Les hépatites virales B et C : un objet de recherche en santé publique

Les hépatites virales B et C : un objet de recherche en santé publique

© Masson, Paris, 2006. Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 1S1-1S3 Éditorial Les hépatites virales B et C : un objet de recherche en santé publ...

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© Masson, Paris, 2006.

Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 1S1-1S3

Éditorial Les hépatites virales B et C : un objet de recherche en santé publique Viral hepatitis B and C: an object of public health research J.-C. DESENCLOS(1), J.-F. DELFRAISSY(2) (1) Département Maladies Infectieuses, Institut de Veille Sanitaire, 12, rue du Val-d’Osne, 94415 Saint-Maurice cedex. Email : [email protected] (Tirés à part : J.-C. Desenclos) (2) Agence Nationale de Recherches sur le Sida et les hépatites virales (ANRS).

Environ 3,5 millions de personnes qui résidaient en France en 2003-2004 on été infectées dans le passé par les virus de l’hépatite B ou C (correspondant à environ 3,2 millions de personnes qui auraient dans leur sérum des anticorps anti-HBc et 370 000 des anticorps anti-VHC). Parmi elles, environ 500 000 sont actuellement porteuses chroniques de l’un ou l’autre virus (280 821 porteurs de l’AgHBs et 221 386 porteurs du VHC). Ces estimations, issues d’une enquête de prévalence réalisée en 2003-2004 [1], attestent de l’importance des questions de santé et de société que posent ces 2 virus dans notre pays. Dans ce bilan il faut intégrer les coinfections avec le VIH pour lesquelles on dispose aussi d’estimations qui indiquent que parmi les 100 000 personnes séropositives pour le VIH en 2004 [2], 24,3 % étaient infectées par le VHC (ce taux est de 92,8 % chez les usagers de drogue intraveineux [UDIV]) et 7 % par le VHB [3]. Les porteurs chroniques de ces infections représentant les sources potentielles des nouvelles contaminations, leur nombre est un déterminant important de l’incidence à venir. Par ailleurs, ce sont eux qui, en l’absence de dépistage et de prise en charge, développeront à terme les complications graves de la maladie. Deuffic et al., ont modélisé par une méthode de rétrocalcul la dynamique des complications sévères de l’infection par le VHC (cirrhose, carcinome hépatocellulaire) et de la mortalité qui y sera associée. Ils montrent que ces complications iront croissant jusque dans les années 2020 [4] et que leur impact est sensiblement réduit si le niveau de dépistage et de prise en charge des

patients touchés augmente. La mortalité spécifique aux deux virus a fait l’objet d’une étude récente sous l’égide de l’ANRS [5]. Il a ainsi été estimé qu’environ 5 100 décès étaient liés en 2001 à une infection par l’un des deux virus (3 600 pour le VHC et 1 500 pour le VHB) et que parmi ces décès 2 600 (73 %) et 1 300 (88 %) étaient directement imputables au VHC et VHB, respectivement. L’épidémiologie des infections par le VHB et le VHC, leurs modes de transmission et facteurs de risque, qui sont aujourd’hui bien connus, soulèvent par contre plusieurs questions de recherche et d’actions en santé publique. On retrouve en effet de nombreux déterminants sociaux et comportementaux à l’origine de la variabilité de la prévalence et de l’incidence des infections par les deux virus, tout particulièrement, l’âge, le sexe, la précarité sociale, la migration, le pays d’origine et l’usage de drogue. Quand on sait que ces caractéristiques sont des déterminants importants du dépistage et de la prise en charge, on perçoit les inégalités sociales de santé qui pourront naître à terme pour le traitement et la guérison des hépatites chroniques. Les prises en charge des malades sont lourdes, complexes et nécessitent des traitements prolongés et coûteux qui ont des effets secondaires importants, posant ainsi la question de l’observance du traitement, déterminant clé de son efficience et de la qualité de vie des patients. S’agissant d’infections chroniques fréquentes, dont les déterminants sociaux et comportementaux sont importants, leur analyse sociale, sociologique et anthropologique est, comme pour le VIH, indispensable pour en comprendre l’impact

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en santé publique, la perception des différents pans de la société confrontés au problème, les barrières au dépistage, les éventuels échecs des politiques de prévention… L’échec du programme de vaccination français contre l’hépatite B dans un contexte de controverse sociale unique au monde est un sujet tout particulier de recherche en science sociale et politique. Au-delà de sa finalité cognitive, ce type de recherche devrait permettre de mieux comprendre les tenants et aboutissants sociologiques, individuels et collectifs profonds, et ainsi aider à promouvoir les stratégies de communication vis-à-vis des professionnels de santé et du public, les plus efficaces. Enfin, l’approche économique est nécessaire, notamment l’évaluation coût-efficacité ou coûtutilité des stratégies de lutte disponibles, selon leur ciblage (facteurs de risque, précarité sociale…) dans le contexte du système de santé actuel. Depuis la maîtrise de la transmission par la transfusion et les progrès importants faits ces dernières années dans la prévention des hépatites B et C liées aux soins, la principale source de nouvelles infections est l’usage de drogue IV pour le VHC. L’impact limité de la réduction des risques sur le VHC chez les UDIV [6], la persistance d’un partage du matériel d’injection et de préparation des produits dans cette population, indiquent clairement que ce sujet garde une actualité brûlante. La poly-toxicomanie chez les usagers de drogue, incluant une dépendance forte et fréquente à l’alcool, interfère fortement et négativement avec les stratégies de prise en charge actuelle. Enfin, c’est chez les UDIV, et de manière quasi exclusive, que naissent les nouvelles co-infections VHC-VIH dont l’impact sur le pronostic vital est très mauvais. Le recul de la vaccination contre l’hépatite B et sa stagnation au sein des groupes à risque pourraient aussi être responsables à terme de la re-émergence de la transmission dans un contexte de relâchement de la prévention, notamment chez les gays. C’est sur la base de ce constat que l’Action coordonnée 25 (« Recherche en santé publique sur les hépatites B et C ») de l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales) a commencé son travail d’animation scientifique en juin 2004. Après avoir identifié des axes prioritaires de travail (barrières au dépistage

et prise en charge, déterminants de l’échec de la politique de réduction des risques chez les UDIV pour le VHC, évaluation de nouvelles stratégies de prévention chez les UDIV, aspects sociologiques de la vaccination contre l’hépatite B…), l’ANRS a organisé un séminaire de recherche en juin 2005. Il avait deux finalités : – faire le bilan des recherches en santé publique dans le champ des hépatites B et C soutenues par l’ANRS depuis 2000 ; – et partager et discuter avec une audience de chercheurs et d’acteurs en santé publique, la plus large possible, les orientations de recherche prioritaires identifiées par l’AC25 afin d’inciter, autour de ces priorités, des projets qui pourraient ensuite être soutenus par l’ANRS. Ce numéro supplémentaire de la Revue d’Epidémiologie et de Santé Publique publie les interventions et axes de réflexion des différents chercheurs qui sont intervenus à ce séminaire. Il permet de faire le bilan des recherches épidémiologiques et en sciences sociales sur les hépatites C et B les plus récentes en France et de leur contribution à leur connaissance. Les questions, les hypothèses et pistes de recherche que soulèvent les auteurs des articles tissent un canevas actualisé et multidisciplinaire des besoins de recherche en santé publique sur les hépatites virales B et C qui dépassent bien sûr notre hexagone. Il est en particulier apparu que, s’il demeurait des besoins de connaissances, il convenait de privilégier des approches d’essai d’intervention, si possible en situation expérimentale (sinon quasi-expérimentale), notamment pour tester : – des stratégies nouvelles de prise en charge et d’observance des traitements des personnes touchées par les infections chroniques à ces virus et dépendantes aux drogues ou à l’alcool ; – des stratégies innovantes de prévention de l’infection chez les usagers de drogue, notamment du passage à l’injection ; – et des modalités de communication et de promotion du calendrier vaccinal contre l’hépatite B auprès des médecins et du public. La recherche en santé publique sur les hépatites est devenue une priorité majeure. L’ANRS est prête à soutenir de nouvelles équipes de recherche dans ce domaine et à favoriser les relations entre les chercheurs en santé publique et la communauté des hépatologues.

LES HÉPATITES VIRALES B ET C : UN OBJET DE RECHERCHE EN SANTÉ PUBLIQUE

RÉFÉRENCES 1. Institut de Veille Sanitaire. Estimation des taux de prévalence des anticorps anti-VHC et des marqueurs du virus de l’hépatite B chez les assurés sociaux du régime général de France métropolitaine, 2003-2004. Analyse descriptive, janvier 2005. http://www.invs.sante.fr/publications/2005/analyse_descriptive_140205/ rapport_analyse_descriptive.pdf

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France, juin 2004. Bull Epidemiol Hebdo 2005 ; 23 : 109-12. 4. Marcellin P, Pequignot F, Delarocque-Astagneau E, Ganne N, Hillon P, Bovet M, et al. Evidence for high rates of HCV and HBV-related mortality in France: a large scale national survey. 41st annual meeting of the European Association for the Study of the Liver, Vienna, Austria, April 26-30, 2006.

2. Desenclos JC, Costagliola D, Commenges D, Lellouche J. La prévalence de la séropositivité VIH en France. Bull Epidemiol Hebdo 2005; 11: 41-4

5. Deuffic-Burban S, Wong JB, Valleron AJ, Costagliola D, Delfraissy JF, Poynard T. Comparing the public health burden of chronic hepatitis C and HIV infection in France. J Hepatol 2004; 40: 319-26.

3. Larsen C, Pialoux G, Salmon D, Antona D, Piroth D, Le Strat Y et al. Prévalence des co-infections par les virus des hépatites B et C dans la population VIH+,

6. Emmanuelli J, Desenclos JC. Harm reduction interventions, behaviours and associated health outcomes in France, 1996-2003. Addiction 2005; 100: 1690-700.