G Model
AMEPSY-2607; No. of Pages 8 Annales Me´dico-Psychologiques xxx (2018) xxx–xxx
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Les innovations the´rapeutiques en alcoologie Therapeutic innovations in addiction medicine Franc¸ois Paille Service de me´decine L-addictologie, CHRU de Nancy, hoˆpitaux de Brabois, rue du Morvan, 54500 Vandœuvre-le`s-Nancy, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx
L’accompagnement psychosocial reste l’e´le´ment cle´ du traitement des patients de´pendant de l’alcool, qu’il s’agisse de re´duire leur consommation ou de l’arreˆter. Cependant diverses me´thodes me´dicamenteuses et non me´dicamenteuses sont en cours de de´veloppement et ouvrent des perspectives inte´ressantes. Les me´dicaments. – Actuellement, deux me´dicaments peuvent eˆtre utilise´s pour re´duire la consommation d’alcool : le nalme´fe`ne et le baclofe`ne dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation. Les e´tudes disponibles a` ce jour montrent des tailles d’effet faibles a` mode´re´es dans cette indication. Le re´sultat est meilleur si l’on conside`re seulement les patients qui pre´sentent une forte consommation d’alcool. Quatre mole´cules sont disponibles pour aider les patients a` maintenir une abstinence : l’acamprosate, la naltrexone, le disulfirame et le baclofe`ne. Les tailles d’effet calcule´es par les me´ta-analyses sont e´galement faibles a` mode´re´es. L’efficacite´ du disulfirame paraıˆt inte´ressante lorsque le patient a compris son me´canisme d’action et qu’il est utilise´ avec une supervision. Son utilisation est cependant limite´e par un risque d’effets inde´sirables rares mais potentiellement graves. L’identification de sous-groupes de patients re´pondant mieux a` certains me´dicaments est un enjeu important. A` ce jour, peu de crite`res peuvent eˆtre retenus. Soulignons cependant que, quel que soit le me´dicament conside´re´, une consommation d’alcool e´leve´e et une difficulte´ a` maintenir une abstinence ame´liorent de fac¸on significative la taille d’effet des me´dicaments. La recherche de marqueurs ge´ne´tiques, apre`s une pe´riode prometteuse concernant notamment un polymorphisme du ge`ne OPMR1 codant pour le re´cepteur m de la morphine, n’a pas pour l’instant de´bouche´ sur des applications cliniques pratiques. Des mole´cules prometteuses sont actuellement en cours d’e´valuation, notamment l’oxybate de sodium et le topiramate. Parmi les traitements non me´dicamenteux. – Des re´sultats inte´ressants ont e´te´ mis en e´vidence avec la the´rapie d’acceptation et d’engagement (the´rapie de pleine conscience). Des travaux sont e´galement mene´s sur les troubles cognitifs qui sont des facteurs de risque de rechute et limitent l’efficacite´ des traitements. L’e´laboration de programmes de reme´diation cognitive est un enjeu important pour l’avenir. Des me´thodes de stimulation ce´re´brale, par stimulation magne´tique ou courant continu, ouvrent des perspectives e´galement inte´ressantes mais d’autres travaux sont ne´cessaires pour en situer la place e´ventuelle dans l’arsenal the´rapeutique des conduites addictives. Perspectives. – Enfin, le de´veloppement de l’e-sante´ ouvre des perspectives particulie`rement riches qu’il s’agisse d’apporter des informations aux patients, de les aider a` e´valuer leur consommation et a` la monitorer, de proposer aide et re´ponse en cas de situation a` risque ou de reprise de consommation ou encore d’utiliser diffe´rentes me´thodes the´rapeutiques inte´gre´es dans des applications pour smartphones.
C 2018 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.
Mots cle´s : Addiction Alcoologie Innovation Me´dicament Reme´diation cognitive Stimulation magne´tique transcranienne The´rapie d’acceptation et d’engagement
Keywords: Addiction Alcoholics Cognitive remediation Drug Innovation Mindfulness-based cognitive therapy Transcranial brain stimulation
Adresse e-mail :
[email protected] https://doi.org/10.1016/j.amp.2018.08.004 C 2018 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 0003-4487/
Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004
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A B S T R A C T
Psychosocial support remains the key element of treatment of alcohol-dependent patients in order to either decrease or cease their alcohol consumption. Drugs. – Two drugs can now be used to reduce alcohol consumption: nalmefene and baclofen in the context of a ‘‘temporary use recommendation’’. Currently available studies have shown weak to moderate effect sizes in this indication, but better results have been reported in populations confined to heavy drinkers. Four molecules are available to help patients maintain abstinence: acamprosate, naltrexone, disulfiram and baclofen. Effect sizes calculated by various meta-analyses are also low to moderate. Disulfiram appears to be more effective when the patient has understood its mechanism action and when it is used under supervision. However, the use of disulfiram is limited by the risk of rare, but potentially serious adverse effects. Identification of patient subgroups obtaining better responses to certain drugs constitutes a major research challenge, but only a few criteria have been defined to date. However, regardless of the drug considered, heavy drinking and difficulty to maintain abstinence significantly improve the effect size of the drug. After an initially promising period, especially concerning polymorphism of the OPMR1 gene coding for the morphine m receptor, identification of genetic markers has not yet resulted in any clinical applications. Promising molecules currently under evaluation include sodium oxybate and topiramate. Among non-pharmacological treatments. – Interesting results have been demonstrated with acceptance and commitment therapy (mindfulness-based cognitive therapy). Studies have also been conducted on cognitive disorders that constitute risk factors for relapse and that limit the efficacy of treatment. The elaboration of cognitive remediation therapy programmes is an important objective for the future. Magnetic or continuous current transcranial brain stimulation methods also open up interesting perspectives, but further studies are necessary to define the place of these treatments in the management of addictive behaviours. Perspectives. – Finally, the development of e-health opens up particularly encouraging perspectives to provide patients with information, to help them evaluate and monitor their consumption, to propose assistance and responses in high-risk settings or relapse or to use various therapeutic methods integrated in smartphone applications.
C 2018 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction Le de´veloppement d’une alcoolo-de´pendance repose sur une alte´ration de la re´gulation de deux syste`mes ce´re´braux [10] : d’une part, le syste`me de re´compense centre´ sur la libe´ration de dopamine, notamment dans le noyau accumbens. Cette libe´ration de dopamine est elle-meˆme re´gule´e par un grand nombre de neurotransmetteurs comme les syste`mes opioergiques, gabaergiques, glutamatergiques, se´rotoninergiques. . . La consommation chronique re´pe´te´e d’alcool induit des perturbations du fonctionnement de ce syste`me de re´compense qui ge´ne`re le craving, a` savoir l’envie irre´pressible de reconsommer de l’alcool pour en retrouver les effets ; le deuxie`me syste`me est celui de la re´gulation de la re´ponse au stress. Ce syste`me est centre´ en particulier sur le CRF (corticotrophin releasing factor) qui induit la synthe`se et la libe´ration des hormones de gestion du stress, a` savoir adre´naline et glucocorticoı¨des. Il intervient e´galement dans le fonctionnement de l’amygdale e´tendue qui joue un roˆle essentiel dans la re´gulation des e´motions et cre´e un lien entre syste`me de re´ponse au stress et syste`me de re´compense. La dysre´gulation, induite par la consommation chronique d’alcool, des circuits de re´ponse au stress participent e´galement a` la ge´ne´ration du craving. On comprend donc que celui-ci devient un concept central du de´veloppement des conduites addictives en ce sens qu’il est un des moteurs fondamentaux conduisant a` la reprise d’un produit ou a` la reproduction d’une conduite sans produit. Il est un facteur pronostique du re´sultat the´rapeutique [3]. Du point de vue des traitements me´dicamenteux, il est e´galement un concept fe´de´rateur du traitement des conduites
addictives. En effet, il gomme l’opposition entre me´dicaments de l’abstinence, me´dicaments de la re´duction des risques, me´dicaments de substitution. L’objectif ge´ne´ral est d’aider le patient a` modifier sa consommation, au mieux a` e´viter la reconsommation et les dommages induits en supprimant, si possible, le craving ou du moins en le re´duisant au maximum quel que soit le me´canisme d’action du me´dicament. Ce me´canisme peut eˆtre agoniste en se fixant sur les re´cepteurs de la substance psycho-active comme c’est le cas pour les traitements de l’addiction aux opiace´s ou de l’addiction a` la nicotine, on parle alors usuellement de traitements de substitution ; mais on peut e´galement utiliser des antagonistes, par exemple des opioı¨des (nalme´fe`ne, naltrexone), et bien d’autres neurotransmetteurs sont susceptibles de re´guler la libe´ration de dopamine dans le syste`me de re´compense, notamment les syste`mes gabaergiques et glutamatergiques, et ainsi agir sur le craving. L’e´le´ment central du traitement me´dicamenteux est donc bien la re´duction ou, mieux, la suppression de ce craving quel que soit le me´canisme d’action pharmacologique intime des me´dicaments.
2. Les me´dicaments disponibles : quelles strate´gies the´rapeutiques ? Rappelons tout d’abord que l’accompagnement psychosocial reste l’e´le´ment cle´ du traitement des patients de´pendants de l’alcool, qu’il s’agisse de re´duire leur consommation ou de l’arreˆter. Toutes les e´tudes qui ont e´te´ mene´es avec des me´dicaments montrent que cet accompagnement psychosocial, quelle qu’en soit la forme, reste le facteur qui explique la plus grande partie de l’efficacite´ d’un traitement. Les me´dicaments rajoutent a` l’effet produit par cet accompagnement un effet supple´mentaire limite´,
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d’autant qu’ils n’agissent que sur la consommation et pas sur les composantes psychosociales des conduites addictives. Cinq me´dicaments peuvent actuellement eˆtre utilise´s pour aider un patient alcoolode´pendant a` modifier sa consommation d’alcool : l’acamprosate, la naltrexone et le disulfirame sont indique´s dans l’aide au maintien de l’abstinence ; le nalme´fe`ne est indique´ dans la re´duction de consommation chez les patients alcoolode´pendants ; enfin, le baclofe`ne peut eˆtre prescrit soit pour diminuer la consommation d’alcool, soit pour l’arreˆter dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU).
2.1. Re´duire la consommation d’alcool Deux me´dicaments peuvent eˆtre utilise´s. 2.1.1. Le nalme´fe`ne (Selincro1) Il s’agit d’un antagoniste des re´cepteurs mu et delta. Il est e´galement agoniste partiel des re´cepteurs kappa, ce qui lui permet d’ajouter a` son effet antagoniste m, un effet sur les conse´quences dysphoriques de la consommation chronique excessive d’alcool en se comportant comme un antagoniste compe´titif au niveau des re´cepteurs kappa. Il est commercialise´ depuis fin 2014 dans la re´duction de consommation d’alcool chez les patients alcoolode´pendants. Il posse`de deux spe´cificite´s : tout d’abord, contrairement aux me´dicaments usuellement utilise´s, il s’agit d’un traitement « si besoin ». Le patient prend un comprime´ les jours ou` il perc¸oit un risque de consommer de l’alcool. Il s’agit donc d’un traitement potentiellement intermittent et a` la demande, ce qui permet au patient de devenir davantage acteur de son traitement ; par ailleurs, le crite`re de jugement principal est la re´duction de consommation, en particulier la re´duction du nombre de jours de fortes consommations et la re´duction de la quantite´ moyenne d’alcool consomme´ par jour. Sa tole´rance est globalement bonne. Il existe certes davantage d’effets inde´sirables chez les patients sous nalme´fe`ne que sous placebo dans les essais cliniques. Cependant la plupart de ces effets inde´sirables sont d’intensite´ faible a` mode´re´e. Les plus fre´quents sont des vertiges, des nause´es et vomissements, de la fatigue, des ce´phale´es et des troubles du sommeil. Ces effets inde´sirables peuvent survenir tre`s vite, quelques jours apre`s le de´but du traitement, et poussent les patients a` interrompre pre´cocement celui-ci alors que ces effets re´gressent le plus souvent rapidement. Les patients doivent donc en eˆtre informe´s. Soulignons le risque de sevrage brutal, parfois se´ve`re, lors de la prescription de nalme´fe`ne chez les patients consommant des opiace´s. 2.1.2. Le baclofe`ne (Liore´sal1, baclofe`ne Zentiva1) Il s’agit d’un agoniste du re´cepteur GABA B. Il est commercialise´ en France depuis 1974 dans les contractures d’origine neurologique. Il est utilise´ hors AMM depuis un certain nombre d’anne´es dans le traitement de l’alcoolode´pendance. Il dispose depuis 2014 d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU), ce qui lui donne un cadre de prescription et ouvre droit au remboursement. En ce qui concerne son e´valuation, on dispose maintenant de 13 essais cliniques controˆle´s, tous contre placebo, dont les qualite´s me´thodologiques et les crite`res d’inclusion sont malheureusement tre`s variables (patients de´pendants ou non, sevre´s d’alcool avant
3
mise sous baclofe`ne ou non, nombre de patients inclus variant de 30 a` 320, consommations d’alcool d’importance variable [allant du simple au triple], soutien psychosocial e´galement variable, posologies de baclofe`ne variant de 30 a` 300 mg/j. . .). Les crite`res de jugement e´taient aussi plus ou moins contraignants : de la re´duction de consommation a` la dernie`re e´valuation a` l’abstinence continue pendant plusieurs mois. On dispose e´galement d’un certain nombre d’e´tudes observationnelles qui ont montre´ qu’il peut eˆtre ne´cessaire d’utiliser des posologies e´leve´es avec une personnalisation en termes de doses et de re´partition en fonction du craving. Elles ont e´galement permis de mieux connaıˆtre certains effets inde´sirables du baclofe`ne. Une des difficulte´s est malgre´ tout que l’e´valuation scientifique du baclofe`ne reste de faible niveau de preuve pour les raisons indique´es pre´ce´demment. Cela indique essentiellement que les e´tudes scientifiques disponibles ne permettent pas vraiment de conclure sur l’efficacite´ du baclofe`ne et en particulier sur son rapport be´ne´fices/risques et n’apportent pas suffisamment d’e´le´ments quant aux modalite´s pratiques d’utilisation de ce produit (doses, profils des patients re´pondeurs, dure´e. . .). Une demande d’AMM franc¸aise est en cours. Les effets inde´sirables sont fre´quents mais le plus souvent be´nins. Globalement, il s’agit surtout d’effets se´datifs a` type de fatigue, somnolence, troubles mne´siques, confusion, effets susceptibles d’eˆtre augmente´s par l’alcool et la prescription associe´e de psychotropes se´datifs. On retrouve aussi des insomnies, des vertiges, des ce´phale´es, des paresthe´sies, des acouphe`nes, des crises d’e´pilepsie, des troubles digestifs, des troubles de´pressifs ou maniaques, une prise de poids. . .. A` noter la ne´cessite´, pour une meilleure tole´rance, d’augmenter tre`s progressivement les doses de baclofe`ne au de´but de sa prescription mais aussi d’en re´duire progressivement la posologie lorsque ceci s’ave`re ne´cessaire, du fait d’un risque de syndrome de sevrage avec convulsions lors d’une diminution trop rapide voire d’un arreˆt brutal. Un risque d’effets inde´sirables graves a cependant e´te´ mis en e´vidence par une e´tude mene´e par l’ANSM, l’INSERM et la Se´curite´ Sociale lors de la prescription de fortes doses. Dans cette e´tude, le risque d’hospitalisations et de de´ce`s est augmente´, surtout pour les tre`s fortes doses, supe´rieures a` 180 mg/j (risque d’hospitalisation augmente´ de 46 % et de de´ce`s multiplie´ par 2,27). Malgre´ ses limites me´thodologiques, cette e´tude a conduit a` diminuer la dose maximale quotidienne de baclofe`ne qui peut eˆtre prescrite dans le cadre de la RTU de 300 mg a` 80 mg par jour. De fac¸on synthe´tique, on dispose de plusieurs me´ta-analyses concernant l’utilisation de nalme´fe`ne [2,14,17] et de baclofe`ne [19,23] dans la re´duction de consommation d’alcool. Les re´sultats de ces me´ta-analyses sont donne´s dans le Tableau 1 sous forme de tailles d’effet, ce qui permet de comparer les diffe´rents produits entre eux. On constate que les tailles d’effet aussi bien du nalme´fe`ne que du baclofe`ne sont faibles a` mode´re´es lorsque l’on conside`re la re´duction de consommation moyenne d’alcool par jour ou la diminution du nombre de jours de fortes consommations. A` noter que le re´sultat est meilleur si l’on conside`re seulement les patients qui pre´sentent une forte consommation d’alcool. Ainsi, la diffe´rence observe´e entre les me´ta-analyses d’Aubin, Mann et Palpacuer, effectue´es pratiquement avec les meˆmes e´tudes, est due au fait que Aubin et Mann ont utilise´ seulement les patients forts consommateurs alors que Palpacuer a inclus tous les patients quelle que soit leur consommation. Dans ces conditions, en ce qui concerne l’utilisation pratique de ces me´dicaments chez les patients qui souhaitent re´duire leur consommation d’alcool, le nalme´fe`ne, qui dispose d’une AMM, est le me´dicament a` utiliser en premie`re intention. Le baclofe`ne peut eˆtre utilise´ dans le cadre de la RTU en deuxie`me intention si le nalme´fe`ne ne donne pas les re´sultats escompte´s ou s’il produit des
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Tableau 1 Me´ta-analyses des e´tudes portant sur la re´duction de consommation. Mole´cules autorise´es. Mole´cules/E´tudes
Nombre d’e´tudes
Posologie
Action sur la consommation
Taille de l’effeta
Nalme´fe`ne Aubin [2]
2
20 mg
5
20 mg
CMJb JFCb CMJ
0,36c 0,33c 0,35c (95 % CI : 0,51 ; 0,20) 0,33c (95 % CI : 0,48 ; 0,18) 0,2 (95 % CI : 0,3 ; 0,09) Pour l’ensemble de la population
Mann [14]
JFC
Palpacuer [17]
7
20 mg
CMJ JFC
Baclofe`ne Rose [23]
6
JFC
0,19 (95 %CI : 0,22 (95 %CI : 0,26 (95 %CI :
0,29 ;
0,10)
0,32 ; 0,12)
0,68 ;0,15)
a
La taille de l’effet (d de Cohen ou g de Hedges) est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus. b CMJ : consommation moyenne par jour ; JFC : jours de forte consommation (forte consommation >60 g/j chez l’homme et 40 g/j chez la femme). c Re´sultats portant sur les patients ayant une consommation forte a` tre`s forte. Les autres donne´es concernent tous les patients inclus quel que soit leur niveau de consommation.
effets inde´sirables, ou encore s’il y a une contre-indication a` sa prescription [22]. 2.2. Aider au maintien de l’abstinence La` encore, le suivi psychosocial est l’e´le´ment le plus important du traitement. On dispose de quatre me´dicaments : l’acamprosate, la naltrexone, le disulfirame et le baclofe`ne dans le cadre de la RTU. Les re´sultats des me´ta-analyses disponibles sont re´sume´s dans le Tableau 2 [12,19,23,24]. Si l’on exclut le disulfirame, on constate la` encore que les tailles de l’effet sont relativement similaires, de faibles a` mode´re´es. L’acamprosate paraıˆt surtout inte´ressant pour e´viter la reprise du premier verre alors que la naltrexone a une meilleure efficacite´ pour e´viter le retour a` une forte consommation.
Dans la me´ta-analyse de Pierce, la taille de l’effet du baclofe`ne de 0,42 en ce qui concerne le de´lai de reprise d’alcool, de 0,21 pour le pourcentage de jours d’abstinence. Le disulfirame est un me´dicament inhibiteur de l’ace´talde´hyde de´shydroge´nase qui, par ce me´canisme, inhibe la de´gradation de l’ace´talde´hyde produit par la de´gradation de l’alcool, produit toxique dont l’accumulation induit un effet antabuse qui se traduit cliniquement par un malaise avec douleurs abdominales, nause´es, vomissements, flush et parfois hypotension plus ou moins importante. On constate que son efficacite´ est la meilleure dans les e´tudes ouvertes (taille de l’effet = 0,7) alors qu’elle est tre`s faible dans les e´tudes controˆle´es en double aveugle, ce qui confirme que son efficacite´ ne passe pas par un effet pharmacologique propre, mais en tout cas, pour le traitement de l’alcoolode´pendance, par un
Tableau 2 Me´ta-analyses des e´tudes portant sur l’aide au maintien de l’abstinence. Mole´cules autorise´es. Mole´cules/E´tudes
Me´canisme d’action
Action sur la consommation
Taille de l’effeta
Acamprosate Maisel [12]
Inhibiteur glutamatergique
E´viter reprise 1er verre E´viter forte consommation
0,36 0,07
Antagoniste m
E´viter reprise 1er verre E´viter forte consommation
0,12 0,19
Dissuasion Effet antabuse
E´viter reprise 1er verre
Agoniste GABA B
Abstinence
0,58 (95 % CI :0,35 ;0,82) (Toutes e´tudes) 0,7 (95 % CI :0,46 ;0,93) (E´tudes ouvertes) De´lai de reprise de l’alcool 0,42c (95 % CI :0,19 ;0,64) % jours d’abstinence 0,21c (09 % CI : 0,24 ;0,65) 0,03b (95 % CI : 0,10 ; 0,15)
Naltrexone Maisel [12] Disulfirame Skinner [24]
Baclofe`ne (RTU)
b
Rose [23] Pierce [19]
c
a La taille de l’effet (d de Cohen ou g de Hedges) est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus.
Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004
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effet purement psychologique lorsque le patient a compris, voire expe´rimente´ son me´canisme d’action [24]. Le disulfirame a donc une efficacite´ inte´ressante a` la condition qu’il soit prescrit dans le cadre d’une supervision, c’est-a`-dire, que le patient prenne re´ellement son traitement. Pour aider les patients a` maintenir leur abstinence, les recommandations conseillent donc l’utilisation en premie`re intention de la naltrexone et surtout de l’acamprosate. Le disulfirame est propose´ en deuxie`me intention du fait de son me´canisme d’action et du risque d’effet antabuse parfois se´ve`re mais surtout du fait de complications rares mais parfois graves, he´patiques ou neurologiques. Enfin, le baclofe`ne peut eˆtre utilise´ en deuxie`me intention dans le cadre de la RTU [22]. 3. Ame´liorer l’efficacite´ des me´dicaments existants Il n’y a pas a` ce jour d’argument permettant de penser que les associations de certains me´dicaments avec certaines psychothe´rapies seraient plus efficaces que d’autres. Plusieurs e´tudes ont teste´ l’association de deux me´dicaments aux me´canismes d’action diffe´rents, en particulier acamprosate et naltrexone. Ces e´tudes n’ont pas non plus permis de montrer de supe´riorite´ de ces associations par rapport a` chaque produit pris se´pare´ment. Cependant, dans la plupart de ces e´tudes, l’effet placebo a e´te´ tre`s important, notamment dans la grande e´tude COMBINE [1], et il s’est, de ce fait, ave´re´ difficile de montrer une supe´riorite´ de leur association. Il paraıˆt cependant logique, d’un point de vue pharmacologique, d’associer deux me´dicaments de me´canismes d’action diffe´rents. Si l’on fait un raisonnement analogue a` ce qui s’est passe´ pour un certain nombre de cancers et de pathologies virales (SIDA, he´patite C. . .), on voit que l’association de diffe´rents me´dicaments d’efficacite´ limite´e pour chacun d’entre eux mais agissant en synergie a permis d’ame´liorer progressivement les taux de bons re´sultats. Si ce type de strate´gie n’est pas pour l’instant valide´ par des essais cliniques, leur utilisation est cohe´rente et a` proposer au cas par cas. 4. Ame´liorer l’efficacite´ des traitements me´dicamenteux : vers de nouvelles mole´cules ? Une autre mole´cule est actuellement en cours d’e´valuation, il s’agit de l’oxybate de sodium ou GHB. Cette mole´cule est un analogue structural du GABA, agoniste GABA B et de re´cepteurs spe´cifiques. De´ja` commercialise´e en France comme adjuvant anesthe´sique en chirurgie et en obste´trique (Gamma-OH1) et dans le traitement de la narcolepsie chez les patients adultes pre´sentant une cataplexie (Xyrem1), elle est aussi commercialise´e en Italie depuis 1991 et en Autriche depuis 1999 dans le traitement de la de´pendance a` l’alcool, aussi bien dans le sevrage que dans la pre´vention de la rechute a` la dose de 50 a` 100 mg/kg/jour. Mais le GHB est e´galement une drogue de synthe`se aux proprie´te´s se´datives et amne´siantes, utilise´e dans un but re´cre´atif et qui a pu, a` l’occasion, de´frayer la chronique notamment dans un cadre de soumission chimique. De ce fait, elle a une mauvaise image, entre me´dicament prescrit et drogue re´cre´ative. Un certain nombre d’e´tudes cliniques sont actuellement disponibles dont la synthe`se a e´te´ faite dans une publication re´cente qui inte`gre une me´ta-analyse [26]. Celle-ci a montre´ que si l’on prend en compte tous les patients, quelle que soit la gravite´ de leur conduite d’alcoolisation, en ce qui concerne le taux d’abstinence continue, dans les e´tudes contre placebo (711 patients), le risque relatif (RR) est e´gal a` 1,35 (95 % CI–1,05 ; 1,74) en faveur de l’oxybate de sodium. Il est de 1,79 (95 % CI–1,20 ; 2,68) si l’on conside`re les e´tudes contre naltrexone (127 patients).
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Mais si l’on analyse le sous-groupe des patients ayant une conduite se´ve`re (consommation tre`s e´leve´e et pas d’abstinence avant traitement — 326 patients), la taille de l’effet est bien meilleure, avec un risque relatif e´gal a` 2,86 (95 % CI–1,41 ; 5,81) pour les e´tudes vs placebo, et a` 2,62 (95 % CI–1,30 ; 5,30) pour les e´tudes vs naltrexone. La taille d’effet est faible ou ne´gligeable et non significative pour les patients ayant une conduite peu se´ve`re (756 patients), Ces re´sultats sont inte´ressants notamment du fait que les patients qui be´ne´ficient le plus de ce traitement, comme d’ailleurs des autres traitements me´dicamenteux, sont ceux qui ont le plus de mal a` arreˆter leur consommation. Globalement, qu’il s’agisse des donne´es obtenues a` partir des essais cliniques ou des syste`mes de pharmacovigilance italiens et autrichiens, le profil de tole´rance de l’oxybate de sodium apparaıˆt rassurant. Les effets inde´sirables les plus fre´quents sont ge´ne´ralement be´nins, a` titre de ce´phale´es, vertiges, fatigue et vertiges, somnolence et insomnie, nause´es, diarrhe´es et anxie´te´. La question qui se pose actuellement est celle de la re´alite´ du potentiel addictoge`ne de cette mole´cule dans un cadre de prescription the´rapeutique. Il n’y a pas de signal important en faveur de difficulte´s de cet ordre. Dans l’ensemble des e´tudes, craving ou me´susage (il s’agit en ge´ne´ral d’une augmentation des doses, plus rarement du de´veloppement d’une de´pendance) sont retrouve´s chez 2,6 a` 14,9 % des patients. Le me´susage observe´ au cours de l’utilisation dans un cadre de prescriptions the´rapeutiques controˆle´es est beaucoup moins important et moins fre´quent que lors d’une utilisation dans un cadre re´cre´atif. Un me´susage apparaıˆt surtout chez des profils de patients particuliers notamment ceux qui pre´sentent des comorbidite´s psychiatriques importantes ou des conduites addictives associe´es (cocaı¨ne ou he´roı¨ne notamment). Parmi les autres me´dicaments qui ont e´te´ e´value´s dans le traitement de l’alcoolode´pendance, on peut citer les anticonvulsivants et en particulier le topiramate. Il s’agit de me´dicaments dont le me´canisme d’action est aussi essentiellement agoniste gabaergique. Ils ont fait l’objet de plusieurs e´tudes et de me´taanalyses dont les re´sultats sont donne´s par les Tableau 3 et Tableau 4. Le topiramate a une taille d’effet inte´ressante a` la fois pour re´duire la consommation d’alcool (consommation quotidienne moyenne et nombre de jours de fortes consommations) et pour aider au maintien de l’abstinence avec des tailles d’effet comprises, selon les me´ta-analyses et les crite`res de jugement, entre 0,41 et 0,77 [5,17]. La me´ta-analyse de Pani en 2014 montre que, globalement, l’efficacite´ des anticonvulsivants est un peu moins bonne [18]. Ces me´dicaments ne disposent pas actuellement d’autorisation de mise sur le marche´ dans l’indication du traitement de l’alcoolode´pendance. Des travaux ont de´ja` e´te´ re´alise´s et devraient se de´velopper en ce qui concerne des mole´cules qui pourraient agir sur la dysre´gulation du syste`me de re´ponse au stress. Il en va ainsi des antagonistes du CRF qui pourraient bloquer ces effets, notamment les re´ponses comportementales au stress : anxie´te´ et consommation d’alcool. Les re´cepteurs NK1 de la substance p, libe´re´e en re´ponse au stress, sont associe´s a` la re´gulation des troubles de l’humeur, de l’anxie´te´ et modulent les e´tats e´motionnels. Des antagonistes des re´cepteurs NK1 pourraient favoriser la diminution du craving en particulier pour l’alcool. Le syste`me dynorphine-re´cepteur kappa a un roˆle de me´diation des e´tats e´motionnels. Leurs antagonistes sont donc susceptibles d’agir sur les e´tats e´motionnels ne´gatifs. C’est de´ja` le cas du nalme´fe`ne, agoniste partiel des re´cepteurs kappa, qui agirait comme un antagoniste fonctionnel.
Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004
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Tableau 3 Me´ta-analyses des e´tudes sur les anticonvulsivants portant sur la re´duction de consommation. Mole´cules/E´tudes Topimarate Blodgett [5] Palpacuer [17]
Anticonvulsivants Pani [18]
Nombre d’e´tudes
Action sur la consommation
Taille de l’effeta
7
JFCb
2
CMJb
0,41 (0,95 %CI : 0,21 ; 0,6) 0,77 (95 %CI : 1,12 ; 0,42) 0,59 (95 %CI :0,96 ; 0,22)
17
Nombre de verres/jour JFCb
1,49(MDc) (95 %CI : 2,32 ; 0,65) 0,35 (95 %CI : 0,51 ; 0,19)
a La taille de l’effet (d de Cohen ou g de Hedges) est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus. b CMJ : consommation moyenne par jour ; JFC : jours de forte consommation (forte consommation >60 g/j chez l’homme et 40 g/j chez la femme). c MD : Moyenne des diffe´rences.
Tableau 4 Me´ta-analyses des e´tudes sur les anticonvulsivants portant sur l’aide au maintien de l’abstinence. Mole´cules/E´tudes
Nombre d’e´tudes
Action sur la consommation
Taille de l’effeta
Topiramate Blodgett [5]
7
Abstinence continue Craving
0,47 (95 %CI :0,25 ;0,69) 0,31 (95 %CI : 0,04 ;0,67)
Anticonvulsivants Pani [18]
25
Abstinence continue
RR : 1,21 (95 %CI :0,97 ;1,52)
8 ACb versus placebo a La taille de l’effet (d de Cohen ou g de Hedges) est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus. b AC : anticonvulsivants.
Enfin et a` l’inverse, les agonistes du neuropeptide Y, peptide implique´ dans la re´ponse au stress et dans la re´gulation des comportements e´motionnels, pourraient diminuer l’anxie´te´, les effets se´datifs et la reprise d’alcool induite par un stress. Bien d’autres mole´cules ont fait l’objet d’e´tudes, agissant notamment sur le syste`me glutamatergique (antagonistes des re´cepteurs mgluR5 ou agonistes mgluR2/3), se´rotoninergique (ondansetron ou antagonistes des re´cepteurs 5-HT3), sur les re´cepteurs ORL1 de la nociceptine implique´e dans le controˆle des e´motions et qui limite l’action du CRF ou encore comme antagonistes des re´cepteurs de l’orexine1 ou du transporteur de la glycine. . . Toutes ces e´tudes restent essentiellement expe´rimentales chez l’animal, bien qu’ouvrant un champ de recherches neuropharmacologiques particulie`rement inte´ressant. On peut encore citer les endocannabinoı¨des qui agissent notamment sur les re´cepteurs CB1, tre`s implique´s dans la re´gulation de nombreux syste`mes de neurotransmission et probablement de ceux lie´s aux addictions. Le rimonabant commercialise´ il y a quelques anne´es dans le traitement de l’obe´site´ avait fait l’objet d’e´tudes a` la fois pour le tabac et l’alcool mais a e´te´ retire´ du marche´ pour des questions de tole´rance. On pourrait cependant imaginer qu’un produit comme le cannabidiol ou, au contraire, des antagonistes des re´cepteurs CB1 ouvrent des perspectives inte´ressantes.
5. Vers une me´decine des addictions personnalise´e et une pharmacologie pre´dictive ? Une des questions cle´s en ce qui concerne tous les me´dicaments et en particulier ceux du traitement de l’alcoolode´pendance est de chercher a` savoir s’il existe des crite`res pre´dictifs de meilleure re´ponse. Depuis longtemps, des travaux ont cherche´ des crite`res qui permettraient de personnaliser les traitements en fonction des profils des patients. L’ide´e est de proposer a` chaque patient les traitements qui seront, pour lui, les plus efficaces et les mieux tole´re´s. Certaines e´tudes, en particulier les e´tudes MATCH et UKATT [20,21,25], ont recherche´ si certains patients re´pondaient mieux a` certains types de prise en charge psychothe´rapeutiques qu’a` d’autres a` partir de crite`res psycho-sociaux. Il s’agissait en particulier de the´rapies cognitives et comportementales, de programmes base´s sur les 12 e´tapes et d’entretiens motivationnels. Les re´sultats se sont malheureusement ave´re´s de´cevants. On dispose d’assez peu de donne´es en ce qui concerne les me´dicaments a` ce jour. On sait cependant que pour tous les me´dicaments disponibles, il existe une augmentation de la taille de l’effet chez les patients : ayant une consommation d’alcool e´leve´e ; ayant une courte dure´e d’abstinence avant traitement. Selon des publications re´centes, l’e´volution de la taille d’effet des me´dicaments actuellement disponibles (a` l’exception du disulfirame) semble une fonction line´aire plus ou moins marque´e de la consommation d’alcool [19,26]. Ainsi ce sont les patients qui ont une consommation importante et le plus de mal a` maintenir une abstinence qui be´ne´ficient le plus de ces me´dicaments. Pour le reste, nous avons vu plus haut que l’acamprosate permet surtout d’e´viter la reprise du premier verre. Il aurait une action plutoˆt sur la re´compense ne´gative, c’est-a`-dire, sur l’effet de soulagement apporte´ par la consommation d’alcool. Les antagonistes opioı¨des ont davantage un roˆle sur la diminution de consommation ou le retour a` une forte consommation. Ils ont une action plutoˆt sur la re´compense positive, c’est-a`-dire, sur la composante de plaisir associe´e a` la consommation d’alcool. La ge´ne´tique est une autre piste potentiellement tre`s prometteuse. On connaıˆt un certain nombre de ge`nes de vulne´rabilite´ facilitant l’e´volution vers une de´pendance a` l’alcool. Chez le rat, l’efficacite´ des traitements de´pend des souches se´lectionne´es ge´ne´tiquement pour leur appe´tence a` l’alcool. Ils disposent de ge´notypes particuliers. A` noter cependant que l’e´pige´ne´tique a montre´ que ces re´ponses ne de´pendent pas seulement du patrimoine ge´ne´tique mais bien davantage d’une interaction entre les ge`nes et l’environnement. Un certain nombre d’associations ont e´te´ re´cemment e´tudie´es entre diffe´rents polymorphismes ge´ne´tiques (ge`nes DRD2, GABRA6, GABRB2, 5-HTT, GRIK1. . .) et la re´ponse a` certains me´dicaments comme l’acamprosate, la naltrexone, l’ondansetron et le topiramate en termes d’efficacite´ ou de tole´rance. Ces petites e´tudes n’ont pas, pour l’instant, permis d’ouvrir de perspectives solides en pratique. Un espoir important est cependant ne´ avec l’e´tude d’Oslin (2003) qui a montre´ que les patients porteurs d’au moins un alle`le G du polymorphisme A118G du ge`ne OPRM1 codant pour le re´cepteur m de la morphine re´pondaient mieux a` la naltrexone que les autres [15]. Une me´ta-analyse de 2014 concluait dans le meˆme sens avec cependant une large dispersion des re´sultats [9]. Cet espoir, qui ouvrait des perspectives the´rapeutiques tre`s inte´ressantes, n’a cependant pas e´te´ confirme´ dans une e´tude d’Oslin publie´e en 2015 [16]. Tous ces e´le´ments, qui restent pour l’instant disperse´s, montrent l’importance de poursuivre impe´rativement des recherches sur la personnalisation des traitements.
Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004
G Model
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6. Les innovations dans les traitements non me´dicamenteux 6.1. The´rapie d’acceptation et d’engagement Si les the´rapies cognitives et comportementales (TCC) restent le gold-standard du traitement des conduites addictives, le proble`me de l’acce`s a` ces me´thodes demeure une difficulte´ au vu du nombre insuffisant de personnes forme´es. D’autres me´thodes sont en plein de´veloppement, comme la the´rapie d’acceptation et d’engagement (ou the´rapie de pleine conscience). Classe´e dans la troisie`me vague des TCC, elle a fait l’objet de beaucoup d’e´tudes dans des domaines varie´s comme la psychiatrie, les addictions et des pathologies somatiques. Des me´ta-analyses globales avec des tailles d’effet inte´ressantes ont pu eˆtre mises en e´vidence. Dans le champ des conduites addictives, plusieurs essais cliniques ont montre´ des re´sultats prometteurs pour re´duire le risque de rechute et de retour a` une forte consommation de substances psychoactives. Les re´sultats de la me´ta-analyse de Lee a` partir de 10 e´tudes sont indique´s dans le Tableau 5 [11]. A` noter que cette me´ta-analyse a porte´ sur des e´tudes tre`s diverses inte´grant des me´thodologies varie´es et concernant des substances psychoactives diffe´rentes (tabac, opiace´s, me´thamphe´tamine ou poly-addictions). D’autres e´tudes sont donc ne´cessaires pour en pre´ciser la place exacte dans le traitement des conduites addictives.
7
me´moires, les fonctions exe´cutives notamment les fonctions d’inhibition, de planification, les strate´gies de de´cision, la pertinence du jugement. . . On sait que ces troubles facilitent le risque de rechute et limitent l’efficacite´ des traitements, les patients ayant beaucoup de mal a` mettre en place des strate´gies the´rapeutiques alternatives adapte´es a` leurs conduites addictives. On est en effet souvent dans ces situations devant un re´el paradoxe qui est que les traitements non me´dicamenteux et en particulier les TCC font appel a` l’utilisation de fonctions cognitives qui sont pre´cise´ment celles qui sont alte´re´es chez ces patients [4]. Un des enjeux tre`s importants pour l’avenir est donc d’ame´liorer les fonctions cognitives de ces patients dans la mesure ou` beaucoup d’e´tudes ont montre´ qu’elles peuvent s’ame´liorer, contrairement a` d’autres types d’alte´rations vasculaires ou neuroge´ne´ratives. Ceci implique d’abord de les repe´rer et de proposer une abstinence ou une re´duction importante de la consommation d’alcool, associe´e a` des programmes de reme´diation cognitive qui sont en cours de de´veloppement [6]. Il n’y a pas, a` ce jour, de me´dicaments qui aient montre´ une efficacite´ pertinente. Quelques petites e´tudes ont pu eˆtre mene´es avec des inhibiteurs de la cholinesterase ou la me´mantine par exemple dont les re´sultats sont de´cevants. A` l’e´vidence, il s’agit la` encore d’un champ de recherches passionnant pour l’avenir. 6.3. Stimulation ce´re´brale
6.2. Traitement des troubles cognitifs Il s’agit d’un champ en pleine e´mergence qui ouvre des perspectives tout a` fait passionnantes. Les troubles cognitifs sont fre´quents au cours des addictions portant sur l’attention, les
Les conduites addictives induisent une hyperexcitabilite´ ce´re´brale du cortex pre´frontal dorso-late´ral (DLPFC). Des arguments expe´rimentaux font penser qu’il est possible de moduler cette hyperactivite´ par une stimulation ce´re´brale transcraˆnienne,
Tableau 5 Me´ta-analyse des e´tudes sur la the´rapie d’acceptation et d’engagement. Auteur
Nombre d’e´tudes
Effet sur abstinence Fin du traitement
Effet sur abstinence Suivi
Comparaison ACT versus TTCa
Lee [11]
10 Tabac : 5 Opiace´s : 2 Metamphe´tamine : 1 Polyaddiction : 2
gb = 0,29 (95 %CI :0,08 ;0,49)
g = 0,43 (0,95 %CI :0,25 ;0,61)
g = 0,34 (0,95 % CI :0,04 ;0,71)
a
ACT : the´rapie d’acceptation et d’engagement ; TCC : the´rapie cognitive et comportementale. Taille de l’effet : g de Hedges. La taille de l’effet est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus. b
Tableau 6 Me´ta-analyses des e´tudes sur la stimulation ce´re´brale transcraˆnienne. Me´thodes/E´tudes rTMS et tDCS Jansen [8]
rTMS Enokibara [7]
rTMS Maiti [13]
Nombre d’e´tudes
Effet
Taille de l’effeta
17 5 alcool 5 tabac 6 TCA 1 cannabis
Craving
g global = 0,48 (95 %CI :0,32 ;0,64) Gb : g = 0,37 D : g = 0,71 (NS) Pas de diffe´rence entre rTMS et tDCS
8
Craving
g = 1,48 (95 % CI :0,13 ;2,83) (stimulation droite)
10 6 alcool 4 tabac
Craving
g global = 0,75 (95 % CI : 0,29 ; 1,21) g alcool = 0,06 (95 %CI : 0,89 ;0,77) g tabac = 1 (95 %CI : 0,48 ;1,55)
a Taille de l’effet : g de Hedges. La taille de l’effet est conside´re´e comme faible lorsqu’elle se situe aux alentours de 0,2, mode´re´e lorsqu’elle est aux alentours de 0,5 et forte lorsqu’elle est a` 0,8 ou plus. b G : stimulation gauche ; D : stimulation droite.
Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004
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qu’il s’agisse de stimulation magne´tique ou de courant continu. Il s’agit de techniques simples, non invasives, qui pourraient diminuer le craving vis-a`-vis des substances psychoactives. Ces me´thodes pourraient agir sur les controˆles inhibiteurs corticaux et le syste`me de re´compense. On dispose d’un certain nombre d’e´tudes et de me´ta-analyses sur ces me´thodes [7,8,13]. Les re´sultats en sont donne´s par le Tableau 6. Comme pour la the´rapie de pleine conscience, les me´thodologies sont diffe´rentes et ces me´ta-analyses ont me´lange´ des e´tudes ayant concerne´ des conduites addictives diffe´rentes, qu’il s’agisse de l’alcool, du tabac, des troubles des conduites alimentaires ou du cannabis. De plus, le crite`re de jugement n’a concerne´ que le craving. On ne dispose pas de donne´es sur l’e´volution de la consommation apre`s stimulation transcraˆnienne. Enfin, si les tailles d’effet paraissent globalement inte´ressantes, la me´taanalyse de Maı¨ti [13] portant sur la rTMS a montre´ que si l’efficacite´ est prometteuse sur le tabac, il n’y a pas d’effet vis-a`-vis de l’alcool. Ces me´thodes justifient donc d’autres travaux de fac¸on a` en pre´ciser la place e´ventuelle dans l’arsenal the´rapeutique des conduites addictives. 6.4. E-sante´ Le de´veloppement d’applications pour smartphones pour aider les patients a` modifier leur comportement vis-a`-vis des conduites addictives est en pleine expansion. Leurs objectifs sont divers, il peut d’abord s’agir d’apporter des informations mais les plus inte´ressantes consistent d’abord a` aider les patients a` e´valuer quotidiennement leur consommation et de la monitorer. Certaines permettent aussi d’apporter aide et re´ponses en cas de situation a` risque ou de reprise de consommation. De plus, diffe´rentes me´thodes the´rapeutiques sont maintenant inte´gre´es dans des applications. L’e´valuation de ces me´thodes est pre´liminaire mais doit eˆtre poursuivie. 7. Conclusion On dispose d’ores et de´ja` de traitements d’efficacite´ re´elle mais limite´e des conduites addictives. S’il n’y a pas, a` court terme, de perspectives de me´dicaments ou de the´rapies non me´dicamenteuses « re´volutionnaires », on dispose malgre´ tout de travaux pre´liminaires qui ouvrent des voies de recherches prometteuses pour l’avenir. Terminons sur la ne´cessite´ de disposer d’e´valuations de meilleure qualite´. On est en effet actuellement confronte´ a` de nombreuses e´tudes, qu’il s’agisse de the´rapies me´dicamenteuses ou non me´dicamenteuses, dont les limites et les faiblesses me´thodologiques ne permettent pas de conclure de fac¸on satisfaisante sur leur rapport be´ne´fices/risques. Il est donc essentiel de se pencher a` l’avenir sur la me´thodologie des essais cliniques dans les conduites addictives et de mettre en place des e´tudes de qualite´ suffisante. De´claration de liens d’inte´reˆts Essai clinique : Lundbeck (nalme´fe`ne), Ethypharm (baclofe`ne). Activite´s de conseil : D&A Pharma (oxybate de sodium), Ethypharm, Indivior (bupre´norphine), Lundbeck. Invitation en qualite´ d’intervenant : Bouchara (me´thadone), Indivior, Lundbeck, Merck-Serono (acamprosate). Invitation en qualite´ d’auditeur : D&A Pharma (oxybate de sodium), Indivior, Lundbeck.
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Pour citer cet article : Paille F. Les innovations the´rapeutiques en alcoologie. Ann Med Psychol (Paris) (2018), https://doi.org/10.1016/ j.amp.2018.08.004