Les rechutes : causes et conséquences

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L’Encéphale (2013) Supplément 2, S79-S82 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP Les rech...

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L’Encéphale (2013) Supplément 2, S79-S82

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

Les rechutes : causes et conséquences Relapse: causes and consequences P. Thomas Pôle de psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire, Université Lille Nord de France, CHRU Lille, Hôpital Fontan, rue André-Verhaeghe, F-59037 Lille cedex, France

MOTS-CLÉS Rechute ; Premier épisode ; Schizophrénie ; Traitement de maintenance ; Observance

KEYWORDS Relapse; First episode; Schizophrenia; Maintenance therapy; Treatment adherence

Résumé La rechute après un premier épisode de schizophrénie correspond à la réapparition d’une symptomatologie aiguë après une phase de rémission partielle ou complète. Il n’y a pas de déÀnition opérationnelle de la rechute permettant de modéliser les aspects évolutifs de la schizophrénie et de mesurer l’impact des thérapeutiques sur l’évolution des troubles. Les études de suivi reposent sur des indicateurs approximatifs comme la ré-hospitalisation et révèlent qu’après un premier épisode de schizophrénie, 7 patients sur 10 rechutent. L’efÀcacité des traitements antipsychotiques sur la prévention des rechutes a largement été démontrée. La non-observance aux traitements antipsychotiques Àgure de loin parmi les principales causes de rechutes avec les addictions, bien avant certains facteurs prédictifs non consensuels comme la qualité du fonctionnement prémorbide, la durée de psychose non traitée et les troubles de la personnalité associés. Les conséquences de la rechute sont multiples, psychologiques, biologiques et sociales. Les études pharmaco-cliniques révèlent que la réponse au traitement diminue au Àl des rechutes, cela dès la première rechute. Les rechutes vont contribuer à aggraver le cours évolutif de la maladie et diminuer les capacités du fonctionnement global. La prévention des rechutes est un objectif majeur de la prise en charge dès le premier épisode de schizophrénie. Elle repose sur l’observance du traitement de maintien, le repérage des prodromes, l’information de l’entourage et l’éducation thérapeutique du patient © L’Encéphale, Paris, 2013. Summary Relapse after a Àrst episode of schizophrenia is the recurrence of acute symptoms after a period of partial or complete remission. Due to its variable aspects, there is no operational deÀnition of relapse able to modelise the outcome of schizophrenia and measure how the treatment modiÀes the disease. Follow-up studies based on proxys such as hospital admission revealed that 7 of 10 patients relapsed after a Àrst episode of schizophrenia. The effectiveness of antipsychotic medications on relapse prevention has been widely demonstrated. Recent studies claim for the advantages of atypical over Àrst

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access to care and the therapeutic alliance should be promoted. Relapse prevention is a major goal of the treatment of Àrst-episode schizophrenia. It is based on adherence to the maintenance treatment, identiÀcation of prodromes, family active information and patient therapeutical education. © L’Encéphale, Paris, 2013.

Introduction Bien que la notion de rechute soit largement utilisée pour l’évaluation de l’efÀcacité des traitements et des programmes thérapeutiques, il n’existe pas de déÀnition consensuelle et précise. En théorie, la rechute correspond à la réémergence de symptômes psychotiques ainsi qu’une perturbation signiÀcative du comportement et du fonctionnement social [1]. Dans ce sens, il a été proposé de distinguer deux types de rechutes. La rechute de type I correspond à la réapparition des symptômes schizophréniques chez un patient en rémission après un épisode initial tandis que la rechute de type II résulte de l’exacerbation de symptômes positifs persistants [2]. Cette distinction s’avère peu opératoire car elle dépend de la déÀnition du seuil symptomatique de la période qui succède à l’épisode initial. D’autre part, les critères d’évaluation de la perturbation du fonctionnement du patient restent Áous. Doit-on tenir compte du niveau de fonctionnement antérieur au premier épisode (fonctionnement prémorbide) ou du fonctionnement attendu pour un individu aux caractéristiques sociodémographiques identiques ? Disposer d’une déÀnition opérationnelle de la rechute permettrait de modéliser les aspects évolutifs de la schizophrénie et de mesurer l’impact des thérapeutiques et des facteurs de vulnérabilité sur l’évolution des troubles schizophréniques. Il apparaît en pratique que les symptômes psychotiques positifs sont déterminants pour diagnostiquer une rechute. En effet, dans une enquête d’opinion réalisée chez plus de 1 500 psychiatres français, les items de l’échelle positive de la PANSS Àguraient parmi les 10 symptômes les plus cités, à l’exception des « idées de grandeur ». D’autres symptômes avaient été retenus comme l’anxiété, le mauvais contrôle pulsionnel, la tension et la dépression. Aucun symptôme négatif ne Àgurait parmi les 10 symptômes les plus cités [3]. Dans les études, le critère principal permettant de déÀnir la rechute n’est pas univoque et explique les divergences entre les résultats rapportés [4]. Les instruments cliniques comme l’Échelle des symptômes positifs et négatifs (PANSS), l’Impression clinique globale (CGI) et la Brief Psychiatric Rating

ailleurs, certains patients rechutent sans nécessairement être ré-hospitalisés. Malgré ces réserves, l’hospitalisation signale un événement évolutif sufÀsamment sévère pour rendre compte d’une aggravation de l’état du sujet. EnÀn, elle représente la partie la plus coûteuse des soins et constitue un indicateur pertinent en économie de la santé.

La rechute après un premier épisode psychotique : les chiffres Les taux de rechute dans la schizophrénie ont été étudiés dans les études naturalistes de suivi. Les études prospectives sont difÀciles à réaliser sur le long terme et peu d’entre elles ont été mises en œuvre au décours d’un premier épisode. La plus citée d’entre elles, l’étude de Shepherd [6], révèle que dans les suites d’une première hospitalisation, 22 % des patients n’avaient pas rechuté après 5 ans. Les rechutes sont observées chez les patients manifestant peu ou pas de symptômes résiduels ou une aggravation progressive des symptômes résiduels au Àl des rechutes, dans 35 % des cas. EnÀn une forme plus rare, sans rémission avec une évolution processuelle chronique concerne 8 % des cas. Ce sont donc 7 patients sur 10 qui feront une rechute après un premier épisode. Deux autres études menées sur 5 ans après un premier épisode retrouvent respectivement 82 et 70 % de rechutes [7,8]. L’étude de Robinson et al. [7] avait alerté la communauté en montrant que le risque de rechute est multiplié par 7 à l’arrêt des médicaments. D’autres études de suivi menées sur de plus courtes périodes après un premier épisode de psychose signalent un taux de rechute à 1 an de l’ordre de 20 à 30 % et de 40 % après 3 ans [9]. Deux études méritent d’être citées : l’étude de Nottingham [10] qui a permis de disposer des données issues d’un suivi de 13 ans et l’étude de Madras [11] la plus longue, avec un suivi de 20 ans ; ces études rapportent respectivement un taux de rechute de 82 et 84 %, suggérant que 15 à 20 % des patients ne rechutent pas après un premier épisode. Bien que menées sur des durées plus courtes, les études contrôlées permettent non seulement de mesurer les taux de

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Les causes de la rechute

conserver des symptômes résiduels ce qui constitue une situation différente de l’état antérieur [6]. Le risque suicidaire augmente lors de chaque rechute [23]. Il est important de considérer les conséquences psychologiques d’une rechute sur l’estime et la conÀance en soi et la stigmatisation. Quelques travaux suggèrent que chaque rechute pourrait avoir un impact sur les fonctions cognitives, sur l’activité émotionnelle [4]. L’étude de Madras menée sur 20 ans a démontré l’impact délétère de la rechute sur les habiletés psychosociales des patients. Les symptômes résistants aux traitements psychotropes vont apparaître chez 35 % des patients après une rechute [24], créant ainsi un cercle vicieux où chaque rechute accroît le risque de rechutes ultérieures [25]. Le constat d’une aggravation progressive de la maladie au Àl des rechutes chez certains patients (plus de 3 patients sur 10 selon Shepherd [6]) conforte l’hypothèse d’une toxicité biologique liée à la rechute [26]. Les rechutes dues à la non-observance sont souvent plus graves et entraînent des taux plus élevés de tentatives de suicide (et d’autres actes de violence). En outre, au fur et à mesure des rechutes, le retour à un fonctionnement normal au sein de la société est souvent plus long, supérieur à un an. Les coûts d’une rechute sont donc importants, particulièrement lourds, pour les patients qui ont des responsabilités professionnelles ou familiales. Dans une perspective médico-économique, les coûts de santé liés aux prises en charge des patients qui rechutent sont quatre fois plus importants que chez ceux qui ne rechutent pas [27].

Facteurs liés à la maladie et aux comorbidités Lors d’un premier épisode psychotique, il n’y a pas de critère clinique ou psychopathologique permettant de déÀnir avec certitude un proÀl à risque de rechutes. Les rechutes peuvent survenir pour diverses raisons : notamment l’absence de réponse à un médicament malgré une observance correcte et la poursuite de la consommation d’alcool et/ou de drogues illicites [15]. Bien que le mauvais fonctionnement prémorbide et les troubles de personnalité préexistants aient été proposés comme facteurs de mauvais pronostic, les études systématiques ne les retiennent pas comme facteurs de rechute [16]. De même les liens entre la durée de psychose non traitée et le risque de rechute restent controversés. L’absence de consensus concernant ces variables est surtout liée à la variabilité de leur déÀnition selon les études.

Facteurs liés au patient Les travaux réalisés spéciÀquement sur les premiers épisodes ne parviennent pas à mettre en évidence de façon consensuelle des facteurs prédictifs de rechute liés au sexe, à l’âge de début, au statut marital, aux difÀcultés à reprendre les études ou à retrouver un travail ni même aux antécédents familiaux de psychose. En revanche, le niveau scolaire, lorsqu’il est faible, semble être un facteur prédictif de rechute [17].

Facteurs liés au traitement Les arguments plaidant en faveur du rôle essentiel des traitements antipsychotiques dans la prévention de la rechute sont très solides. Les antipsychotiques de première et de deuxième génération se sont révélés plus efÀcaces que le placebo pour prévenir la rechute. Les études comparatives entre les différents antipsychotiques donnent des résultats en faveur des atypiques par rapport aux antipsychotiques de première génération [18]. L’arrêt du traitement dans les deux ans suivant le premier épisode de schizophrénie augmente le risque de rechute [19] La non-observance Àgure parmi les principales causes de rechutes de psychose [15]. Le taux de rechutes peut être jusqu’à quatre fois plus élevé chez les patients qui

Conclusions La prévention des rechutes est un objectif majeur de la prise en charge du premier épisode de schizophrénie. Elle repose sur l’observance du traitement de maintien, le repérage des prodromes, l’information de l’entourage et l’éducation thérapeutique du patient. Le repérage des prodromes qui précèdent ces rechutes est possible dans la majorité des cas. La vigilance clinique, l’information de l’entourage et du patient permettent des interventions précoces dès l’apparition des prodromes [28]. De nombreux patients souhaitent interrompre le traitement au décours du premier épisode lorsque leurs symptômes psychotiques ont disparu. De plus en plus informés, ils opposent parfois les effets métaboliques ou neurologiques des antipsychotiques aux recommandations de traitements à long terme. Accepter l’idée de poursuivre le traitement relève d’une décision complexe dans laquelle le psychiatre a un rôle central auprès des patients et leurs familles. Il est nécessaire d’inciter au développement d’ac-

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