Les biomarqueurs du LCR et du plasma : utilisation diagnostique et pronostique dans la maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés

Les biomarqueurs du LCR et du plasma : utilisation diagnostique et pronostique dans la maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés

Pratique Neurologique – FMC 2013;4:65–72 Démences et biomarqueurs Les biomarqueurs du LCR et du plasma : utilisation diagnostique et pronostique dan...

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Pratique Neurologique – FMC 2013;4:65–72

Démences et biomarqueurs

Les biomarqueurs du LCR et du plasma : utilisation diagnostique et pronostique dans la maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés CSF and plasma biomarkers: Diagnostic and prognostic use in Alzheimer's disease and related dementia a Centre mémoire ressources recherche Languedoc-Roussillon, université Montpellier I, hôpital Gui de Chauliac, CHRU Montpellier, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France b Inserm U1040, biochimie-protéomique clinique, IRB – CCBHM, CHRU de Saint-Éloi, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France c Inserm U1061, hôpital La Colombière, Pavillon 42, 39, avenue Charles-Flahault, 34093 Montpellier cedex 5, France

RÉSUMÉ Ces dix dernières années ont été le témoin de la révolution conceptuelle dans le champ diagnostique de la maladie d'Alzheimer (MA). La pensée scientifique s'est enrichie du concept de continuum physiopathologique de la maladie et de l'apport des biomarqueurs pour un diagnostic in vivo, et ce dès les stades précoces de la maladie. L'utilisation de ces biomarqueurs nous permet maintenant de passer d'une entité clinico-pathologique à un concept d'entité clinicobiologique. Parmi les trois types de biomarqueurs : biologiques, d'imagerie morphologique et fonctionnelle, les biomarqueurs du LCR possèdent l'avantage principal de refléter in vivo en une seule investigation les deux lésions neuro-pathologiques caractéristiques du processus Alzheimer. La pertinence de l'utilisation des biomarqueurs du LCR est d'ailleurs bien validée en recherche mais leur évaluation en pratique clinique de routine dans les centres Mémoire ne fait que débuter. Nous décrirons les caractéristiques des biomarqueurs du LCR et leurs apports en termes de diagnostics positifs et différentiels de la MA, mais également dès les stades précoces de la maladie. L'étude PLM combinant les données de plus de 1200 patients intégrés dans les bio-banques des trois CMRRs (Paris-Nord, Lille et Montpellier) sera présentée. Elle permet d'avancer des réponses concernant la pertinence de l'utilisation des trois biomarqueurs du LCR en consultation Mémoire, mais également de proposer un consensus dans le champ de l'harmonisation des procédures pour limiter l'impact des facteurs pré-analytiques. Enfin, pour s'affranchir des contraintes de la ponction lombaire, de nombreuses recherches se focalisent sur l'utilisation des biomarqueurs plasmatiques. Nous en décrirons les intérêts et les limites. Un point particulier sera développé concernant leur impact comme facteur pronostique du déclin cognitif. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

SUMMARY Over the last 10 years, there has been a paradigmal shift in the diagnostic field of Alzheimer's disease (AD). Scientific thought has enriched the concept of the pathophysiological continuum of the disease and pointed out the contribution of biomarkers for in vivo diagnosis, specifically during the early stages of the disease. The use of these biomarkers has enabled us to move from a clinicpathological entity to a clinic-biological entity. Among the three types of biomarkers – biological, © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2013.01.015

A. Gabelle a,b J. Touchon a,c S. Lehmann a,b

Mots clés Maladie d'Alzheimer Biomarqueurs Liquide céphalo-rachidien Plasma Peptide amyloïde Protéine Tau

Keywords Alzheimer disease CSF biomarkers Plasma biomarkers Amyloid peptide Tau protein

Auteur correspondant : A. Gabelle, centre mémoire ressources recherche LanguedocRoussillon, université Montpellier I, hôpital Gui de Chauliac, CHRU Montpellier, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier, France. Adresse e-mail : [email protected]

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Démences et biomarqueurs

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morphological and functional brain imaging – CSF biomarkers have the main advantage to reflect the two pathophysiological lesions of the Alzheimer process in a unique in vivo investigation. The relevance of CSF biomarkers is well validated in research but the evaluation of their interest and diagnostic accuracy in routine clinical practice in Memory centers is just beginning. We describe the characteristics of CSF biomarkers and their contributions in terms of positive and differential diagnosis of AD, but also during the early stages of the disease. The PLM study (CMRRs Paris-Nord, Lille and Montpellier), combining data from over 1200 patients included in the three CMRRs bio-banks, will be presented. It allows us to put forward answers about the relevance of using three CSF biomarkers in Memory consultation, but also to propose a consensus for procedures harmonization to reduce the impact of preanalytical factors. Finally, to overcome the constraints of lumbar puncture, much research focuses on the use of plasma biomarkers. We describe their usefulness and limitations. A specific point will be developed regarding their impact as a prognostic factor for cognitive decline. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.

INTRODUCTION Ces dix dernières années ont été le témoin de la révolution conceptuelle dans le domaine des affections neurodégénératives et en particulier dans le champ diagnostique de la maladie d'Alzheimer (MA). La pensée scientifique s'est enrichie du concept de continuum physiopathologique de la maladie et de l'apport des biomarqueurs pour un diagnostic in vivo, dès les stades précoces de la maladie. Ainsi, les plaques extracellulaires de protéine b-amyloïde et les dépôts neuro-fibrillaires intracellulaires correspondant aux lésions neuro-pathologiques caractéristiques de la MA sont présentes de nombreuses années avant l'apparition de la plainte cognitive. Selon l'hypothèse de Jack et al., les dépôts amyloïdes constitués de peptide insoluble b-amyloïde seraient les plus précoces dans la frise chronologique d'apparition des lésions neuro-pathologiques (Jack et al., 2010). Chez les sujets génétiquement prédisposés à la MA, les modifications structurelles et fonctionnelles, contemporaines d'un excès de production du peptide amyloïde dans le plasma et dans le liquide céphalorachidien (LCR), sont présentes presque 20 ans avant les premiers signes cliniques de la maladie (Fleisher et al., 2012). La recherche devait donc s'orienter sur la découverte de marqueurs permettant d'optimiser le diagnostic de la maladie dès les stades précoces, à la fois pour optimiser la prise en charge des patients et pour évaluer les stratégies thérapeutiques innovantes visant à ralentir voire à bloquer le processus pathologique. Reflétant in vivo les lésions neuro-pathologiques et les modifications structurelles et fonctionnelles de la MA, trois types de biomarqueurs furent développés et sont actuellement disponibles en recherche : les marqueurs d'imagerie morphologique (IRM, volumétrie de l'hippocampe), fonctionnelle (TEP ou Pittsburgh Compound B, PIB) et les marqueurs biologiques soit du LCR (dosages du peptide Ab42, de la protéine Tau et de sa forme phosphorylée P-Tau181) soit du plasma (dosages des peptides amyloïdes Ab42, Ab40 et ses formes tronquées Abn-42, Abn-40). L'utilisation de ces biomarqueurs doit nous permettre de passer d'une entité clinicopathologique à un concept d'entité clinico-biologique. Les biomarqueurs d'imagerie morphologique, fonctionnelle et du LCR font partie intégrante des nouveaux critères de recherche « diagnostic » de la MA et de son stade précoce (MA prodromale) qui ont été récemment proposés (Dubois et al., 2010 ; Sperling et al., 2011). Bien qu'ils restent des biomarqueurs de recherche, leur utilisation en pratique clinique de routine dans les centres Mémoire tend à se généraliser. Dans cet article, nous nous focaliserons sur la pertinence de l'utilisation diagnostique et pronostique des biomarqueurs du

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LCR et du plasma dans le champ de la MA et des syndromes apparentés, en se basant sur les données en recherche et en pratique clinique de routine dans les centres mémoire ressources et recherche.

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES BIOMARQUEURS BIOLOGIQUES Un biomarqueur correspond à un marqueur du vivant. Il se doit de souscrire à plusieurs critères : être fiable, précis, reproductible, pouvoir idéalement provenir d'un geste non invasif comme la prise de sang ou modérément invasif telle la ponction lombaire (PL) et avoir une sensibilité (Se) et une spécificité (Sp) supérieures à 80 %. L'utilisation du LCR comme prélèvement biologique de référence dans l'analyse des biomarqueurs se base sur les avantages inhérents à ses propriétés cérébrales, source idéale de données physiopathologiques et diagnostiques. Une modification biologique, en particulier protéique du LCR peut refléter les processus neuro-dégénératifs en cours. De plus, les effets secondaires (infections post-PL, syndrome post-PL. . .) restent rares (< 0,3 %) chez les sujets âgés et les nouvelles modalités de prélèvements (aiguille souple, anesthésies cutanées et gazeuses, formation des jeunes médecins au geste par des stimulateurs de PL, hypnose-analgésie, musicothérapie lors de la PL. . .) limitent l'appréhension du geste et de la douleur. Trois principaux biomarqueurs protéiques sont utilisés dans le champ des affections neurodégénératives : le peptide Ab, la protéine Tau totale (T-Tau) et sa forme phosphorylée (P-Tau). Le peptide Ab42 est le produit de cascades de clivages protéolytiques de l'APP par les b et g-sécrétases. Les taux d'Ab42 sont corrélés à l'intensité des dépôts d'Ab au niveau des plaques amyloïdes dans le néocortex et l'hippocampe dans les cerveaux autopsiés. La fraction peptidique Ab42 est détectée par Elisa avec un Innotest b-amyloïd qui analyse les anticorps 3D6 et 21F12. Les taux Ab42 varient avec l'âge. Ils sont évalués à 792  182 pg/mL pour la tranche d'âge (21–50 ans) et à 790  228 pg/mL pour celle de (51–70 ans). Selon Innogenetics®, le test Ab42 est considéré comme positif si sa valeur est inférieure à 450 pg/mL mais nous rediscuterons des valeurs seuils diagnostiques ultérieurement. La protéine Tau, localisée au niveau des axones, comprend six iso-formes différentes dans le cerveau humain et de nombreux sites de phosphorylation. D'un point de vue physiopathologique, la concentration de Tau dans le LCR reflète l'intensité globale de la dégénérescence neuronale. Les nouvelles techniques d'Elisa, détectant toutes iso-formes de la protéine Tau

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indépendamment de leur état de phosphorylation, ont permis d'optimiser la Se et la Sp de cette recherche. En pratique courante, les anticorps utilisés pour l'Innotest hTAU Ag (Tau totale) sont HT7, BT2 et AT120. Les concentrations de la protéine Tau varient avec l'âge de façon physiologique. Les valeurs de référence dans le LCR sont, pour la tranche d'âge (21– 50 ans) de 136  89 pg/mL et pour celle (51–70 ans) de 243  127 pg/mL. Le dosage est considéré comme positif si la concentration de Tau est supérieure à 450 pg/mL. Nous rediscuterons également des valeurs seuils diagnostiques ultérieurement. Les taux de P-Tau dans le LCR sont associés à la pathologie neuro-fibrillaire (DNF) néocorticale dans la MA, avec des corrélations entre les scores de DNF et la densité de Tau hyper-phosphorylée aux niveaux des aires frontales, temporales, pariétales et de l'hippocampe. Différentes techniques de dosage Elisa ont été développées en fonction des épitopes phosphorylés de Tau (les thréonines 181, 231 et les sérines 235 et 199 ; la thréonine 231 et les sérines 386 et 404). Le test de détection Elisa le plus utilisé est l'Innotest Phospho-Tau PThr 181 (thréonine en 181) analysant les anticorps HT7 et AT270. Les valeurs de référence varient avec l'âge. Le test de la P-Tau 181 est positif si sa valeur est supérieure à 60 pg/ mL. La performance des épitopes 181, 199 et 231 pour le diagnostic direct et pour les diagnostics différentiels, sont similaires.

LES BIOMARQUEURS DU LCR Intérêt diagnostique et pronostique des biomarqueurs du LCR Seuls les biomarqueurs du LCR nous donnent accès in vivo aux deux lésions physiopathologiques du processus Alzheimer en une seule investigation. Le profil typique des biomarqueurs en faveur d'un processus Alzheimer associe une diminution du peptide Ab42 et une augmentation du taux de T-Tau et de P-Tau. Le dosage de Tau est estimé avec une Se/ Sp de 88 %/80 % ; celui de la P-Tau 181 avec une Se/Sp de 88 %/80 % ; le ratio Tau/Ab42 avec une Se/Sp de 81 %/85 % et le ratio de P-Tau/Ab42 de 81 %/78 %. Une méta-analyse incluant 13 études sur l'Ab42 avec 600 MA versus 450 sujets témoins, 36 études avec la protéine Tau comparant 2500 MA versus 1400 contrôles, et 11 études sur la P-Tau avec 800 MA vs 370 contrôles, conclut à une Sp globale des biomarqueurs comprise entre 85 et 94 % et une Se entre 83 et 100 % (Blennow et Hampel, 2003). L'intérêt des dosages d'Ab42, de T-Tau et P-Tau est donc validé depuis de nombreuses années pour le diagnostic positif de la MA versus des sujets témoins dans de nombreuses études mono-centriques de sujets sélectionnés mais également pour le diagnostic différentiel de MA (Tableau I). Toutefois, peu de données sont disponibles en pratique clinique de routine dans les centres mémoire. Dans le cadre de la mesure no 33 du « Plan Alzheimer 2008– 2012 », le diplôme interuniversitaire « Méthodes de développement industriel et MA » a permis de mettre en œuvre des projets stimulants. Ainsi, l'étude PLM a vu le jour grâce à la mise en commun des bases de données « biobanque » des CMRRs de Paris-Nord, Lille et Montpellier. Plus de 1200 sujets sont ainsi analysables dans le cadre de PLM. Un des premiers objectifs de l'étude PLM fut de déterminer, en pratique clinique

Démences et biomarqueurs de routine, la pertinence des biomarqueurs du LCR pour le diagnostic positif de MA en comparaison avec les autres affections neurodégénératives. Initialement, les 677 patients de Montpellier ont été analysés (Gabelle et al., 2013a, b). Puis, les résultats ont été validés dans une seconde cohorte de 638 patients de Lille et Paris-Nord. Les diagnostics ont été réalisés par des équipes multidisciplinaires d'experts dans le domaine, en se basant sur les examens cliniques, neuropsychologiques et l'imagerie cérébrale morphologique et fonctionnelle. Les cliniciens sont en aveugle des résultats des biomarqueurs. Dans la cohorte de Montpellier, les 272 MA sont comparés aux 405 patients non MA. Nous avons classé les patients non MA en sept groupes différents : MCI-MA, angiopathie amyloïde (AA), dégénérescence lobaire frontotemporale (DLFT, incluant le variant frontal des DFT, la démence sémantique ou l'aphasie primaire progressive non fluente), démence à corps de Lewy (DCL), autres affections neurodégénératives (ODD), autres affections non neurodégénératives (OND) et les troubles psychiatriques (PSY). Les valeurs moyennes de chaque biomarqueur en fonction des diagnostics sont représentées sur la Fig. 1. Des courbes de ROC ont été réalisées pour définir les biomarqueurs ou les ratios les plus pertinents pour les diagnostics différentiels du groupe de patients MA. Avec une valeur seuil de 61 pg/mL, la P-Tau apparaît comme le meilleur biomarqueur pour discriminer les sujets MA des patients non MA (aire sous la courbe AUC [SE] = 0,87 [0,01]), avec Se à 77 % et Sp à 88 % correspondant à un index de Youden (Y) de 1,65 (Gabelle et al., 2013a, b). La P-Tau est statistiquement supérieure à l'Ab42 (AUC [SE] = 0,76 [0,02], p < 0,0001) et un peu meilleure que l'AUC de la T-Tau (AUC = 0,84 [0,01], p = 0,21) (Fig. 2). En regardant les ratios, l'Ab42/P-Tau obtient le meilleur score (AUC [SE] = 0,88 [0,01], Se 85,2 %, Sp 84 %, YI = 1,69). Pour l'aide au diagnostic différentiel MA versus DLFT, l'utilisation de la P-Tau seule permet une excellente Se et Sp (P-Tau AUC [SE] = 0,87 [0,02], 95 % IC 0,82 à 0,90). D'autres études sur un plus faible effectif mettent en évidence un intérêt du ratio PTau/Ab42 pour discriminer les sujets MA des DFT avec une Se/Sp de 91/98 % (De Souza et al., 2011). Dans l'étude PLM, la Tau semble la plus pertinente pour discriminer les patients MA des DCL (Tau AUC [SE] = 0,80 [0,05], 95 % IC 0,75 à 0,84) (Gabelle et al., 2013a, b). En plus des trois biomarqueurs classiques, d'autres marqueurs protéiques commencent à être utilisés en pratique de routine dans nos CMRRs comme l'Ab38, l'Ab40 ou les formes solubles de l'APP (sAPPa, sAPPb). Les dosages du peptide Ab38 et du sAPPb (Gabelle et al., 2011) semblent pertinents dans l'arsenal « diagnostic » MA versus DFT. Ainsi, dans notre étude comparant 52 AD versus 34 DFT, le marqueur amyloïde le plus pertinent est le ratio Ab38/Ab40 (AUC = 0,87) (Gabelle et al., 2011). Pour la discrimination MA versus DCL, le peptide Ab40 et le ratio Ab42/Ab38 (Se/ Sp 78/67 %) semblent également intéressants (Mulugeta et al., 2011). L'intérêt diagnostique de l'Ab40 est également mis en évidence pour le diagnostic des angiopathies amyloïdes cérébrales (Renard et al., 2012). Concernant les diagnostics différentiels de type aphasie non fluente progressive (ANFP) ou atrophie corticale postérieure (ACP), le profil des biomarqueurs dans le LCR n'est pas si discriminant (les ratios T-Tau/Ab42 et P-Tau/Ab42 ratios étant altérés dans 60 % ANFP et 61 % ACP respectivement). Majoritairement, les ANFP ont un profil de type MA (Seguin et al., 2011), profil également observé chez 90 % des ACP cliniques,

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A. Gabelle et al.

Démences et biomarqueurs

Tableau I. Tableau représentant les différents profils des biomarqueurs du LCR en fonction des différentes pathologies neurodégénératives. Biomarqueurs dans le LCR Pathologies

Tau total

Tau-181b

Ab1-42

MA

Dépression

N

N

N

Fv-DFT

N ou

N ou

N

DCL

N ou

N

Ab1-40

Ab1-38

N ou

N

N

N

Ab40/42

N

N

APP

CDJ

N ou

D vasculaire

N

ND

N

ND

ND

ND

Références bibliographiques : Gabelle et al., 2011, Bibl et al., 2007, Mulugeta et al., 2011, Mollenhauer et al., 2011, Wiltfang et al., 2003, Spies et al., 2010. N : normal ; : augmentation faible ; : augmentation franche ; : augmentation majeure ; ND : pas de données dans la littérature ; MA : maladie d'Alzheimer ; fvDFT : démence fronto-temporale comportementale ; DCL : démence à corps de Lewy ; APP : aphasie primaire progressive ; CDJ : maladie de Creutzfeldt-Jakob ; D. vasculaire : démence vasculaire.

corroborant les données neuro-pathologiques de ces affections. Pour les démences sémantiques, peu de données sont disponibles mais il semblerait qu'un profil de type MA soit retrouvé dans un tiers des cas et qu'un profil de type DFT dans les deux tiers. L'intérêt des biomarqueurs du LCR à des stades précoces du processus Alzheimer est également évoqué. La valeur prédictive de l'Ab42, de la Tau et P-Tau et du ratio Ab42/Ab40 dans le risque de progression des sujets vers la MA a été mise en évidence dans plusieurs études (Hampel et al., 2004 ; Hansson et al., 2006 ; Herukka et al., 2007). Une méta-analyse sur 19 études a montré que la combinaison Ab42 et T-Tau sans ou avec P-Tau présentait l'odd-ratio le plus élevé à 18,1 (95 %, IC [9,6–34,2]). Avec un suivi moyen de 9,2 ans [4,1– 11,8], le ratio Ab42/P-Tau est plus pertinent pour prédire l'évolution d'un MCI vers la MA avec une Se/Sp respectivement de 88 % et 90 % (Buchhave et al., 2012). Les études concernant les formes prodromales de la MA selon les nouveaux critères diagnostiques sont en cours. Le PHRC BALTAZAR et la cohorte du Plan Alzheimer MEMENTO permettront de mieux appréhender la pertinence de ces biomarqueurs comme facteur prédictif de MA dès les stades très précoces du processus neuro-dégénératif.

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Quelles limites à l'utilisation de ces biomarqueurs ? Si l'on se laissait aveugler par les promesses des biomarqueurs du LCR, nous pourrions penser, devant tout syndrome amnésique progressif, pouvoir certifier le diagnostic de MA, du vivant du patient, sans attendre l'examen anatomopathologique. Gardons à l'esprit que cela est possible pour des équipes spécialisées en combinant l'ensemble des biomarqueurs cliniques, neuropsychologiques, biologiques et d'imagerie morphologique et fonctionnelle. En dehors de ce cadre de nombreuses questions demeurent concernant l'utilisation isolée des biomarqueurs du LCR en pratique clinique de routine. Il est nécessaire dans un premier temps d'harmoniser les procédures afin que le diagnostic ait la même valeur sur l'ensemble du territoire français et européen. De nombreuses études sont en cours pour définir un consensus commun sur les conditions de prélèvements (technique de réalisation des PL, horaire du prélèvement. . .), les données pré-analytiques (type de tube de recueil, conditions d'acheminement des échantillons au laboratoire d'analyse, variabilité des dosages. . .) et analytiques (valeurs seuils optimales,

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Figure 1. Valeurs moyennes (en pg/mL) des concentrations des trois biomarqueurs (Ab42, Tau, P-Tau) en fonction des diagnostics clinques des 677 sujets de la cohorte de Montpellier. AD : Maladie d'Alzheimer ; MCI : déficit cognitif léger ; DLFT : démence frontotemporale comportementale ; LBD : démence à corps de Lewy ; AA : angiopathie amyloïde ; ODD : autres affections neurodégénératives ; OND : autres affections non neurodégénératives ; PSY : troubles psychiatriques.

pertinence de l'utilisation d'un seul biomarqueur, arbre décisionnel des différents profils combinatoires possibles. . .). Dans ce cadre, les données de l'étude PLM ont permis d'évaluer la variabilité inter-centre du dosage des biomarqueurs du LCR dans les trois CMRRs (Dumurgier et al., 2012) ; de proposer des valeurs seuils en fonction de la question diagnostique posée (Gabelle et al., 2013a, b) et d'analyser l'impact des tubes sur les résultats1. Pour déterminer les coefficients de corrélation intra-classe (ICC), une étude test/re-test a été réalisée sur 32 échantillons analysés trois fois de suite dans les trois laboratoires de biochimie travaillant en collaboration avec les trois CMRRs. Entre les trois laboratoires, la variabilité la plus élevée est observée pour l'Ab42, probablement en raison de procédures analytiques et pré-analytiques. L'ICC (SE) de l'Ab est de 0,76 (0,06). Celui de la T-Tau et P-Tau

Démences et biomarqueurs sont respectivement de 0,92 (0,02) et 0,94 (0,02). La variabilité intra-essai est inférieure à 10 %. La variabilité inter-essai est inférieure à 20 %. Concernant les valeurs seuils optimales, notre étude détermine par courbe de ROC les seuils suivants pour la pTau-181 59 pg/mL, la Tau 306 pg/mL et 500 pg/mL pour l'Ab42. Ces valeurs seuils déterminées pour les centres français doivent être préférées aux valeurs seuils définies au niveau international afin d'optimiser la Se et la Sp diagnostiques. Un travail en collaboration avec la Société française de biologie clinique est en cours pour une optimisation de la standardisation des dosages et du rendu des résultats en France. L'impact de la nature du tube sur le dosage des biomarqueurs du LCR et en particulier de l'Ab42 avait déjà été avancé par notre équipe. Une première analyse avait montré une différence de plus de 50 % des concentrations de peptides amyloïdes en fonction du tube utilisé bien qu'il soit en polypropylène. L'analyse précise de la composition en polymères des tubes en polypropylène révélait d'ailleurs qu'une majorité est en fait composée de copolymères avec du polyéthylène. Toutefois, il semble que la différence observée soit indépendante de la composition du tube mais secondaire à des problèmes de traitement de surface des tubes (Perret-Liaudet et al., 2012a, b). En pratique clinique de routine, une analyse de l'impact de la nature du tube sur les concentrations des trois biomarqueurs, sur leurs valeurs seuils pour une Se et Sp optimales a été réalisée sur les 677 sujets de la base de données de Montpellier (272 MA, 405 non MA). Nous avons comparé 358 échantillons collectés avec le tube Becton-Dickinson et 319 avec le tube Starstedt. Des modèles de régression linéaire et des calculs de courbe de ROC ont été réalisés. Une validation sur les bases de données de Lille et de Paris-Nord complète l'étude initiale. Ainsi, nous avons démontré qu'il existait un effet de la nature du tube sur la Se de l'Ab42 (mais pas la Sp) alors qu'aucun impact n'est observé pour la TTau et la P-Tau. Le tube Starstedt semble améliorer la Se et la Sp des trois biomarqueurs1. En accord avec la Société française de biologie clinique, il nous semble souhaitable d'utiliser un seul et unique tube pour l'ensemble des CMRRs français. L'utilisation d'un même tube a déjà été mise en place pour les PHRC BALTAZAR et la cohorte MEMENTO. Si les réponses aux questions techniques d'analyse des biomarqueurs progressent et que les procédures d'harmonisation se mettent en place, les débats sur les questions éthiques concernant l'utilisation des biomarqueurs du LCR et le rendu des résultats aux patients, surtout dès le stade de plainte de mémoire, constituent la prochaine étape.

LES BIOMARQUEURS PLASMATIQUES Intérêt diagnostique et pronostique des biomarqueurs plasmatiques Malgré les intérêts majeurs du LCR, l'utilisation de la PL comme test de dépistage en population semble peu envisageable. Face à cet argument, le dosage des biomarqueurs dans le plasma constitue un outil de choix. Toutefois, la

1 Lehmann S, Schraen S, Quadrio I, Paquet C, Bombois S, Delaby C, et al. Collection tube and biomarker cut-off impact for Alzheimer's disease diagnosis, soumis.

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A. Gabelle et al.

Démences et biomarqueurs

Figure 2. Représentation par courbe de ROC de la pertinence des biomarqueurs P-Tau (A) et Ab42 (B) pour discriminer les sujets MA versus non MA au sein de l'étude PLM dans les trois CMRRs (Paris-Nord, Lille et Montpellier). La P-Tau est meilleure que l'Ab42 et que la Tau (données non présentées) pour différencier les deux groupes de patients. En abscisse : la spécificité, en ordonnée : la sensibilité. CSF phospho-Tau : dosage de P-Tau dans le LCR ; CSF ABeta1-42 : dosage d'Ab42 dans le LCR.

pertinence des biomarqueurs plasmatiques pour le diagnostic positif et différentiel de la MA est encore soumise à débat (Mehta et al., 2000 ; Mayeux et al., 2003) limitant l'émergence d'un consensus dans ce domaine. L'intérêt prédictif de l'Ab40 et Ab42 comme facteur de risque de développer la MA semble plus convaincant. Ainsi, dans deux études longitudinales majeures dont la Rotterdam Study, un ratio bas d'Ab42/Ab40 plasmatique est associé à un risque augmenté de démence (Van Oijen et al., 2006 ; Lambert et al., 2009). Les taux d'Ab42, Ab40 et leur ratio semblent également de bons facteurs prédictifs de conversion entre le MCI et la MA. Ainsi un ratio Ab42/ Ab40 bas implique un risque augmenté de conversion (Schupf et al., 2008). Dans une étude « cas-cohorte » (133 patients présentant une démence incidente, suivis pendant deux ans) à partir des 9294 sujets de l'étude 3C, nous avons montré une association entre des concentrations plasmatiques élevées d'Ab40 et d'Abn-42 et un statut cognitif plus faible (évalué par la fluence verbale) deux ans avant le diagnostic de MA (Gabelle et al., 2013a, b). Une association entre des concentrations faibles d'Ab42, d'Abn-42 et le risque de déclin cognitif rapide a également été mise en évidence chez les sujets non déments mais qui vont convertir vers la MA au cours des deux ans de suivi (Gabelle et al., 2013a, b). Ces données nécessitent d'être reproduites sur un plus large échantillon mais l'utilisation des biomarqueurs plasmatiques comme outil prédictif du déclin cognitif et en particulier des patients « déclineurs rapides » semble des plus prometteuses.

Les limites des biomarqueurs plasmatiques Malgré le foisonnement des recherches dans ce domaine, les techniques ne permettent de doser que les peptides amyloïdes, les concentrations de Tau ou de P-Tau n'étant pas pleinement détectables. Il est également essentiel d'être vigilant sur les données pré-analytiques et analytiques de détection et de mesure plasmatiques des peptides Ab qui sont dépendantes de facteurs confondants. La capacité de liaison non

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spécifique de l'Ab42 aux protéines plasmatiques est connue. Ces liaisons peuvent masquer les épitopes détectables et le degré de masquage peut varier avec les conditions métaboliques de chaque individu. Il persiste également des incertitudes quant à la nature précise des Ab mesurées par les anticorps : monomériques, oligomériques ou les deux. Toutefois, les avancées technologiques de ces dernières années dans ce domaine sont garantes de l'avenir prometteur des biomarqueurs plasmatiques dans le champ diagnostique et pronostique des affections neurodégénératives.

CONCLUSION Les avancées dans le domaine des biomarqueurs des maladies neurodégénératives et en particulier de la MA ouvrent de nouveaux champs diagnostiques in vivo et commencent à impacter notre raisonnement clinique diagnostique. Avant l'avènement de ces marqueurs, la précision du diagnostic dépendait de notre expertise clinique, des données d'interrogatoire, des tests neuropsychologiques et du suivi. Désormais, les diagnostics réalisés en consultation mémoire spécialisée tendent à associer également les résultats des biomarqueurs du LCR, de l'imagerie morphologique et fonctionnelle. L'analyse combinatoire des marqueurs biologiques et d'imagerie dépend de l'accès aux plateaux techniques et de l'expertise du clinicien dans ces nouveaux domaines. Il est nécessaire de rappeler que l'HAS ne recommande l'utilisation du dosage des biomarqueurs dans le LCR que pour les cas atypiques et chez les sujets jeunes. Les nouveaux critères diagnostiques de la MA intégrant les biomarqueurs sont uniquement évalués en recherche. L'évaluation de la pertinence de l'utilisation des biomarqueurs en pratique clinique de routine représente l'étape suivante. L'étude PLM (CMRR de Paris-Nord, Lille et Montpellier) a déjà permis de répondre à des questions majeures dans ce domaine. L'écriture des

Pratique Neurologique – FMC 2013;4:65–72

Points essentiels  L'utilisation des biomarqueurs dans la maladie











d'Alzheimer doit nous permettre de passer d'une entité clinico-pathologique à un concept d'entité clinico-biologique. Les nouveaux critères diagnostiques de la maladie d'Alzheimer intégrant les biomarqueurs sont uniquement évalués en recherche. Parmi les trois types de biomarqueurs : biologiques, d'imagerie morphologique et fonctionnelle, seuls les biomarqueurs du LCR reflètent in vivo les deux lésions neuro-pathologiques caractéristiques du processus Alzheimer. L'évaluation de la pertinence de l'utilisation des biomarqueurs en pratique clinique de routine dans nos centres Mémoire est en cours. L'étude PLM (Paris-Nord, Lille et Montpellier) combinant les données clinico-biologiques de plus de 1200 patients cognitifs permet d'avancer des réponses concernant la pertinence de l'utilisation des trois biomarqueurs du LCR en consultation Mémoire. Un consensus français sur l'harmonisation des procédures limitant l'impact des facteurs préanalytiques du dosage des biomarqueurs du LCR sera bientôt disponible.

recommandations de ce groupe de travail dans le champ de l'utilisation en pratique des biomarqueurs est en cours au niveau français et européen. Déclaration d'intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article. Remerciements Remerciements à l'ensemble de l'équipe PLM : CMRR de Paris-Nord : Dr Julien Dumurgier, Dr Claire Paquet, Pr Jacques Hugon, Dr Katell Peoc'h, Pr Jean-Louis Laplanche ; CMRR de Lille : Dr Olivier Vercruysse, Dr Stéphanie Bombois, Pr Florence Pasquier, Dr Susanna Schraen, Pr Bernard Sablonnière, Pr Luc Buée. Remerciements aux Pr Joël Ménard, Pr Hervé Maisonneuve, Pr Jean Marie Goehrs, Pr Patrick Trunet et Pr Annick Alpérovitch pour leur soutien dans la réalisation de cette étude. Remerciements à la Fondation du Plan Alzheimer.

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