Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez l’enfant : expérience du Sessad l’Essor

Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez l’enfant : expérience du Sessad l’Essor

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2009) 57, 85—90 MISE AU POINT Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez...

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2009) 57, 85—90

MISE AU POINT

Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez l’enfant : expérience du Sessad l’Essor Cognitive and behavioural effects in childhood epilepsy: The case study based experience of the Sessad l’Essor D. Coste-Zeitoun ∗, I. Bennoun , M.-C. Clément Sessad-l’Essor, 45, rue des Bergers, 75015 Paris, France

MOTS CLÉS Épilepsie ; Enfant ; Troubles cognitifs ; Troubles du comportement ; Troubles psychologiques

KEYWORDS Epilepsy; Child; Cognitive disorders; Behavioral disorders;



Résumé L’épilepsie est une maladie neurologique fréquente dont les répercussions sur le dé veloppement affectif et cognitif de l’enfant ont longtemps été méconnues. La genèse des troubles cognitifs et comportementaux chez l’enfant ayant une épilepsie est souvent d’origine multifactorielle : leur compréhension et leur prise en charge nécessitent une évaluation et une approche pluridisciplinaires tenant compte à la fois des facteurs neurologiques, cognitifs, mais aussi psychoaffectifs. À partir de la description d’un travail en équipe pluridisciplinaire en Sessad, illustré par la présentation d’un cas clinique, les auteurs soulignent l’importance pour les professionnels concernés d’avoir une connaissance des différents aspects de la maladie, de collaborer entre eux pour élaborer un projet thérapeutique adapté, en partenariat avec les parents et l’école. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Epilepsy is a frequent neurological pathology whose effects on affective and cognitive development of the child have long been underestimated. The origin of the cognitive and behavioral disorders of children diagnosed with epilepsy is often multifactorial: the identification and the treatment of these disorders require a multidisciplinary assessment and approach, which would take into consideration neurological, cognitive, as well as psychological factors. Based on the multidisciplinary approach employed by the professionals of the Sessad, the study

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Coste-Zeitoun).

0222-9617/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.11.008

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D. Coste-Zeitoun et al.

Psychological disorders

of a clinical case is presented in this article. The authors stress the importance for each professional concerned to have a knowledge of the different dimensions of the illness, as well as to collaborate with other colleagues, the parents and the school in order to develop a comprehensive therapeutic program tailored to the individual child. © 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Abréviations QIV QIP EEG SLK POCS

quotient intellectuel verbal quotient intellectuel performance électroencéphalographique syndrome de Landau-Kleffner syndrome des pointes ondes continues du sommeil

Introduction L’épilepsie est une maladie neurologique fréquente qui touche 500 000 personnes [1] en France dont 4000 nouveaux enfants chaque année [2]. On devrait en fait parler « des épilepsies » tant les manifestations cliniques, les causes et les répercussions sur le développement sont variées. Chez l’enfant, des troubles cognitifs et comportementaux sont souvent associés, responsables de difficultés dans les apprentissages et l’intégration scolaire [3]. La compréhension des épilepsies a beaucoup évolué au cours de l’histoire, au gré des croyances ancestrales et des progrès dans la connaissance du développement neurologique et psychologique de l’enfant. On notera avec intérêt les remarques de Freud qui, dans « Dostoïevski et le parricide » en 1928 [4], considère les crises comme « un mécanisme de décharge pulsionnelle préformé organiquement » auquel l’organisme a recours dans deux cas : lésion ou « domination insuffisante de l’économie psychique ». Freud faisait déjà là l’hypothèse d’une origine plurifactorielle de l’épilepsie tout à fait d’actualité. L’essor des neurosciences (neuroimagerie, neuropsychologie, génétique. . .) a transformé radicalement la compréhension des épilepsies et de leurs conséquences. Les progrès de la neurochirurgie permettent également maintenant de guérir certaines épilepsies focales lésionnelles. Néanmoins, il reste essentiel de continuer à prendre aussi en compte les aspects psychologiques liés à cette maladie, dont il a été montré combien ils influent sur la qualité de vie de ces patients et de leur famille [5]. C’est cette approche pluridisciplinaire qu’essaie de mettre en œuvre l’équipe du Sessad-l’Essor.

Prendre en compte l’intrication des facteurs neuropsychologiques et psychoaffectifs : l’exemple de l’équipe pluridisciplinaire du Sessad-l’Essor Ce Sessad a été créé en 2001 pour répondre aux besoins des enfants ayant une épilepsie et des difficultés d’intégration scolaire et sociale, malgré le plus souvent des capacités intellectuelles normales ou subnormales. L’épilepsie reste

encore une maladie mal connue, mal comprise de la société en général, des enseignants et des professionnels entre autres : peur des crises, difficultés cognitives ou psychologiques mal évaluées et trop souvent prises en compte séparément. L’équipe est composée d’un directeur issu de l’Éducation nationale, de deux médecins (neuropédiatre et pédopsychiatre), d’un neuropsychologue, d’un psychologue clinicien—psychothérapeute, d’orthophonistes, de psychomotriciens, d’éducateurs spécialisés et d’une secrétaire responsable de l’accueil. La prise en charge par le Sessad repose sur une complémentarité des approches : une évaluation neuropédiatrique et neuropsychologique fine permet de faire l’hypothèse des liens possibles entre l’épilepsie et les troubles cognitifs et/ou comportementaux observés. Une consultation pédopsychiatrique, éventuellement complétée par un bilan psychologique, précise le développement antérieur de l’enfant, la fac ¸on dont il vit sa maladie, la représentation et la place qu’elle prend dans l’histoire personnelle et la dynamique familiale. Ces évaluations, complétées par des bilans plus spécifiques, conduisent à la mise en place d’un projet thérapeutique personnalisé. Ce projet est régulièrement réévalué, en partenariat avec les parents et l’école. Des consultations régulières en binôme neuropédiatre—pédopsychiatre symbolisent cette volonté de prendre en compte les différents aspects du suivi.

Les troubles cognitifs et comportementaux dans les épilepsies de l’enfant : aspects neurologiques Les épilepsies infantiles touchent un cerveau en pleine maturation à une période « critique » pour le développement cognitif et psychique de l’enfant. Les progrès dans la connaissance de la maturation cérébrale du fœtus, du nouveau-né et du très jeune enfant mettent en évidence à la fois la très grande plasticité du cerveau à cet âge, mais aussi sa grande fragilité [6,7]. La survenue d’une épilepsie précoce peut entraîner des modifications du cerveau au niveau cellulaire, avec des conséquences sur le plan de l’épilepsie elle-même (chronicisation des crises par persistance de neurones immatures hyperexcitables), mais aussi sur le plan fonctionnel (altération du développement de la fonction cognitive supportée par la région cérébrale impliquée dans l’épilepsie), avec des conséquences à long terme sur le développement de l’enfant alors même que l’épilepsie est guérie [6,7]. Par ailleurs, il a été montré que les modalités des interactions précoces mère—enfant avaient des consé-

Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez l’enfant : expérience du Sessad l’Essor quences sur l’organisation des circuits neuronaux [8] : on peut donc craindre les effets sur ceux-ci de l’interaction anxieuse souvent générée par la survenue d’une épilepsie précoce. On comprend donc aisément pourquoi la survenue d’une épilepsie peut être un risque majeur de trouble du développement cognitif, affectif, et des apprentissages. Une crise d’épilepsie peut se manifester par des troubles du comportement et/ou des troubles cognitifs. Certaines régions cérébrales sont directement impliquées dans la gestion des émotions ou du comportement (circuit limbique, aire cingulaire, cortex frontal) : une décharge critique concernant ces régions peut être responsable d’une véritable « crise comportementale ». Dans l’épilepsie frontale par exemple, on peut observer un comportement moteur désordonné avec vocalisations, cris, modifications de la mimique. Un trouble du langage oral (dysarthrie, manque du mot par exemple) peut persister de fac ¸on transitoire après la « phase comportementale ». On peut également observer des manifestations à type « d’acte forcé » pouvant à l’extrême mimer un véritable comportement obsessif compulsif [9]. Des manifestations à type d’hallucinations auditives, associées à une sensation de frayeur, voire de terreur sont souvent rapportées dans les épilepsies temporales. Le caractère stéréotypé des symptômes chez un même patient est sûrement l’un des critères les plus importants pour évoquer le diagnostic d’épilepsie. Il faut également retenir la durée courte des épisodes (quelques minutes), le début et la fin relativement brusques. L’association à un mâchonnement, à des clonies, à une perte d’urines, le caractère souvent nocturne dans le cas des épilepsies frontales par exemple, doivent également mettre sur la voie du diagnostic. Il peut cependant parfois être difficile de différencier de véritables crises épileptiques nocturnes, d’autres manifestations survenant la nuit (cauchemars, terreurs nocturnes, accès de somnambulisme). Une consultation auprès d’un spécialiste et un enregistrement EEG de nuit avec vidéo peuvent alors s’avérer très utiles. En dehors des manifestations des crises elles-mêmes, certains troubles comportementaux et troubles cognitifs ont un lien direct avec le type d’épilepsie et les zones cérébrales impliquées. Certaines épilepsies sont classiquement associées à une déficience intellectuelle avec trouble du comportement et/ou trouble du développement de la personnalité. L’altération du fonctionnement de certaines régions cérébrales a été suggérée pour expliquer ces troubles cognitifs et du comportement [10] : régions occipitales gérant la perception et l’analyse des informations visuelles dans le syndrome de West, souvent associé à un tableau pseudo autistique ; régions frontales gérant les capacités d’inhibition et d’organisation, d’adaptation à l’environnement, dans le syndrome de Lennox-Gastaut, connu pour l’intensité des troubles comportementaux associés (impulsivité, agitation psychomotrice, désinhibition. . .). Il faut également signaler deux syndromes épileptiques particuliers : le SLK et le syndrome des POCS [11] caractérisés par : • l’association de crises peu fréquentes (pouvant survenir dès le début de la maladie ou au cours de son évolution) ;

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• des anomalies importantes sur l’EEG majorées par le sommeil et localisées dans les régions temporales ; • une dégradation sur le plan cognitif. Ces épilepsies commencent, en général, entre deux et huit ans. Dans le SLK, chez des enfants sans antécédents particuliers, survient une altération du langage auparavant acquis, avec trouble majeur de la compréhension pouvant aller jusqu’à l’agnosie auditive et trouble de l’expression pouvant aller jusqu’au mutisme. Des troubles du comportement sont souvent associés, pouvant faire suspecter un trouble envahissant du développement. Le diagnostic de SLK est essentiel à faire car il s’agit d’une pathologie neurologique curable. Le traitement spécifique et la rééducation orthophonique intensive visent respectivement à « nettoyer » l’EEG et à permettre la « réémergence » du langage. Dans le cas du syndrome de POCS, les altérations cognitives peuvent être plus globales ou toucher d’autres aires cérébrales (régions frontales par exemple), donnant alors un tableau clinique moins typique de fléchissement scolaire inexpliqué. L’épilepsie à pointes centrotemporales doit être rapprochée de ce cadre nosologique en raison des anomalies EEG parfois importantes durant le sommeil. C’est l’épilepsie idiopathique la plus fréquente chez l’enfant, représentant 8 à 23 % des épilepsies de l’enfant de moins de 16 ans [12]. Dans cette épilepsie bénigne, liée à l’âge, les anomalies EEG nettement majorées par le sommeil sont parfois comparables à ce que l’on observe dans le syndrome de POCS. Des troubles cognitifs spécifiques (trouble de la motricité fine, de la mémoire de travail, du langage oral et/ou écrit) peuvent alors être mis en évidence, pendant la phase active de la maladie, mais peuvent également persister, parfois même après la guérison de l’épilepsie [13]. La notion de stagnation/régression cognitive, avec ou sans crises d’épilepsie apparentes, chez un enfant au développement antérieur normal, doit faire évoquer la possibilité d’une épilepsie et amener à réaliser un EEG de veille et de sommeil. Dans d’autres cas, les troubles cognitifs sont beaucoup plus spécifiques [14] : • dans les épilepsies frontales, les difficultés comportementales sont liées à un dysfonctionnement des capacités exécutives1 : désinhibition, agressivité, impulsivité, provocation ou passivité, apathie, persévérations. Des troubles de l’attention, de la planification, de la flexibilité mentale, de la motricité fine, de l’organisation du discours sont également possibles, responsables de difficultés scolaires en particulier dans les domaines nécessitant une certaine méthodologie (mathématiques) ; • dans certaines épilepsies temporales, on peut observer une faible efficience mnésique avec des déficits spécifiques en fonction de la latéralité du foyer épileptique : trouble de la mémoire auditivoverbale dans les épilep-

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Fonctions exécutives : fonctions cognitives permettant l’anticipation, la planification et l’exécution d’une action dans une situation nouvelle et/ou complexe.

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D. Coste-Zeitoun et al. sies temporales gauches et de la mémoire visuelle dans les épilepsies temporales droites. Des difficultés sur le plan du langage oral et écrit peuvent également être présents (manque de vocabulaire, difficultés de lecture, d’expression écrite. . .).

Par ailleurs, l’épilepsie temporale est associée à une plus grande fréquence de troubles psychopathologiques (troubles du comportement à type d’impulsivité, agressivité, hyperactivité, troubles de la personnalité, manifestations anxiodépressives. . .) [15] ce qui concourt également à un risque plus élevé de difficultés scolaires et de troubles des apprentissages, indépendamment du potentiel cognitif. Enfin, les effets secondaires des traitements antiépileptiques doivent toujours être pris en compte dans l’analyse des troubles cognitifs et comportementaux, en raison de leurs conséquences potentielles sur la mémoire, les capacités d’attention, la vigilance en particulier.

Les troubles cognitifs et comportementaux dans l’épilepsie : aspects psychoaffectifs En dehors de certains syndromes épileptiques bien identifiés, déjà cités, les symptômes associés aux épilepsies n’ont pas de spécificité dans leur expression : agitation, opposition, agressivité ou au contraire, inhibition, retrait, comportements phobiques ou obsessionnels. . . Ils sont retrouvés chez nombre d’enfants en grande fragilité psychique, quelle qu’en soit la cause, avec les mêmes conséquences néfastes sur les apprentissages. Ces troubles doivent être cependant analysés de fac ¸on particulière dans l’épilepsie. Les troubles cognitifs et/ou comportementaux peuvent être directement liés au siège du dysfonctionnement cérébral, comme cela a été évoqué précédemment. Les progrès des neurosciences permettent aussi de mieux comprendre les liens entre stress, anxiété, dépression, et épilepsie [16], en particulier dans les épilepsies temporales connues depuis longtemps pour être associées à des troubles psychiques. Une revue récente de la littérature [17] a ainsi montré que ces troubles pouvaient être à la fois secondaires au stress engendré par la crise et liés à la perturbation des structures limbiques par les décharges épileptiques. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour, en lien avec les neurologues, analyser de fac ¸on plus rigoureuse la psychopathologie liée aux affections neurologiques, et en particulier aux épilepsies. L’épilepsie est souvent un facteur de grande fragilité narcissique. Cette fragilité peut être liée au vécu des crises par l’enfant et par son entourage. La crise d’épilepsie, du fait de sa survenue soudaine et imprévisible, de sa violence, de l’angoisse de mort qu’elle suscite immédiatement, des angoisses archaïques qu’elle réactive, est souvent vécue comme un séisme dans la vie psychique de l’enfant et de sa famille et constitue un véritable traumatisme psychique. La perte de la maîtrise du corps, le vécu de discontinuité temporelle avec parfois même perte temporaire des repères identitaires au cours des crises, rendent plus délicats la constitution et/ou le maintien d’une bonne sécurité interne.

L’exposition au regard des autres au moment de ces crises est aussi facteur d’angoisse et de honte. De plus, les enfants arrivent au Sessad avec une image très dévalorisée d’eux-mêmes comme élèves, du fait de leurs difficultés scolaires mal évaluées et mal comprises. Le plus souvent, ni eux, ni leur entourage familial et scolaire ne font le lien entre ces difficultés et l’épilepsie. Ils ont en effet une représentation très confuse de cette maladie qui touche leur cerveau, siège des émotions et de la connaissance : angoisse d’avoir « un cerveau abîmé », « un corps sur lequel on ne peut pas compter », peur d’« être fou » ou considéré comme tel par leurs pairs. Ils se sentent différents, isolés, incompris. Par ailleurs, la survenue d’une épilepsie a un impact important sur la relation entre l’enfant et ses parents, impact qui sera fonction de leur histoire et de leur fonctionnement psychique personnel, ainsi que de la représentation qu’ils se font de cette maladie. Des liens très ambivalents se tissent entre eux générant souvent une surprotection excessive, pouvant entraver l’autonomisation, voire la capacité propre de penser de l’enfant. La crainte des crises, la difficulté à faire la part, dans les difficultés scolaires et comportementales, de ce qui revient à l’épilepsie et de ce qui revient à l’évolution normale d’un enfant, entraînent souvent.chez les adultes une difficulté à poser des limites, ce qui redouble l’insécurité de l’enfant. Chez l’enfant, les conflits intrapsychiques liés aux étapes de son développement affectif, au contexte familial, s’intriquent avec les fantasmes liés à la maladie : culpabilité, agressivité, angoisse de décevoir ou d’inquiéter les parents, perte de l’estime de soi. Certains enfants expriment ces conflits par des troubles du comportement. D’autres trouvent dans la maladie et les difficultés qui en découlent des bénéfices secondaires pour garder un lien privilégié de dépendance avec leurs parents, consolation à leur sentiment d’échec et à leur insécurité. Enfin, malgré la progression des connaissances scientifiques sur les épilepsies, le mot « épilepsie » inquiète encore et suscite des réactions négatives que l’enfant perc ¸oit. De nombreux facteurs interviennent donc dans la structuration psychique et le fonctionnement de l’enfant présentant une épilepsie : le type de celle-ci, sa gravité, l’âge auquel elle survient mais aussi la qualité de la relation parent—enfant en seront des éléments essentiels [18].

Pour illustrer Pour illustrer des facteurs neurologiques et psychologiques, personnels et familiaux, impliqués dans les difficultés d’apprentissage et de comportement des enfants avec épilepsie, voici le cas de Roméo, suivi au Sessad de l’âge de cinq ans et demi à l’âge de 11 ans. Lors de la première rencontre au Sessad, Roméo est scolarisé en grande section de maternelle. Il a une épilepsie partielle lésionnelle symptomatique d’une dysplasie occipitale droite et l’école s’inquiète de son entrée en CP. Les crises sont peu fréquentes : sensation de malaise qui annonce la crise, pâleur, regard fixe, clonies d’un membre, éventuellement perte de connaissance et chute. D’emblée, nous sommes frappés par l’aspect de Roméo, jeune garc ¸on un peu obèse, très inhibé, au sourire plaqué. Très vite la

Les conséquences cognitives et comportementales de l’épilepsie chez l’enfant : expérience du Sessad l’Essor maman nous fait part de sa conviction que Roméo est atteint d’une maladie grave, évolutive, qu’on lui cache. La première évaluation neuropsychologique met en évidence des difficultés assez globales à la fois sur le plan verbal (QIV76) et non verbal (QIP85). Roméo a du mal à se repérer dans le temps et l’espace, le geste graphique est difficile, en particulier en copie, en lien avec des difficultés d’analyse visuospatiale2 . Lors du bilan psychologique réalisé quelques mois après l’admission, Roméo ne s’exprime quasiment pas et banalise ses difficultés. Les tests projectifs laissent apparaître une problématique dépressive avec un défaut de représentation mentale, une grande violence contenue, une image paternelle très puissante et admirée mais à laquelle il lui est impossible de s’identifier du fait d’un collage à la mère qui reste prégnant. Une prise en charge globale est proposée : orthophonie, psychomotricité, groupe conte permettant à Roméo d’exprimer en sécurité ses difficultés en compagnie d’autres enfants présentant des difficultés similaires, soutien éducatif favorisant l’intégration scolaire et sociale. Des entretiens pédopsychiatriques avec la maman permettent d’élaborer ses angoisses de mort qui se révèlent en lien non seulement avec la maladie épileptique mais aussi avec le décès du grand-père maternel de Roméo, décès contemporain de la naissance de celui-ci. En CP, Roméo apprend à lire mais se trouve en difficulté en mathématiques. La deuxième évaluation neuropsychologique réalisée alors qu’il est en CE1 montre de nets progrès sur le plan verbal (QIV89), permettant un arrêt de l’orthophonie, mais les troubles visuospatiaux persistent (QIP77). L’année de CE2 est difficile : l’enseignante a du mal à comprendre ses difficultés et à adapter sa pédagogie. Par ailleurs, Roméo est en butte aux moqueries d’élèves de sa classe. Il doit redoubler le CE2. L’évaluation neuropsychologique faite en cours d’année met en évidence un ralentissement net des acquis avec une stagnation des chiffres de QI (QIV79—QIP81). On y constate, par ailleurs, des difficultés exécutives : manque de flexibilité mentale, difficultés en mémoire de travail, dans le maintien de stratégies, persévérations tandis que les capacités de planification sont préservées. Un suivi psychothérapeutique individuel est mis en place à la demande de Roméo et se poursuit pendant trois ans : il peut élaborer progressivement sa problématique dépressive. Il prend confiance en lui comme garc ¸on et peut s’identifier à une image paternelle très valorisée. Le père présent lors des consultations en binôme (neuropédiatre et pédopsychiatre) prend une place de plus en plus active auprès de son fils. Roméo poursuit sa scolarité en CM1 et en CM2. Peu à peu, il prend de l’assurance, s’épanouit, s’ouvre aux autres. Il n’a pas refait de crises depuis deux ans et commence à envisager, malgré ses difficultés persistantes en mathématiques, son avenir dans le secondaire. La dernière évaluation neuropsychologique réalisée en CM2 met en évidence un gain de 25 points en verbal (QIV101). Il persiste des difficul-

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Analyse visuospatiale : concerne le traitement des informations visuelles et spatiales, en particulier, ici, la prise des informations visuelles (au tableau par exemple) et leur gestion sur la feuille.

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tés sur le plan visuospatial (QIP86), en lien avec son foyer épileptique occipital, comme cela était apparu dès les premières évaluations. Les difficultés sur le plan exécutif ont disparu, sauf la mémoire de travail qui reste faible. Cette observation suscite plusieurs remarques : • la prise en compte des différentes composantes des difficultés de Roméo par une même équipe a permis une alliance thérapeutique de plusieurs années avec les parents ; • le fait d’avoir pu suivre Roméo dans la durée est fondamental car cela a permis par la comparaison des différentes évaluations : ◦ de mettre en évidence la permanence de difficultés sur le plan non verbal alors que le niveau verbal, malgré une stagnation transitoire, s’améliore de fac ¸on significative : la dissociation nette QIV/QIP sur la dernière évaluation signe la spécificité des troubles cognitifs en lien avec l’épilepsie, ◦ de reconsidérer l’origine de troubles dysexécutifs évoqués lors de la troisième évaluation neuropsychologique et non retrouvés par la suite. En effet, ceux-ci sont connus pour être le plus souvent « résistants » à tout type de prise en charge [15]. Ne sont-ils pas plutôt ici les symptômes d’une dépression, avec perte d’autonomie de pensée, difficulté à mettre en place des stratégies, persévérations, manque de flexibilité mentale, mimant alors un syndrome dysexécutif ? ◦ d’adapter au fil des années de fac ¸on souple le projet thérapeutique aux difficultés cognitives et psychoaffectives de Roméo.

Conclusion Les troubles cognitifs et comportementaux dans l’épilepsie sont fréquents et d’analyse complexe, nécessitant une évaluation multidisciplinaire tenant compte des différents facteurs en jeu, dans une perspective évolutive. Les intervenants confrontés à ces situations doivent pouvoir travailler en collaboration étroite, tout en respectant l’identité de chacun : ils y gagnent une meilleure alliance thérapeutique avec l’enfant et sa famille. Par ailleurs, une meilleure information sur cette pathologie et sur les troubles associés devrait améliorer considérablement la qualité de vie des patients et de leur famille.

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