Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002 Bull Cancer 2017; //: ///
Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge
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Nicolas Boissel 1, Stéphane Ducassou 2
Reçu le 1er décembre 2016 Accepté le 2 mars 2017 Disponible sur internet le :
1. Hôpital Saint-Louis, unité d'hématologie adolescents et jeunes adultes, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France 2. Hôpital des enfants, unité d'hématologie et oncologie pédiatrique, place AmélieRaba-Léon, 33076 Bordeaux cedex, France
Correspondance : Nicolas Boissel, hôpital Saint-Louis, unité d'hématologie adolescents et jeunes adultes, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France.
[email protected]
Mots clés Leucémie aiguë lymphoblastique AJA Adolescent
Keywords Acute lymphoblastic leukemia AYA Adolescent
Résumé La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) est l'une des premières formes de cancer pour laquelle s'est posée la question de la spécificité de la prise en charge des adolescents, puis de leurs aînés, les jeunes adultes. Après plusieurs dizaines d'années d'évolution de pratiques peu concertées, les hématologues adultes et pédiatres de nombreux pays ont mis en évidence que les attitudes thérapeutiques pédiatriques donnaient de meilleurs résultats en termes de risque de rechute et de survie que les protocoles adultes. Les protocoles d'inspiration pédiatrique se sont développés avec succès chez les jeunes adultes, permettant à la fois une nette amélioration de la survie mais également la diminution des indications d'allogreffe en première rémission complète. L'identification de nouvelles entités apparentées à la LAL à chromosome Philadelphie permet d'envisager l'association de la chimiothérapie à des thérapeutiques ciblées dans des formes résistantes de maladie. Comme dans les autres formes de cancer à cet âge, la prise en charge spécifique des AJA comprend l'évaluation du risque d'hypofertilité, de mauvaise observance du traitement et le suivi des effets secondaires au long cours. Une réflexion au sein d'équipes pluridisciplinaires spécifiques « AJA », permet, en fonction des caractéristiques psychosociales individuelles, de proposer les meilleures approches globales de soin.
Summary Adolescents and young adults with acute lymphoblastic leukemia. A specific management The acute lymphoblastic leukemia (ALL) is one of the first cancer for which emerged the particularity of the adolescent and young adult population. After decades of poorly concerted approaches, adult and pediatric haematologists found out that adolescents treated according to
1
tome xx > n8x > xx 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002 © 2017 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
BULCAN-369
Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002
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N. Boissel, S. Ducassou
pediatric approaches had a better outcome than those treated in adult protocols. Therefore, pediatric-inspired therapies have been successfully implemented in the young adult population, leading to decreased criteria for allogeneic stem cell transplantation. More recently, a high prevalence of Philadelphia-like ALL has been identified in the AYA population, which opens the door to the combination of target therapy similar to Philadelphia-positive ALL. AYA patients require specific care programs including fertility counselling, adhesion evaluation, and long-term survivor follow-up. They are to be optimally treated by multidisciplinary teams, exploring their personal needs and determining the best management of the "whole patient''.
Introduction Dans la population des adolescents et des jeunes adultes (AJA), l'incidence des leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) croise celle des leucémies aiguës myéloblastiques. Dans cette tranche d'âge, la LAL est moins fréquente que chez l'enfant – où elle compte pour près d'un tiers des cancers –, mais également que chez l'adulte plus âgé en raison de l'augmentation progressive avec l'âge de l'incidence des LAL à chromosome Philadelphie. Ainsi, la LAL ne représente plus que 13 % des cancers de l'adolescent (15–19 ans) et 8 % de ceux du jeune adulte (20– 24 ans). De nombreuses études épidémiologiques ont montré une nette diminution de la survie des patients atteints de LAL à l'adolescence. La récente étude européenne EUROCARE-5, qui a étudié la survie de patients de tous âges traités pour cancer entre 2000 et 2007, rapporte ainsi des taux de survie globale à 5 ans de 85,8 % chez les enfants (0–14 ans), de 62,2 % chez les adolescents (15–19 ans) et de 52,8 % chez les jeunes adultes (20–39 ans) [1]. Les raisons de ces disparités sont multiples avec, principalement, une évolution du paysage oncogénique des LAL et une diminution progressive de l'intensité des protocoles de traitement avec l'âge [2]. D'autres facteurs ont été évoqués, comme le défaut d'adhésion thérapeutique, une moins bonne couverture d'assurance santé, ou des modifications de pharmacocinétique satellites de l'adolescence.
Caractéristiques biologiques
2
De récentes études ont confirmé le profil particulier des LAL de l'AJA qui explique en partie la chimiorésistance observée à l'adolescence dans les études pédiatriques. Depuis la fin des années 1990, il est bien décrit que les LAL de l'adolescent se distinguent par une fréquence plus élevée de LAL-T, qui est aussi moins fréquente chez les sujets âgés. C'est au sein du groupe des LAL-B que s'observe de façon évidente la « transition oncogénique » entre les formes de LAL de l'enfant et celles de l'adulte avec une diminution très nette chez l'AJA des deux formes qui comptent pour plus de 50 % de l'enfant et sont associées à un pronostic favorable, il s'agit de translocation t(12 ; 21)(p13 ; q22) responsable du gène fusion ETV6-RUNX1 (anciennement TELAML1), et l'hyperdiploïdie (> 50 chromosomes). A contrario, on observe une fréquence croissante des LAL Ph-positive avec
l'âge, de 3 % chez l'enfant à 10 % environ au cours de la 3e décennie, ces LAL restant de pronostic relativement défavorable à l'ère des inhibiteurs de tyrosine-kinase (ITK). Plus récemment, de nouveaux événements oncogéniques associés à une plus grande chimiorésistance ont été identifiés, en premier lieu chez les adolescents des cohortes pédiatriques. Ainsi, l'amplification intrachromosomique du chromosome 21 (iAMP21) touche des enfants plus âgés, d'une médiane d'âge de 9 à 11 ans, et est exceptionnelle après 25 ans [3]. Le pronostic défavorable des iAMP21 peut être amélioré par des approches de chimiothérapies intensives [4]. On retrouve également plus fréquemment dans la population AJA des réarrangements du locus IGH@, dont le pronostic est défavorable. Plusieurs partenaires peuvent être impliqués dans ces réarrangements, notamment CRLF2 (25 % des cas) ou les gènes de la famille CEBP [5]. Plus récemment, l'analyse du profil d'expression génique de LAL pédiatriques a montré l'existence d'un groupe hétérogène de LAL-B dont la signature est proche des LAL Ph-positives et dont le pronostic défavorable s'en rapproche [6,7]. Ces LAL appelées « Ph-like » ou « BCR-ABL1-like » sont particulièrement fréquentes dans la population AJA (25 % des LAL-B) [8], et sont caractérisées par de fréquentes dérégulations de tyrosine kinases et/ ou de leurs voies de signalisation. On retrouve ainsi des mutations de la voie IL7R/CRLF2 - JAK/STAT, des mutations d'EPO-R ou FLT3, ainsi que de nouveaux transcrits de fusion impliquant des tyrosines kinases de la famille d'ABL1 (ABL1, ABL2, CSF1R, PFGDR) [8]. Dans environ 40 % des cas, ces anomalies sont associées à des délétions intragéniques du gène IKZF1, que l'on retrouve également dans 70 % des LAL Ph-positives et qui sont associées à un risque plus élevé de rechute chez l'adulte et chez l'enfant. Là encore, l'intensification des schémas de chimiothérapie, mais également l'introduction de thérapeutiques ciblées, pourraient avoir un intérêt pour diminuer le risque de rechute [8,9].
Traitement des LAL Philadelphie-négative chez l'AJA De l'adolescent à l'adulte jeune L'analyse des différences historiques entre approche pédiatrique et adulte et leurs résultats permet de poser quelques principes de prise en charge. La différence de profil biologique des LAL de l'enfant et des LAL de l'AJA n'explique pas la totalité de la
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Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002
différence observée, une différence de survie ayant été rapportée dans des sous-groupes oncogénétiques homogènes. S'il est souvent fait mention de l'intensité de la chimiothérapie dans l'approche pédiatrique, des nuances importantes doivent être apportées. Il s'agit, en effet, d'avantage d'un traitement continu, régulier, répété de drogues antimétabolites que d'un traitement « intense » et myélotoxique. La démonstration a été faite chez l'enfant du rôle de l'effet-dose, globalement, mais surtout selon une séquence particulière telle que l'administration retardée (quelques mois après le traitement d'induction) d'une chimiothérapie d'intensification calquée sur celle d'induction [10]. Par ailleurs, un effet-dose est démontré par des générations successives d'essais thérapeutiques pour des drogues et des modes d'administration spécifiques (corticostéroïdes, poisons du fuseau, antimétabolites [6-MP, méthotrexate], L-asparaginase). À cet aspect s'ajoute celui du délai entre 2 phases de chimiothérapies se succédant qui est plus court chez l'enfant que chez l'adulte, et ce, quelles que soient les études analysées, permettant ainsi d'améliorer encore la dose-intensité des protocoles pédiatriques [11,12]. Dans les années 2000, plusieurs études non randomisées visant à comparer le devenir des adolescents (15–20 ans) traités dans les services de pédiatrie ou de médecine adulte ont conclu, qu'à caractéristiques comparables, la survie sans événement et la survie globale des adolescents traités dans les services de pédiatrie par des protocoles pédiatriques était meilleure que celles des adolescents traités dans les services de médecine adulte (tableau I) [11–16]. Cette constatation n'est pas l'apanage des LAL mais les différences étaient particulièrement marquées. Ces études ont légitimement posé la question du traitement de
la tranche d'âge immédiatement supérieure des jeunes adultes [17]. Plusieurs attitudes ont été développées, en premier lieu l'extension de la limite d'âge supérieure d'inclusion des essais pédiatriques. En Espagne, le groupe PETHEMA a ainsi rapporté son expérience chez 81 patients âgés de 15 à 30 ans avec LAL de risque standard (leucocytes 30 G/L, absence de t(9 ; 22), de t (1 ; 19) ou d'anomalie 11q23) traités dans le protocole pédiatrique ALL-96 [18]. La survie à 6 ans des patients jeunes adultes était de 63 % contre 77 % pour les adolescents. Le Japan Acute Leukemia Study Group (JALSG) a rapporté la faisabilité et l'efficacité du protocole pédiatrique ALL202-U chez 139 AJA de 15– 24 ans avec LAL Philadelphie-négative. La survie sans maladie et la survie globale à 5 ans était de 67 et 73 % avec une tolérance comparable à la population pédiatrique plus jeune [19]. Une large étude de l'Alliance a inclus prospectivement 318 patients de 17 à 39 ans dans un essai inspiré bras standard du COG AALL0232. Des résultats préliminaires ont montré une survie sans événement et une survie globale à 2 ans de 66 et 78 % respectivement [20]. La deuxième approche, développée notamment en France chez les jeunes adultes, mais également chez les adultes plus âgés (50–60 ans) a reposé sur le développement de protocoles d'« inspiration pédiatrique ». Ainsi, le Princess Margaret Hospital de Toronto a rapporté son expérience chez 89 patients avec LAL Ph-négative âgés de 18 à 60 ans et également traités dans un protocole du DFCI modifié. La survie à 5 ans était de 63 % dans la population globale et de 83 % chez les patients de moins de 35 ans [21]. Dans un second protocole inspiré également des approches du DFCI, 74 patients âgés de 18 à 50 ans (médiane 28 ans) avec LAL Ph-négative avaient une survie sans maladie et
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Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge
TABLEAU I Comparaison de protocoles pédiatriques et adultes dans la prise en charge des LAL de l'adolescent Protocole
Réf.
Pays
n
Âge (années)
RC Délai
%
Délai
%
FRALLE-93 (P)
[11]
France
77
15–20
94 %
5 ans
67 %
5 ans
78 %
100
15–20
83 %
5 ans
41 %
5 ans
45 %
LALA-94 (A) DCOG 6-9 (P)
[12]
Pays-Bas
HOVON 5/18 (A) UKALL 97/99 (P)
[13]
Royaume-Uni
UKALL XII/E2993 (A) NOPHO 92 (P)
[14]
Suède
Adult ALL Group (A) CCG (P)
[15]
États-Unis
CALGB (A) AEIOP 95/2000 (P) GIMEMA (A)
[16]
Italie
SSE
SG
47
15–18
98 %
5 ans
69 %
5 ans
79 %
44
15–18
91 %
5 ans
34 %
5 ans
38 %
61
15–17
98 %
5 ans
65 %
5 ans
71 %
67
15–17
94 %
5 ans
49 %
5 ans
56 %
36
15–18
NA
5 ans
74 %
23
15–20
NA
5 ans
39 %
197
16–20
90 %
7 ans
63 %
7 ans
67 %
124
16–20
90 %
7 ans
34 %
7 ans
46 %
150
14–18
94 %
NA
2 ans
80 %
95
14–18
89 %
NA
2 ans
71 %
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3
RC : rémission complète ; SSE : survie sans évènement ; SG : survie globale ; P : étude pédiatrique ; A : étude adulte.
Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002
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N. Boissel, S. Ducassou
une survie globale à 4 ans de 71 et de 70 % respectivement [22]. En Europe, les groupes adultes français GRAALL et allemands GMALL ont adopté depuis plusieurs années une telle approche tout en conservant initialement des indications assez larges d'allogreffe de cellules-souches hématopoïétiques (ACSH). Dans le GMALL-07/03, les patients âgés de 15 à 35 ans avaient une survie globale à 5 ans de 65 % [23]. Dans les protocoles GRAALL-2003/2005, les patients âgés de 15 à 35 ans avaient une survie sans événement et une survie globale comparables de 59 et 65 % respectivement [17]. Le protocole GRAALL-2014 actuel destiné aux patients âgés de 18 à 59 ans poursuit l'intensification de la prise en charge pour les adultes les plus jeunes (< 45 ans) en augmentant notamment les doses de méthotrexate en consolidation (5 g vs. 3 g/m2).
Place de l'allogreffe de cellules-souches hématopoïétiques (ACSH) Les indications d'ACSH ont longtemps divergé entre groupes pédiatriques et adultes. Les approches plus intensives développées chez l'adulte ont amené à une réévaluation des indications dans cette population, notamment après l'implémentation de la MRD comme marqueur d'évaluation de la qualité de la réponse. Le groupe adulte GMALL a ainsi montré le bénéfice de l'ACSH chez les patients présentant une MRD précoce élevée [24]. Dans les protocoles français GRAALL-2003/05, les seuls critères
prédictifs d'un bénéfice de l'ACSH en termes de survie sans rechute sont des critères de réponse au traitement (absence de RC en 1 cure, chimiorésistance, MRD élevée) [25]. Ces résultats s'opposent à ceux publiés par l'intergroupe UKALL-ECOG qui, en utilisant une autre stratification du risque, suggère dans une cohorte importante de patients que le bénéfice de l'ACSH dans la LAL est essentiellement observé dans les risques standards définis par un âge < 35 ans, une faible leucocytose (< 30 ou 100 G/L dans les LAL-B ou T respectivement) et l'absence de chromosome Philadelphie [26]. Dans ce protocole, où les patients ne recevaient pas de chimiothérapie de type pédiatrique, la survie globale à 5 ans des patients à risque standard, donc de moins de 35 ans, n'était que de 52 % dans le bras sans donneur contre 62 % dans le bras avec donneur. Ces résultats ont fait discuter l'interaction possible entre l'intensité du protocole et le bénéfice attendu de l'ACSH. La seule indication d'ACSH retenue dans le protocole GRAALL-2014 actuel est le taux de maladie résiduelle avec des seuils de 10 3 à la rémission (TP1, 6 semaines) et de 10 4 en cours de consolidation (TP2, 12 semaines). La prise en charge des LAL de l'adolescent doit donc clairement reposer sur l'administration de schémas pédiatriques ou d'inspiration pédiatrique (tableau II). La question de l'âge à partir duquel les traitements pédiatriques ne sont plus applicables chez le jeune adulte est non résolue et dépend des schémas
TABLEAU II Hypothèses concernant la différence de survie des adolescents et jeunes adultes présentant une LAL par rapport à la population pédiatrique [3,20,36,37] Hypothèse explicative de la survie inférieure chez les AJA La leucémie
Caractéristiques biologiques intrinsèques
Formes favorables moins fréquentes Formes chimiorésistantes plus fréquentes
Le traitement
Chimiothérapie
Approche pédiatrique plus adaptée
Nature des chimiothérapies +++ Dose-intensité
Prise en compte des facteurs de risque
Stratification thérapeutique
Inclusion dans essai thérapeutiques Soins de support L'hôte
Apprentissage spécifique de toxicité particulière métabolique, pancréatique, thrombotique, immununodépression lymphoïde
Toxicité Contexte hormonal
L'environnement
Homogénéité des procédures
Taux de couverture sociale Observance
Toxicité accrue chez l'adolescent Différence de pharmacocinétique (?) Retard au diagnostic, accès aux soins moindre (US) Observance diminuée
Isolement, accompagnement familial plus difficile Accompagnement et prise en soin psychologique complexe
4
Support social, scolaire, ludique. . . moins accessible
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Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002
Un paradigme de la prise en charge des AJA : la LAL à chromosome Philadelphie La prise en charge des LAL à chromosome Philadelphie a profondément été modifiée par l'arrivée des ITK. Toutefois, les attitudes pédiatriques et adultes ont divergé tant sur le contenu de la chimiothérapie à associer aux ITK que, plus récemment, sur les indications d'ACSH. Beaucoup de groupes adultes ont pris le parti de diminuer les doses de chimiothérapies afin de diminuer la toxicité globale des traitements et d'augmenter la faisabilité de l'ACSH [27]. Le groupe GRAALL a ainsi randomisé dans le protocole GRAAPH-2005 deux schémas de chimiothérapie en association avec l'imatinib et montré des résultats similaires dans les deux bras avec une survie à 5 ans de 45,6 % dans une cohorte d'âge médian 47 ans [27]. À l'extrême, le groupe italien GIMEMA a développé des approches d'induction fondée sur l'association d'un ITK, de corticoïdes et de prophylaxie méningée [28]. À l'inverse, les groupes pédiatriques ont maintenu l'intensité des schémas de chimiothérapie combinés à l'imatinib. Le groupe COG (AALL0031) a ainsi montré l'intérêt d'une exposition continue à l'imatinib et des taux de survie sans événement à 4 ans comparables chez les patients non allogreffés (71 %), et allogreffés avec un donneur de la fratrie (64 %) ou avec un donneur non apparenté (63 %) [29]. En évaluant la réponse par quantification de la MRD, les groupes pédiatriques cherchent à identifier un sous-groupe favorable de patients qui ne bénéficieraient pas de l'ACSH [30].
La préservation de la fertilité En l'absence de projet d'ACSH, l'utilisation modérée des agents alkylants dans les schémas de chimiothérapie pédiatriques ou adultes expose à un risque très faible d'hypofertilité. Toutefois, une cryopréservation du sperme doit être réalisée au diagnostic chez tous les adolescents et jeunes adultes. En raison de la situation hématologique, les techniques alternatives au recueil par masturbation (ponction épididymaire, électroéjaculation. . .) sont difficiles à proposer en cas d'échec. Une cryopréservation de tissu testiculaire peut être discutée avant greffe en informant le patient de l'absence à ce jour de solution technique de restauration de la fertilité. Chez l'adolescente et la jeune femme, la situation hématologique et l'urgence thérapeutique
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ne permettent pas d'envisager de solution de préservation de la fertilité au diagnostic. Avant une éventuelle ACSH, une cryoconservation de cortex ovarien peut être proposée. Les patientes doivent toutefois être informées du risque de réimplantation de la maladie en cas de greffe secondaire de ces fragments ovariens, constituant une difficulté à leur utilisation à ce jour. Des protocoles d'évaluation de la maladie résiduelle dans les fragments prélevés devraient permettre de proposer dans l'avenir des réimplantations encadrées. L'information des patients et patientes mais également des équipes pluriprofessionnelles ainsi que le recours à des consultations spécialisées avant et après le traitement du cancer sont fondamentaux.
Les effets secondaires au long cours Alors que de nombreuses données s'accumulent dans les cohortes pédiatriques, peu de données sont disponibles chez l'adulte en dehors des populations allogreffées. Les importants travaux menés sur la cohorte française Leucémie de l'Enfant et de l'Adolescent (LEA) de suivi au long cours des patients atteints de leucémie aiguë dans l'enfance et l'adolescence ont mis en évidence la survenue de nombreux événements, notamment métaboliques, osseux, oculaires, mais également des conséquences en termes de qualité de vie [31]. Ainsi, il a été observé que les syndromes métaboliques étaient environ deux fois plus nombreux chez les adultes jeunes ayant été traités pour une leucémie aiguë par rapport à la population générale de la même tranche d'âge notamment lorsque les patients avaient été allogreffés après une irradiation corporelle totale [32]. De la même manière, il semble que les adultes survivants d'une LA ont une qualité de vie à l'âge adulte qui est globalement inférieure à celle de la population générale, notamment en ce qui concerne leur condition physique et leur bien-être psychologique. Ce dernier point semble se dégrader au cours du temps et semble avoir un impact plus important que la diminution du bien-être physique [31]. Là encore, comme dans la plupart des effets secondaires à long terme, l'allogreffe de moelle semble être un facteur de risque plus important que la chimiothérapie seule. Plus spécifiquement à l'adolescence, on observe dans les cohortes pédiatriques un risque élevé d'ostéonécrose aseptique, probablement favorisé par la coadministration de dexaméthasone et d'asparaginase [33,34]. Le diagnostic d'ostéonécrose est souvent porté pendant la phase d'entretien. Malgré l'absence de données aussi robustes chez les jeunes adultes, le Children Oncology Group a récemment étendu ses recommandations de suivi au long cours à la population AJA (www. survivorshipguidelines.org).
Défaut d'observance chez les AJA L'obtention d'une excellente observance est cruciale dans un schéma où la répétition des thérapeutiques, l'administration par voie orale des corticoïdes et des antimétabolites constituent le principe de base. Les difficultés d'adhésion au schéma
5
thérapeutiques utilisés et des possibilités de surveillance. Il s'agit toutefois de la classe d'âge dans laquelle l'incidence de la maladie est la plus faible et la question de la courbe d'apprentissage de protocoles parfois très complexes est légitime, notamment dans des structures d'hématologie adulte qui se posent la question du meilleur traitement à proposer à ces patients. La convergence des attitudes thérapeutiques pédiatriques et adultes, comme notamment les indications d'ACSH ou l'adaptation de la dose-intensité en fonction de l'âge dans l'actuel protocole adulte GRAALL-2014, atténue les hétérogénéités de prise en charge.
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thérapeutique sont une caractéristique de la population AJA, même si elles ne sont pas restreintes à cette population. Dans les LAL, ce défaut d'observance a principalement été mis en évidence dans la phase du traitement d'entretien. Il a fait l'objet d'une étude du Children Oncology Group, portant sur 327 patients, qui a montré que l'âge (> 12 ans) était un déterminant majeur de la non-adhésion au traitement d'entretien ambulatoire et par voie orale [35]. Une observance inférieure à 95 % était associée à une augmentation significative du risque de rechute (17 % vs 5 %). L'analyse de cette étude montre que 59 % des rechutes à partir du j1 du traitement d'entretien sont expliquées par cette mauvaise observance (tableau II). Des déterminants sociaux, familiaux (identifiés en Amérique du Nord, non transposables en France de façon évidente) influent clairement sur l'observance. Leur prise en compte est susceptible de l'améliorer. Des études d'observance réalisées chez l'adulte dans la leucémie myéloïde chronique montrent que les patients qui présentent des difficultés d'observance dans la prise des ITK sont les patients les plus jeunes et ceux présentant le plus d'effets secondaires. Ces observations suggèrent que l'observance du traitement anticancéreux ambulatoire prolongé dans les LAL de l'AJA doit être analysée avec attention, y compris en ce qui concerne les thérapeutiques ciblées utilisées dans les LAL Phpositives et possiblement les LAL Ph-like. L'évaluation précoce du risque de non-adhésion et de ses déterminants psychosociaux est probablement un enjeu majeur dans cette pathologie. Le bénéfice en termes d'observance d'un environnement thérapeutique et social est possiblement étayé par l'hétérogénéité de survie non seulement selon le schéma
thérapeutique mais aussi selon la typologie des services de soins ; cet impact est difficile à évaluer [20]. Nous formulons l'hypothèse que les démarches suivantes pourraient favoriser l'observance : l'accueil des proches (parents chez l'enfant) dans les unités de soins, le défi à l'isolement de l'AJA ; l'accompagnement (social, financier, psychologique. . .) de l'AJA et de son entourage, qui facilite leur disponibilité, la confrontation à la réalité, le respect des rendez-vous et des administrations thérapeutiques pénibles, la prise en charge primaire des événements indésirables ; les démarches institutionnelles et associatives restituant un sens au projet de court, moyen et long terme : enseignement (de lycée, professionnel, universitaire. . .), activité physique adaptée, activité ludique, artistique, récréative, groupale. . . Cet environnement médicosocial doit à la fois être anticipé [20] (structure de prise en soins globale) et profondément adapté à l'individu (dépression, détresse morale) et à ses besoins [36,37] dans un processus d'accompagnement vers l'autonomie (notamment investissement personnel sur les objectifs réalistes du traitement). La mise en place de programmes AJA à la frontière entre les hématologues pédiatres et adultes est souhaitable pour améliorer les décisions thérapeutiques et l'accompagnement global de ces patients aux besoins spécifiques. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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Pour citer cet article : Boissel N, Ducassou S. Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge. Bull Cancer (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2017.03.002
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Article original
Les leucémies aiguës lymphoblastiques de l'adolescent et du jeune adulte. Spécificités de la prise en charge