Éditorial
Les plaies biliaires des cholécystectomies par laparoscopie J.-F. Gigot Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale, Cliniques Universitaires Saint-Luc – Bruxelles. Correspondance : J.-F. Gigot, Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale, Cliniques Universitaires Saint-Luc, Avenue Hippocrate 10, B 1200 Sint-Lambrechts-Woluwe – Bruxelles (Belgique). e-mail :
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La publication dans Journal de Chirurgie de deux séries françaises sur les plaies biliaires au cours de cholécystectomie méritait bien un éditorial [1, 2]. Tout d’abord, parce qu’il est courageux de publier son expérience sur ce sujet toujours un peu difficile, même si la majorité des cas traités dans les deux séries étaient des cas transférés. Mais surtout, parce qu’il y a de grandes similitudes entre ces deux séries cliniques, qui finalement illustrent assez bien la persistance du problème, ses facteurs de risque, la difficulté du diagnostic et de la stratégie thérapeutique. 1) Ces deux séries rapportent une expérience clinique très actuelle, s’étendant respectivement de 1995 et 1997 à 2005, une période bien au-delà de l’introduction de la cholécystectomie laparoscopique en France. Pour rappel, Ph. Mouret a réalisé la première intervention de ce type en 1987. L’expérience chirurgicale quotidienne et le recrutement persistant des centres spécialisés en endoscopie thérapeutique et en chirurgie hépatobiliaire montrent d’ailleurs – comme dans ces deux séries cliniques – que le problème est donc bien toujours d’actualité, bien au-delà de la « courbe d’apprentissage » chirurgicale [3]. Dans le registre belge des cholécystectomies laparoscopiques, un tiers des plaies biliaires était d’ailleurs causé par un chirurgien ayant plus de 100 cholécystectomies laparoscopiques d’expérience. Par ailleurs, l’incidence des plaies biliaires n’a pas varié en Belgique sur plus de 10 ans, puisqu’elle a été rapportée à 0,5 % de 1990 à 1993 dans le registre belge publié en 1997 [4], qu’elle a été encore évaluée à 0,5 % pendant l’année 1997 [5], puis à nouveau à 0,5 % pendant l’année 2000 (résultats non publiés) par la Sécurité sociale, avec une exhaustivité d’inclusion consécutive optimale. 2) En dehors de la courbe d’apprentissage, la plupart de ces traumatismes opératoires de la voie biliaire surviennent dans des interventions à risque, avec présence de facteurs de risque locaux connus, essentiellement une cholécystite aiguë ou scléro-atrophique ou une anomalie biliaire extrahépatique. Ces facteurs de risque sont relevés respectivement dans 40 % et 61 % des patients dans ces deux séries cliniques françaises. L’incidence accrue des plaies biliaires en cas de cholécystite aigue, évoquée par C.-K. Kum et al. [6] en Allemagne, a été confirmée récemment en Belgique par B. Navez dans une étude prospective conduite en 2001 et 2002 (résultats non encore publiés) sur des interventions de cholécystectomie laparoscopique pratiquées pour cholécystite aiguë, avec un taux de plaies biliaires de 1 %, soit le double de la prévalence nationale connue. Il est donc classique de conseiller au chirurgien d’avoir une expérience laparoscopique significative avant d’opérer ces patients difficiles et de ne pas hésiter à convertir J Chir 2007,144, N°5 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
lorsque la reconnaissance des éléments anatomiques du triangle de Calot est confuse. 3) En réalité, la détection des plaies biliaires en cours de cholécystectomie laparoscopique est suboptimale, comme l’illustrent ces deux séries cliniques, avec des taux de reconnaissance peropératoire respectivement de 43 % et 50 %. La vérité est donc que le chirurgien laparoscopique méconnaît plus d’une fois sur deux un traumatisme biliaire. Le rôle de la cholangiographie peropératoire (CPO) dans la détection des plaies biliaires est reconnu de longue date et a été confirmé en chirurgie laparoscopique [7]. Loin de rouvrir le débat sur sa réalisation de routine ou sélective, la CPO reste le meilleur moyen actuel de détecter une plaie biliaire (rappelons-le, méconnue dans plus de la moitié des cas). Plusieurs séries ont confirmé que le taux de détection peropératoire des plaies biliaires était significativement amélioré grâce à la CPO [4, 810] et que celle-ci permettait de diminuer la sévérité de la plaie biliaire [4, 8, 9]. Dans la série de Montpellier, 89 % des détections peropératoires ont été réalisés grâce à la CPO [1]. Or, la méconnaissance d’une plaie biliaire en cours de cholécystectomie laparoscopique est associée à un taux de mortalité et de morbidité postopératoire accru et à un surcoût économique significatif [4, 8, 11]. Cette morbidité importante est confirmée dans ces deux séries avec 11 % de mortalité dans la série dijonnaise et respectivement 19 % et 50 % de complications postopératoires dans les deux séries [1, 2]. Par comparaison, la mortalité, la morbidité biliaire postopératoire globale et le taux de resténose au long cours étaient respectivement dans le registre belge de 7 %, 24 % et 29 % en cas de diagnostic peropératoire alors qu’elles étaient de 19 %, 50 % et 47 % en cas de cholépéritoine postopératoire [4]. Dans la série dijonnaise, le taux de complications tardives est nul en cas de diagnostic peropératoire alors qu’il est de 37,5 % si le diagnostic de plaie biliaire est réalisé en postopératoire [2]. 4) Ces deux séries évoquent le concept selon lequel la CPO ne mettrait pas à l’abri d’une plaie biliaire méconnue. Cette assertion mérite d’être discutée, car plusieurs conditions doivent être rencontrées pour que la CPO soit efficace dans le diagnostic peropératoire d’une plaie biliaire. Tout d’abord, il faut discuter le moment où la CPO est réalisée : pratiquée en début de dissection chirurgicale, elle ne met pas à l’abri d’une plaie biliaire lors de la dissection ultérieure. Ce n’est que lorsque la CPO est réalisée en fin de dissection complète du triangle de Calot et du bord supérieur de l’infundibulum vésiculaire que l’on se trouve dans les meilleures conditions de détection. Par ailleurs, sa réalisation étant loin d’être suffisan-
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te, il convient encore que le chirurgien interprète correctement les clichés de CPO pour que celle-ci soit efficace dans la détection d’une plaie biliaire. Une mauvaise interprétation de la CPO a été rencontrée dans 23 % des cas du registre belge [3] et dans 19,5 % de ceux de la série de Woods et al. [9]. Réalisée et bien interprétée, la CPO peut cependant être prise en défaut dans la détection d’une plaie biliaire dans 10 % des cas du registre belge, essentiellement en raison de lésions thermiques non perforatives initialement, mais pouvant conduire soit à une nécrose biliaire transmurale et à une péritonite biliaire en période postopératoire précoce, soit à une sténose biliaire tardive. La plus grande parcimonie est donc de mise dans l’utilisation de l’électrocoagulation monopolaire lors de la dissection du triangle de Calot. 5) Ces deux séries cliniques qui rapportent une morbidité importante dans le traitement des plaies biliaires, sous-estiment encore très vraisemblablement la morbidité réelle au long cours de cette complication. En effet, le recul moyen dans la série dijonnaise est de seulement 5,8 ans et aucun recul à long terme n’est rapporté dans la série de Montpellier [1, 2]. L’excellent rapport de l’Association Française de Chirurgie en 1981 a mis l’accent sur la nécessité de recul postopératoire tardif, de 10 à 20 ans au moins, avant de pouvoir chiffrer la morbidité réelle de ce problème [12]. Plusieurs séries cliniques internationales ont également insisté sur l’impact psychologique destructeur de cette complication sur le patient au long cours [13]. En pratique, l’acquisition d’une formation technique de qualité, le respect des règles techniques reconnues de cholécystectomie laparoscopique – parfaitement rappelées dans l’article de l’équipe de Montpellier –, la réalisation d’une CPO, la conversion sans hésitation en laparotomie en cas de doute ou de difficultés opératoires majeures et la réparation des cas difficiles en centre spécialisé de chirurgie hépatobiliaire sont des règles suffisantes pour diminuer l’incidence et la gravité de cette complication peropératoire toujours latente [1]. En cas de cholécystite aiguë majeure ou scléro-atrophique sévère, la réalisation d’une « voie endovésiculaire », suivie d’une cholécystectomie subtotale, est certainement une alternative technique à la dissection classique du triangle de Calot par voie extravésiculaire, principalement si y est associé un syndrome de Mirizzi ou une convergence biliaire étagée [14].
J.-F. Gigot
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