en 2008 : les deux épreuves de droit/finances sont devenues facultatives.
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4–5. Droit public, droit de la famille, finances publiques (2 sur 3)
Rédacteur
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d’un métier spécifique, mais des personnes capables de tenir un certain rang hiérarchique. Les futurs adjoints administratifs se préparent à la subordination et au contact avec les usagers, tandis que les aspirants-attachés doivent être prêts à exercer le pouvoir en collaborant avec les élus. Au-delà des savoirs et des capacités cognitives, c’est bien la place dans l’ordre relationnel (qui relie fonctionnaires, élus et usagers) qui transparaît dans les attentes concourantes. La socialisation concourante ne saurait toutefois se résumer à cet apprentissage de la prudence, tant politique que hiérarchique. S’ils ont à cœur de s’attacher des agents disciplinés, les jurés relaient aussi les stigmates discréditant les fonctionnaires. Jusqu’au début des années 1990, les sujets de culture générale faisaient régulièrement appel à de grands commis de l’État33 et invitaient les candidats à réfléchir au « service public à la franc¸aise ». De telles réflexions ont disparu, les sujets des années 2000 se concentrant sur les critiques dont les fonctionnaires font l’objet. Les candidats doivent répondre des accusations de corporatisme, de privilèges, de sclérose ou encore d’immobilisme34 . C’est aussi au début des années 1990 qu’apparaît, dans les indications de correction, un nouveau registre d’évaluation, mettant l’accent sur la « personnalité », plutôt que sur le respect des règles. 3.2. Exigences managériales : vers une individualisation de la sélection Ce type d’exigences est bien différent du premier : ce sont des « compétences émergentes » (Eymard-Duvernay et Marchal, 1997, p. 25), repérées dans les interactions de face à face, et non des « compétences planifiées », en référence à des statuts et à des diplômes. Lorsqu’un juré demande à une candidate dont le nom et l’accent ont une consonance italienne ce que peut apporter à une collectivité une ressortissante de l’Union européenne35 , ou lorsque des examinateurs jugent que telle candidate « va apporter des choses avec son parcours purement privé »36 , on est loin des mille précautions prises pour garantir l’anonymat. Il ne s’agit plus tant de s’intégrer dans un collectif indifférencié sous l’effet de la culture de la légalité que de se distinguer, en ayant une « personnalité intéressante », de la perception habituelle de la personnalité bureaucratique, tatillonne et routinière. Les qualités valorisées ici renvoient à deux mots d’ordre constitutifs du discours managérial (Boltanski et Chiapello, 1999, p. 139–151) : la « motivation », ou encore l’implication au travail d’une part, l’« autonomie » et l’« adaptabilité » d’autre part. Il s’agit de rompre avec les défauts de l’ordre bureaucratique et d’imposer de nouvelles normes comportementales supposées garantir l’efficacité de l’action publique. L’omniprésence de l’actualité dans les sujets est complémentaire de la valorisation de l’adaptabilité des candidats. Pour se mettre au service de politiques toujours présentées comme nouvelles, ceux-ci doivent attester, par leurs connaissances, centrées sur le présent, leurs modes d’argumentation – plan en deux parties –, et leur présentation de soi – dynamique et impliqué-e au travail –, de la modernité revendiquée de cette fonction publique. S’il y a là un trait commun aux
33 À titre d’exemple, le sujet de la composition sur un sujet d’ordre général du concours externe 1993 d’attaché reprend une citation de René Lenoir, inspecteur général des finances, secrétaire d’État à l’Action sociale de 1974 à 1978 et directeur de l’ENA de 1988 à 1992. Archives du CNFPT, 254w2. 34 On donnera pour exemples ces quatre sujets posés, à l’oral de conversation, lors de l’édition 2001 du concours d’attaché : « Motivation et statut public sont-ils antinomiques ? », « Les fonctionnaires sont-ils des privilégiés ? », « La qualité du service public. Objectif d’efficacité et de performance ? Objectif de communication ? Ou les deux à la fois ? », « L’administration est-elle rebelle à l’innovation ? ». Archives du CNFPT, non coté. 35 Journal de terrain, 14 juin 2006 (épreuve de conversation du concours d’attaché). 36 Journal de terrain, 4 décembre 2006 (épreuve d’entretien du concours d’adjoint administratif).
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concours des trois catégories hiérarchiques, il faut souligner que les aspirants cadres sont, plus que les autres, sommés de connaître le fonctionnement des entreprises privées, dont le secteur public devrait se rapprocher. Environ un cinquième des sujets37 posés depuis trente ans aux candidats attachés, et plus encore dans les années récentes, font référence à l’économie, à l’entreprise ou encore aux relations entre public et privé – les partenariats public-privé ayant été particulièrement étudiés dans les années récentes –, alors que ce type de thématique est absente des deux autres concours. Au milieu des années 1990, les associations et les écoles de cadres territoriaux étaient les fers de lance de la managérialisation de l’action publique locale (Roubieu, 1994). Dix ans plus tard, ces injonctions se diffusent aux échelons les moins élevés de la hiérarchie des emplois, mais au travers de normes comportementales davantage que par le biais de savoirs spécifiques – gestion, management, etc. Il faut souligner l’affinité entre ce nouveau registre d’évaluation et la présence des élus dans les jurys38 . Parce qu’ils sont relativement peu nombreux, mais aussi parce qu’ils sont perc¸us comme peu compétents pour les épreuves techniques – droit public, bureautique, etc. –, les élus sont chargés prioritairement des épreuves de conversation et d’entretien, là où l’individualisation de l’évaluation est la plus importante. Ils mobilisent le registre de la « personnalité » plus souvent que les cadres, d’autant plus qu’ils sont peu au fait des activités effectives des futurs agents. La formalisation de ces nouveaux critères se heurte néanmoins à l’opposition de certains jurés. Alors même que l’introduction d’un document présentant au jury le parcours du candidat est envisagée, deux examinateurs s’offusquent par exemple qu’un candidat leur apporte son CV. Cette pratique est assimilée au recrutement en entreprise et perc¸ue comme contraire au principe d’égalité de traitement. Les examinateurs concluent que le candidat n’est « pas du ressort de la fonction publique » et le notent « six »39 . Ces réticences à la codification d’un nouveau mode d’évaluation expliquent que les exigences ne changent pas radicalement. Le référentiel méritocratique et égalitaire demeure prégnant dans les discours des jurés, adapté, toutefois, aux nouvelles normes du service public. Les références aux usagers, figures centrales des politiques de « modernisation » des services publics depuis la fin des années 1980, sont fréquentes dans les concours. Par leur capacité à individualiser le service rendu, à interagir avec les publics perc¸us comme « difficiles », à adapter leurs horaires de travail aux contraintes des usagers, à se montrer économes des deniers publics, les candidats doivent incarner un service public renouvelé. Mais l’affirmation de ces compétences relationnelles et de ce souci budgétaire repose assez largement sur la reformulation de valeurs, telles que l’empathie, le dévouement ou la serviabilité, qui renvoient à un « sens pratique du service public » (Siblot, 2006, p. 307) largement présent chez les fonctionnaires territoriaux40 . C’est en mobilisant ces formes plus anciennes d’ethos professionnel que les jurés rendent acceptables les exigences croissantes de disponibilité et d’implication au travail. Finalement, le respect des règles et de la hiérarchie n’est pas abandonné au profit de l’implication et l’initiative. Les années 2000 sont marquées par un redoublement des attentes à l’égard des candidats, enjoints d’être des fonctionnaires attachés aux valeurs mais adaptables, dociles tout autant qu’inventifs.
37 Estimation établie à partir d’un tirage aléatoire de quatre sessions de concours (1979, 1988, 1996, 2006), soit 49 sujets d’épreuves écrites. 38 Celle-ci n’est toutefois pas indispensable à la montée de ce nouveau registre d’évaluation, ainsi qu’en témoigne l’enquête de Marie Cartier (2001) sur le concours de facteur. 39 Journal de terrain, 4 décembre 2006 (épreuve d’entretien du concours d’adjoint administratif). 40 Dans le même esprit, Gilles Jeannot (2008, p. 132) note que « le terme de “client” qui devrait témoigner d’une nouvelle approche est réapproprié dans des catégories anciennes : “le service public, c’est bien servir le client” ».
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3.3. Exigences locales : « territorialiser » les concours, construire un langage commun La troisième dimension de la socialisation concourante s’articule étroitement avec ce registre de modernisation de la fonction publique. Depuis les années 1990, les concours territoriaux sont engagés dans une dynamique de « territorialisation », qui vise à distinguer davantage les fonctionnaires territoriaux de leurs homologues de l’État. Prendre ses distances vis-à-vis de celuici, jugé sclérosé et inefficace, est alors un moyen de légitimer la FPT, et de tenter de l’unifier, par delà la diversité des collectivités. Cette « territorialisation » se manifeste d’abord dans le choix des auteurs de sujets. Le poids des universitaires parmi les auteurs du concours d’attaché a nettement diminué (ils ont produit 62 % des sujets entre 1990 et 1995 contre 40 % entre 1996 et 200241 ), tandis que celui des cadres territoriaux augmentait (23 % contre 43 %). Ce mouvement se fait aussi au détriment des fonctionnaires de l’État et des hôpitaux, qui assuraient la conception d’un sujet sur cinq avant 1996, et n’en ont plus produit depuis. Cette mise à l’écart apparaît comme un effet, décalé dans le temps, de la décentralisation : l’autonomisation des collectivités se manifeste aussi dans l’organisation des concours, en rupture avec la longue implication des cadres nationaux dans la formation des agents communaux (Bellanger, 2005). Dans le même temps, des dispositifs de concertation s’institutionnalisent, qui associent davantage qu’auparavant les élus locaux, les syndicats, le CNFPT et les CDG aux réflexions de la DGCL (Biland, 2008, p. 168 et suiv.). Les épreuves deviennent alors moins scolaires. Seules les matières considérées comme directement en lien avec les politiques locales – droit public, économie, institutions sociales – sont conservées tandis que la note de synthèse, pensée comme l’épreuve la plus professionnelle, se généralise dans les concours A et B. Déjà soulignée, la raréfaction des sujets prenant pour cadre l’action de l’État est compensée par des références de plus en plus nombreuses aux politiques inscrites à l’agenda des collectivités. L’hypothèse d’une homologie entre auteurs et sujets est ici corroborée et illustre la tendance à revendiquer, à travers les concours, la spécificité de la fonction publique locale. Le succès croissant, dans les manuels de préparation comme dans les indications de correction, de l’expression de « culture territoriale » est emblématique de cette revendication. Elle fait écho à la rhétorique antiétatiste fortement présente chez les élus et cadres rencontrés dans les jurys. Dans les entretiens, plusieurs d’entre eux parlent de l’État comme d’une technocratie, bureaucratisée à l’excès ou trop éloignée des usagers. À l’inverse, les collectivités développeraient un rapport plus authentique au service public et y travailler serait plus intéressant, du fait de la « proximité »42 au « terrain », de la relative légèreté des structures et de la variété des missions et des interlocuteurs. Le cadre retraité du CNFPT déjà cité défend ici l’intérêt des emplois territoriaux : « Je continue de penser qu’il vaut mieux être administrateur territorial que cinquantième à l’ENA. Si c’est pour tomber sous-chef de bureau d’une sous-direction au ministère du Commerce extérieur et compter les camemberts. . . Alors qu’un administrateur qui est secrétaire général de Nantes ou même Montreuil, il a un boulot infiniment plus intéressant, il est responsable. »
41 Ce calcul se fonde sur une base de données (construite par nous) qui réunit l’ensemble des sujets des épreuves écrites de neuf concours (1991 à 1996, 2000, 2001 et 2002), soit l’ensemble de ceux pour lesquels nous disposions, à partir des archives du CNFPT, des noms et qualités de leurs auteurs. Ont ainsi été réunis 113 sujets : 13 sujets de culture générale ou résumé, 20 sujets de note ou rapport, 80 sujets dits techniques (droit, économie, etc.). 42 La proximité constitue un topos de l’action publique locale (Le Bart et Lefebvre, 2005).
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Toutefois, les références à la « proximité » ou encore à l’ « efficacité de l’action publique locale » demeurent très générales. Puisant dans un ensemble varié de disciplines – droit, gestion, sociologie des organisations, science politique, économie publique –, la culture territoriale ne relaie pas une doctrine fermement constituée ; elle se présente au contraire comme non-idéologique, c’est-à-dire valable pour toutes les collectivités, indépendamment de leur orientation partisane. Elle relève d’une idéologie « molle et implicite » de l’action publique locale, qui a d’autant plus de force qu’elle « s’adapte aux configurations locales variées » (Arnaud et al., 2005, p. 6), depuis la petite commune jusqu’au conseil régional. Les thèmes retenus dans les sujets témoignent du caractère consensuel de la socialisation concourante, qui prolonge la « dépolitisation » déjà étudiée. Sont retenues les politiques qui mobilisent au-delà des clivages partisans. La politique de la ville, qui a survécu aux changements de gouvernement depuis la fin des années 1970, la démocratie participative, la dépendance des personnes âgées et le développement durable, affichés, dans les années 2000, comme des priorités par l’ensemble des partis gouvernementaux, sont particulièrement sollicitées. A contrario, les sujets polémiques, qui n’ont pas été rendus consensuels par l’action publique, sont écartés : lorsque le moment est venu de sélectionner les sujets des oraux, le jury hésite longuement à poser un sujet sur les femmes dans le monde arabe ; pour l’épreuve de russe, il préfère le centenaire de Chostakovitch au goulag, et il écarte un sujet jugé « tendancieux » et « sensible » sur l’euthanasie43 . L’importance prise par les thématiques les plus consensuelles s’explique par la structure particulière des institutions organisatrices de concours. C’est au CNFPT et dans les centres de gestion (CDG) que l’expression de « culture territoriale » rencontre le plus grand succès – et ce n’est évidemment pas un hasard. Les CDG sont chargés de veiller au respect des règles statutaires propres à la FPT ; le CNFPT forme les agents territoriaux quelle que soit leur collectivité employeuse. Et c’est sur cette compétence partagée44 qu’est l’organisation des concours que ces deux institutions se retrouvent pour définir des schèmes pensés comme communs à l’ensemble de la FPT. La culture territoriale apparaît finalement comme une tentative de faire exister symboliquement, par un ensemble de représentations communes, et pratiquement, par des modèles de comportement, ce segment de l’emploi public marqué par la diversité de ses employeurs (aujourd’hui au nombre de 60 000) et de ses agents, employés dans plus de 250 métiers différents. Elle renvoie à la prétention de ces deux institutions à dire ce qu’est, ou devrait être, la FPT et à construire des manières communes d’être au service des collectivités locales. À l’image de la gestion, « langage commun minimal » du monde de l’entreprise depuis les années 1980 (Pavis, 2003, p. 18), elle participe à l’homogénéisation des représentations des acteurs locaux. 3.4. Sélectionner malgré les doutes Les discours des organisateurs surestiment à l’évidence l’originalité des concours territoriaux. Les épreuves – « culture générale », entretien, note de synthèse – sont très proches de celles demandées par l’État. L’accent mis sur la méthode, le caractère rudimentaire des mises en situation, ainsi que l’omniprésence de l’actualité politico-médiatique constituent trois points communs avec le concours de l’ENA (Eymeri, 2001, p. 72–131). Mais il ne faudrait pas, à l’inverse, sous-estimer les effets de cette « territorialisation ». Lorsque les jurés doivent décider du seuil d’admission,
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Journal de terrain, 9 novembre 2006 (réunion d’admissibilité du concours d’adjoint administratif). Ce partage fait toutefois l’objet de débats récurrents, tranchés, au terme de la loi du 19 février 2007, par un transfert quasi-total des concours du CNFPT vers les centres de gestion, à compter de 2010. 44
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c’est bien la volonté de promouvoir la FPT qui fait taire les doutes et les désaccords. À ce stade en effet, la croyance dans le concours apparaît affaiblie, les jurés eux-mêmes se faisant l’écho des critiques visant ce mode de sélection. Nombreux sont ceux qui regrettent, en particulier, l’importance maintenue d’une évaluation de type scolaire. Mais le curriculum concourant n’est pas seul en cause. Pessimistes quant à l’avenir du statut de fonctionnaire, les jurés sont aussi inquiets des évolutions qui dérégulent l’articulation concours/emploi. De plus en plus de candidats internes sont dotés des diplômes nécessaires pour se présenter en externe ; de plus en plus de lauréats du concours de rédacteur ont les diplômes requis pour le concours d’attaché ; de plus en plus d’externes travaillent déjà, comme contractuels, en collectivité ; et les « vrais externes » mettent de plus en plus de temps à trouver du travail après leur réussite aux concours. Érodant à la fois la légitimité et l’efficacité du concours, ces constats déstabilisent les évaluateurs, tantôt confiants dans la capacité du concours à donner de « bons » agents aux collectivités territoriales, tantôt sensibles à l’inanité de la sélection. Si les décisions se prennent finalement sans trop de discussion, c’est grâce au travail, déjà évoqué, des organisateurs, mais c’est aussi parce que les jurés partagent une même conscience de participer à une décision où se joue l’image de la FPT. Parce que la barre d’admission est publiée sur Internet, parce qu’on en parle en collectivité, le jury s’accorde sur la nécessité de fixer des seuils qui assurent la crédibilité du concours, et par là, la crédibilité de la FPT toute entière. Cette double légitimité repose sur le seuil plancher, symboliquement fort, de la note « dix ». « Faire une admission en dessous de dix, c’est inconcevable, si on veut du personnel de qualité », « je suis pour garder une certaine qualité », « faut pas brader », nous disent successivement trois élus. Percevant les menaces pesant sur le concours, les jurés sont particulièrement attachés à sa qualité, tout à la fois symbole de la reconnaissance des agents territoriaux et de l’adéquation entre les caractéristiques des lauréats et les besoins des collectivités. 4. Conclusion L’emploi public local des années 2000 atteste à l’évidence de l’affaiblissement de l’institution concourante : anciennes, les critiques des élus locaux contre ce mode de sélection trouvent un écho dans les réformes actuelles de « modernisation » de la fonction publique. Si les concours étudiés dans cet article sont à bien des égards proches de ceux historiquement construits dans les ministères, c’est parce qu’ils ne concernent qu’une partie des agents des collectivités et qu’une partie des postes à pourvoir. Largement imputable à la présence massive d’élus cumulants au Parlement, un consensus de longue période se dégage pour institutionnaliser des concours, de plus en plus proches de ceux de l’État certes, mais toujours subsidiaires à d’autres types de recrutement. Finalement, l’impossible institutionnalisation d’un modèle de certification indépendant de l’État se traduit par le maintien du monopole juridique de celui-ci, dans le respect du pouvoir discrétionnaire reconnu aux élus. Cette situation rappelle la logique de « compartimentation » identifiée par Barbara Geddes (1994) : les concours ne valent que pour une partie des agents, ceux qui se situent suffisamment haut dans la hiérarchie des emplois pour que le critère de compétence y soit prioritaire, mais suffisamment bas pour que les élus ne fassent pas de leur loyauté personnelle une condition tout aussi importante. Cette analyse vaut cependant davantage pour la décennie 1970 que pour la période actuelle : avec la création du cadre d’emplois d’attaché en 1978, puis de celui d’administrateur en 1987, ce sont bien les cadres, y compris dirigeants, qui sont de plus en plus souvent amenés à passer des concours. La FPT présente finalement une solution originale, puisqu’elle autorise à la fois un repérage politique, ou assistanciel, et localisé par les employeurs et une sélection capacitaire et extralocale
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par les concours. Ce compromis n’a toutefois pas suffi à stabiliser le curriculum concourant. Les attentes formulées vis-à-vis des candidats apparaissent à bien des égards comme contradictoires, empruntant tantôt au registre bureaucratique, tantôt au registre managérial. Renvoyant à la fois aux tensions structurant de longue date l’emploi public local et au contexte général de délégitimation des concours, ces hésitations se traduisent par des réformes incessantes. Communes à la DGCL et à la Direction générale de l’Administration et de la Fonction publique (Desforges, 2008), les projets de professionnalisation et de simplification transforment progressivement les concours. En vertu de la loi du 19 février 2007, les candidats ayant obtenu une « reconnaissance de l’expérience professionnelle » (REP) se voient dispensés de certaines épreuves : avec la REP, le modèle de l’évaluation anonyme des capacités régresse au profit de l’individualisation de la sélection45 . En catégorie C, la place des concours recule nettement : depuis 1994, les grades les plus bas de la FPT sont ouverts au « recrutement direct » par les collectivités ; depuis le début des années 2000, les examens professionnels, accessibles sans limitation quant au nombre de postes, mais sans garantie quant à la nomination46 , prennent de plus en plus de poids en cours de carrière, au détriment des concours internes. Le Conseil supérieur de la FPT a largement promu ce nouveau modèle (Bécuwe, 2005) – une formule déjà mise en œuvre pour certains concours du ministère de l’Intérieur et envisagée pour le recrutement des enseignants (Pochard, 2008). Les évolutions observées dans la « territoriale » ne sont donc pas isolées. La restriction du rôle des concours parmi les dispositifs permettant l’embauche et la « carrière » dans l’emploi public est désormais bien engagée : la création du contrat à durée indéterminée (CDI), par la loi du 26 juillet 2005, permet la constitution d’une relation d’emploi stable, mais en dehors du statut de la fonction publique. Les enquêtes localisées (Biland, 2009) témoignent d’ailleurs de la place croissante accordée aux procédures de marché, telles que les annonces d’embauche dans la presse ou à l’ANPE, les CV et lettres de motivation, et aux mécanismes d’interaction, tels que les entretiens d’embauche. La création d’une troisième voie par la loi « Sapin » de 2001, ouverte aux personnes ayant une expérience « dans le privé », les références croissantes à des normes d’autonomie et d’engagement dans les concours, laissent elles aussi penser à un rapprochement entre les mondes public et privé du travail. Les manières de « servir » promues dans les épreuves témoignent d’une acculturation douce aux normes gestionnaires. La notion de service public est toujours mobilisée, mais elle inclut les critères de rationalisation budgétaire et de satisfaction des usagers mis au centre de l’agenda « modernisateur ». La référence à « l’entreprise », et à sa supposée imitable gestion des ressources humaines, ne fait toutefois qu’une percée limitée sur le front des concours. Parce que le CNFPT et les centres de gestion incarnent, aux yeux des collectivités et des agents, le statut de la fonction publique, parce qu’ils sélectionnent, pour siéger dans les jurys, des cadres et des enseignants qui ont eux-mêmes passé des concours et s’y montrent attachés, ces institutions comptent aujourd’hui parmi les plus fidèles soutiens des concours. Mais devant composer avec les différentes conceptions de l’action publique portées par les exécutifs locaux – et les syndicats pour le CNFPT –, elles prônent des concours, allégés certes, mais toujours nécessaires, moins bureaucratiques peut-être mais conservant les moyens qui leur sont attribués. Dans ce contexte de déstabilisation des représentations, les jurés sont en permanence conduits à désamorcer les critiques et à adapter les critères de sélection. Parce que leur position en dépend, 45 Les candidats à la REP doivent constituer un dossier attestant de leur expérience professionnelle dans le domaine ouvert par le concours. Les institutions organisatrices sont chargées d’évaluer ces dossiers. 46 Les premiers examens professionnels d’adjoint administratif, en 2003, se sont traduits par une longue liste d’attente pour les nominations, du fait de la limitation des nommés par examen à un pourcentage de ceux nommés par concours.
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les individus impliqués dans les concours endossent une posture « modernisatrice » qui permet de justifier la permanence de ce mode de sélection et de maintenir la croyance dans l’institution. En ce sens, les concours territoriaux ne sont pas des « institutions démotivées »47 . Mais associé aux très larges possibilités laissées aux employeurs de recruter hors concours, le mode d’institutionnalisation des concours territoriaux, pour les collectivités mais en dehors d’elles, explique largement que les concours continuent de constituer un mode parmi d’autres, qui plus est minoritaire, de recrutement en collectivité. Références Achin, C., Bargel, L., Dulong, D., Fassin, É., Guionnet, C., Guyon, S., Labrouche, C., Latté, LS, Leroux, P., Lévêque, S., Matonti, F., Paoletti, M., Restier-Melleray, C., Teillet, P., Troupel, A., 2007. Sexes genre et politique. Economica, Paris. Arnaud, L., Le Bart, Ch., Pasquier, R., 2005. Déplacements idéologiques et action publique. Le laboratoire des politiques territoriales. Sciences de la Société 65, 4–7. Backouche, I., Godechot, O., Naudier, D., 2009. Un plafond à caissons : les femmes à l’EHESS. Sociologie du Travail 51 (2), 253–274. Bécuwe, S., 2005. Vers une modernisation des examens professionnels de la fonction publique territoriale. Rapport du CSFPT, Paris. Bellanger, E., 2001. L’école nationale d’administration municipale. Des « sans-grade » devenus secrétaires généraux. Politix 14 (53), 145–171. Bellanger, E., 2005. La ville en partage : les « savoir-administrer » dans la conduite des affaires municipales et intercommunales en banlieue parisienne (1880–1950). Revue d’Histoire des Sciences Humaines 12, 79–95. Biland, É., 2008. Concours territoriaux et institutionnalisation de l’emploi public local (années 1970–années 2000). Thèse de l’EHESS, Paris. Biland, É., 2009. « Moderniser les ressources humaines » dans une petite ville franc¸aise : appropriations et contournements des normes juridiques et gestionnaires. Pyramides 17, 15–34. Boltanski, C., Chiapello, E., 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, Paris. Bourdieu, P., 1982. Les rites comme actes d’institution. Actes de la Recherche en Sciences Sociales 43 (1), 58–63. Bourdon, J., 1974. Le personnel communal. Berger-Levrault, Paris. Burt, R., 1998. The Gender of Social Capital. Rationality and Society 10 (1), 5–46. Cartier, M., 2001. Nouvelles exigences dans les emplois d’exécution des services publics. Genèses 42, 72–91. CNFPT/DGCL, 2008. Bilans sociaux, 5e Synthèse nationale des rapports au Comité technique paritaire sur l’état des collectivités territoriales au 31/12/2005, Paris. Cour des comptes, 2002. Rapport à la commission des finances du Sénat. In: Sénat, Le CNFPT, une modernisation nécessaire, Rapport d’information no 335, 2003, Paris. Desforges, C., 2008. Rapport sur les concours d’accès à la fonction publique de l’État rendu au ministre du Budget, des comptes publics et de la Fonction publique au secrétaire d’État à la Fonction publique, Paris. DGAFP, 2006. Rapport annuel Fonction Publique. Faits et chiffres 2005–2006. La Documentation franc¸aise, Paris. DGAFP, 2008. Rapport annuel sur l’état de la Fonction publique. Faits et chiffres 2007–2008. La Documentation franc¸aise, Paris. DGCL, 2008. Les collectivités locales en chiffres 2008. Ministère de l’Intérieur, Paris. Dion, S., 1986. La politisation des mairies. Economica, Paris. Dreyfus, F., 2000. L’invention de la bureaucratie, Servir l’État en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (xviiie –xxe siècles). La Découverte, Paris. Dumons, B., Pollet, G., 1997. De l’administration des villes au gouvernement des « hommes de la ville » sous la Troisième République. Genèses 28, 52–75. Eymeri, J.-M., 2001. La fabrique des énarques. Economica, Paris. Eymard-Duvernay, F., Marchal, E., 1997. Fac¸ons de recruter, Le jugement des compétences sur le marché du travail. Métailié, Paris.
47 Nous faisons ici référence à la lecture de Fustel de Coulanges et de Durkheim proposée par Franc ¸ ois Héran (1987), qui le conduit à qualifier de démotivée une institution qui est réduite au formalisme et au rite.
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