Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 722-5 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448701001251/SSU
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE Séance du 28 mai 2001
Les petits couples en 2001 R. Gellman1*, Cl. Gellman-Barroux2 1 Psychiatre des Hôpitaux, chef de service au Groupe hospitalier Paris Maison-Blanche, France ; 2 PsychologuePsychanalyste, École française de sexologie, 3 rue Copernic, 75116 Paris, France
Résumé – Les petits couples d’adolescents sont une des caractéristiques psychosociologiques de ces deux dernières décennies. Nous étudierons leur constitution, les difficultés rencontrées, leur évolution et leur rupture, le plus souvent brutale. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS adolescent / fusion / méthode contraceptive / petit couple / rupture
Summary – Teenager couples in 2001. Teenager couples are a psycho-social characteristic of the two last decades. We will study their constitution, the encountered difficulties, their evolution and their brutal breaking-off. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS break-up / contraceptive méthode / fusion / ‘little couple’ / teenager
La constitution de « petits couples » d’adolescents nous paraît une des caractéristiques psychosociologiques de ces deux dernières décennies. Pourtant ce phénomène important n’a donné lieu ni à des études approfondies, ni à une prise de conscience des professionnels concernés par l’adolescence. Les générations antérieures se sont intéressées à la psychogenèse de la sexualité [3], aux problèmes qui se poseraient à chaque individu [1, 6, 8], à l’abord thérapeutique des dysfonctions sexuelles [4, 5, 7]. Il a fallu attendre le milieu des années 1980 pour que certains sociologues [2] relèvent ce que nous considérons comme une évolution considérable dans le domaine de l’adolescence, c’est-à-dire la constitution de couples stables qui seront dénommés ici « petits couples ». Certains adolescents ont à toutes les époques désiré vivre ensemble précocement et s’initier mutuellement à la sexualité dans le cadre d’une liaison durable. Ils se heurtaient à la réprobation virulente des deux milieux familiaux qui s’ingéniaient à contrarier leurs amours et à les séparer physiquement.
*Correspondance et tirés à part.
Par définition les amours précoces adolescentes étaient vouées au malheur. Si les familles n’intervenaient pas, c’est le destin qui se chargeait de séparer les jeunes par la mort (Roméo et Juliette, Paul et Virginie). « Ils se rencontrent au lycée, et se lancent à quinze ou seize ans dans une relation forte, durable, exclusive. Nul besoin de se cacher : aujourd’hui les amours adolescentes s’épanouissent sous le toit familial. Les parents, attendris, consentent, certains sont même un peu inquiets de les voir si sages… Ils se comportent comme de vieux couples ! » [2, p. 30] Comment expliquer un retournement si brutal de la situation : naguère encore traquées, séparées, découragées, les amours adolescentes bénéficient aujourd’hui de l’indulgence, sinon de la complicité des parents. Grâce aux méthodes contraceptives le risque des grossesses non désirées est écarté, sinon le recours à l’IVG est banalisé, de façon peut-être abusive. Le risque des MST et du SIDA est venu changer radicalement la situation : la formation d’un couple stable et fidèle est la seule garantie sérieuse contre le fléau. L’amour porté aux enfants a balayé les derniers tabous religieux dressés contre la sexualité pré-maritale. « Lycéens, ils vivent déjà le grand amour. Même s’ils n’habitent pas ensemble – pas encore – ils partagent tout leur temps libre – week-ends chez papa-maman, soirées, vacances – avec une fidélité un peu casanière
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qui étonne leurs copains et leurs parents » [2, p. 32]. D’abord attendris, les parents s’inquiètent : ils trouvent que le couple se referme trop sur lui-même. Les deux adolescents ne rêvent que de « ne faire qu’un » ; « l’attention exclusive qu’ils se vouent mutuellement amène à les considérer comme des couples… Ils ne vivent pas sous le même toit. Ils se retrouvent chez les parents de l’un ou de l’autre. Leurs familles les autorisent plus ou moins vite à partager la même chambre pendant les week-ends… Leur seul moment de vie commune autonome se situe en général pendant les vacances d’été… Ils disposent donc pour leurs relations sexuelles d’un temps, d’un confort et d’une tranquillité d’esprit qui constituent une nouveauté importante par rapport aux générations passées. La plupart sont au courant des méthodes contraceptives. Si tous [toutes…] ne les emploient pas, c’est qu’il est difficile de relier deux réalités aussi étrangères l’une à l’autre qu’un vécu psychologique intense et une technique » (id.). La cohabitation avec les autres jeunes n’est pas sans poser de problèmes. « Une partie de ces très jeunes couples continuent... à se mêler à la vie de leurs camarades... mais la coexistence n’est pas toujours facile. Certains groupes intègrent bien les couples, d’autres non. Parfois ce sont les couples eux-mêmes qui s’excluent par désir de profiter davantage d’euxmêmes... La tendance dominante semble au repli sur l’intimité, avec des distractions un peu casanières. » La rupture de ces très jeunes couples se produit souvent de façon brutale. « Puis un jour vient la rupture en général rapide, totale, et sans douleur ni crise majeure... les plus choqués par l’événement sont souvent les parents qui n’imaginent pas la séparation sans un cortège de souffrances et qui parfois voient disparaître avec tristesse un adolescent ou une jeune fille auxquels ils s’étaient insensiblement attachés » (id.). Le plus fréquemment, la rupture va s’effectuer en plusieurs temps successifs. Le jeune homme (ou la jeune fille) peut prendre conscience de sa très grande dépendance et désirer une séparation pour vivre une autre expérience avec d’autres partenaires. La souffrance est alors intense chez celui ou celle qui se trouve délaissé. Après quelques mois de séparation, le vécu de quelques aventures sans attrait, le couple se reforme, à l’initiative de l’un ou de l’autre. Mais le charme est rompu : la naïve confiance dans une union parfaite a disparu. L’autre n’est plus idéalisé, sa présence n’est plus suffisante pour satisfaire tous les besoins de fusion. C’est alors que ces jeunes couples peuvent consulter pour des symptômes sexuels qui n’existaient pas au départ ou qui n’étaient pas reconnus comme tels : manque de libido, anorgasmie, dyspareunie, éjaculation précoce, parfois dysfonction érectile. Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 722–5
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Ils sont alors engagés dans une longue saga qui va les amener à la séparation définitive ou à la constitution d’un couple durable, en ayant fait le deuil d’une idéalisation de l’autre. Bien entendu ces jeunes couples constituent une minorité, mais par leur spécificité ils indiquent les nouvelles tendances de notre société qui a su s’adapter avec souplesse et rapidité aux changements des mœurs et aux nouveaux dangers encourus par les jeunes dans l’apprentissage de la sexualité. On peut remarquer que l’appartenance à un même groupe scolaire joue un rôle important dans les rapprochements, même si les couples se constituent entre élèves appartenant à des classes différentes. Paradoxalement, la libération de la sexualité des adolescents en entraîne certains à « se fixer » très tôt et souvent pour des années, sur un partenaire unique. Ce qui inquiète les parents, c’est la disparition, pour ces jeunes, d’une période d’exploration de la vie, marquée habituellement par des contacts multiples. D’autres adultes s’inquiètent du caractère fusionnel de ces relations. Les jeunes ont imposé ces couples précoces à leurs familles dans presque tous les milieux. « L’arme des jeunes est une décision tranquille. Si leurs parents ne s’inclinent pas, ils n’hésitent pas à rompre avec eux » [2, p. 33]. Ils trouvent alors refuge dans l’autre famille, ravie de se montrer plus ouverte, plus compréhensive. Cette relation précoce permet le remplacement d’une relation affective centrée sur la famille, par une autre plus égalitaire, mais également très protectrice. Les jeunes ont le sentiment de vivre un amour profond, mais au bout de quelques années l’un des deux mûrit et prend conscience de sa dépendance affective. La rupture est souvent brutale et le jeune refuse ensuite de revivre une aventure aussi fusionnelle. « Quelle que soit la façon dont se réalise l’évolution de chacun, deux tendances se dessinent : – d’une part la naissance progressive du désir d’avoir une relation suivie avec un partenaire privilégié ; – d’autre part une maturation de la qualité de cette relation qui intègre peu à peu la tendresse, la fidélité... des égards réciproques. C’est parce que se développe le désir de faire durer une relation que chaque partenaire apprend à faire les concessions nécessaires à sa prolongation » [2, p. 34]. À un moment donné, la liberté totale paraît moins précieuse que ce qui est gagné à être en couple. « La libre constitution de couples entre adolescents est une situation particulièrement positive pour les filles. La possibilité qu’elles détiennent, à égalité avec leurs partenaires masculins, de rompre à tout moment une relation qui ne les satisfait pas, se révèle un facteur
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considérable de transformation des rapports entre les deux sexes » (id.). Il est à noter qu’en l’espace d’une génération la majorité des jeunes gens s’est pénétrée de l’idée d’égalité entre les deux sexes et l’assume d’une manière tranquille, sans tourment ni agressivité. Les garçons tirent également avantage de la situation : « Ils y gagnent de pouvoir s’essayer à vivre des relations complexes avec des jeunes filles, sans avoir, nécessairement, à s’engager durablement » (id.). La situation de « ces petits couples d’adolescents » des années 1999-2000 est très différente de ce qu’a pu vivre la génération précédente dans les années 1970. Avec la sécurité apportée par la contraception, le désir de profiter pleinement de la liberté conquise avec les événements de mai 68, certains jeunes étaient avides d’effectuer des expériences sexuelles précoces et multiples. Avec l’insécurité entraînée par le chômage, la crainte des maladies sexuellement transmissibles et le risque du sida, la constitution précoce de couple paraît être une protection, un havre provisoire. Le rôle des parents est, bien entendu, délicat. Les séries télévisées caricaturent les réactions hystériques ou paranoïaques des pères, les conflits qu’ils engendrent avec l’autre famille jugée responsable par « désintérêt, négligence ou veulerie ». Offrir une écoute, un accueil compréhensif et non culpabilisant évitera certainement à ces adolescents des passages à l’acte autodestructeurs à une époque de la vie où les investissements scolaires et professionnels sont essentiels. Les parents peuvent difficilement avoir, sans risque, les réactions qui ne sont pas en harmonie avec le climat tolérant de la société à l’égard des adolescents et de leur sexualité. L’existence de « petits couples d’adolescents » va-telle avoir des répercussions sur la sexualité et la mise en couple des jeunes de 20 à 25 ans ? Certains prétendent que « la génération des 20-25 ans est plus attachée à la vie de couple et plus désireuse de la réussir durablement que celle qui l’a précédée » [2, p. 35]. Les jeunes de cet âge sont souvent marqués par la multitude des ruptures, observées dans leurs familles ou leur entourage, et n’ont pas envie de reproduire ce qu’ils considèrent comme des échecs et non comme l’expression de la liberté individuelle. Ils évitent de parler de mariage, mais ils vivent leur vie de tous les jours comme s’ils allaient passer leur existence ensemble. « Le seul fait d’admettre explicitement, au départ, l’idée de rupture, en augmente le risque [...]. Ils n’ont pas de raisons religieuses [...], ni morale ou intellectuelle de penser qu’ils sauront franchir les obstacles sur lesquels d’autres ont buté. Mais vivre un couple qui
dure est de nouveau perçu comme une façon de réussir sa vie, et se donner les moyens d’y parvenir comme un objectif valable » (id.). À ces couples jeunes, aspirant à la durée, se pose nécessairement le problème de la fidélité. La liberté des mœurs est par ailleurs acceptée puisque « chacun est libre de se comporter comme il veut ». Devant cette contradiction, « une valeur voit sa cote baisser sérieusement : la franchise » (id.). Celle-ci est trop difficile à vivre : mieux vaut ne rien dire. « Il vaut mieux se taire pour ne pas risquer de briser le lien existentiel que chacun tient à préserver » (id.). « L’omission évite de blesser inutilement [...]. Le débat sur la franchise confirme que l’infidélité ne fait pas l’objet d’un rejet moral. Elle n’a d’importance que par rapport à la difficulté d’assumer un éventuel partage affectif et sexuel » [2, p. 36]. Ainsi se trouvent notées « la peur de la souffrance, de la jalousie, l’angoisse de voir se détruire le rêve de l’amour total et exclusif. Les filles réagissent le plus vivement. Les garçons se montrent relativement discrets. Ils confirment le refus de l’infidélité énoncé par leurs amies [...], ils adhèrent sincèrement à ce choix, mais [...] ils mesurent les difficultés de sa réalisation » (id.). Dans ce contexte, le « je ne veux rien savoir » est peut-être la soupape de sécurité » (id.). Ces multiples nuances dans l’évolution sociologique des jeunes couples amènent à penser que « le désir d’une relation durable est lié à l’accès à la maturité. Il se développe [...] à travers une démarche par étapes qui permet aux couples de vérifier la force de ce qui les lie, et leur capacité de s’adapter l’un à l’autre [...]. La cohabitation [...] oblige [...] à sortir du rêve. Bien des jeunes couples [...] ne survivent pas à cette épreuve de vérité [...]. Il faut beaucoup de discussion et de tâtonnements pour trouver un juste équilibre entre l’autonomie [...] et la dose de concessions sans lesquelles aucun couple n’est viable » (id.). L’autonomie se manifeste dans la maîtrise de l’argent gagné, en dehors des dépenses du ménage. La vie du couple passe autant par ce que chacun fait de son côté que par ce qui est réalisé ensemble. À cet âge, « le temps des rêves de fusion est dépassé [...] certains domaines sont ceux des collaborations étroites : l’élaboration commune du cadre de vie est jugée importante [...] le partage des tâches de la vie domestique donne l’impression de progresser rapidement [...]. La répartition se fait en fonction des goûts et de la liberté de chacun [...]. Les jeunes hommes font l’effort demandé avec gentillesse, [comme si] les premières expériences de couple à l’adolescence avaient préparé le terrain » (id.). Ann Méd Psychol 2001 ; 159 : 722–5
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Dans cette classe d’âge, la paternité est une valeur en hausse. La mobilisation idéologique n’étant plus à l’ordre du jour, les enfants sont de plus en plus perçus comme pouvant donner un sens à la vie. « L’importance d’un milieu familial équilibré et solide est [...] soulignée [...]. La responsabilité matérielle des enfants est de moins en moins une affaire de femmes » [2, p. 39]. Autre transformation importante : le rapport entre générations. « Très souvent les jeunes couples sont très attachés à leurs parents, [avec l’exigence] que leur autonomie soit respectée. » La contestation est la grande perdante de l’époque actuelle avec cependant des « frémissements » que chacun peut percevoir. Le couple libre où chacun vagabonde de son côté n’est plus coté et serait plutôt la dernière tentative d’adaptation d’un couple en voie de dissolution. La crise « a fait renaître la conscience de la fragilité, de la précarité des choses humaines [...]. Elle a amené les jeunes [...] à chercher des points d’ancrage, des éléments de sécurité » [2, p. 40]. Les jeunes couples ont également constaté que le grand nombre de couples dissociés parmi les parents rendait plus difficile la vie matérielle, plus inquiétante la vie affective. Ils ont par opposition choisi, non la contestation qui avait si peu réussi à leurs aînés, mais la stabilité. « Le couple apparaît comme un rempart contre une solitude jugée effrayante. Encore faut-il que celui-ci soit solide » (id.). CONCLUSION On sait que, statistiquement, chaque individu va, à notre époque, vivre trois liaisons amoureuses importantes dans son existence. Le « petit couple » sera le premier et parfois le plus important.
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Ce phénomène a débuté de façon significative il y a une vingtaine d’années. Nous avons donc un certain recul et avons constaté à plusieurs reprises chez des patients la reconstitution, à l’âge adulte, de ces ex « petits couples ». À la suite d’une rupture, d’un divorce, le patient recontacte son « ex ». Celle-ci est parfois veuve, esseulée ou abandonnée. Le couple se reforme alors très rapidement après deux ou trois rencontres. Certaines patientes nous ont alors dit : « C’est comme si on ne s’était jamais séparés, j’ai ressenti les mêmes sentiments qu’il y a vingt ans, nous avons retrouvé goût simultanément aux mêmes jeux, aux mêmes caresses. Nous n’avons pas eu besoin de temps pour de nouveau nous aimer, tout est revenu instantanément, comme si nous nous étions séparés la veille. » Les réactions sexuelles ne suivent pas nécessairement la résurgence des sentiments amoureux et c’est pour cela qu’ils consultent. La sédation des symptômes se fait rapidement et notre ex « petit couple » mue de nouveau pour, en général, former un « bon couple ». Comme quoi les « petits couples » peuvent avoir un grand avenir. RE´FE´RENCES 1 Abraham G, Pasini W. Introduction à la sexologie médicale. Paris : Payot ; 1974. 2 Betbeder MC. Les jeunes couples. Le Monde de l’Éducation, 128, juin 1986. p. 30-4. 3 Freud S. La vie sexuelle. Paris : PUF ; 1969. 4 Gellman R, Gellman-Barroux Cl. Structure de personnalité et thérapeutiques sexologiques. Cahier de sexologie clinique 1977 ; 3 : 386-90. 5 Kahn Nathan J. Que faire devant… une dysharmonie sexuelle ? Paris : Masson ; 1976. 6 Kahn Nathan J, Tordjman G, Verdoux C, Cohen J. Encyclopédie de la vie sexuelle. Paris : Hachette ; 1984. 7 Masters WH, Johnson VE. Les mésententes sexuelles et leur traitement. Paris : Laffont ; 1971. p. 21. 8 Tordjman G. Réalités et problèmes de la vie sexuelle. Paris : Hachette ; 1975.