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Les ldsions traumatiques de la main: blessure narcissique, tournant fonctionnel et psychique, prise en charge psychologique E. G O U G E O N 1, P. PRI~VOST 2, L. POLI 3
RI~SUMI~ :Dans notre unit6, la prise en charge psychologique est un souci constant de l'6quipe. Les entretiens permettent la verbalisation de certains thbmes tels que l'accident, la blessure narcissique, l'id6alisation du chirurgien et de la chirurgie, les sentiments de culpabilit6 ou les attitudes de reproches, la r66ducation, le besoin d'informations, etc. Leur 61aboration en entretien produit des effets thdrapeutiques 6tonnants sur le sujet accident6 et am61iore les capacit6s de r6investissement. Ann Chir Main, 1991, 10, n ° 5 , 4 8 2 - 4 8 5 . MOTS-CLI~S
: Mains.
- Traumatisme.
- Psychisme.
La prise en charge psychologique des accident6s de la m a i n est un souci constant et intense de l'6quipe chirurgicale dans laquelle nous travaillons. L'abord psychoclinique des patients met en 6vidence quelques th6mes particulibrem e n t fr6quents et pertinents. Leur 61aboration verbale en entretien produit des effets th6rapeutiques certains et parfois 6tonnants. LA PRISE E N C H A R G E P S Y C H O L O G I Q U E Elle c o m m e n c e le plus t6t possible apr6s l'accident : le patient est sous le choc t r a u m a t i q u e et un p r e m i e r contact chaleureux et s6curisant en vue d'un travail verbal est le bienvenu. Cette prise en charge se veut intensive dans les premiers temps post-op6ratoires, puis elle peut s'assouplir, s'adapter au r y t h m e des consultations et aux besoins de chaque patient. Les entretiens individuels sont compl6t6s par des 6changes p y r a m i d a u x patient-chirurgienkin6sith6rapeute-psychologue lors de la consultation.
Notre pr6sence p e n d a n t le temps de consultation et de pansements est souvent demand6e ou m a n i f e s t e m e n t appr6ci6e par les patients qui y trouvent une r6f6rence chaque fois qu'un soin paralyse, rend m u e t ou fait <~hurler )) et chaque fois que le regard sur la m a i n est trop sid6rant. La connaissance du contexte chirurgical par la psychologue est essentielle afin que le suivi th6rapeutique soit r6aliste, pertinent et adapt6. Cette connaissance p e r m e t au patient d'avoir un interlocuteur inform6 q u a n d il formule ce qu'il ressent ou quand il exprime ses questions, ses h6sitations ou son 6 t o n n e m e n t devant certaines techniques.
1. Psychologue clinicienne, 2. Chirurgien des H6pitaux, 3. Kin~sithdrapeute-R~kducateur, UnitO Urgences-Mains, Hospices Civils (CHR U), 1, place de l'H6pital, 67091 STRASBOURG Cedex (France). Manuscrit re(~u/~ la Redaction le 2 novembre 1989.
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LESIONS TRA UMATIQUES DE LA M A I N : PSYCHOLOGIE
L'intdgration de la psychologue dans l'6quipe est fondamentale et doit honorer la spdcificit6 de chacun, la reconnaissance r6ciproque et le respect mutuel entre chirurgiens et psychologues. Les principaux thbmes de travail en entretien sont : l'accident, - - la blessure narcissique, l'id6alisation du chirurgien et de la chirurgie, les sentiments de culpabilit6 et l'accusation dans l'interpr6tation des causes de l'accident, la r66ducation et la mobilisation, les informations. -
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L'ACCIDENT Ce thbme s'impose de lui-m6me au patient. I1 ne peut faire autrement et ne peut 6viter d'en parler, parce qu'il en est encore complbtement imprdgn6. Pourquoi ?... L'accident, en effet, est brutal, inattendu, imprdvisible, ddclenchant effroi, stupeur, siddration et affects pdnibles, difficiles 5. intdgrer. C'est une agression qui fait irruption dans la sphbre rdelle du sujet. Et le psychisme est, en quelques instants envahi, submerg6 d'affects et de sentiments pdnibles, parfois de rdactions de rdvolte. L'ampleur des effets traumatiques est conditionnde par la fragilit6 psychique de l'accident6. Un m6me traumatisme peut avoir des cons& quences insignifiantes pour Fun, dramatiques pour l'autre. Cet instant souvent d6terminant off la presse s'dcrase, off la scie ddrape, off la toupie emporte les doigts, off le bras est entrain6.., laisse des traces durables chez le sujet. Ces traces se manifestent sous forme d'images rdpdtitives et lancinantes qui obsbdent le patient dbs l'instant off son esprit est inoccup6, et qui parasitent sa vie. Ces images ou ~ cauchemars 6veill6s )) sont constituds du premier regard sur les doigts accidentals ou de la chute de la presse sur la main, par exemple. Le patient se plaint souvent de ne pas pouvoir oublier l'accident, justement h cause de ces images lancinantes et malgr6 tousles efforts faits pour s'en d6barrasser. I1 semblerait que ces images soient une r6action incontr61able ayant pour but la ma~trise r6troactive de l'accident et de l'angoisse qui en est issue. L'expression de ces phdnombnes en entretien, facilite la liquidation du parasitage. Le patient comprend et accepte mieux ce qui lui arrive et peut oublier bien que de manibre trbs progressive uniquement, les effets p6nibles de l'accident.
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LA BLESSURE NARCISSIQUE L'amputation traumatique est toujours une perte inacceptable dont le deuil n'est jamais complbtement fait. Elle constitue une blessure narcissique pour le sujet qui se sent ainsi atteint dans son intdgrit6 corporelle, dans l'image qu'il a de son corps et dans l'amour ou l'estime qu'il lui porte. La modification brutale de la forme de la main ambne les patients 5. ressentir ddsagrdment et blessures face 5. ce corps d6sormais 16s6, altdr6, ddtdrior6 : sur le plan de l'apparence, certes, car la main est visible et son aspect modifie les rapports de sdduction, mais aussi sur le plan de fonctions assurant t'autonomie, la dignit6 et les gratifications narcissiques (artistiques, sportives, professionnelles...). Le travail de deuil que le patient se voit dans l'obligation d'effectuer en raison de l'irrdductibilit6 de la rdalit6 porte donc sur des images (image id6alis6e du corps ant6rieur 5. l'amputation et image iddale du corps issue de l'enfance) ainsi que sur les fonctions habituelles : sensibilit6, toucher, prdhension, action, exdcution. Le travail de deuil se traduit par de longues et frdquentes 6numdrations de routes les activitds, de tous 13s gestes que le patient ne peut plus exdcuter seul: il devient ddpendant. Voudra-t-il et pourra-t-il redevenir inddpendant ? I1 expose 6galement toutes les interfdrences relationnelles produites par le regard sur une main d6sagrdable h voir, d6sagrdable 5. montrer. C'est au travers de ces diff6rentes g6nes fonctionnelles et modifications relationnelles que la blessure narcissique et l'angoisse apparaissent. Ajoutons aussi l'6vocation frdquente de la saturation familiale et conjugale. Les patients se sentent rdduits au silence parce que l'entourage ne supporte plus leurs propos rdpdtitifs et leurs plaintes. Faire jaillir cette accumulation de souffrance permet de limiter les effets pathogbnes et d'aider le patient 5. d6couvrir puis 5. d6ployer ses capacit6s d'adaptation. L'IDI~ALISATION DU C H I R U R G I E N ET DE LA C H | R U R G I E Quand l'accident6 ddcouvre l'horreur qui vient de se produire, il est envahi d'angoisse. I1 imagine en se confiant au chirurgien que celui-ci va r6parer 5. la perfection, c'est-5.-dire redonner 5. la main sa fonction et son 6tat ant6rieur. Ces processus psychiques qui consistent 5. avoir des attentes de rdparation magique face au chirurgien proviennent de mdcanismes de
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ANNALES DE CHIRURGIE DE LA MAIN
d6fense contre l'angoisse 6voqu6e et sont renforc6s par toutes les informations glan6es dans les m6dias. Les limites chirurgicales dict6es par la r6alit6 et l'ampleur des 16sions sont souvent mal accept6es par les patients qui attendent la perfection. Id6alis6, le chirurgien est mis en demeure de r6parer au-delfi du possible. En verbalisant ses espoirs et ses d6ceptions face fi l'id6al escompt6, le patient se rend compte par lui-mame du caract6re utopique de ses attentes initiales et peut davantage appr6cier ce qui a 6t6 r6par6 et sauvegard6. La relation de confiance indispensable, va ainsi se mettre en place plus facilement.
auto-punitifs qui seraient peut-~tre h l'origine de l'accident et des r6cup6rations fonctionnelles tellement probl6matiques et lentes. Lh encore, l'6coute de ces propos permet au bless6 de se sentir reconnu dans sa souffrance, dans son besoin d'expression et dans ses d6sirs contradictoires (bouger et ne pas bouger, r6cup6rer et ne pas r6cup6rer). Eteindre sa voix pousse le patient dans des revendications r6p6titives et jamais satisfaites d'IPP. Celles-ci sont souvent symptomatiques • le sujet a l'impression que le pr6judice subi n'est pas reconnu par son entourage ou que les pertes corporelles, fonctionnelles et esth6tiques sont minimis6es injustement.
LES SENTIMENTS DE CULPABILIT/~ ET L'ACCUSATION DANS L'INTERPRI~TATION DES CAUSES DE L'ACCIDENT
LA RI~I~DUCATION ET LA MOBILISATION
Les propos des patients font syst6matiquement r6f6rence aux causes suppos6es de l'accident. Ils ont besoin de les cerner, de r6p6ter verbalement le d6roulement des faits et d'6voquer les raisons qui sont, selon eux ~ l'origine de l'accident. I1 y a alors des manifestations 6videntes de culpabilit6, rep6rables dans les reproches que les accident6s s'adressent fi eux-m~mes ou ~ un tiers. Adress6s fi soi-m~me, ces reproches d6signent une maladresse gestuelle connue, l'obstination terminer un travail malgr6 la fatigue, le changement de poste pour obtenir un cong6 plus int6ressant, leur soumission ou leur incapacit6 fi s'opposer aux conditions de travail stressantes, l'acceptation, sous la pression du ch6mage et de l'entourage d'un poste dans un domaine 6tranger leur formation initiale. Nous relevons dans certains cas, de grands regrets de n'avoir pas poursuivi ou termin6 des 6tudes pour exercer une profession moins dangereuse. Les reproches adress6s fi des tiers concernent l'employeur trop exigeant pour le rendement mais trop laxiste quant aux syst~mes de s6curit6, les coll6gues qui n'ont pas d6branch6 la machine, qui l'ont mal remont6e ou qui ont fait une fausse manoeuvre. Chercher des explications plus ou moins logiques, se reprocher les causes de l'accident ou en rendre responsable un tiers, c'est encore une mani6re de tenter une ma~trise r6troactive de l'6v6nement souvent ~ indig6rable ~. Dans certains cas, on peut aussi d6celer des processus
Les patients attendent beaucoup de la r66ducation et du r66ducateur mais ils attendent souvent passivement. Certains ont des difficult6s 6normes ~t int6grer les consignes indiqu6es par l'6quipe. Ils montrent de mani6re diverse que le message n'est pas pass6 : leurs craintes de ~ tout casser h l'int6rieur )~, leur r6ticence fi se faire un peu mal sont parfois plus fortes et effacent les sollicitations des r66ducateurs et des chirurgiens. En demandant aux patients comment ils imaginaient la r66ducation, on obtient des effets th6rapeutiques mais aussi des informations tr6s int6ressantes sur leurs conceptions de la r66ducation. On d6couvre en effet que les patients esp6rent des massages et des massages... Ils sont d69us et interloqu6s par le fait de devoir bouger par eux-m~mes. Ils sont de plus, compl&ement perplexes devant la n6cessit6 de porter des orth6ses qui leur paraissent la plupart du temps insolites et g~nantes. En d'autes termes, le patient n'y comprend rien parce qu'il doit se prendre en charge alors qu'il s'attendait en quelque sorte ~t &re matern6 et dorlot6 par le r66ducateur. LES INFORMATIONS En entretien, on d6couvre c o m m e n t les informations donn6es par les chirurgiens sont transform6es ou non entendues par les patients. La psychologue est ainsi renseign6e sur les capacit6s de compr6hension et de transformation des messages, sur les souhaits ou les r6ticences des patients pour en savoir plus. On remarque alors une grande disparit6 de r6actions : les uns cherchent une maTtrise maximale des informations, les autres 6vitent de sa-
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voir quoi que ce soit, estimant que cela ne les concerne pas, pourvu que le chirurgien sache, lui, ce qu'il fait. Certains oublient ce qui leur a et6 dit. Plus tard, ils r e d e m a n d e r o n t ou se plaindront de ne pas avoir ate inform&. Les mecanismes de defense de chacun j o u e n t bien stir, un r61e f o n d a m e n t a l en fonction de l'angoisse qui est 5. gerer. I1 faut d o n n e r les informations souhaitees mais les doser en fonction des besoins et des demandes. Et quelle que soit la reaction du patient ou ses oublis ulterieurs, il parait indispensable que, dans le cadre 6thique d'une relation soignant-soigne, la psychologue lui d o n n e les m o y e n s en temps et en c o m m u n i c a t i o n pour
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avoir acc& 5. des informations qui concernent son corps, sa vie, sa subjectivite et qui font de sa m a i n un espace singulier et non une mdcanique depersonnalisee.
CONCLUSION Le travail psychologique rdduit les processus psychiques pathogenes qui perturbent la recuperation fonctionnelle. De plus, il amdliore les capacites de reinvestissement socio-professionnel et attenue les effets devalorisants et deprimants de la reprise du travail: c h a n g e m e n t de poste, declassement, entre autres.
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S U M M A R Y : In our unit, the clinical psychological approach is a constant concern o f the therapeutic team. Individual conversations allow verbalisation o f personal ideas about the accident, the narcissistic wound, the idealisation o f surgeons and surgery, guilt feelings, rehabilitation, the necessity for informations .... for the discussion of these issues has therapeutic effects for the injured person and improves his or her capacities for reinvestment.
R E S U M E N : En nuestro servicio, el apoyo psicol6gico es un constante problema del equipo. Las entrevistas que permiten la verbalizaci6n de ciertos temas c o m o el accidente, la lesi6n narcisica, la idealizaci6n de1 cirujano y de la cirugia, los sentimientos de culpabilidad o las actitudes de reproche, la fisioterapia, la necesidad de informaci6n, etc. La elaboraci6n durante las entrevistas produce efectos terapeuticos asombrosos, sobre el sujeto accidentado y mejora las capacidades de reinversi6n.
KEY-WORDS
PALABRAS
: Hand. - Injuries.
Psychism.
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4. G R O S C L A U D E M. - - Psychanalyse et r e a n i m a t i o n ? Rev rnOd Psychosomatique, 1988, 14, 47-62. 5. R A I M B A U L T G. - - Clinique du ROd : la Psychanalyse et les frontieres du Medical. Preface de G u i t e G U E R I N . Paris : Seuil, 1982, 187 p.
CLAVE
: Mano.
- Lesi6nes. Traumaticas.