Table ronde : Séquelles respiratoires de la prématurité
Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 80-3 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01009150/SCO
Les infections respiratoires chez l’ancien prématuré H. Razafimahefa, T. Lacaze-Masmonteil* Service de pédiatrie et réanimation néonatales, hôpital Antoine-Béclère, 157, rue Porte-de-Trivaux, 92140 Clamart, France
Dans les pays industrialisés, les infections des voies respiratoires inférieures (VRI) représentent la première cause d’hospitalisation de l’enfant durant la première année de vie [1]. Aux États-Unis, le rapport du nombre des hospitalisations pour infections des voies respiratoires inférieures au nombre total d’hospitalisations dans la première année de vie a augmenté d’environ 24 % en 1980 à 35 % en 1996. Sur la même période, il est constaté une augmentation régulière de l’incidence des hospitalisations pour bronchiolite aiguë : le rapport du nombre des hospitalisations attribuées à une bronchiolite aiguë à la totalité des hospitalisations est de 16,4 % en 1996 alors qu’il n’est que de 5,4 % en 1980. Toujours aux États-Unis, l’incidence des hospitalisations pour bronchiolite dans la première année de vie est ainsi estimée à environ 31 pour 1 000 enfants (environ 13 pour 1 000 en 1980) et 50 à 80 % des bronchiolites du petit nourrisson sont l’expression d’une infection ou d’une réinfection par le virus respiratoire syncytial (VRS) [1]. Cette augmentation régulière du nombre des hospitalisations pour bronchiolite au fil des dernières années est aussi constatée en Île de France, notamment parmi les nourrissons âgés de moins de 3 mois [2]. La totalité des enquêtes sur les infections respiratoires chez l’ancien prématuré portent sur les infections liées au VRS. Il n’y a malheureusement aucune donnée disponible sur l’incidence des infections respiratoires communautaires liées à d’autres virus ou agent infectieux chez l’ancien prématuré. Dans la plupart des enquêtes portant sur les hospitalisations pour infections des VRI, seules sont men-
*Correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (T. Lacaze-Masmonteil).
tionnées les infections à VRS documentées par un diagnostic virologique, et la preuve de l’origine virale dans les hospitalisations dites VRS négatif n’est pas apportée : il est ainsi probable qu’une fraction de ces hospitalisations n’est pas liée à une infection virale mais traduit simplement une décompensation d’une dysplasie bronchopulmonaire (DBP). La majorité des hospitalisations pour bronchiolite à VRS concerne les nourrissons nés à terme et âgés de moins de 6 mois au moment de l’épidémie hivernale. Plusieurs facteurs de risque accru d’hospitalisation et de développement de formes sévères sont décrits dans la littérature : l’âge, la prématurité, la DBP, les cardiopathies congénitales, notamment avec hypertension artérielle pulmonaire, et les maladies neuromusculaires [3]. Parmi les facteurs extrinsèques sont le plus souvent identifiées la garde en collectivité, l’exposition au tabac, la présence d’autres enfants au domicile et les conditions socioéconomiques des parents [3]. La prématurité et la DBP sont les deux conditions morbides les plus fréquentes avec un risque d’hospitalisation très variable de 5 à 45 % selon les séries. PRÉMATURITÉ, DYSPLASIE BRONCHOPULMONAIRE ET INFECTION À VRS Les résultats de plusieurs études portant sur une population d’enfants à risque issus d’une base uniquement hospitalière concluent à un risque élevé d’hospitalisation pour infection respiratoire durant les premiers mois de vie. Selon une étude portant sur la fréquence et les causes de réhospitalisations chez 119 anciens prématurés de PN < 1 500 g (âge gestationnel [AG] moyen = 28 semaines d’aménorrhée [SA], PN
Infections respiratoires chez l’ancien prématuré
moyen = 1 115 g) pris en charge sur une période de 3 ans dans l’unité de soins intensifs [USI] du King’s College à Londres, 64 % des enfants sont réadmis au moins une fois durant la première année de vie et le nombre total d’admissions dans la première année de vie est de 137 [4]. Sur ces 137 admissions, 92 (67 %) sont liées à une infection des voies aériennes inférieures ou une bronchiolite. L’effet saisonnier est majeur car 45 % des enfants quittant l’hôpital entre septembre et décembre sont réhospitalisés alors que seuls 15 % des enfants retournant au domicile entre mai et août nécessiteront une réadmission durant la première année de vie. Selon une autre étude de suivi de cohorte portant sur 133 prématurés d’AG < 32 SA (AG moyen = 28 SA) sortis vivants d’une USI d’un centre périnatal de type III de l’état de New-York et suivis sur une période de deux ans, 36 % des enfants sont au moins hospitalisés une fois durant cette période pour une infection des VRI (contre 2,5 % des enfants d’un groupe témoin de nouveau-nés à terme) [5]. Le risque pour les enfants ayant eu une DBP (O2 à 28 jours de vie) d’être réhospitalisé pour la même raison est de 45 % dans cette population. Plus de 80 % des enfants hospitalisés le sont dans les 4 mois suivant le retour à domicile et le risque d’être réhospitalisé est multiplié par 3 (41 %) lorsque le retour à domicile s’effectue entre septembre et décembre (comparé aux 15 % de la période maiaoût). Ces études portent sur de petits effectifs avec une population sélectionnée par le recrutement d’origine : les taux d’hospitalisation pour infection des VRI (et non pour infection à VRS uniquement) doivent être interprétés avec prudence, du fait des fluctuations d’échantillonnage. Plusieurs études rétrospectives sont basées sur un recrutement régional [6-9]. Ces enquêtes intègrent plusieurs saisons successives pour lisser les fluctuations de l’intensité de l’épidémie d’une année sur l’autre. Ces études rétrospectives ont pour variable issue le risque de réhospitalisation pour infection prouvée à VRS. Elles s’appuient sur des registres régionaux, établis à partir d’un centre attractif régional de type III organisé en réseau. Sont recensés les données de la période périnatale et le suivi pour l’intégralité des enfants nés ou pris en charge après transfert dans le ou les centres périnatals régionaux de type III et la majorité (mais pas la totalité) des enfants nés dans les centres de type II. Les taux d’hospitalisation rapportés par ces études sont en général plus
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faibles que ceux des études basées sur la population issue d’un unique centre. Ce dernier point peut être lié au biais de recrutement d’études basées sur un échantillon non représentatif. Il peut trouver aussi un élément d’explication dans des modifications de la virulence des souches ou dans une modification progressive de la prise en charge avec le temps : campagne de prévention parmi les populations à risque, sélection plus pertinente des enfants nécessitant une hospitalisation (en se basant par exemple sur les données de l’oxymétrie de pouls aux urgences). Ces études en population mettent bien en évidence les variations importantes du risque selon l’âge gestationnel, le degré de gravité de la pathologie respiratoire initiale et la date du retour à domicile. Pour Joffe et al, parmi les 1 721 enfants d’AG < 37 SA constituant une cohorte régionale (Californie du Nord) établie sur une période de 4 ans, le pourcentage d’enfants hospitalisés pour infection à VRS durant la saison épidémique suivant l’année de naissance est globalement de 3,2 % [6]. Respectivement 18,4 et 9,2 % de ces enfants nécessitent une admission en soins intensifs et une ventilation assistée. Le risque d’hospitalisation est de 24,6 % pour les grands prématurés d’AG ≤ 32 SA, ayant nécessité une oxygénothérapie au-delà du 28e jour de vie, et sortis de l’hôpital pour le domicile dans les 3 mois avant le début de l’épidémie (septembre-novembre) (tableau I). En revanche, le risque n’est que de 1,2 % pour les prématurés d’AG > 32 SA, sans oxygénothérapie à 28 jours et sortis de l’hôpital entre décembre et août de l’année précédente (tableau I). Stevens et al. ont évalué rétrospectivement le risque d’hospitalisation pour infection à VRS avant l’âge corrigé d’un an parmi 1 029 enfants d’AG ≤ 32 SA nés au sein d’un réseau périnatal organisé autour de 2 centres de niveau III dans l’état de New-York [7]. L’estimation régionale du risque de réhospitalisation durant la première année de vie est évaluée à 11,2 %. Ce risque varie considérablement en fonction de l’AG et de la présence ou non d’une DBP à 36 semaines d’âge post-menstruel (tableau II). Il est ainsi estimé à 24,4 % parmi les grands prématurés avec DBP sévère (O2 ou ventilation à 36 SA). La durée moyenne d’hospitalisation est aussi significativement augmentée (9,4 jours) chez les enfants avec DBP à 36 SA, comparée à la durée moyenne pour la totalité de la population (5,9 jours).
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Tableau I. Pourcentage (et intervalle de confiance à 95%) d’enfants réhospitalisés au moins une fois pour une infection à VRS prouvée durant la saison épidémique suivant le retour à domicile. Étude rétrospective sur une période de 4 ans d’une cohorte de 1 720 prématurés établie à partir d’un réseau périnatal régional [6]. Âge Oxygénothérapie gestationnel < 28 jours ≥ 28 jours < 28 jours ≥ 28 jours
23-32 SA 33-36 SA
Domicile : décembreaoût
Domicile : septembrenovembre
3 % (2-6) 11 % (6-18) 1 % (1-2) 4 % (2-10)
8 % (5-14) 25 % (15-37) 3 % (2-5) 11 % (5-23)
SA : semaine d’aménorrhée.
Tableau II. Estimation sur une base régionale (et intervalle de confiance à 95 %) du risque d’hospitalisation pour infection à VRS prouvée dans la première année de vie. Étude rétrospective sur une période de 5 ans d’une cohorte de 1 029 prématurés établie à partir d’un réseau périnatal régional [7].
AG
DBP 36 SA
SA
Effectifs par classe
Enfants admis
% (IC 95 %)
≤ 26 27-28 29-30 31-32 total oui non
165 171 240 453 1 029 131 898
34 25 27 29 115 32 83
21 % (14-27) 15 % (9-20) 11 % (7-15) 6 % (4-9) 11 % (9-13) 24 % (17-31) 9 % (7-11)
AG : âge gestationnel ; DBP : dysplasie bronchopulmonaire ; SA : semaine d’aménorrhée ; IC : intervalle de confiance.
Une étude rétrospective portant sur une période de 4 ans (1989-1993), établie sur la base du registre régional (Tennessee, États-Unis) du système d’assurance collective Medicaid, a récemment rapporté les taux d’hospitalisation pour infection à VRS dans cette population bénéficiant d’un régime public d’assurance maladie [8]. Dans cette étude assortie d’une analyse des facteurs de risque médicaux et environnementaux (tableau III), le risque d’hospitalisation durant la première année de vie est estimé à 40,8 pour 1 000 enfants, soit entre 2 et 3 fois plus que le risque estimé dans la population générale. Parmi les enfants sans facteurs de risque médicaux, le risque est estimé à 29,5 pour 1 000 enfants. En revanche, le risque est estimé à 388,4 pour 1 000 enfants avec DBP (sans précision sur la gravité et la durée de la DBP), alors même que les enfants avec DBP ne contribuent que pour 0,4 % des 8 000 enfants/années cumulées. Calculé avec pour référence le sous-
Tableau III. Estimation du risque relatif d’hospitalisation pour infection à VRS dans la première année de vie, déterminée pour chaque facteur de risque médical et environnemental, au sein d’une cohorte régionale d’environ 250 000 années-enfants [8]. Facteurs de risque médicaux
RR (IC 95 %)
DBP* Cardiopathie AG < 29 SA* 28 SA < AG < 33 SA* 32 SA < AG < 36 SA* Facteurs environnementaux Fratrie à la maison Sexe masculin Tabagisme maternel Durée de scolarité de la mère
10,7 (8,4–13,6) 2,8 (2,3–3,3) 2,4 (1,8–3,3) 2,2 (1,8–2,7) 1,8 (1,6–2,1) 1,4 (1,3–1,5) 1,3 (1,2–1,4) 1,3 (1,2–1,4) 1,2 (1,1–1,3)
* Catégorie mutuellement exclusive et risque rapporté à celui observé dans le sous-groupe sans facteur de risque. DBP : dysplasie bronchopulmonaire ; AG : âge gestationnel ; SA : semaine d’aménorrhée ; RR : risque relatif ; IC : intervalle de confiance.
groupe d’enfants sans aucun facteur de risque médical, le risque relatif associé à la présence d’une DBP est de 10,7 [95 % IC : 8,4 – 13,7], largement supérieur aux risques relatifs associés aux divers degrés de prématurité sans DBP (tableau III). Dans cette étude, la présence de frères ou sœurs au domicile apparaît comme le facteur de risque environnemental le plus important : il augmente à lui seul le risque d’hospitalisation d’environ 40 %. Le poids de la DBP et de la présence d’autres enfants au domicile est aussi illustré par la seule étude prospective menée récemment dans un pays de la Communauté européenne (l’Espagne), rapportant les résultats du suivi sur une période d’un an (1998-1999) d’une cohorte de 620 prématurés d’AG < 33 SA [9]. Le taux d’hospitalisation pour infection à VRS est estimé dans cette population à 13,4 % avec un OR ajusté pour la DBP à 36 SA et la présence d’autres enfants à domicile de respectivement 3,1 [95 % IC : 1,2 – 7,9] et 1,9 [95 % IC : 1,0 – 3,4]. Parmi les 59 enfants hospitalisés pour infection à VRS dans cette étude, 15 (25,4 %) et 3 (5,1 %) ont nécessité respectivement une admission en USI et une ventilation assistée. La même étude réalisée l’année suivante (1999-2000) conclut à un taux d’hospitalisation très similaire de 13,1 % avec des facteurs de risque identiques [10].
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LA SITUATION EN FRANCE : L’ENQUÊTE PRIMEVÈRES Pour évaluer la fréquence et les causes de réhospitalisation parmi les populations à risque et pendant la période épidémique, une enquête multicentrique et prospective portant sur le devenir d’une cohorte des grands prématurés d’AG ≤ 32 SA nés entre le 1er avril 2000 et le 31 décembre 2000 s’est déroulée pendant la saison 2000-2001, avec l’aide des laboratoires Abbott (Observatoire Primevères). La fréquence et les causes des réhospitalisations durant la saison épidémique pour environ 2 800 prématurés d’AG ≤ 32 SA ont pu être ainsi déterminées. Parmi les enfants non traités par Synagist (environ 2 400, donc 15 % d’enfants dysplasiques à j28), 27 % des enfants ont été réhospitalisés au moins une fois et pour une période de 48 h ou plus. Le pourcentage d’enfants réhospitalisés au moins une fois pour infection des VRI est de 15 % (les infections des VRI représentent la première cause de réhospitalisation). Le pourcentage d’enfants réhospitalisés au moins une fois pour infection des VRI avec recherche de VRS positive est d’environ 7 %, un pourcentage inférieur à celui observé en Espagne. Parmi les enfants non traités et non dysplasiques à j28, les pourcentages d’enfants hospitalisés toute cause confondue, pour infections des VRI en général, et pour infection à VRS sont très peu différents, respectivement de 26, 14, et 7 %. La détermination des facteurs de risque environnementaux par une analyse multivariée est en cours. Cette enquête nationale devrait fournir des
informations sur la fréquence et les causes de réhospitalisations chez les anciens grands prématurés en France et pourrait permettre de mieux cibler les indications de la prophylaxie dans des sous-groupes particulièrement à risque d’infection grave à VRS au décours de la période d’épidémie. RE´ FE´ RENCES 1 Shay DK, Holman RC, Newman RD, Liu LL, Stout JW, Anderson LJ. Bronchiolitis-associated hospitalizations among US children, 1980-1996. JAMA 1999 ; 282 : 1440-6. 2 Grimprel E. Epidémiologie de la bronchiolite du nourrisson en France. Arch Pédiatr 2001 ; 8 : 83-92. 3 Law BJ, Carbonell-Estrany X. Epidemiology of respiratory syncytial virus disease. J Respir Dis 2000 ; 2 : S10-S6. 4 Yuksel B, Greenough A. Birth weight and hospital readmission of infants born prematurely. Arch Pediatr Adolesc Med 1994 ; 148 : 384-8. 5 Cunningham CK, McMillan JA, Gross SJ. Rehospitalization for respiratory illness in infants of less than 32 weeks’gestation. Pediatrics 1991 ; 88 : 527-32. 6 Joffe S, Escobar GJ, Black SB, Armstrong MA, Lieu TA. Rehospitalization for respiratory syncytial virus among premature infants. Pediatrics 1999 ; 104 : 894-9. 7 Stevens TP, Sinkin RA, Hall CB, Maniscalco WM, McConnochie KM. Respiratory synticytial virus and premature infants born at 32 week’s gestation or earlier. Arch Pediatr Adolesc Med 2000 ; 154 : 55-61. 8 Boyce TG, Mellen BG, Mitchel EF, Wright PE, Griffin MR. Rates of hospitalisation for respiratory syncytial virus infection among children in Medicaid. J Pediatr 2000 ; 137 : 865-70. 9 Carbonnell-Estrany X, Quero J, Bustos G, Cotero A, Domenech E, Figueras-Aloy J, et al. Rehospitalization because of respiratory syncytial virus infection in premature infants younger than 33 weeks of gestation : a prospective study. Pediatr Infect Dis J 2000 ; 19 : 592-7. 10 Carbonnel-Estrany X, Quero J, the IRIS study group. Hospitalization rates for respiratory syncytial virus infection in premature infants born during two consecutive seasons. Pediatr Infect Dis J 2001 ; 20 : 874-9.