Revue d’oncologie hématologie pédiatrique (2013) 1, 44—53
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LETTRES À LA RÉDACTION Les plantes : alliées ou ennemies pour l’immunodéprimé ? Herbal products: Tonic or toxic for immunocompromised?
MOTS CLÉS Préparations à base de plantes ; Immunodépression ; Risque fongique
KEYWORDS Herbal medical product; Risk
Résumé Les compléments alimentaires à base de plantes sont régulièrement consommés, y compris chez l’enfant. Nous nous sommes interrogés sur le risque fongique de ces produits chez 12 patients immunodéprimé consommant ou souhaitant en consommer. Chaque préparation a bénéficié d’une analyse mycologique. Onze produits (11/42) étaient positifs en culture majoritairement pour Aspergillus sp. Ils avaient été principalement achetés en pharmacie (35/42). Une péritonite aspergillaire est survenue chez un nourrisson. Il existe une contamination fongique des préparations à base de plantes représentant un risque fongique réel chez l’immunodéprimé justifiant un interrogatoire et une information ciblés des familles. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Nutritional supplements are based on plants and are regularly absorbed, even by children. We questioned the fungal risk of these products in 12 immunosuppressed patients who were taking or wished to take such products. Each preparation was submitted to mycological analysis. Eleven products (11/42) were revealed positive for Aspergillus sp. Most of them had been purchased from a pharmacy (35/42). An infant presented with an acute Aspergillus peritonitis. Fungal contamination exists in plant-based preparations and represents a real risk in immunosuppressed patients; this merits enquiry and family-oriented information. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
En France, la consommation de compléments alimentaires à base de plantes (CBP) est en augmentation et les enfants n’échappent pas à la règle. L’étude franc ¸aise d’enquête alimentaire INCA2 menée par l’Afssa1 dès 2006 montrait une consommation chez 11,5 % des enfants de compléments alimentaires parmi lesquels 11 % étaient exclusivement des préparations à base de plantes (PBP) [1]. Depuis 2009, un dispositif de Nutrivigilance a été mis en place par l’Anses1 dans le but de surveiller les effets secondaires de ces produits. La colonisation fongique des CBP a déjà été rapportée avec plusieurs mises en garde sur leur utilisation chez l’immunodéprimé [2]. Les CBP ne restent pourtant pas considérés comme de l’automédication dangereuse par la majorité des familles qui administrent des PBP (incluant, de
1 Afssa : Agence franc ¸aise de sécurité sanitaire des aliments remplacé en 2010 par l’Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
manière plus large, toutes les préparations à base de substances végétales concassées jusqu’aux huiles essentielles sans pour autant répondre à la présentation spécifique des compléments alimentaires) très souvent (50 % des cas) à l’insu des médecins [3] (Annexe 1). À propos de plusieurs situations cliniques, nous nous sommes interrogés sur le risque fongique des PBP chez l’enfant immunodéprimé. D’octobre 2009 à février 2013 dans le service d’hématooncologie pédiatrique et au sein des consultations de néphrologie pédiatrique du centre hospitalier universitaire de Rennes, nous avons réalisé un dépistage sur les consommations (en cours ou seulement en projet) de PBP chez les enfants jugés à risque fongique : neutropénie inférieure à 500 polynucléaires neutrophiles (PNN)/mm3 pendant une période supérieure ou égale à deux semaines ou neutropénie sévère inférieure à 100 PNN/mm3 , quelle que soit la durée et la cause (innée ou acquise) — allogreffe de cellules souches hématopoïétiques — réaction de greffon
2213-4670/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.oncohp.2013.05.002
Lettres à la rédaction
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Figure 1. Pourcentage et type de germes retrouvés au cours des analyses mycologiques quels que soient les patients ou les préparations à base de plantes analysés.
contre l’hôte traitée par corticothérapie — transplantation d’organe solide — traitement immunosuppresseur. Un interrogatoire ciblé était réalisé auprès des parents sur la consommation de PBP. Après accord des parents, tout produit révélé bénéficiait d’une analyse mycologique. Douze patients à risque fongique dont les familles attestaient donner ou vouloir donner des substances alternatives ont été étudiés, trois filles et neuf garc ¸ons avec un âge médian de 7,8 ans [0,6 à 16,4 ans]. En moyenne, chaque patient prenait 3,5 produits. Sur les 42 produits recensés, 40 étaient des compléments alimentaires dont 27 (68 %) étaient des PBP et le reste des traitements homéopathiques. Seuls deux familles ont mentionné la prise de compléments alimentaires spontanément. Sur 39 analyses mycologiques de produits différents, 11 (28,2 %) étaient positives à au moins un champignon. Toutes les cultures positives correspondaient à un CBP, soit dans 41 % des PBP (11 cultures positives/27 PBP analysées). L’ensemble des cultures positives concernait huit sur 12 (67 %) enfants qui avaient eu au moins une PBP positive dans leur liste de CBP consommés. La majorité des produits, 83 % (35/42), a été achetée en pharmacie d’officine sans différence qualitative sur la contamination par rapport aux produits de préparation artisanale. Les germes mis en évidence, étaient essentiellement de l’Aspergillus (49 % des germes, dont plus des deux tiers correspondaient à de l’Aspergillus niger), mais également des pathogènes plus rares tous vivaces en culture (Fig. 1). Les quantités de germes mis en évidence étaient évaluées de manière qualitative (de rares colonies à nombreuses colonies). Parmi les cas rapportés, il y avait un nourrisson de sept mois pris en charge pour une leucémie aiguë lymphoblastique qui a présenté une péritonite aspergillaire primitive, sans foyer pulmonaire, au cours de la cure d’intensification no 1 de l’Interfant 06, suite à l’administration présumée de granulés de pollen. Notre étude a mis en évidence que sur l’ensemble des produits analysés, 28,2 % de l’ensemble des traitements
analysés et 41 % de l’ensemble des PBP étaient positifs pour des champignons reconnus comme potentiellement pathogènes pour l’immunodéprimé [4]. Notre étude n’a pu être possible qu’après sensibilisation des médecins en charge des patients, et la réalisation d’un interrogatoire ciblé puisque la prise de CA n’était révélée spontanément que dans deux cas, probablement du fait de l’innocuité présumée des produits naturels. La recherche de cette administration est pourtant importante, et les médecins en charge des patients immunodéprimés doivent prendre conscience des différents risques encourus [5]. Plusieurs publications ont déjà rapporté les risques de la consommation de PBP qui peuvent contenir des plantes frelatées ou altérées, des contaminations par des médicaments, des métaux lourds, des pesticides [6]. Cependant, il n’a encore jamais été décrit de cas d’infection fongique dans les suites de la consommation de produit à base de plantes. Comme Bent aux États-Unis, on peut regretter le manque de signalements concernant les effets secondaires des CBP comparativement à ceux des médicaments [7]. En France, le circuit de déclaration dit de Nutrivigilance n’est que très récent (2009). Le risque individuel d’infection induite est de plus difficile à déterminer. Au cours de notre étude, les PBP n’ont souvent pas été pris, puisqu’ils ont été déconseillés avant leur consommation ne permettant pas de savoir si l’ensemble des germes mis en évidence était en quantité suffisante pour créer une infection, l’inoculum nécessaire n’étant pas défini [2]. La recherche systématique de consommation de PBP par le praticien semble néanmoins être une démarche nouvelle et intéressante à intégrer dans les pratiques courantes chez l’immunodéprimé, associée à une sensibilisation des familles dès le début de la prise en charge par un entretien ciblé et la notification dans le carnet d’accueil des patients. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Annexe 1. Descriptif de l’ensemble des préparations à base de plantes (PBP) citées par les patients PBP
Composition
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
No 1
Biotaurine®
Éléments souffrés (taurine, glutathion, méthionine, extraits végétaux de radis noir, ail et brocolis), vitamines B6—B9, zinc et sélénium
Détoxication cellulaire
19 D
Aspergillus niger
Optifoa®
Chardon Marie, gélatine de poisson, Desmodium adscendens, Chrysantellum americanum
Synergie nutritionnelle hépatoprotectrice
21 à 27 D
—
Chardon Marie
Protège le foie, stimule la sécrétion biliaire, contribue à l’élimination des toxines de l’organisme
4 à 35 D
Aspergillus niger, Rhizopus sp.
Christe Marine
Diurétique, anti-cellulite, minceur
5 à 25 D
Aspergillus niger, Aspergillus flavus
Renforce les effets des traitements anti-tumoraux et diminue le risque de rechute
33 à 55 D
—
N o 2a
Sirop de rosamel
Alchémille et/ou la potentille quintefeuille et/ou la potentille ansérine
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Commentaire
Germes retrouvés
Lettres à la rédaction
Cas cliniques
Cas cliniques
PBP
Composition
Pépin de raisin
No 3
Desmodium
Desmodium ascendens
Pao Pereira
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
Pousse les cellules qui causent la leucémie à s’autodétruire
10 à 55 D
Protecteur hépatique
3 à 15 D
Plante originaire d’Afrique, non inscrite à la pharmacopée franc ¸aise
Aspergillus niger, Aspergillus flavus, Rhizopus sp., Penicillium sp.
Stimule l’immunité : anticancéreux, anti-paludéen, anti-viral
60 à 190 D
Plante originaire du Brésil non inscrite à la pharmacopée franc ¸aise
Cladosporium sp., Penicillium sp.
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Commentaire
Germes retrouvés
Lettres à la rédaction
Annexe 1. (Suite)
—
Germe de blé
germe de blé
Élasticité de la peau
10 à 30 D
—
Ferzym® Fast flore
Ferments lactiques, pulpe déshydratée de fruit de baobab, vitamines et calcium, miel, inuline, acacia, fibres
Bien être et équilibre intestinal
12 à 16 D
—
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Annexe 1. (Suite) PBP
Composition
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
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Commentaire
Germes retrouvés
No 4
Pediakid® vitamines et oligoéléments
Sirop d’agave 40 %, eau purifiée, fibres d’acacia 15 %, extrait hydroglycériné de plantes 7,5 % (carotte, cresson, épinard, betterave, persil), concentré naturel d’abricot, vitamines C, E acétate, bêtacarotène naturel, vitamine B3, B5, concentré naturel d’ananas, gluconates de fer, manganèse, cuivre, zinc, potassium ; vitamines D3 — B6 — B2 — B1 — B9, molybdate de sodium, sélénite de sodium, iodure de potassium, chlorure de chrome, vitamines B8—B12. Contient des dérivés du soja
Optimise les apports en vitamines et minéraux
9 à 12 D
Zygosaccharomyces
No 5
Granulés de pollen
Stimule le transit, source d’énergie, renforce les phanères, anti-stress et lutte contre les allergies
15 à 25 D
Aspergillus niger, Aspergillus fumigatus, Mucor sp.
Lettres à la rédaction
Cas cliniques
Cas cliniques
PBP
Composition
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
No 6
Quinton isontonic®
Aqua marina totale, océanique, ramenée à l’isotonie (9 ‰) avec Aqua Fontana, non minérale, non médicinale
Régulateur de l’homéostasie. Rehydratant naturel
20 à 25 D
—
No 7
Lactibiane®
Mélange de souches microbiotiques, Andrographis paniculata (feuille), ferments lactiques, Zinc, vitamine C
Contribue au fonctionnement normal du système immunitaire
12 à 44 D
—
Extrait d’artichaut
Aide à la digestion et lutte contre les troubles hépatiques
10 à 16 D
—
Extrait de radis noir
Bien être du foie
4 à 10 D
—
Extrait de curcuma
Digestion, anticancer, antiinflammatoire, douleurs articulaires, dépuratif sanguin
15 à 50 D
—
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Commentaire
Germes retrouvés
Lettres à la rédaction
Annexe 1. (Suite)
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Annexe 1. (Suite) PBP
Composition
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
No 8
Graine de Gogi
Lycium barbarum ou Lycium chinense
« Fruit de la longévité », antioxydant, anticancéreux, baisse de la tension artérielle. . .
12 à 20 D
No 9
Ganocor®
Ganoderma lucidum, Coriolus versicolor
Immunostimulant,25 D antiinflammatoire, anticancéreux
Oxybiane®
Vitamines (. . .), extrait d’algue : (Porphyra umbilicalis), extraits de marc et de pépins de raisin
Normaflore® OC CH4
Mycélium de Laetiporus sulphureus, huiles essentielles d’origan, de cannelle et de clou de girofle, écorces de bouleau, saule, et tremble Mycélium de Laetiporus sulphureus, huiles essentielles de menthe poivrée, de thym et de clou de girofle, écorces de bouleau, saule, et tremble
Contribue à protéger les cellules contre le stress oxydatif Régule les fermentations digestives et participe au confort digestif Régule les fermentations digestives et participe au confort digestif
Normaflore® TM H2
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Commentaire
Germes retrouvés
Plante originaire de Chine non inscrite à la pharmacopée franc ¸aise
Aspergillus niger, Mucorales
Aspergillus niger
25 D
Levures non identifiées
25 D
—
25 D
— Lettres à la rédaction
Cas cliniques
Lettres à la rédaction
Annexe 1. (Suite) Allégations (source Internet)
Prix approximatif
Hépatobiane® Curcuma longa (racines), romarin Rosmarinus officinalis (feuilles) mono-di-tri glycéride béhénate et stéarate de magnésium, extrait de poivre noir (fruit)
Favorise le bon fonctionnement hépatique et biliaire
25 à 30 D
No 10
EPS de desmodium
Desmodium ascendens
Protecteur hépatique
No 11
EPS de cyprès et d’echinacée
Cupressus sempervirens (noix) et échinacea purpurea L. (racine)
Participe aux défenses naturelles
Cas cliniques
PBP
Composition
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Commentaire
—
Plante originaire d’Afrique, non inscrite à la pharmacopée franc ¸aise 12 à 15 D
Germes retrouvés
—
—
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Annexe 1. (Suite) Cas cliniques
PBP
Composition
Allégations (source Internet)
Prix approximatif
No 12
Lapacho
Tabebuia impetiginosa
Soins de l’anémie (contient du fer et des minéraux) et d’autres maladies hématologiques (affection sanguine) telles que la leucémie ou la maladie de Hodgkin
8 à 45 D
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Commentaire
Germes retrouvés
Arbre originaire d’Amérique du Sud, non inscrit à la pharmacopée (provient de firme canadienne, vendue en magasin de diététique)
Apergillus niger, Cladosporium sp., Penicillium sp.
EPS : extrait de plantes fluides standardisé. Les prix et les allégations sont approximatifs et proviennent de diverses sources Internet consultés en février 2013 (site de vente de CA). a Manque une préparation à base de plante pour le patient du no 2 qui n’a pu être identifiée, mais dont la culture s’était avérée négative.
Lettres à la rédaction
Lettres à la rédaction
53 R. Longuet a,∗ , S. Taque a , C. Chappé a , J.-P. Gangneux b,c , V. Gandemer a,d
Références [1] Synthèse de l’étude individuelle nationale des consommations alimentaires 2 (INCA 2) 2006—2007, Afssa juin 2009 (Accès le 05/01/2013). [2] Vieira NO, Peres A, Aquino VR, Pasqualotto AC. Drinking yerba mate infusion: a potential risk factor for invasive fungal disease? Transpl Infect Dis 2010;12(6):565—9. [3] Kelly KM. Complementary and alternative medical therapies for children with cancer. Eur J Cancer 2004;40(14):2041—6. [4] Pfaller MA, Diekema DJ. Epidemiology of invasives mycoses in North America. Crit Rev Microbiol 2010;36(1):1—53. [5] Ernst E. Serious adverse effects of unconventional therapies for children and adolescents: a systematic review of recent evidence. Eur J Pediatr 2003;162(2):72—80. [6] Posadzki P, Watson L, Ernst E. Contamination and adulteration of herbal medicinal products (HMPs): an overview of systematic reviews. Eur J Clin Pharmacol 2013;69(3):295—307. [7] Bent S. Adulterants in herbal products: dangerous and deceitful. West J Med 1999;170(5):259—60.
a
Service d’hématologie oncologie et immunologie pédiatrique, hôpital Sud, CHU de Rennes, 35700 Rennes, France b Laboratoire de parasito-mycologie, hôpital Pontchaillou, CHU de Rennes, 35700 Rennes, France c Inserm, UMR U 1085, institut de recherche en santé, environnement et travail, université Rennes 1, 35700 Rennes, France d UMR 6290 CNRS, IGDR université Rennes1, 35700 Rennes, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : longuet
[email protected] (R. Longuet)
Rec ¸u le 15 mars 2013 ; accepté le 23 avril 2013 Disponible sur Internet le 7 juin 2013