Thérapies comportementales et cognitives de l’anorexie mentale

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Nutrition clinique et métabolisme 21 (2007) 172–178

Thérapies comportementales et cognitives de l’anorexie mentale Cognitive behavioral therapies for mental anorexia Thierry Léonard CMME, 100, rue de la santé, 75014 Paris, France Disponible sur Internet le 11 avril 2008

Résumé Mener une thérapie comportementale et cognitive suppose que le patient souhaite changer son comportement et qu’il demande au thérapeute de l’y aider par une information, un soutien et des instructions. Cette démarche est rarement volontaire chez les patients souffrant d’anorexie mentale. Ces thérapies ont donc été adaptées à cette pathologie. La pratique des entretiens de motivation est aussi fondée sur une extrapolation à partir d’investigations portant sur d’autres pathologies, a priori proches. L’impression clinique partagée par les praticiens formés à ces méthodes est celle d’une facilitation de la conduite du traitement et un renforcement de ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique. Les problèmes posés par les particularités de l’anorexie mentale ont cependant pour effet de stimuler l’évolution des thérapies comportementales. Cette pathologie confronte les thérapeutes à la réalité tenace des contradictions et logiques irrationnelles qui sont en fait inhérentes à la pensée humaine. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract To lead a behavioral and cognitive therapy supposes that the patient wishes to change his behavior and that he asks to the therapist to help him by an information, a support and instructions there. This initiative is rarely voluntary at the patient’s suffering from anorexia nervosa. These therapies were thus adapted to this pathology. The practice of aspirational interviews is also lawful on an extrapolation from investigations concerning the other pathologies, a priori close. The clinical impression shared by the practitioners formed in these methods is the one of a facilitation of the behavior of the treatment and an intensification of what we call the therapeutic alliance. Problems posed by the particularities of the anorexia nervosa however have the effect of stimulating the evolution of the behavioral therapies. This pathology confronts the therapists with the firm reality of the contradictions and the irrational logics, which are inherent in fact to the human thought. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Anorexie mentale ; Tthérapie comportementale et cognitive ; Entretien de motivation Keywords: Anorexia nervosa; Cognitive-behavioral therapy; Motivational interview

1. Introduction Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont davantage une démarche, un état d’esprit, que des recettes établies pour modifier le comportement d’un individu. C’est pourquoi elles évoluent assez vite, au risque pour leurs auteurs de se voir reprocher des emprunts à d’autres écoles de thérapie. Les principes de la démarche comportementale et cognitive sont les suivants :

Adresse e-mail : [email protected]. 0985-0562/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2007.10.005

• une définition opérationnelle du ou des comportements qui posent problème (ici la sous-alimentation, les accès de boulimie, les conduites de contrôle du poids) ; • la mise en évidence des articulations entre cognitions (pensées verbales, représentations mentales), émotions, modifications physiologiques, comportement mis en acte, et environnement ; • la mise en évidence des cercles vicieux par lesquels ces articulations pérennisent les troubles ; • l’instauration d’une relation de partenariat entre le (la) thérapeute et la patiente ( l’emploi du féminin tient à la particularité épidémiologique de l’anorexie mentale [AM]) pour aider

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celle-ci à faire évoluer ses comportements vers des conduites plus compatibles avec sa santé physique et mentale ; • l’utilisation de questionnaires et d’échelles psychométriques pour tenter d’évaluer avec le plus d’objectivité possible les changements obtenus ; • la référence à des études validées et publiées pour le choix de la méthode proposée à la patiente. Les fondateurs des TCC avaient énoncé le principe dit de la boîte noire : les troubles du comportement seraient analysés en termes, d’une part de stimuli environnementaux (objets phobogènes, aliments évités. . .) ou internes (accélération de la fréquence cardiaque, idées obsessionnelles, idées fixes relatives au gras. . .), d’autre part de réponses comportementales et conséquences exerc¸ant un renforcement positif ou négatif sur le trouble en question. Les mécanismes psychiques étudiés par d’autres courants, comme les représentations symboliques porteuses de significations inconscientes ou les influences implicites exercées par les proches membres d’un système familial, étaient considérés comme inaccessibles à l’investigation scientifique, donc non vérifiables et par conséquent faisant partie de la boîte noire. La prise en compte des antécédents dans l’analyse fonctionnelle se limitait au relevé des éventuels troubles du même ordre chez les apparentés et au repérage des situations antérieures susceptibles d’avoir initialisé des sensibilisations latentes. La prétention à l’objectivité scientifique a fait et continue de faire l’objet de beaucoup de critiques. Les tenants de cette approche ont conscience aujourd’hui des limites des méthodes d’investigation et de validation des protocoles de soins proposés à leurs patients. L’inventaire des paramètres qui déterminent une conduite humaine ne peut, à l’évidence, être exhaustif et leur mesure ne peut avoir la rigueur des mathématiques quelle que soit la sophistication des modèles statistiques employés pour leur interprétation. L’adaptation aux psychothérapies des méthodes de comparaison de traitements empruntées à la pharmacologie soulève une multitude de problèmes que les chercheurs ne sont pas près de régler. Les comportementalistes s’attachent dès lors à cet état d’esprit dont il vient d’être fait mention. S’inspirer d’expériences soumises à évaluation — certes imparfaites et d’objectivité toute relative — dans le souci de limiter l’influence de croyances que ne manque pas de générer toute tradition quelle qu’elle soit. Les TCC appliquées au traitement de l’AM n’ont fait l’objet, à ce jour, que d’un très petit nombre d’études rigoureuses. Celles-ci suggèrent que les TCC réduiraient le risque de rechute après restauration du poids, mais leur supériorité sur d’autres formes de traitement — y compris le suivi de soutien non spécifique — auprès de patientes encore dénutries n’est pas établie [1]. Les recommandations de la part des experts dont elles bénéficient tiennent à l’extrapolation des bons résultats obtenus avec les TCC dans le traitement d’autres troubles du comportement et, dans une moindre mesure, de la boulimie. Cette dernière pathologie est en effet beaucoup plus étudiée que l’AM et diverses méta-analyses et conférences de consensus concluent à une relative supériorité de la TCC sur les autres méthodes soumises à investigation [2]. Relative en ce que l’avantage de la TCC dans le traitement des troubles du comportement alimen-

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taire (TCA) tient surtout à la rapidité des progrès alors que les résultats à long terme ne sont guère différents de ceux des thérapies concurrentes. Dans tous les cas, la moitié au moins des patientes restent symptomatiques, ce qui a de quoi décevoir, et les patientes, et les thérapeutes [3]. La médiocrité des résultats et le manque de données tiennent probablement à l’un des aspects essentiels de cette affection : l’ambivalence de la patiente face aux soins et une conduite morbide qui s’apparente à une opposition, un refus. Mener une TCC suppose que le patient souhaite changer son comportement et qu’il demande au thérapeute de l’y aider par une information, un soutien et des instructions. L’expérience montre que ces deux conditions ne sont pas réunies par la majorité des patientes souffrant d’AM. Les auteurs ont dû adapter en conséquence la démarche comportementaliste pour remédier à ce défaut de motivation. Nous présenterons ici les TCC de l’AM telles qu’elles sont pratiquées depuis 25 ans, puis leur évolution qui se généralise ces dernières années. 2. Les protocoles classiques Ils ont été proposés à partir des années 1980 (Garner, 1987, [29,30]) inspirés par les TCC des troubles anxieux et dépressifs et peu à peu modifiés pour mieux prendre en compte les spécificités des TCA. La question des rapports entre TCA d’une part, et troubles anxieux et/ou dépressifs d’autre part, a longtemps fait débat : s’agit-il d’un lien de causalité et, si oui, dans quel sens (les troubles anxiodépressifs provoquent-ils la survenue d’un TCA ou sont-ils induits par celui-ci) ? Ou bien, l’AM et la boulimie sont-elles des formes particulières d’un trouble obsessionnel compulsif, d’une phobie ou d’une dépression [4–6,27] ? L’idée que ces différents troubles correspondent à des entités nosologiques distinctes prévaut désormais, les uns et les autres s’entretenant mutuellement une fois la comorbidité développée [7]. Les études épidémiologiques et génétiques suggèrent chez ces patientes, comme chez leurs apparentés, l’existence de certains éléments de vulnérabilité en commun [8–10,31,32]. Quoi qu’il en soit, cela explique la prépondérance des notions de TCC pour les troubles anxieux et dépressifs dans les protocoles en application depuis presque trente ans. Il est possible de distinguer trois volets principaux dans les TCC de l’AM : • la renutrition et reprise de poids ; • la modification de l’image du corps ; • les relations interpersonnelles. Cette distinction est une simplification dans le but de rendre plus claire la présentation des TCC de l’AM, mais ces volets sont en réalité interdépendants et les actions concrètes menées auprès des patientes retentissent pour la plupart, à des degrés divers, sur chacun des ces volets (par exemple la prise d’un repas complet peut aussi poser le problème de l’affirmation de soi face à une voisine de table qui mangerait peu). Le lecteur pourra consulter les articles de Garner [29,30], Vitousek [34], Waller et Kennerley [2], Waller et al. [11].

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2.1. La renutrition Elle est menée, dans l’idéal, de manière empirique et en collaboration avec la patiente, c’est-à-dire que le thérapeute accompagne celle-ci dans l’exploration des effets produits par de nouveaux comportements qu’elle teste en séance ou entre les séances (par exemple la réintroduction d’un aliment évité). Une analyse fonctionnelle tente de mettre en évidence les évitements et restrictions alimentaires, les croyances et représentations dysfonctionnelles qui les sous-tendent ainsi que les conséquences internes (sensations, émotions) et externes (retentissement sur les relations interpersonnelles) exerc¸ant un renforcement positif ou négatif sur ces évitements ou restrictions. Un questionnement dit socratique guide la patiente dans la remise en question de ses cognitions et croyances dysfonctionnelles et la recherche d’alternatives rationnelles favorisant la conduite d’une renutrition. Le thérapeute aide la patiente à hiérarchiser les changements visés par difficulté croissante (réintroduction d’aliments ou des repas évités, augmentation des quantités, prise de suppléments diététiques. . .), puis à planifier leur mise en place selon un calendrier précis de plusieurs semaines. L’acronyme Smart résume la démarche : les objectifs comportementaux que se fixe la patiente doivent être spécifiques, mesurables, accessibles, réalistes et en temps limité de sorte qu’il soit possible de vérifier s’ils sont bien atteints aux échéances fixées. Le thérapeute demande à la patiente d’anticiper les difficultés prévisibles et d’envisager des solutions telles que limiter l’exposition à des situations à risque ou solliciter le soutien des proches dignes de confiance. Il lui demande aussi de prévoir des gratifications que la patiente s’accordera à chaque étape de sa progression (pallier de poids, abstinence en vomissement, prise de repas en société etc.) pour renforcer son engagement. Il l’informe sur les effets habituels de la renutrition (les œdèmes et leur retentissement sur la courbe de poids, la reconstitution précoce de masse grasse, les sueurs nocturnes, les troubles fonctionnels digestifs, la recrudescence paradoxale de parotidomégalie à l’arrêt des vomissements provoqués etc.) pour la rassurer et éviter qu’un effet de panique face à ces complications ne décourage la patiente. Le carnet alimentaire dans lequel la patiente consigne chaque jour toutes ses prises alimentaires est l’outil indispensable à toute TCC de l’AM. Il est bien précisé que ce document n’est pas un mouchard ni un rapport remis au thérapeute mais un rétroviseur à l’intention de la patiente, aussi indispensable à la conduite de la thérapie qu’à celle d’un véhicule. Un contrat thérapeutique est en principe rédigé, dans lequel sont mentionnés les objectifs, les moyens et les échéances (par exemple un poids cible, la réintroduction de certains types d’aliments, des conditions de repas comme réussir à manger au restaurant, ainsi que le nombre de semaines prévu pour y parvenir). Le contrat est signé par la patiente et son(ses) thérapeute(s). Les conduites de contrôles du poids — comme les vomissements provoqués, l’abus de laxatifs ou diurétiques et/ou l’exercice physique intensif — font l’objet d’une analyse fonctionnelle du même ordre et d’un programme de réduction progressive jusqu’à l’obtention d’un arrêt complet, en suivant une

démarche similaire. La thérapie est conduite en ambulatoire si l’état de santé de la patiente le permet et si des progrès tangibles sont constatés après quelques semaines de traitement. Une hospitalisation est sinon proposée. Ses indications sont les suivants : • une demande d’assistance et d’encadrement permanents pour surmonter des blocages émotionnels qui empêchent d’accomplir les tâches prescrites aux séances (la patiente souhaite augmenter et diversifier ses apports alimentaires mais ses peurs l’en empêchent) ; • un contexte familial trop conflictuel où les tensions contrarient l’engagement de la patiente dans le traitement ; • un état somatique trop alarmant pour poursuivre en ambulatoire. La démarche comportementale peut convenir aux conditions de l’hospitalisation : • l’exposition in vivo aux stimuli anxiogènes est facilitée (présence de soignant à la prise et/ou la préparation de repas, aux pesées, accompagnement pendant la digestion. . .) ; • la composition des repas peut être établie avec précision ; • un contrôle dit externe (assuré par la présence de tiers) des compulsions de vomissement ou d’exercice physique est facilité par la présence infirmière ; • un renforcement positif des progrès peut être induit par la mise à disposition de gratifications choisies avec la patiente. 2.2. L’image du corps Nombre d’études explorent les anomalies cognitives qui sous-tendent le trouble de l’image du corps présenté par les patientes anorexiques. Elles se jugent grosses en dépit d’une maigreur objective et cette perception semble en général sincère [12]. Des séances de confrontation à la réalité physique du corps sont proposées en utilisant divers procédés tels que la prise de photographies en sous-vêtements, l’enregistrement vidéo et/ou la modification d’images numériques sur écran (élargissements ou amincissements successifs de la silhouette pour développer une prise de conscience des biais de perception),cela avec l’accompagnement rassurant du thérapeute qui peut utiliser des techniques de relaxation pour le contrôle de l’anxiété. La restructuration cognitive portera aussi sur les fortes influences qu’exerce la société (médias, industrie de la mode et des cosmétiques, rivalité avec les pairs etc.) sur le jugement d’un individu [13,14]. Divers thèmes peuvent être ici abordés, comme la féminité, la beauté et la séduction, la reconnaissance sociale, l’incitation à la minceur et à la maîtrise du corps, la valeur symbolique de l’apparence corporelle. La liste n’est bien sûr pas exhaustive. Un questionnement vise à mettre à jour les représentations et croyances de la patiente, à lui faire évaluer leur pertinence — notamment en cherchant avec elle des moyens de tester la validité de ces croyances — et surtout à prendre conscience de leurs effets sur son quotidien et son développement personnel. Une réflexion du même type est ensuite appliquée aux points de vue alternatifs que la patiente peut proposer sur ces thèmes [28].

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Un postulat commun à la plupart des modèles de TCC pour les TCA est celui d’une sorte d’assimilation de l’estime de soi à l’image du corps chez ces patientes. Le sentiment de la valeur personnelle serait déterminé avant tout par la capacité à maîtriser ses instincts, en particulier celui de la faim et donc atteindre une minceur parfaite. Le souci excessif d’une perfection dans la minceur serait une manifestation entre autres d’une recherche de la performance et d’un perfectionnisme plus généraux qui peuvent s’appliquer également aux domaines scolaire, professionnel et sportif ou culturel [15,16]. Ces aspects de la psychopathologie font réapparaître la question des rapports avec les troubles obsessionnels compulsifs. Une conséquence pratique est la prise en compte de la rigidité psychique de ce type de perfectionnisme qui complique souvent la conduite de la thérapie (la renutrition est perc¸ue comme un renoncement à l’exigence de rigueur que cultive la patiente) et donc l’idée d’appliquer à ces patientes des techniques de TCC pour les troubles obsessionnels compulsifs. L’amalgame entre l’image du corps et le sens de l’identité en tant que personne conduit au troisième volet de la TCC de l’AM. 2.3. La modification de la relation aux autres Les notions de faible estime de soi et de troubles de la représentation de soi posent des problèmes de définition, de robustesse du concept et donc de fiabilité des mesures. Les données de la littérature expérimentale à ce sujet, si elles doivent être par conséquent interprétées avec beaucoup de prudence, recoupent l’impression clinique des praticiens qui entendent leurs patientes exprimer des idées de honte, d’infériorité et d’indignité de fac¸on très récurrente [17,12]. Les réussites académiques et professionnelles restent de peu d’effet, même si les patientes ont souvent conscience de leurs capacités intellectuelles voire physiques. Certaines peuvent même manifester une forme d’arrogance et laisser croire qu’elles tirent un sentiment de supériorité de leur discipline anorexique. La profonde dépréciation de soi qui sous-tend la quête incessante de reconnaissance retentit nécessairement sur les relations interpersonnelles. Une TCC inclut donc plusieurs séances consacrées à l’exploration des cognitions et émotions que suscitent les échanges interpersonnels au-delà des situations mettant en jeu le comportement alimentaire. Un carnet où sont consignées en trois colonnes situations/émotions/pensées automatiques et le questionnement socratique permettent de mettre en évidence les processus cognitifs qui rendent la patiente vulnérable à des situations de son quotidien. Les postulats silencieux sous-jacents (règles implicites, rigides, qui déterminent la fac¸on de se définir soi-même, le monde et d’appréhender les comportements d’autrui) sont recherchés et leur pertinence est ensuite soumise à l’épreuve de la logique et de confrontation à des faits. Un entraînement à l’affirmation de soi et à la gestion du stress, avec notamment des jeux de rôle, prépare la patiente à tester en situation réelle les nouveaux points de vue envisagés (par exemple l’expression d’émotions ou de refus qu’elle s’interdisait jusque-là). Dans la restructuration cognitive avec les patientes anorexiques, l’accent doit être mis sur les effets et conséquences pratiques de leurs croyances et postulats plutôt que sur le manque

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de validité en logique pure. Elles ont en général bien conscience du caractère irrationnel de leurs pensées mais cette lucidité ne suffit pas à modifier leurs comportements. 3. Évolutions des TCC de l’AM 3.1. Les entretiens de motivation Une évolution remarquable des TCC est l’attention explicite portée aux motivations de l’individu qui demande une thérapie. La faiblesse des résultats dans le traitement des addictions a conduit certains cliniciens à étudier plus en détail les ressorts de l’engagement et de la résistance de leurs patients dans la conduite de la thérapie. Dans les années 1980, Miller et Rollnick ont formalisé une méthode d’entretiens pour favoriser le premier et réduire la seconde, méthode qu’ils ont présentée dans un ouvrage qui reste le manuel de référence encore aujourd’hui : Motivational Interviewing. . . [20] L’équipe londonienne du Maudsley Hospital [21,33] a proposé à partir de 1995 une application aux TCA de cette méthode déjà amplement validée dans le traitement des addictions. Les notions suivantes constituent les fondements de cette approche : • l’ambivalence constatée chez les patients n’est pas une anomalie caractéristique des patients mais la manifestation d’un phénomène universel, exacerbé par les relations avec les proches et les thérapeutes dans le cas des personnes souffrant d’addictions ou de TCA ; • la résistance, qui désigne l’ensemble d’attitudes et réactions par lesquelles un patient freine ou contrarie la progression du traitement, ne serait pas non plus une particularité des sujets soumis à une dépendance mais le produit de confrontations successives avec les proches et/ou thérapeutes ; • la réactance (reactance en psychologie sociale de langue anglaise) serait aussi une manifestation observable chez tout individu, étudiée à grande échelle en particulier aux ÉtatsUnis dans les années 1960 et 1970 : un réflexe visant à préserver le sentiment de liberté de choix — pour un objet, une conduite, ou une opinion, par exemple — qui peut conduire un individu à abandonner une préférence spontanée au profit de l’option que quelqu’un ou quelque chose menace de retirer de son choix. Diverses expériences montrent que l’individu peut n’avoir aucune conscience de cette opposition réflexe à une influence ou contrainte externe. Obstacles au changement des conduites, ces trois manifestations pourraient devenir des leviers de la thérapie si une manière différente de conduire les entretiens cliniques désamorc¸ait les confrontations entre patient et thérapeute et développait, au contraire, le sentiment de liberté et de responsabilité personnelle dans l’exploration de son ambivalence — reconnue comme strictement normale — chez l’individu en demande de soins. Les entretiens de motivation (EM) consistent donc à aider un patient à examiner, lui-même, ses raisons de maintenir en état ses habitudes de consommation et celles d’y renoncer au contraire, pour mettre d’autres habitudes plus en accord avec les représentations qu’il a de lui-même, ses valeurs et ses aspirations

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profondes [18–20,33]. Les cinq principes fondamentaux en sont les suivants [30] : • exprimer de l’empathie (faire savoir à la patiente que l’on cherche à connaître son point de vue et qu’on lui reconnaît le droit de penser, croire, ressentir ce qu’elle pense, croit et ressent — sans nécessairement approuver mais en respectant sa liberté d’opinion et en manifestant une curiosité sincère pour ses représentations du problème) ; • stimuler chez elle le développement d’une conscience de ses contradictions ; • éviter le débat contradictoire ; • composer avec la résistance (par de simples réactions en écho à ses propos) ; • renforcer chez elle une confiance en soi et un sentiment d’efficience. L’EM est avant tout un climat que l’on instaure, propice à la spontanéité de la parole et à la confidence, pour que la patiente puisse s’entendre énoncer elle-même ses contradictions (entre, d’une part, ses aspirations, ses valeurs, l’idée qu’elle se fait d’elle-même ou de ce qu’elle voudrait être et, d’autre part, la réalité de ce qu’elle vit sous les contraintes de ses habitudes anorexiques). À cette fin, le thérapeute laisse la patiente s’exprimer d’abord sur ses préoccupations, inquiétudes, arguments, choix, décisions et responsabilités [21]. Il évite l’enchaînement de questions et même la forme interrogative habituelle (« parlezmoi de vos habitudes de repas si vous le voulez bien. . . » plutôt que « quelles sont vos habitudes alimentaires ? »), préférant avancer une réponse qu’il pressent en fonction de ce que la patiente vient de dire ou exprime comme émotion, laissant libre la patiente de confirmer ou infirmer son intuition (au lieu de « que ressentez-vous quand vos parents insistent pour vous faire finir votre plat ? », le thérapeute avance « l’insistance de vos parents pour vous faire finir un plat vous contrarie beaucoup . . . ». Celà permet de créer une atmosphère de conversation, dans laquelle la patiente sent son thérapeute plus proche ou plus en phase avec elle (Miller et Rollnick parlent d’un tuning), où les deux interlocuteurs sont comme côte-à-côte pour explorer le problème et non plus dans le face-à-face — même bienveillant — d’une séance. Il est recommandé de faire écho à, reformuler, et périodiquement résumer ce que dit la patiente en se gardant bien d’interpréter. On entend par interpréter le fait de suggérer à la patiente qu’elle penserait ou ressentirait dans l’implicite autrement que ce qu’elle dit explicitement. Le thérapeute veille à se départir de sa position d’expert tant que la patiente ne s’est pas stabilisée dans une volonté de changement effectif : il ne démontre pas, n’instruit pas, ne tente pas de persuader — même avec chaleur et gentillesse — n’impose pas de label diagnostique (il n’est pas indispensable de faire reconnaître l’anorexie, on parlera des habitudes de repas ou d’exercice), il ne porte pas de jugement et ne propose pas de solution à ce stade du traitement. La pratique des EM se réfère à la notion de processus du changement telle que l’ont définie Prochaska et al. [22]. Un individu passe par une succession de stades pour renoncer à une addiction ou une habitude :

• la pré-considération du changement (il ne voit pas le problème) ; • la considération (il sait qu’il a un problème et se dit qu’il devrait essayer d’y remédier) ; • la préparation (il s’informe, en parle, consulte, mais ne change pas encore dans les faits) ; • l’action (il réduit voire cesse le comportement problème et développe une alternative) ; • la rémission (l’abstinence ou la consommation à un niveau adapté est maintenue au moins plusieurs mois) ; • la rechute (insidieuse ou délibérée, elle survient dans la majorité des cas). Des études suggèrent que pour le tabac et l’alcool, trois à cinq cycles seraient en moyenne nécessaires pour obtenir une guérison. Les EM ont pour objectif d’aider l’individu à progresser d’un stade à l’autre en évitant qu’une confrontation — le plus souvent involontaire — n’induise un retour en amont. Plus la patiente est en amont (non- ou considération du changement), plus le thérapeute adopte une position basse et se limite à l’exploration prudente de l’ambivalence face au changement. Plus elle avance dans la préparation et manifeste une volonté d’engagement dans l’action, plus il reprend sa qualité d’expert pour la guider, l’informer et la rassurer dans la conduite de la renutrition. La progression se fait toujours deux pas en avant, un arrière : il faut donc rester vigilant et ne pas se laisser entraîner dans une reprise parfois subtile des confrontations. Les EM appliqués à l’AM sont le plus souvent organisés en une séquence explorant plusieurs thèmes proposés à la patiente. Les plus communs sont les suivants : • le bien et le moins bien des habitudes alimentaires (un tableau à deux colonnes, l’une pour les sensations– émotions–sentiments agréables ainsi que les avantages et bénéfices dans la vie personnelle, sociale, familiale et sentimentale, l’autre pour le pendant négatif et les inconvénients) ; • l’évolution des activités de développement et épanouissement personnels depuis l’instauration des habitudes ; • l’anticipation de l’avenir à un horizon de cinq ou dix ans (deux lettres fictives à un confident pour dire où l’on en est dans sa vie : la première si les habitudes évoluent de la même fac¸on, l’autre si un changement est accompli) ; • un inventaire des six ou sept valeurs considérées comme essentielles pour donner un sens à sa vie de femme et l’examen de l’impact des habitudes alimentaires sur le respect de ces valeurs ; • les lettres à l’anorexie mon amie et à l’anorexie mon ennemie (si ce diagnostic est admis sans arrière-pensée par la patiente) ; • une réflexion et les commentaires de la patiente sur ses résultats d’examens complémentaires. La liste n’est pas exhaustive. Une sélection de thèmes peut être rédigée sous forme de cahier que l’on remet à la patiente. Elle prépare chez elle le thème retenu pour la séance suivante et ses notes sont discutées pendant l’entretien, le thérapeute réagissant à ses propos dans le style empathique des EM.

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Cette approche n’est bien sûr pas une panacée et ses limites sont les mêmes que celles de tout traitement proposé aux personnes souffrant d’AM. Un danger vital peut obliger le thérapeute à passer outre les résistances et imposer la renutrition (il est alors possible de répartir les rôles, en prenant soin d’écouter sans désavouer l’équipe impliquée dans le traitement sous contrainte) et certaines patientes peuvent rester méfiantes et rétives au changement très longtemps, en dépit de toute l’humilité et l’empathie déployées par le thérapeute. À l’inverse, des interventions directives et autoritaires s’avèrent parfois efficaces et mobilisent des patientes qui piétinaient dans leurs hésitations. Les études sur les EM abondent depuis une dizaine d’années et elles ont donné des résultats probants, essentiellement dans le traitement des addictions, ce qui peut rendre légitime l’investissement de temps que représente une séquence d’EM. Les études portant sur les TCA sont en revanche très peu nombreuses et les conclusions restent incertaines [1]. Peu d’équipes travaillent sur ce sujet et la nature des troubles, plus complexes que l’alternative consommer ou non un toxique, rend plus difficiles encore la définition et la mesure des motivations en jeu. La pratique des EM dans le traitement de l’AM, à ce jour, est donc elle aussi fondée sur une extrapolation à partir d’investigations portant sur d’autres pathologies a priori proches. L’impression clinique partagée par les praticiens formés à cette méthode est, quoi qu’il en soit, une facilitation de la conduite du traitement et un renforcement de ce qu’on appelle l’alliance thérapeutique. 3.2. Autres évolutions La résistance au changement que manifestent ces patientes a aussi conduit les thérapeutes à davantage prendre en compte le trouble profond de la personnalité qui serait sous-jacent au syndrome d’AM. Une plus grande attention est portée à l’histoire de la patiente et aux relations qu’elle a entretenues avec ses proches. La psychothérapie consiste à identifier, puis faire évoluer les schémas cognitifs avec lesquels la patiente a construit autrefois ses représentations de soi et des autres, à partir des relations précoces nouées avec les personnes impliquées dans le maternage et l’éducation, à savoir les parents biologiques ou de substitution, nourrices, enseignants, ainsi que les relations affectives marquantes avec les membres de la fratrie, puis les partenaires sentimentaux [23]. Les séances font apparaître le caractère adaptatif de ces schémas à des étapes antérieures du développement de la personne et leur influence actuelle — moins bénéfique — sur les rapports interpersonnels, notamment dans la relation thérapeutique. La mise en lumière de ces aspects du fonctionnement psychologique de la patiente permet parfois de faire des interférences contrariant le déroulement du soin une opportunité de faire progresser la thérapie. La formulation explicite des hypothèses que le thérapeute partage ainsi avec la patiente et la démarche de tester de nouveaux comportements relationnels choisis par la patiente demeurent un fondement du traitement [24–26,35]. Cette fois encore, les travaux de validation dans le domaine des TCA portent essentiellement sur la boulimie (où le trouble de la personnalité émotionnellement labile est fréquemment observé) et prolongent des études du traitement des addictions.

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4. Conclusion Le traitement de l’AM est un défi pour les thérapeutes comportementalistes, une indication qui, à ce jour, tient les TCC en relatif échec. La gravité de cette affection qui peut perturber longtemps et de fac¸on dramatique le développement des jeunes femmes fait bien sûr regretter cet état de fait. Les problèmes posés par les particularités de cette pathologie ont, cependant, pour effet de stimuler l’évolution des TCC. L’AM confronte les thérapeutes à la réalité tenace des contradictions et logiques irrationnelles qui sont en fait inhérentes à la pensée humaine. La nécessité d’assouplir un abord par essence didactique et démonstratif s’impose alors, pour évoluer vers une approche plus émotionnelle du traitement. Il s’agit de prendre en compte les affects de la personne, par une patiente exploration et un ajustement des réactions du thérapeute, afin de diminuer l’anxiété, les peurs, l’agacement et/ou l’hostilité et de développer la confiance, la patience et un minimum d’optimisme. Références [1] Bulik CM, Berkman ND, Kimberly AB, Sedway JA, Lohr KN. Anorexia nervosa treatment: a systematic review of randomized controlled trials. Int J Eat Dis 2007;40:310–20. [2] Waller G, Kennerley H. Cognitive-behavioural treatments. In: Treasure J, Schmidt U, van Furth E, editors. Handbook of eating disorders. Chichester: John Wiley & Sons; 2003. p. 233–51. [3] Sullivan PF. Course and outcome of anorexia nervosa and bulimia nervosa. In: Fairburn CG, Brownell KD, editors. Eating disorders and obesity: a comprehensive handbook. New York: The Guilford Press; 2002. p. 226–30. [4] Braun DL, Sunday SR, Halmi KA. Psychiatric comorbidity in patients with eating disorders. Psychol Med 1994;24:859–67. [5] Brewerton T, Lydiard R, Herzog D, Brotman A, O’Neil P, Ballenger J. Comorbidity of Axis I psychiatric disorders in bulimia nervosa. J Clin Psychiatry 1995;56:77–80. [6] Bulik CM. Anxiety, depression and eating disorders. In: Fairburn CG, Brownell KD, editors. Eating disorders and obesity: a comprehensive handbook. New York: The Guilford Press; 2002. p. 193–8. [7] Swinbourne JM, Touyz SW. The co-morbidity of eating disorders and anxiety disorders : a review. Eur Eat Dis Rev 2007;15:253–74. [8] Lilenfeld L, Kaye W, Greeno C, Merikangas K, Plotnikov K, Pollice C, Rao R, Strober M, Bulik C, Nagy L. A controlled family study of restricting anorexia and bulimia nervosa: Comorbidity in probands and disorders in first-degree relatives. Arch Gen Psychiatry 1998;55:603–10. [9] Lilenfeld LR, Stein D, Devlin B, Bulik C, Strober M, Plotnicov K, Pollice C, Rao R, Merikangas KR, Nagy L, Kaye WH. Personality traits among currently eating disordered, recovered, and never-ill first-degree female relatives of bulimic and control women. Psychol Med 2000;30: 1399–410. [10] Bulik CM, Sullivan PF, Wade TD, Kendler KS. Twin studies of eating disorders: A review. Int J Eat Dis 2000;27:1–20. [11] Waller G, Cordery H, Corstorphine E, Hinrichsen H, Lawson R, Mountford V, Russell K. Cognitive behavioral therapy for eating disorders: a comprehensive treatment guide. Cambridge: Cambridge University Press; 2007. [12] Beumont PJV. Clinical presentation of anorexia nervosa and bulimia nervosa. In: Fairburn CG, Brownell KD, editors. Eating disorders and obesity: a comprehensive handbook. New York: The Guilford Press; 2002. p. 162–70. [13] Fallon P, Katzman MA, et Wooley SC. Feminist perspectives on eating disorders. New York: Guilford Press; 1994. [14] Szmukler GI, Patton G. Sociocultural models of eating disorders. In: Szmukler G, Dare C, Treasure J, editors. Handbook of eating disorders: theory, treatment and research. Chichester, UK: John Wiley & Sons; 1995. p. 177–94.

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