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Article original
Les deux dimensions de l’hypersensibilité narcissique : l’anxiété paranoïde et l’égocentrisme夽 The two dimensions of narcissistic hypersensitivity: Paranoid anxiety and egocentrism Louis Diguer (Professeur titulaire) ∗ , Jean Brin , Valérie Turmel , Louis-Alexandre Marcoux , Vincent Mathieu , Raquel Da Silva Luis École de psychologie, université Laval, 2325, rue des Bibliothèques, Québec Québec G1V 0A6, Canada Rec¸u le 28 avril 2016
Résumé Objectif. – Cette étude a pour objectif d’explorer empiriquement le concept d’hypersensibilité narcissique à partir d’une version franc¸aise de la Hypersensitive Narcissism Scale, qui est actuellement l’échelle d’évaluation la plus utilisée de l’hypersensibilité narcissique. Méthode. – Deux groupes de participants, un clinique, l’autre non clinique, ont complété cette échelle ainsi que d’autres échelles qui portent sur différentes dimensions de la pathologie narcissique. Résultats. – Les analyses factorielles permettent de dégager deux dimensions : Anxiété paranoïde et Égocentrisme. Les analyses corrélationnelles entre ces dimensions et les autres échelles révèlent des liens pour la plupart attendus et cohérents. Nous observons aussi des différences intéressantes d’hypersensibilité narcissique entre les groupes clinique et non clinique ainsi qu’une bonne stabilité temporelle. Discussion. – L’ensemble des observations valident la bidimensionnalité de l’hypersensibilité narcissique. Conclusions. – La mise au jour de cette bidimensionnalité semble être une contribution intéressante pour la pratique et la recherche cliniques, puisqu’elle permet une évaluation plus précise de l’hypersensibilité
夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Diguer L, Brin JD, Turmel V, Marcoux LA, Mathieu V, Da Siva Luis R. Les deux dimensions de l’hypersensibilité narcissique : l’anxiété paranoïde et l’égocentrisme. Evol psychiatr XXXX ; vol (n◦ ) : pages (pour la version papier) ou adresse URL [date de consultation] (pour le version électronique). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Diguer).
http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2017.01.002 0014-3855/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. EVOPSY-1039; No. of Pages 17
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narcissique en distinguant ces deux dimensions qui nous semblent en fait concerner respectivement le rapport à l’objet et le rapport au soi. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.
Mots clés : Narcissisme ; Trouble narcissique ; Personnalité ; Échelle d’évaluation
Abstract Objectives. – The objectives of this study were to empirically explore the concept of narcissistic hypersensitivity using the French version of the Hypersensitive Narcissism Scale, which is currently the most widely-used measure of hypersensitive narcissism. Method. – Two groups of participants, one clinical, the other non-clinical, completed the scale, alongside other scales measuring other dimensions of narcissistic pathology. Results. – Factor analyses yielded two dimensions: Paranoid anxiety and Egocentrism. Correlation analyses between these dimensions and the other scales showed relationships that were both expected and coherent. We also observed interesting differences between the clinical and non-clinical groups, as well as good stability over time. Discussion. – Our results overall validate the two-dimensional nature of narcissistic hypersensitivity. Conclusion. – This result appears as a useful contribution to research since it provides scope for a precise evaluation of hypersensitive narcissism, distinguishing these two dimensions, Paranoid anxiety and Egocentrism, which could in fact pertain to the subject’s relationships to others and to him/herself respectively. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Narcissism; Narcissistic disorders; Personality; Scale
1. L’hypersensibilité narcissique Depuis les premières descriptions cliniques de H. Kohut et O. Kernberg dans les années soixante-dix, les pathologies du narcissisme ont été l’objet d’un intérêt clinique et scientifique qui n’a cessé de se développer. À partir de sa conception novatrice du narcissisme, Kohut [1] décrit le patient souffrant d’un trouble narcissique comme hypersensible, isolé, dépressif et anxieux, et se sentant vulnérable et vide. Pour sa part, à la même époque, Kernberg [2] décrit le patient narcissique comme grandiose, voire flamboyant, centré sur soi, envieux, manquant d’empathie et présentant des affects superficiels. Au départ, il semblait que ces deux conceptions correspondaient en fait à deux types de patients narcissiques [3,4] mais peu à peu on en est venu à les considérer comme deux dimensions, deux présentations ou deux phénotypes, le terme variant d’un auteur à l’autre. Les troubles narcissiques ou, de fac¸on plus générale, le narcissisme pathologique, a depuis été reconnu comme entité psychopathologique par l’ensemble des cliniciens et inclus dans les taxonomies de troubles psychologiques et psychiatriques. Notons que le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) [5] et la Classification internationale des maladies (CIM) [6] se sont surtout attachés à décrire les caractéristiques grandioses de la pathologie narcissique au détriment de la présentation hypersensible, quoique les choses soient en train de changer pour le DSM, comme nous le verrons plus loin. L’intérêt pour la pathologie du narcissisme a aussi donné lieu au développement de protocoles d’évaluation clinique, comme par exemple le Structured Clinical Interview for DSM-IV Axis II
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[7], le Personality Disorder Interview-IV [8] et le Diagnostic Interview for Personality Disorders [9]. On a aussi développé des échelles auto-rapportées sur la pathologie narcissique, soit à l’intérieur d’échelles portant sur l’ensemble de la personnalité, comme par exemple le Millon Clinical Multiaxial Inventory [10] ou le Minnesota Multiphasic Personality Inventory [11], ou encore soit en créant des échelles spécifiques portant uniquement sur la pathologie narcissique, comme l’Échelle de personnalité narcissique (ÉPN) [12], laquelle est actuellement la mesure la plus utilisée dans ce domaine. Notons que ces mesures sont généralement cohérentes avec les définitions du DSM-5 et de la CIM-10 qui se concentrent surtout sur la grandiosité narcissique. Plus récemment, les cliniciens et chercheurs les plus actifs dans le domaine [13–17] ont déploré le fait que dans ces taxonomies et ces échelles, on n’accorde pas assez d’attention à l’hypersensibilité narcissique ou au narcissisme hypersensible, ces deux appellations étant généralement reconnues comme équivalentes. Pourtant, c’est la présentation hypersensible qui se retrouve le plus souvent en consultation, en raison semble-t-il de la souffrance qu’elle implique et de sa symptomatologie variée, instable et atypique, laquelle pose d’ailleurs souvent des difficultés diagnostiques et de prise en charge [18]. Or, l’ensemble des auteurs tend actuellement non pas à vouloir opposer ces deux conceptions mais au contraire, à les intégrer comme deux dimensions complémentaires de la pathologie narcissique. Ainsi, on a proposé d’articuler ces deux dimensions en fonction du rapport du sujet avec son idéal du soi [14,15] : la dimension grandiose manifeste une fusion imaginaire avec cet idéal alors que la dimension hypersensible découle d’un état ressenti d’incapacité à atteindre cette fusion [2,3,14,15,19]. Ainsi, les réactions d’anxiété paranoïde, de rage, d’hypersensibilité et de retrait social, liées à des sentiments de vide, de dévalorisation et de honte, manifesteraient chez le patient narcissique une représentation de soi vulnérable, faible et fragile qui n’arrive pas à être à la hauteur de son idéal grandiose, voire qui est en rupture avec ce soi idéal, lequel constitue le centre de toute pathologie narcissique, grandiose comme hypersensible. La présentation hypersensible n’en demeure pas moins un moyen de réguler le narcissisme ; elle agit ainsi par l’adoption d’une position très égocentrique nourrie de plaintes et d’auto-victimisation, de misérabilisme, voire de masochisme, de centration sur soi et ses besoins, laquelle débouche habituellement sur une certaine passivité, voire l’exploitation d’autrui, quand ce n’est pas une forme de parasitisme social. Quant à la présentation grandiose, elle manifeste une impression, voire une illusion de fusion avec ce soi idéal, et donc le sentiment d’incarner ce soi invulnérable, superbe et supérieur. Il semble en outre que ces deux dimensions sont généralement présentes et en interaction dynamique chez la plupart, sinon tous les sujets narcissiques, l’une s’activant de fac¸on plus manifeste à certains moments, selon les circonstances, les relations interpersonnelles ou les étapes de la vie par exemple. Le DSM-5 semble suivre ce mouvement d’intégration. Il comprend en effet dans sa section trois des critères diagnostiques qui rendent compte de cette alternance entre des états de soi grandioses et hypersensibles. De plus, plusieurs études confirment la présence de ces deux dimensions et la dynamique qui existe entre elles. Ainsi, par exemple, Emmons [20] a montré que ces deux dimensions se distinguent clairement l’une de l’autre, et on a aussi observé que l’Échelle de pathologie du narcissisme (ÉPN) de Raskin et Terry [12] n’était que peu corrélée avec les échelles du MMPI [21]. De son côté, en utilisant six échelles du Minnesota Multiphasic Personnality Inventory [11], Wink [17,22] a confirmé que le narcissisme pathologique comprenait bien deux dimensions, la première impliquant la vulnérabilité et l’hypersensibilité, associées à l’introversion, l’anxiété, une attitude défensive et une vulnérabilité aux traumatismes ; et la deuxième, manifestant la grandiosité et l’exhibitionnisme, lesquels sont associés à l’extraversion, la confiance en soi et l’agressivité. Il observe aussi que même si ces deux dimensions ne corrèlent guère, elles sont toutes deux associées à des manifestations importantes du narcissisme pathologique telles que la
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vanité, la complaisance envers soi, le mépris des autres, ainsi qu’un sens de supériorité de droit (entitlement). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent donc que ces deux dimensions sont bel et bien des constituants distincts mais complémentaires du narcissisme pathologique. Cependant, il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, l’hypersensibilité narcissique, même si elle est de plus en plus reconnue, reste encore moins bien décrite et comprise que la dimension grandiose. La présente étude vise précisément à contribuer à l’exploration de cette dimension en examinant sa structure interne et ses liens avec d’autres aspects de la pathologie narcissique. 2. L’Hypersensitive Narcissistic Scale (HSNS) Comme nous l’avons déjà mentionné, Hendin et Cheek [23] ont développé une échelle autorapportée de 10 items portant précisément sur l’hypersensibilité narcissique. Ils ont pris comme point de départ les 20 items d’une échelle de narcissisme développée par Murray [24] qui porte certes sur l’égocentrisme, la grandiosité et l’agressivité des personnes narcissiques mais aussi sur la vulnérabilité, le sentiment d’être déprécié ainsi que sur des préoccupations anxieuses par rapport à l’image de soi. Ils ont examiné les corrélations entre ces items de l’échelle de Murray et deux autres échelles contenant des items relatifs à la dimension hypersensible du narcissisme pathologique, soit le Narcissistic Personality Disorder Scale (NPDS) [21] et le Narcissism Hypersensitivity Scale (NHS) [25]. Hendin et Cheek ont finalement retenu 10 items qui forment une échelle unifactorielle que les auteurs ont appelée l’Hypersensitive Narcissistic Scale (HSNS). Cette échelle de langue anglaise présente de bonnes qualités métrologiques. Les alphas de Cronbach sont de 0,72, 0,75 et 0,76 pour trois échantillons d’étudiants et étudiantes universitaires. Les auteurs de l’échelle rapportent aussi que l’HSNS corrèle positivement avec la dimension hypersensible telle qu’estimée par le NPDS [21] et le NHS [25], les corrélations allant de 0,61 à 0,63 selon les échantillons [23]. Ils ont également démontré que l’hypersensibilité ne corrèle pas avec le score total à l’ÉPN, fait attendu puisque cette dernière échelle évalue essentiellement le narcissisme grandiose (échantillon 1, r = 0,02, ns ; échantillon 2, r = 0,16, p < 0,05 ; échantillon 3, r = –0,04, ns). Une corrélation positive significative de 0,26 était toutefois présente entre l’hypersensibilité et l’échelle Exploitation supériorité de droit (Exploitativeness/Entitlement ou E/E) de l’ÉPN. Ce résultat était aussi attendu en raison d’observations cliniques démontrant la présence d’exploitation tant du côté du narcissisme grandiose qu’hypersensible [2,17]. D’autres observations de Hendin et Cheek [23] concernent les corrélations entre l’hypersensibilité mesurée par la HSNS et les cinq facteurs du modèle de personnalité de Costa et McCrae [26]. Les corrélations négatives avec les facteurs Agréabilité, Extraversion et Ouverture aux expériences du modèle à cinq facteurs ainsi que la corrélation positive avec le facteur Névrotisme manifestent le lien reconnu entre l’hypersensibilité narcissisme et le repli sur soi, le désinvestissement social, la faible estime de soi et la détresse psychologique [16]. Une trentaine d’autres études ont, à ce jour, utilisé l’HSNS comme échelle de mesure de l’hypersensibilité narcissisme, ce qui en fait clairement l’échelle la plus utilisée en recherche clinique et celle dont la validité est la plus assurée. Elle a aussi montré sa pertinence pour l’exploration du concept d’hypersensibilité narcissique et de ses liens avec d’autres dimensions de la personnalité. Ces études ont été réalisées auprès d’échantillons diversifiés, cliniques comme non cliniques, et en fonction de questions de recherche variées, ce qui en soi indique qu’elle est flexible, polyvalente et valide, et que ses résultats sont généralisables. Par extension, ces recherches confirment la pertinence de distinguer ces deux dimensions du narcissisme pathologique. Elles permettent même de mieux définir les contours de l’une et l’autre ainsi que leur rapport respectif avec d’autres
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composantes de la personnalité. Ainsi, Wiehe [27] a observé que conformément à ses attentes, les parents abusifs avaient des scores plus élevés sur cette échelle que des parents dits normaux. On a par ailleurs utilisé la HSNS pour valider une échelle du narcissisme pathologique fondée sur le modèle à cinq facteurs [28]. D’autres ont observé des liens intéressants entre l’hypersensibilité narcissique et un modèle interpersonnel circomplexe d’interactions sociales [29], ou encore on a rapporté que seule la dimension hypersensible était corrélée avec les symptômes de boulimie et que cette corrélation était médiatisée par le névrotisme [30]. Plusieurs études sur des populations non cliniques ont aussi utilisé la HSNS comme mesure de l’hypersensibilité narcissique. Ainsi, Luchner et al. [31] ont observé chez des étudiants universitaires que la compétitivité, comme trait de personnalité, était positivement corrélée avec la dimension grandiose, alors qu’elle était négativement corrélée avec l’hypersensibilité. Ng et al. [32] ont observé que les deux dimensions étaient associées à une perception de l’argent fondée sur le pouvoir et le prestige, mais aussi que pour la dimension hypersensible, cette relation était médiatisée par la peur d’une évaluation sociale négative liée à la vulnérabilité sociale et à l’anxiété. Enfin, Zeigler-Hill et Wallace [33] ont observé des niveaux plus élevés d’hypersensibilité narcissique chez les Noirs Américains que chez les Blancs, chose interprétée à partir des réalités sociales différentes dans lesquelles vivent encore ces communautés. Mentionnons enfin que des versions espagnole [34], italienne [35], chinoise [36] et franc¸aise [37] ont été développées. Finalement, il importe de noter que récemment, la structure unifactorielle de la HSNS a été sérieusement mise en doute par des auteurs qui ont observé qu’une structure à deux ou trois facteurs était plus appropriée qu’une structure unifactorielle, et donc, que le concept d’hypersensibilité narcissique recèlerait en fait lui-même plus d’une dimension. Ainsi, on rapporte [35] pour la version italienne un facteur nommé Hypersensibilité au jugement (items 1, 2, 3, 6, 7, et 9) et un autre nommé Égocentrisme (items 4, 5, 8 et 10). Quant à la version espagnole [34], on obtient une structure à trois facteurs : Hypersensibilité (items 2, 3, 6 et 7), Égoïsme (items 4, 5 et 10) et Égocentrisme (items 1, 8 et 9). Ces observations récentes ont suscité notre intérêt et ont en bonne partie motivé la recherche présentée ici. 3. Objectifs et plan d’analyses La présente étude vise à explorer le concept d’hypersensibilité narcissique en examinant empiriquement sa structure interne ainsi que ses liens avec d’autres manifestations ou dimensions de la pathologie narcissique. La structure interne du concept, telle que mesurée par la HSNS, a été examinée par analyses factorielles. Nous avons ensuite examiné les relations entre les résultats à l’échelle et d’autres dimensions de la pathologie narcissique telles que la dimension grandiose de la pathologie narcissique, l’exploitation et la supériorité de droit, l’estime de soi, le machiavélisme, le contact avec la réalité, le degré de primitivité des défenses, la diffusion de l’identité et, enfin, les cinq dimensions du modèle de la personnalité. Nous avons enfin examiné la stabilité temporelle du concept ainsi que les différences entre un échantillon clinique et un échantillon non-clinique. 4. Méthode 4.1. Participants Deux groupes de volontaires ont participé, soit un groupe tiré de la population normale, ou dite non clinique, et un groupe de personnes qui venaient de faire une demande de consultation
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dans un service universitaire de psychologie clinique (groupe clinique). Les participants des deux groupes ont consenti librement, et sans avantages universitaires, financiers ou autres, à participer à cette étude, sous l’autorisation du Comité d’éthique de la recherche de l’université Laval. Le groupe non clinique est constitué d’étudiants de l’université Laval à qui on a présenté la recherche en classe en début de cours. Sur environ 900 étudiants invités à prendre part à l’étude, 649, très largement caucasiens et francophones, ont accepté de participer. Il s’agissait de 83 % de femmes et 17 % d’hommes, âgés entre 18 et 59 ans (m = 21,63, é-t = 3,90), 39 % ayant un conjoint, et 83 % ayant un revenu inférieur à 20 000 $. Cent quinze de ces participants ont accepté de remplir l’échelle d’hypersensibilité narcissique une deuxième fois six semaines plus tard afin d’en estimer la stabilité temporelle. Le groupe clinique comprend 41 personnes qui venaient de faire une demande d’aide psychologique au Service de consultation de l’École de psychologie de l’université Laval, clinique universitaire ouverte à tous. Ce groupe comprend 22 femmes et 19 hommes dont l’âge varie de 18 à 53 ans (m = 30,70, é-t = 9,40), 53 % des participants avaient un ou une conjointe, et 40 % un revenu inférieur à 20 000 $. Nous n’avons pas d’informations détaillées sur les motifs précis de consultation, ni sur les diagnostics qui ont pu être posés plus tard par les professionnels de la clinique. Cependant, dans des études récentes dans cette même clinique, nous avons observé une symptomatologie variée, de légère à assez grave, typique de la clientèle ambulatoire de ce genre de clinique. Ainsi, par exemple dans une étude menée par nous récemment dans cette même clinique [38], 64,2 % des consultants présentaient un diagnostic DSM-IV, 36 % souffrant d’un trouble de l’humeur, 32 % d’un trouble anxieux, 8 % d’un trouble alimentaire, et que la moitié présentait un trouble de la personnalité. 4.2. Mesures L’Échelle d’hypersensibilité narcissique [37] est une échelle auto-rapportée dont chacun des 10 items est évalué sur une échelle de 7 points qui va de « totalement en désaccord » à « totalement en accord ». Le score total est la somme des scores aux 10 items et il peut varier entre 0 et 70. Les items sont présentés au Tableau 1. Rappelons que plus d’une trentaine d’études ont porté ou utilisé l’HSNS comme mesure fiable de l’hypersensibilité narcissique dans des contextes variés et auprès de populations diversifiées, soit afin d’évaluer la validité et la stabilité de l’échelle, soit afin d’éclairer différentes questions de recherche sur l’hypersensibilité narcissique. Il s’agit de loin de l’échelle d’hypersensibilité narcissique la plus utilisée et la plus valide, et c’est donc pourquoi nous l’avons retenue pour la présente étude. L’Échelle de personnalité narcissique (ÉPN) [39] comprend 40 énoncés cotés sur une échelle de 7 points. Compte tenu de résultats antérieurs [23], il était attendu que l’hypersensibilité ne corrèle pas ou que faiblement avec le score total de l’ÉPN puisque l’ÉPN porte essentiellement sur l’expression grandiose du narcissisme pathologique. Plusieurs autres études ont d’ailleurs rapporté des observations qui vont en ce sens [28,31,32]. Il était par contre attendu que l’hypersensibilité ait une corrélation modérée avec le facteur Exploitation et supériorité de droit de la ÉPN. Cette attente est cohérente avec plusieurs observations cliniques, à savoir que l’exploitation d’autrui peut se retrouver à un degré ou à un autre dans toutes les présentations de pathologie narcissique, tant grandioses qu’hypersensibles [2,14,16,17,19]. Des observations empiriques ont aussi récemment confirmé cela [28,29,33]. Le Mini-IPIP (Mini-International Personality Item Pool) est un questionnaire auto-révélé qui évalue les facteurs de personnalité du modèle à cinq facteurs [26,40] : Névrotisme, Extraversion, Ouverture à l’expérience, Agréabilité et Conscience. Les 20 items se répondent sur des échelles de cinq points allant de « total désaccord » à « total accord ». Compte tenu de résultats déjà publiés
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[23,30,41], il était attendu que l’hypersensibilité soit corrélée positivement avec le Névrotisme mais négativement avec l’Agréabilité, l’Ouverture à l’expérience et l’Extraversion. L’Échelle d’estime de soi de Rosenberg (ÉESR) [42,43] est une échelle auto-révélée de dix items en quatre points allant de « tout à fait en désaccord » à « tout à fait en accord ». Naturellement, il était attendu que l’hypersensibilité présente une corrélation négative avec l’estime de soi, puisqu’une faible estime de soi est une caractéristique centrale de l’hypersensibilité narcissique [14–17], chose confirmée par de récentes observations empiriques [33,36]. L’Inventaire d’organisation de la personnalité (IPO) [44,45] est une échelle de 16 items autorapportés en cinq points et formant trois facteurs d’organisation de la personnalité définis par Kernberg [14]. Le facteur Mécanismes de défense primitifs reflète l’utilisation fréquente de déni, clivage, projection massive et d’idéalisation primitive pour composer avec des situations anxiogènes. Le facteur Diffusion de l’identité décrit des représentations de soi et d’autrui simplistes, superficielles, unidimensionnelles et très changeantes. Enfin, le facteur Qualité du contact avec la réalité décrit la présence de distorsions de la réalité, d’attributions plaquées et intenses, et dans les pires cas des pensées délirantes. Outre Kernberg, plusieurs auteurs, tels Ronningstam [16] et Gabbard [3] par exemple, observent aussi que le narcissisme pathologique, tant grandiose qu’hypersensible, est associé à (a) à l’utilisation fréquente de mécanismes de défense primitifs comme le clivage, l’idéalisation de soi et le contrôle omnipotent, (b) à des représentation internes de soi et d’autrui superficielles, stéréotypées et unidimensionnelles, et (c) à des distorsions de la réalité sociale suite à l’application des mécanismes de défense susmentionnés. La version franc¸aise de l’IPO présente des qualités métrologiques satisfaisantes en termes de cohérence interne et de stabilité [45]. L’Inventaire de machiavélisme (MACH-IV) [46,47] est l’échelle la plus utilisée pour évaluer le machiavélisme. Cette échelle est constituée de 20 items en six points allant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord » qui forment trois facteurs : une Attitude cynique quant à la nature humaine, de la Duplicité dans les relations interpersonnelles et un Mépris de la moralité. Nous avons inclus cette évaluation du machiavélisme parce que plusieurs auteurs [14,48] y voient une dimension commune au narcissisme pathologique et à la psychopathie, et qu’elle permet donc d’explorer le spectre le plus morbide de la pathologie narcissique. L’association entre le narcissisme pathologique, le machiavélisme et la psychopathie est si forte qu’elle forme un concept aujourd’hui nommé « sombre triade » (dark triad) [48] qui retient de plus en plus d’attention en clinique comme en recherche. Les qualités métrologiques de la version originale anglaise de l’échelle sont bien documentées [49,50]. Pour la version franc¸aise, le coefficient de Cronbach est de 0,64 et les corrélations entre les facteurs sont conformes aux attentes avec des valeurs allant de 0,21 à 0,53 [47]. Il était attendu que l’hypersensibilité corrèle positivement avec les trois facteurs du MACH-IV. 4.3. Analyses statistiques Dans le groupe non clinique, des analyses confirmatoires, des analyses en composantes principales1 et des analyses de cohérence interne (alpha de Cronbach) ont été réalisées afin d’examiner la structure interne de l’hypersensibilité narcissique. Des analyses corrélationnelles
1 Deux techniques statistiques peuvent être utilisées ici : l’analyse en composantes principales ou l’analyse de facteurs communs. Nous avons opté pour la première parce qu’elle considère toute la variance de la mesure et qu’elle donne une solution unique et moins hypothétique que l’autre technique [51].
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Tableau 1 Moyennes et écarts-types des items, du score total et des scores factoriels de l’Échelle d’hypersensibilité narcissique (ÉHSN) pour les groupes non clinique et clinique. Items
Groupe non-clinique
Groupe clinique
1. Je peux devenir complètement absorbé par mes pensées à propos de mes affaires personnelles, ma santé, mes soucis ou mes relations avec les autres 2. Je suis facilement blessé par les moqueries et les remarques désobligeantes des autres 3. Lorsque j’entre dans une pièce, je deviens souvent un peu mal à l’aise et je sens que tout le monde me regarde 4. Je n’aime pas partager avec les autres le mérite d’un accomplissement 5. Je n’aime pas être en groupe à moins que je sache que je suis apprécié par au moins une des personnes présentes 6. Je sens que j’ai un tempérament différent de la plupart des gens 7. J’interprète souvent les remarques des autres de fac¸on personnelle 8. Je deviens facilement absorbé par mes propres intérêts et j’oublie l’existence des autres 9. Je considère en avoir déjà suffisamment sur les épaules sans avoir à me préoccuper des problèmes des autres 10. Sans le laisser paraître, je suis contrarié quand des personnes viennent me parler de leurs problèmes et me demandent du temps et d’être sympathique à ce qu’il leur arrive Score total Facteur Anxiété paranoïde Facteur Égocentrisme
4,33 (1,38)
5,61 (1,56)
3,93 (1,49)
5,63 (1,41)
2,96 (1,49)
4,17 (1,88)
2,25 (1,20)
2,96 (1,86)
2,87 (1,50)
4,44 (2,01)
3,04 (1,50)
4,76 (1,77)
3,21 (1,51)
5,10 (1,74)
2,13 (1,50)
3,51 (1,76)
1,96 (1,18)
3,29 (1,91)
1,43 (0,81)
2,44 (1,64)
28,12 (7,99) 14,44 (4,45) 5,51 (2,52)
41,86 (11,12) 20,39 (4,90) 9,24 (4,45)
n (groupe non clinique) = 649 ; n (groupe clinique) = 41. Les écarts-types sont les valeurs entre parenthèses ; les autres valeurs sont les moyennes.
et de comparaisons de moyennes (tests t) ont ensuite été effectuées afin d’examiner les liens entre l’hypersensibilité narcissique et les autres dimensions de la pathologie narcissique. Le groupe clinique devrait théoriquement présenter un patron de corrélations similaire à celui du groupe non clinique mais des moyennes plus élevées d’hypersensibilité narcissique. La stabilité des dimensions a été valuée par des corrélations et un test t pairé entre les deux temps de mesure. Le niveau alpha pour toutes les analyses a été fixé à 0,05.
4.4. Résultats Dans le groupe non clinique, la moyenne du score total de l’échelle d’hypersensibilité narcissique est 28,12 et l’écart-type est 7,99. Notons que ces valeurs ne diffèrent pas statistiquement de celles obtenues avec la version originale anglaise (t = 2,71, p < 0,01) [23], ce qui suggère une certaine généralité de nos résultats. Nous n’observons pas de différences significatives entre les hommes et les femmes : hommes : m = 28,23, é-t = 8,56, femmes : m = 28,12, é-t = 8,88, F(1,608) = 0,02. Le Tableau 1 présente les dix items en franc¸ais, leurs moyennes et écarts-types.
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4.5. Analyses de validité interne L’analyse factorielle confirmatoire (AFC) vise à estimer l’ajustement des données à un modèle théorique, soit ici à la structure unifactorielle de l’hypersensibilité évaluée par l’HSNS. Pour cette première analyse, tous les participants non cliniques ont été utilisés et l’extraction des facteurs a été faite avec la méthode de la ressemblance maximale (Maximum likelihood) sur les matrices de corrélations. Nous avons appliqué les critères courants d’évaluation de l’ajustement [52] : une erreur moyenne standardisée des résidus au carré (SRMSR) < 0,08, une erreur moyenne d’approximation au carré (RMSEA) < 0,06, un indice d’ajustement CFI > 0,90 et un indice de Bentler > 0,95. Les résultats de cette analyse sont : un chi carré significatif (418,30, p < 0,0001), un SRMSR de 0,0873, un GFI de 0,8642, un RMSEA de 0,1349 (intervalle de confiance de 90 % variant de 0,1235 à 0,1466) et un indice d’ajustement de Bentler de 0,7386. L’indice de Wald indiquait que tous les paramètres étaient significatifs et donc qu’aucun ne pouvait être retiré. L’indice de Lagrange n’a indiqué que quelques covariances d’erreur dont aucune n’a pu augmenter l’ajustement de fac¸on substantielle. Comme l’ajustement de ce premier modèle n’était donc pas très bon, nous avons extrait la structure interne propre des données par une analyse en composantes principales (ACP) avec la moitié du groupe non clinique, puis tenté de reproduire cette structure avec l’autre moitié par une analyse confirmatoire. L’ACP avec la première moitié a révélé la présence de deux facteurs, lesquels ont été confirmés par l’analyse parallèle2 et la courbe des éboulements ; ils représentent respectivement 31 % et 14 % de la variance totale. Les saturations après rotation orthogonale sont présentées au Tableau 2. En retenant les saturations plus élevées que 0,32 [52], on observe que le premier facteur regroupe les items 1, 2, 3, 4, 5 et 7, alors que le deuxième facteur regroupe les items 4, 5, 6, 8, 9 et 10. Les item 4 et 5 se retrouvent dans les deux facteurs, il s’agit donc d’items complexes. Enfin, l’alpha de Cronbach pour l’ensemble des dix items est 0,75. L’analyse confirmatoire de ce modèle dans la seule deuxième moitié du groupe n’a cependant pas permis d’identifier un modèle d’ajustement suffisant : chi carré significatif (194,03, p < 0,0001), SRMSR de 0,0984, GFI de 0,8671, RMSEA de 0,1359 (intervalle de confiance de 90 % variant de 0,1176 à 0,1547) et indice d’ajustement de Bentler de 0,7493. L’indice de Wald indiquait que tous les paramètres étaient significatifs et donc qu’aucun ne pouvait être retiré, et l’indice de Lagrange n’a pas indiqué de paramètres supplémentaires. Dans cette situation, nous avons calculé une ACP sur le groupe en entier afin d’en identifier la structure interne d’ensemble. Nous suivons ici précisément la stratégie d’analyses de données utilisée habituellement dans de tels cas par les statisticiens [52,53] qui font suivre les AFC par des ACP dans des situations similaires à la nôtre où l’AFC ne donne pas de résultats satisfaisants. Les trois premières valeurs propres de cette ACP sont 3,43, 1,64 et 0,97. La courbe des éboulements confirme encore le bien-fondé d’une structure à deux facteurs. Le premier de ces facteurs explique 34 % de la variance des scores, le deuxième 16 %. Les saturations après rotation orthogonale sont présentées au Tableau 2. Cette structure est semblable à celle de la première moitié, sauf que cette fois, les deux items complexes sont les items 5 et 6. Dans pareil cas, les recommandations des statisticiens convergent vers une élimination de ces items complexes et instables [53] afin de maximiser la clarté et la stabilité de la structure interne de l’échelle. Bref, nous retenons cette structure à deux facteurs et sept items. Le premier facteur, qui comprend les items 1, 2, 3 et 7 peut être appelé « Anxiété paranoïde » alors que 2 Analyse faite sur 1000 itérations avec un alpha à 0,05 et 10 items. Les trois premières valeurs propres ne devaient pas être plus grandes que 1,20, 1,14 et 1,10 respectivement alors que les trois premières valeurs propres que nous observons sont : 3,14, 1,36, 1,02.
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Tableau 2 Valeurs propres, pourcentages de variance expliquée et saturations de l’analyse en composantes principales des facteurs de l’Échelle d’hypersensibilité narcissique (ÉHSN) dans le groupe non clinique.
Valeurs propres Pourcentages de variance expliquée Saturation Item 1 Item 2 Item 3 Item 4 Item 5 Item 6 Item 7 Item 8 Item 9 Item 10
1re moitié de l’échantillon non clinique (n = 325)
2e moitié de l’échantillon non clinique (n = 324)
Total (n = 649)
Facteurs
Facteurs
Facteurs
Anxiété paranoïde
Égocentrisme
Anxiété paranoïde
Égocentrisme
Anxiété paranoïde
Égocentrisme
3,12 31 %
1,37 14 %
3,43 34 %
1,64 17 %
3,94 39 %
1,32 13 %
0,46 0,84 0,68 0,42 0,37 0,22 0,78 0,22 0,05 −0,05
0,21 −0,06 0,10 0,43 0,44 0,57 0,20 0,65 0,71 0,62
0,51 0,83 0,69 0,37 0,66 0,36 0,79 0,25 0,17 −0,14
0,27 −0,06 0,13 0,22 0,32 0,47 0,02 0,65 0,75 0,87
0,51 0,84 0,74 0,41 0,59 0,41 0,81 0,29 0,19 0,01
0,31 0,04 0,14 0,30 0,31 0,49 0,15 0,68 0,77 0,83
Les saturations soulignées sont supérieures à 0,32 et ont été retenues dans la composition des facteurs. Cependant, les items 4, 5 et 6 sont complexes et n’ont donc pas été retenus dans les facteurs.
le second facteur, qui comprend les items 8, 9 et 10, peut être nommé « Égocentrique ». Ajoutons que ce modèle présente aussi des valeurs satisfaisantes sur les indices statistiques d’AFC : un chi carré significatif (92,43, p < 0,0001), un SRMSR de 0,0718, un GFI de 0,9604, un RMSEA de 0,1007 (intervalle de confiance de 90 % variant de 0,0819 à 0,1205) et un indice d’ajustement de Bentler de 0,9220. Une rotation oblique révèle une corrélation de 43 entre les deux dimensions, soit une variance partagée de 18 %. 4.6. Corrélations avec les autres échelles Nous présentons au Tableau 3 les corrélations entre, d’une part, l’hypersensibilité totale et ses deux dimensions, et d’autre part, les autres échelles pour les groupes non clinique et clinique. Nous y reproduisons aussi les statistiques obtenues avec la version originale anglaise pour les mêmes échelles pour fins de comparaison. Le nombre de participants n’est pas le même pour toutes les échelles, quoiqu’il soit suffisant dans tous les cas en termes statistiques ; la raison de cette variation est que nous n’avons pas voulu alourdir inutilement la tâche des participants. 4.7. Stabilité temporelle Nous observons entre les deux prises de mesure une corrélation de 0,76 (n = 115, p = 0,0001) pour l’hypersensibilité totale, de 0,77 (p = 0,0001) pour la dimension Anxiété paranoïde, et de 0,60 (p = 0,0001) pour la dimension Égocentrisme. Les moyennes au deuxième temps de mesure ne sont significativement pas différentes de celles du premier temps de mesure (test t pairés) pour
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Tableau 3 Corrélations du score total et des scores factoriels (Anxiété paranoïde, Égocentrisme) de l’Échelle d’hypersensibilité narcissique (ÉHSN) et de la Hypersensitive Narcissistic Scale (HSNS) avec les scores totaux de l’Échelle de personnalité narcissique, le facteur Exploitation et supériorité de droit de cette dernière échelle, les cinq facteurs de personnalité (Extraversion, Agréabilité, Conscience, Névrotisme et Ouverture), les trois facteurs de machiavélisme (Attitude cynique envers autrui, Stratégies de duplicité et Moralité), et les trois facteurs sur l’organisation de la personnalité (Mécanismes de défense primitifs, Diffusion de l’identité et Qualité du contact avec la réalité). Échelles d’hypersensibilité narcissique HSNS
Groupe non clinique
Score total de l’Échelle de personnalité narcissique (ÉPN) Facteur Exploitation de l’ÉPN Échelle d’estime de soi de Rosenberg Extraversion Agréabilité Conscience Névrotisme Ouverture Score total de MACH-IV Attitude cynique (MACH-IV) Duplicité (MACH-IV) Moralité (MACH-IV) Défenses primitives (IPO) Diffusion de l’identité (IPO) Qualité du contact avec la réalité (IPO)
Groupe clinique
Non clinique
Total
Facteur Anx. Par.
Facteur Égo.
Total
Facteur Anx. Par.
Facteur Égo.
Total
0,15** 0,28*** −0,25** −0,36** −0,19** −0,04 0,51** −0,11* 0,37** 0,37** 0,30** 0,12 0,46** 0,47** 0,22**
−0,01 0,12** 0,24** −0,30** −0,01 −0,01 0,50** −0,23** 0,13* 0,16* 0,09 −0,01 0,39** 0,51** 0,11
0,25*** 0,31*** 0,11 −0,19** −0,44** −0,03 0,26** 0,02 0,51** 0,47** 0,45** 0,18* 0,32** 0,19** 0,24**
−0,09 0,19 −0,48** −0,47** −0,44** 0,07 0,76** −0,08 0,04 0,04 −0,01 −0,13 0,36* 0,55** 0,14
−0,11 0,18 −0,50** −0,42** −0,24 0,19 0,64** 0,04 −0,02 −0,04 0,02 −0,14 0,27 0,51** 0,12
0,17 0,30 −0,30 0,20 −0,59** 0,11 0,61** −0,09 0,16 0,16 0,17 −0,09 0,38* 0,42** 0,16
0,02 n.d. n.d. −0,28** −0,44** −0,12 0,51** −0,18* n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. n.d.
* = p ≤ 05, ** = p ≤ 01. n (groupe non clinique) = 356 pour les échelles du IPIP et 255 pour les autres mesures. n (groupe clinique) = 41 pour les échelles de l’IPO et du ÉESR ; 38 pour le MACH-IV ; et 33 pour les échelles du IPIP ; n.d. : résultat non disponible, n’ayant pas été évalué chez nos participants.
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ÉHSN
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Autres échelles
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ces trois indices. Enfin, au deuxième temps de mesure, ces indices sont encore une fois semblables chez les femmes et les hommes. 4.8. Comparaison des groupes clinique et non clinique Des analyses de différences de moyennes et de corrélations ont été réalisées entre les deux groupes. Nous observons des différences significatives et attendues entre les groupes pour le score total (F(1, 652) = 107,49, p < 0,0001), chacun des dix items (la correction de Bonferonni a été appliquée et donc, le niveau alpha a été divisé par dix), ainsi que pour les deux dimensions : Anxiété paranoïde : F(1, 653) = 70,91, p < 0,0001 ; Égocentrisme : F(1, 653) = 74,38, p < 0,0001). Les corrélations sont présentées au Tableau 3, alors que les moyennes des items, de l’hypersensibilité totale et des deux dimensions sont au Tableau 1. 5. Discussion Le résultat le plus significatif de cette étude est sûrement d’observer que l’hypersensibilité narcissique se compose de deux dimensions interreliées (corrélation de 0,43), soit l’Anxiété paranoïde et l’Égocentrisme. L’ensemble des indices statistiques indique que cette structure bidimensionnelle est plus cohérente et plus stable qu’une structure unidimensionnelle. De plus, cette structure bidimensionnelle s’accorde fort bien avec des observations récentes sur cette échelle d’hypersensibilité narcissique, soit une dimension Hypersensibilité au jugement (items 1, 2, 3 6, 7 et 9) et une dimension Égocentrisme (items 4, 5, 8 et 10) [35], ou encore une structure à trois facteurs [34] : Hypersensibilité, (items 2, 3, 6 et 7), Égoïsme (items 4, 5 et 10) et Égocentrisme (items 1, 8 et 9), ces deux derniers semblant évidemment correspondre à notre propre dimension Égocentrisme. Il semble en fait que ces deux dimensions permettent de distinguer de fac¸on plus précise deux aspects fondamentaux et interreliés de la personnalité hypersensible, à savoir la relation à l’objet et au soi. Plusieurs auteurs reconnus dans ce domaine, comme Kernberg, Ronningstam, Gunderson et Kohut, ont montré que les pathologies narcissiques reposent sur une combinaison particulière de clivage des représentations de soi et de projection massive des représentations de soi négatives. Le clivage des représentations de soi permet la séparation entre d’une part, les aspects de soi positifs et idéalisés, et d’autre part, les aspects de soi négatifs et dévalorisés. De plus, les aspects négatifs et dévalorisés sont projetés de fac¸on massive sur les objets externes, ce qui libère le moi de ses côtés imparfaits, pour laisser place à un intense surinvestissement de soi, tantôt dans un égocentrisme grandiose et superbe (le soi tout puissant, supérieur, omnipotent des états narcissiques grandioses), tantôt dans un intense repli sur soi alimenté par l’auto-victimisation, les plaintes, la passivité et la dépression qui entraînent le sentiment d’être spécial, voire unique, et de mériter un statut particulier, des droits et des privilèges (narcissisme hypersensible) ; on comprend bien ainsi que le narcissisme hypersensible est finalement lui aussi une fac¸on d’assurer une gratification narcissique continue. Quant aux objets sur lesquels les représentations de soi négatives et dévalorisées sont projetées, ils deviennent de dangereux persécuteurs chargés d’envie dont le patient narcissique doit se méfier. Bref, la dimension Égocentrique de l’échelle d’hypersensibilité rendrait compte de ce repli sur soi et du surinvestissement massif du soi et de ses besoins, alors que la dimension Anxiété paranoïde reflèterait la méfiance anxieuse que le patient entretient à l’égard des objets chargés de projections négatives. Dans l’ensemble, les corrélations avec les autres échelles soutiennent cette interprétation des résultats. Ainsi, les corrélations entre le score global de l’échelle de pathologie narcissique
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(ÉPN) et le score global d’hypersensibilité sont faibles, chose attendue puisque l’ÉPN mesure l’expression grandiose de la pathologie du narcissisme ; d’autres études [28,31,32] ont déjà rapporté des résultats comparables. La corrélation entre la grandiosité mesurée par l’ÉPN et la dimension Égocentrique est plus élevée, ce qui est sensé, puisque l’égocentrisme du patient narcissique va de pair avec une certaine survalorisation du soi purifié de ses aspects négatifs. Par ailleurs, les corrélations avec le facteur Exploitation et supériorité de droits de l’ÉPN sont significatives pour le score total d’hypersensibilité et ses deux dimensions. Pareille corrélation avec le score total d’hypersensibilité a aussi déjà été observée [28,29,33]. Il semble donc que l’exploitation et la supériorité de droit se retrouvent autant chez le narcissique grandiose que chez le narcissique hypersensible. Qui plus est, les corrélations de ce facteur Exploitation sont légèrement plus élevées avec la dimension Égocentrique qu’avec la dimension Anxieuse paranoïde, chose aussi attendue puisque l’exploitation d’autrui participe d’une survalorisation de soi et de ses propres besoins au dépens de l’objet. Les corrélations négatives avec l’estime de soi mesurée par l’échelle de Rosenberg confirment que l’hypersensibilité narcissique manifeste une faible estime de soi. Cette corrélation est cohérente avec le concept d’hypersensibilité narcissique, tous les auteurs qui se sont intéressés à ce concept ayant insisté sur le fait qu’une faible estime de soi est une caractéristique essentielle de l’hypersensibilité narcissique, contrairement évidemment à ce que l’on observe dans l’expression grandiose [3,14,19,22]. Des données empiriques récentes [33,36] vont d’ailleurs en ce sens avec des corrélations négatives d’environ 0,30 entre l’hypersensibilité narcissique et l’estime de soi, alors que la grandiosité narcissique corrèle positivement et dans des valeurs semblables avec l’estime de soi [54–56]. Les corrélations entre l’hypersensibilité et les cinq facteurs du modèle de personnalité sont aussi très semblables à celles déjà publiées [23,30,41], tous les facteurs sauf celui dit Conscience, étant corrélés et le facteur les plus corrélé étant encore ici le Névrotisme. Ajoutons à cela que l’Anxiété paranoïde présente une corrélation assez forte avec le Névrotisme, chose qui peut être causée en bonne partie par la corrélation élevée du Névrotisme avec l’anxiété. L’autre résultat notable est que l’Agréabilité a une corrélation plus élevée avec l’Égocentrisme qu’avec l’Anxiété paranoïde. Il est possible que l’Égocentrisme soit lié à une certaine capacité de plaire, voire de séduire, chose évidemment contraire en ce qui a trait à l’Anxiété paranoïde qui est plutôt liée à un affect négatif et socialement moins adéquat. Des études supplémentaires pourraient possiblement documenter cette hypothèse explicative. Les corrélations de l’hypersensibilité avec l’échelle sur le machiavélisme (MACH-IV) ne peuvent être comparées à d’autres résultats car il s’agit, à notre connaissance, des premiers résultats publiés sur le sujet. Cependant, ces corrélations sont dans l’ensemble conformes aux attentes fondées sur les observations d’auteurs comme Kernberg [14] et Paulhus et Williams [48] qui voient dans le machiavélisme une composante du narcissisme pathologique et de la psychopathie. Autant le score global d’hypersensibilité que la dimension Égocentrique corrèlent de fac¸on significative avec le score global de machiavélisme et ses deux premiers facteurs, lesquels traduisent un engagement superficiel dans les relations interpersonnelles lié à une attitude hautaine, voire méprisante et sarcastique à l’égard d’autrui (premier facteur du MACH-IV), ainsi qu’à des comportements sociaux stratégiques qui s’inscrivent dans une manipulation plus ou moins marquée d’autrui (deuxième facteur). Le fait que les corrélations soient plus fortes pour l’Égocentrisme que pour l’Anxiété paranoïde peut traduire le fait que le machiavélisme implique en soi une certaine interaction avec autrui ; utiliser, manipuler voire exploiter autrui est une fac¸on d’être relié à l’objet, alors que l’Anxiété paranoïde commande plutôt une mise à l’écart de l’objet, une fuite du contact
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avec autrui. Quant à l’absence de corrélation avec le troisième facteur Mépris de la moralité, elle peut possiblement être causée par la faiblesse de ce facteur qui ne comprend que deux items et qui est reconnu comme étant le plus instable et le moins valide des trois [57]. Enfin, on observe des corrélations significatives entre l’hypersensibilité et les facteurs de la IPO qui évaluent la diffusion de l’identité et les mécanismes de défense primitifs. Kernberg [2,14] et Ronningstam [16] observent que le narcissisme pathologique, qu’il soit d’expression hypersensible ou grandiose, entraîne une diffusion de l’identité, soit des représentations de soi et d’autrui pauvres, superficielles et stéréotypées, lesquelles sont à la base des relations dénuées d’empathie et d’intérêt véritable que ces personnes tendent à entretenir avec autrui. Il en va de même des mécanismes de défense primitifs, comme le déni, le clivage, l’idéalisation et le contrôle omnipotent : il s’agit là de stratégies d’adaptation qui sont déployées dans des situations qui perturbent l’équilibre narcissique du sujet ; or, ces mécanismes ont un impact négatif important sur l’adaptation psychosociale du sujet en raison de leur manque de nuances, de leur rigidité et des distorsions qu’elles entraînent. Le facteur relatif à la qualité du contact avec la réalité corrèle aussi significativement avec l’hypersensibilité mais avec moins d’ampleur. Il faut sans doute prendre en compte ici le fait que ce facteur présente une variance moins importante que les deux autres (0,29 vs 0,52 et 0,60) et qu’un effet plafond peut se faire sentir puisque les niveaux élevés de ce facteur reflètent des distorsions très fortes, voire à caractère délirant comme on en retrouve chez des sujets décompensés, chose possible mais relativement peu fréquente chez des participants comme les nôtres, soit des étudiants universitaires en activité normale d’études. Enfin, les moyennes et écarts-types du score global d’hypersensibilité narcissique sont très similaires à ceux de la version originale anglaise (t = 2,71, p < 0,01). L’absence de différences entre hommes et femmes dans nos deux échantillons est une autre observation positive. Ces résultats indiquent que les deux versions de cette échelle peuvent être comparées, soit à des fins de recherche ou de clinique. Notre étude présente plusieurs limites. Les premières concernent l’échantillonnage qui est assez limité en termes d’âge et de niveau de formation ou d’éducation. Des échantillons plus variés relativement à ces caractéristiques populationnelles devront donc être étudiés. Une plus grande variance en termes de psychopathologie devrait aussi être représentée dans de prochaines études afin de mieux rendre compte des niveaux très graves de pathologie narcissique mais aussi d’autres psychopathologies de la personnalité qui sont parfois associées avec le narcissisme pathologique comme les troubles de la personnalité psychopathique, antisociale ou limite. Il serait aussi utile de confronter cette échelle d’hypersensibilité narcissique avec des critères externes comme des évaluations de cliniciens, ou encore d’observer comment elle se comporte avec des groupes contrastes (sous-groupes de populations cliniques et non cliniques par exemple), ou encore des participants en traitement qui présentent ou non une évolution de leur condition psychologique.
6. Conclusion Cette étude avait pour objectif d’explorer le concept d’hypersensibilité narcissique, soit sa structure interne et ses liens avec d’autres caractéristiques de la pathologie narcissique. Les résultats sont dans l’ensemble satisfaisants et ils sont cohérents avec des observations et considérations cliniques actuelles. Nous observons en fait deux dimensions interreliées au cœur de l’hypersensibilité narcissique, soit une dimension relative au soi (égocentrisme et repli sur soi, survalorisation de soi, de ses besoins) et une autre relative à la relation à l’objet (anxiété paranoïde à l’égard d’autrui considéré comme menace à l’équilibre narcissique du sujet). De fac¸on plus globale, rappelons
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que la pathologie narcissique constitue aujourd’hui un champ d’étude en développement rapide qui documente de mieux en mieux la nature des multiples caractéristiques, présentations et manifestations du narcissisme pathologique, et nous espérons que cette étude pourra contribuer à ce développement qui peut intéresser les cliniciens comme les chercheurs. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8]
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