Annales Me´dico-Psychologiques 173 (2015) 443–448
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Communication
Rechutes schizophre´niques : corre´lation entre e´ve´nements de vie et re´hospitalisation Schizophrenic relapses: Correlation between life events and rehospitalization Eric Villard, Christian Ve´die *, Charlotte Lenoir, Marjorie Faure Centre hospitalier Valvert, boulevard des Libe´rateurs, 13391 Marseille cedex 11, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 16 mai 2015
Dans la schizophre´nie, la rechute jalonne l’e´volution de la maladie. Les rechutes schizophre´niques entraıˆnant une hospitalisation sont marque´es par l’arreˆt du traitement. Or, cette raison souvent invoque´e par les the´rapeutes est rarement avance´e par les patients ou leurs proches. Deux questions se sont alors pose´es a` nous : l’arreˆt du traitement cache-t-il une origine ? Et cet arreˆt est-il ve´ritablement la marque d’un e´chec ? L’abord psychopathologique de´finissant le plus souvent la schizophre´nie comme un de´faut de symbolisation, d’une part, et, d’autre part, l’abord phe´nome´nologique e´tudiant le rapport entre e´ve´nement et psychose nous ont fait opter pour une me´thodologie utilisant les life events pour mener notre e´tude. De plus, la symbolisation est particulie`rement implique´e dans les rapports sociaux qu’entretient un sujet avec le monde. Ces rapports sociaux sont e´tudie´s par les e´chelles d’e´ve´nements vitaux, ce pourquoi nous avons mis en place la recherche suivante : une recherche portant sur une population constitue´e de patients schizophre`nes ayant de´ja` e´te´ hospitalise´s au CHS Valvert dans l’anne´e qui a pre´ce´de´ leur re´hospitalisation et e´tant sortis avec le diagnostic de schizophre´nie. Cette recherche s’est faite sur l’ensemble des pavillons d’entrants, et ce, pendant une anne´e, du 1er fe´vrier 2001 au 31 janvier 2012 ; il s’est agi d’interroger chaque patient sur les e´ve´nements s’e´tant de´roule´s depuis la pre´ce´dente hospitalisation a` partir d’un entretien clinique et de coter ces e´ve´nements sur une liste d’e´ve´nements vitaux. Nous avons retenu comme liste le PERI Life Event Scale [5], tout en retirant quelques e´ve´nements non adapte´s a` cette population. Cette liste permet une double e´valuation qualitative et quantitative. Pour une passation facile et rapide, afin qu’elle soit uniforme dans l’ensemble des services, nous avons mis en place une e´quipe de cotateurs par pavillon. La fide´lite´ des mesures est assure´e a` partir de deux mesures de ces parame`tres en deux temps diffe´rents (testretest espace´s de huit jours), chez les meˆmes sujets ; notre liste comporte 102 e´ve´nements. Les e´ve´nements ont e´te´ classe´s selon leur domaine de survenue (Travail, Affectif, Foyer, Logement, Activite´s sociales, Sante´, Avoir des enfants, Affaires le´gales). A` chaque e´ve´nement est attribue´ un poids qualitatif e´ve´nementiel. Les re´sultats de cette recherche ont montre´ : dans tous les cas, il existe au moins un e´ve´nement avant la rechute mais en fait les deux tiers des patients en pre´sentent au moins trois. Nous pouvons faire l’hypothe`se que dans les cas ou` un seul e´ve´nement est implique´ avec un score infe´rieur a` 500 (score moyen), c’est l’arreˆt du traitement qui entraıˆne l’hospitalisation, non pas du coˆte´ du passage a` l’acte, mais de l’acting-out. Dans les autres cas, nous pouvons au contraire supposer que c’est la succession des e´ve´nements qui a entraıˆne´ l’hospitalisation, les premiers ayant e´te´ entendus par le the´rapeute ; le domaine de survenue des e´ve´nements le plus fre´quemment e´voque´ par les patients est de loin celui concernant le foyer, ou plus pre´cise´ment la variation de la composition de celui-ci ou des modes de communication a` l’inte´rieur de celui-ci. Cela donne une indication quant a` une vigilance toute particulie`re a` avoir dans ce domaine de la part des soignants au de´cours du suivi d’un patient schizophre`ne ; sur le plan qualitatif, meˆme si 73 % des patients ont un score supe´rieur ou e´gal a` 500, la re´partition des scores et leurs e´carts-types rendent compte d’une dispersion importante. L’hypothe`se que nous e´mettons pour rendre compte de cette dispersion est que ce qui va retarder la rechute ou la de´cision d’hospitalisation de´pend des relations transfe´rentielles entre le patient et l’e´quipe soignante et de la re´activite´ de cette dernie`re. Sans entrer dans le de´bat autour de la part e´tiologique des e´ve´nements de vie dans la schizophre´nie, notre recherche permet de mettre en e´vidence que l’origine des rechutes schizophre´niques est plus a` rechercher du coˆte´ d’une de´faillance du
Mots cle´s : E´valuation E´ve´nement de vie Hospitalisation Rechute Schizophre´nie Traitement
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Ve´die). http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.04.005 0003-4487/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
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syste`me symbolique chez des patients qui n’arrivent plus a` « penser » ce qui leur arrive, et cela meˆme face a` des e´ve´nements en faible quantite´ et de faible importance. Nous en avons de´duit, par l’interpre´tation de l’arreˆt du traitement en l’expression d’une demande d’hospitalisation, que le traitement me´dicamenteux e´tait une condition ne´cessaire mais pas suffisante. Les personnes ayant en charge des patients schizophre`nes devraient eˆtre particulie`rement vigilantes a` la fac¸on dont les patients interagissent avec des e´ve´nements inhe´rents aux domaines que nous avons e´tudie´s en ayant le souci de les aider a` verbaliser, a` penser. Meˆme si les rechutes des patients schizophre`nes doivent eˆtre e´vite´es, et c’est par une meilleure compre´hension de cette maladie qu’elles pourront l’eˆtre, il est inte´ressant de ne pas y voir qu’une dimension d’e´chec et d’entendre l’arreˆt du traitement comme une demande d’aide de la part des patients vis-a`-vis de l’e´quipe de soin dans une dimension transfe´rentielle. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
A B S T R A C T
Keywords : Evaluation Hospitalization Life events Relapse Schizophrenia Treatment
Research on the reasons for schizophrenic relapses. Though rarely recognized by the patients themselves or by their entourage, the main cause of schizophrenic relapses that require hospitalization is the stoppage of their prescription medical treatment. We thus asked ourselves two key questions: is there some hidden cause for this stoppage of treatment, and does the fact that the patient had stopped taking his prescribed medication necessarily indicate that his overall medical care was a failure? A psychiatric clinic specializing in schizophrenia is made up of patients with a lack of clear symbolization, which is made apparent by the syndrome of dissociation that seems to spread through the clinic itself. Yet, symbolization is one of the main tools involved in the social relationships that a given patient maintains with the world around him. These social relations are to be studied on a scale of life events, which is why we carried out the following research: a collective study of the group of schizophrenic patients at the Valvert psychiatric hospital who had already been hospitalized on a previous occasion and who had been diagnosed with schizophrenia before their release. This study included all hospital wards and was conducted over a one-year period (from February 2, 2011, to January 31, 2012). The study involved setting up a clinical interview with each patient in order to find out exactly what had transpired since his or her previous hospital stay and to then rate reported actions or incidents when compiling a list of what we would consider life events. We used the PERI Life Event Scale as our initial template, though we removed certain events that did not apply to the group of patients under study. Significantly, this list allows for both qualitative and quantitative evaluations. In order to ensure uniformity between different psychiatric units, as well as the easy and efficient transfer of data and findings, we set up one team of evaluators in each hospital ward. The accuracy of testing was ensured by applying the parameters of the test at two different times on the same test subjects (the test phase and the retest phase, which took place eight days apart). Our list included 102 life events, which were categorized according to the setting in which they occur (Work, Personal Relationships, Home Life, Housing Issues, Social Activities, Health Issues, Child Care, Legal Matters). Each event was then given a rating in line with its qualitative impact. The results of the study showed the following: in all cases under study, there was at least one key life event that occurred before the patient’s relapse. We can hypothesize that in cases in which only one life event with a score below 500 was involved, it was indeed the stoppage of prescription treatment that brought about hospitalization, not because the patient had taken specific action under the influence of his schizophrenia but because he had ‘‘acted out’’. In the other cases, however, we could suppose that the succession of several life events brought about the patient’s re-admittance to hospital care, the first events having been discussed by the patient with his therapist. The life event category that was far more frequently cited in patient profiles was the one concerning Home Life, or more accurately changes in the home or family unit surrounding the patient or in the means of communication between those within that unit. This clearly indicates a need for greater vigilance regarding such matters on the part of mental health care professionals once the schizophrenic patient has completed his initial hospital stay. In terms of qualitative analysis, even if 73 % of patients under study had a score of 500 or higher, the referential life event score assigned to marriage, the overall allocation of scores and the typical discrepancy between them demonstrate a key dispersion feature. The hypothesis that we have put forth to account for this dispersion is that delaying the onset of a relapse or the need to again be hospitalized greatly depends on the reciprocal relationship between the patient and his assigned health care professional, and on how reactive the latter is as regards changes to the patient’s treatment and life events after initial release. Without getting into the heated debate concerning the etiologic ties to life events in schizophrenia, our research has indicated that the true origin of schizophrenic relapse is tied to a breakdown of the patient’s symbolic system of referencing, as the patient is no longer able to ‘‘think out’’ what is happening to him, even when dealing life events that are small in number or of little importance. We have concluded, through our interpretation of data concerning the stoppage of prescription treatment and the re-admittance to hospital care, that continued and accurate prescription medical treatment was a necessary part of avoiding relapse but was not enough on its own. Mental health care professionals treating schizophrenic patients must pay particularly close attention to the way that the patient interacts with life events belonging to the key categories that we studied and must help the patient to verbalize and think out those life events. Even if relapses by schizophrenic patients are something to be avoided, and something that will be overcome through our ever-increasing understanding of the disease, it is still interesting to consider the relapse, not necessarily as a failure of the patient’s overall care, but rather as a call for help on the part of the patient, a need for better or renewed exchange with his mental health care professionals. This in turn brings up the issue of late prescription treatment, whereby a patient who takes this new medication properly may then avoid re-admittance to hospital care that he nevertheless needs. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
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1. Introduction Dans la pathologie schizophre´nique, la rechute est un e´ve´nement fre´quent : plus de la moitie´ des patients rechutent dans les deux ans qui suivent un premier e´pisode, et plus des trois quarts dans les trois ans [11]. Le ve´cu de ces rechutes avec hospitalisation comporte, tant pour les patients que pour les soignants, une dimension d’e´chec. Du coˆte´ des soignants, l’objectif de pre´vention des rechutes est une pre´occupation constante et exigeante [2]. On sait que la qualite´ de l’observance aux soins et au traitement me´dicamenteux est une condition ne´cessaire, sinon suffisante, d’une re´mission. Les e´tudes [10] montrent, concernant la dernie`re rechute, que peu de patients et peu de proches citent spontane´ment l’arreˆt du traitement comme cause de celle-ci. Ne´anmoins, dans pre`s de la moitie´ des rechutes, le patient reconnaıˆt avoir arreˆte´ ou ralenti son traitement juste avant d’avoir e´te´ hospitalise´ ; concernant le ve´cu de l’hospitalisation, presque la totalite´ des patients et des proches estiment qu’elle a e´te´ utile ; quant a` la pre´vention des rechutes, c’est la totalite´ des patients et la quasi-totalite´ des proches qui la jugent importante. Ces re´sultats confirment que l’hospitalisation apre`s rechute des patients schizophre`nes se fait, dans la grande majorite´ des cas, apre`s arreˆt du traitement. Mais ils conduisent a` une aporie : comment se fait-il que les patients, apre`s une hospitalisation juge´e utile et conduisant a` une bonne compliance au traitement me´dicamenteux et aux soins, soient amene´s a` ralentir ou arreˆter leurs traitements ? D’ou` l’objectif de notre recherche sur les raisons des rechutes des patients schizophre`nes en dec¸a` de l’arreˆt du traitement. L’abord psychopathologique de´finissant le plus souvent la schizophre´nie comme un de´faut de symbolisation, d’une part, et, d’autre part, l’abord phe´nome´nologique d’Henri Maldiney [6] e´tudiant le rapport entre e´ve´nement et psychose dans Penser la folie nous ont fait opter pour une me´thodologie utilisant les life events pour mener notre recherche.
2. Me´thodologie Hypothe`se : lors d’une hospitalisation, les patients schizophre`nes e´tablissent un contrat the´rapeutique implicite avec une e´quipe soignante : la prise du traitement. L’arreˆt de celui-ci, hors ˆ a` des difficulte´s rencontre´es trop hospitalisation, peut eˆtre du nombreuses ou trop importantes. Une des implications de cette hypothe`se pourrait eˆtre que cet arreˆt n’est pas une rupture de contrat, mais une demande tacite de prise en charge. A` partir de cette hypothe`se, nous avons de´cide´ de mettre en place une recherche portant sur une population constitue´e de patients schizophre`nes ayant de´ja` e´te´ hospitalise´s au CHS Valvert dans l’anne´e qui a pre´ce´de´ leur re´hospitalisation. Cette recherche s’est faite sur l’ensemble des pavillons d’entrants, et ce, pendant une anne´e, du 1er fe´vrier 2001 au 31 janvier 2012. Protocole : il s’est agi d’interroger chaque patient sur les e´ve´nements s’e´tant de´roule´s depuis la pre´ce´dente hospitalisation a` partir d’un entretien clinique et de les coter sur une liste de life events. Nous avons retenu comme liste le PERI Life Event Scale [3]. Cette liste permet une double e´valuation qualitative et quantitative. Pour une passation facile et rapide, afin qu’elle soit uniforme dans l’ensemble des services, nous avons mis en place une e´quipe de cotateurs par pavillon. La fide´lite´ des mesures est assure´e a` partir de deux mesures de ces parame`tres en deux temps diffe´rents (test-retest espace´s de huit jours), chez les meˆmes sujets. Afin de mieux appre´cier les re´sultats inhe´rents a` cette liste d’e´ve´nements e´tablis par l’e´quipe de Dohrenwend [3], il faut se
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rappeler que les auteurs ont pu tirer parti des re´sultats des pre´ce´dentes me´thodes d’e´valuation des e´ve´nements de vie. Il leur a e´te´ possible d’affiner le choix des e´ve´nements a` retenir ainsi que d’ame´liorer la me´thode d’attribution d’une charge qualitative aux e´ve´nements. Une des difficulte´s dans la construction d’une liste d’e´ve´nements de vie est d’e´viter de retenir des situations ou des comportements e´tant ou refle´tant de´ja` des symptoˆmes de la maladie e´tudie´e, ce qui est d’autant plus important en psychiatrie. C’est pourquoi les e´ve´nements choisis dans cette liste ont fait l’objet d’une attention particulie`re. Les auteurs ont e´te´ attentifs, ici, a` prendre en compte des e´ve´nements ve´cus par l’espe`ce humaine dans sa globalite´. Le choix de l’e´quipe de Dohrenwend d’attribuer un poids qualitatif e´ve´nementiel aux e´ve´nements de la liste s’est appuye´ sur les constatations de Myers et al. [9]. Ce dernier avait remarque´ que le nombre d’e´ve´nements de vie pre´ce´dant un infarctus chez des patients cardiaques e´tait le meˆme que celui existant dans une population controˆle sur une meˆme pe´riode. Une diffe´rence s’observait lorsque les e´ve´nements de vie e´taient conside´re´s sur un plan qualitatif. Notre liste comporte 102 e´ve´nements. Les e´ve´nements ont e´te´ classe´s selon leur domaine de survenue (Travail, Affectif, Foyer, Logement, Activite´s sociales, Sante´, Avoir des enfants, Affaires le´gales). A` chaque e´ve´nement est attribue´ un poids qualitatif e´ve´nementiel. 3. Discussion Sur les 200 patients diagnostique´s schizophre`nes et ayant e´te´ re´hospitalise´s durant notre pe´riode d’e´tude, la complexite´ (deux e´valuations sur huit jours pour le meˆme patient) et la rigueur de notre protocole (re´hospitalisation dans l’anne´e) n’ont pu permettre de ne retenir que 55 dossiers (Tableau 1). Les donne´es des dossiers restants, inexploitables en raison de leur incomple´tude, sont relativement superposables aux dossiers complets retenus. Dans notre e´tude sur les 55 patients teste´s, tous ont pre´sente´ au moins un e´ve´nement avant la rechute (Fig. 1). Nous pouvons faire l’hypothe`se que, dans les cas ou` un seul e´ve´nement est implique´ avec un score qualitatif (le score moyen pour un e´ve´nement e´tant de 500), c’est l’arreˆt du traitement qui entraıˆne l’hospitalisation, non pas du coˆte´ du passage a` l’acte, mais de l’acting-out, mais nous y reviendrons. Dans les autres cas, nous pouvons au contraire supposer que c’est la succession des e´ve´nements qui a entraıˆne´ l’hospitalisation, les premiers ayant e´te´ entendus par le the´rapeute. Le domaine de survenue des e´ve´nements les plus fre´quemment e´voque´s par les patients est de loin celui concernant le foyer, ou plus pre´cise´ment la variation de la composition de celui-ci ou des modes de communication a` l’inte´rieur de celui-ci. Cela donne une indication quant a` une vigilance toute particulie`re a` avoir dans ce domaine de la part des soignants au de´cours du suivi d’un patient schizophre`ne. Sur le plan qualitatif, meˆme si 73 % des patients ont un score supe´rieur ou e´gal a` 500 (Fig. 3), la re´partition des scores et l’e´cartTableau 1 Re´sultats. Variables
n
%
n (nombre de patients) ˆ ge moyen (ans) A
55 41 40 15 3 1119,5
72,7 27,3
Genre masculin Genre fe´minin Nombre moyen d’e´ve´nements Score moyen
S (e´cart-type) 10,7
2,12 853
[(Fig._1)TD$IG]
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[(Fig._2)TD$IG]
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Fig. 2. Re´partition des scores dans la population e´tudie´e. Score moyen : 500. Pour l’interpre´tation des re´fe´rences a` la couleur dans cette figure, le lecteur est prie´ de se re´fe´rer a` la version en ligne de cet article.
Fig. 1. Re´partition en fonction du nombre d’e´ve´nements/patient. 1 : 1 e´ve´nement/ patient ; 2 : 2 e´ve´nements/patient ; 3 : 3 e´ve´nements/patient.
type rendent compte d’une dispersion importante. L’hypothe`se que nous e´mettons pour rendre compte de cette dispersion, hypothe`se qui pourrait faire l’objet d’une autre e´tude est que ce qui va retarder la rechute ou la de´cision d’hospitalisation de´pend des relations transfe´rentielles entre le patient et l’e´quipe soignante et de la re´activite´ de cette dernie`re. Si l’on regarde de plus pre`s la liste des e´ve´nements (Fig. 2), nous observons que la ponde´ration apporte´e a` chaque e´ve´nement peut eˆtre de faible e´cart entre deux e´ve´nements dont l’un pourrait eˆtre conside´re´, par le sens commun, comme e´tant me´lioratif et l’autre comme e´tant pe´joratif. Classons, suivant le sens commun, les e´ve´nements en trois cate´gories : e´ve´nements me´lioratifs, e´ve´nements pe´joratifs et e´ve´nements neutres (par exemple « se marier » est conside´re´ en tant qu’e´ve´nement me´lioratif, « divorcer » en tant qu’e´ve´nement pe´joratif et « de´me´nager » en tant qu’e´ve´nement neutre) ; et attribuons un + a` chaque e´ve´nement me´lioratif, un – a` chaque e´ve´nement pe´joratif et un 0 a` chaque e´ve´nement neutre. En faisant la somme alge´brique des + et des – par patient, sur 55 patients on obtient : 18 % des patients ont un ensemble d’e´ve´nements plutoˆt me´lioratifs ; 67 % des patients ont un ensemble d’e´ve´nements plutoˆt [(Fig._3)TD$IG] pe´joratifs ;
15 % des patients ont un ensemble d’e´ve´nements plutoˆt neutres. Un tiers des patients ont de´compense´ alors que la qualite´ des e´ve´nements subis aurait pu eˆtre juge´e sans incidence, voire me´liorative. Finalement peu importe qu’un e´ve´nement soit conside´re´ par le sens commun comme me´lioratif, pe´joratif ou neutre : c’est la somme des e´ve´nements et leur impact sur le sujet qui ont un sens. Cela confirme notre hypothe`se que c’est la symbolisation de chaque e´ve´nement qui est en la cause. Mais cela a une autre incidence quant a` la posture des soignants : la mise en place de mesures, en voulant faire « le bien » du patient (suivant le sens commun), peut, en de´finitive, favoriser une de´compensation de ce dernier ; toute mise en place de prise en charge d’un patient schizophre`ne doit se faire dans le souci de respecter la temporalite´ du patient avec le respect d’un temps logique : un temps pour voir, un temps pour comprendre, et un temps pour conclure. En sachant que chacun de ces temps sera plus ou moins long en fonction de chaque sujet, et que c’est l’ensemble de la prise en charge me´dicamenteuse, psychoe´ducative et psychothe´rapique qui permettra l’avance´e de cette temporalite´. Les e´ve´nements de vie ont un impact important sur les raisons de la rechute des patients schizophre`nes [7]. Pour en saisir les implications, nous souhaitons en donner une interpre´tation psychopathologique. La dissociation e´tant le syndrome re´fe´rant infiltrant la clinique de la schizophre´nie et les troubles du cours de
Fig. 3. Re´partition des e´ve´nements selon le domaine de survenue. Score moyen : 500. Pour l’interpre´tation des re´fe´rences a` la couleur dans cette figure, le lecteur est prie´ de se re´fe´rer a` la version en ligne de cet article.
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la pense´e e´tant au premier plan de la symptomatologie, nous nous sommes interroge´s sur le rapport entre ces e´ve´nements de vie et la de´compensation schizophre´nique. Il ne faut pas perdre de vue les de´ductions des travaux de Wolff et Hinkle [1,5] selon lesquels des changements importants peuvent provoquer des modifications de l’e´tat de sante´, a` deux conditions : que l’e´ve´nement ait un impact important sur le sujet et que ce dernier soit pre´dispose´ a` une maladie spe´cifique. Ainsi les effets d’un e´ve´nement ne pourront eˆtre de´termine´s par les seules dimensions de celui-ci, mais par les caracte´ristiques physiologiques et psychologiques du sujet. A` ce propos, rappelons que sous l’angle phe´nome´nologique, un e´ve´nement n’existe pour un individu que si ce dernier conside`re qu’il a un effet sur lui ; il n’y a d’e´ve´nement que pour un sujet [12]. Qu’est-ce qui est donc caracte´ristique chez le schizophre`ne ? Partons du trouble du cours de la pense´e. Heidegger [4] re´sume ainsi le me´canisme de la pense´e : l’eˆtre humain perc¸oit le re´el par ses organes sensoriels, ses perceptions sont, ce´re´bralement, transforme´es en repre´sentations, et ses repre´sentations sont symbolise´es. Que veut dire « de´faut de symbolisation » ? En fait, dans la psychose et en particulier dans la psychose schizophre´nique, on observe cliniquement un de´sinvestissement des objets pour un surinvestissement du langage en raison d’une me´taphorisation de´fectueuse (me´taphore et me´tonymie e´tant les deux processus du langage œuvrant a` la symbolisation). D’ou` vient cette me´taphorisation de´fectueuse ? La me´taphorisation est empeˆche´e en raison d’un trou dans le symbolique, c’est-a`-dire par manque d’un signifiant dans la chaıˆne des signifiants. Ce manque d’un « maillon » dans la chaıˆne des signifiants se constitue lors du de´veloppement de l’enfant par un pacte ne pouvant se faire avec le pe`re en tant que repre´sentant de la loi. C’est-a`-dire que l’enfant ne peut pas ve´ritablement de´sinvestir l’univers maternel pour investir l’univers social en raison du fait qu’il ne peut pas s’assujettir a` la loi. Nous pourrions ainsi sche´matiser le de´veloppement de l’individu : dans un premier temps, l’enfant se vit comme l’objet de sa me`re puis advient a` un statut de sujet en investissant des objets ; dans un deuxie`me temps, l’acce`s au langage, par un assujettissement a` la loi, lui permet de passer d’une relation sujet/objet a` une relation sujet/ signifiant. La question que nous nous sommes pose´e en partant de cet apport the´orique c’est comment re´agit un schizophre`ne face a` un e´ve´nement ? Henri Maldiney [6] e´voque subtilement apre`s une e´tude phe´nome´nologique que pour un observateur il pourrait ne pas y avoir ve´ritablement d’e´ve´nement pour un schizophre`ne, ˆ faire e´ve´nement pour un observateur ne parce que ce qui aurait du l’est pas ou est empeˆche´ pour un schizophre`ne (par exemple : une jeune fille dıˆne avec son pe`re alors qu’a` l’e´tage le fils se repose dans sa chambre, tout a` coup une de´tonation retentit : le fils vient de se suicider ; ce qui a fait de´compenser la jeune fille, ce n’est ni le suicide de son fre`re, ni la vue du corps mort de son fre`re mais l’expression sur le visage de son pe`re saisissant que son fils venait de se suicider). Mais Arthur Tatossian [12] explicite qu’en fait il n’y a d’e´ve´nement que pour un sujet. En effet on ne peut eˆtre sujet d’un e´ve´nement que si on peut le symboliser, et cette symbolisation ne peut se faire qu’a` partir d’un pacte avec le pe`re permettant l’acce`s au social (dans notre exemple, c’est l’expression sur le visage du pe`re qui a e´te´ l’e´ve´nement non symbolisable). La liste d’e´ve´nements que nous avons choisie explore essentiellement l’univers social des patients parce qu’il nous apparaıˆt que ce sont ces e´ve´nements qui sont le plus directement mis en cause lors d’un de´faut de symbolisation, comme c’est le cas chez le schizophre`ne. L’hospitalisation pour les patients schizophre`nes est un temps de premie`re importance pour l’obtention d’une meilleure compliance au traitement me´dicamenteux. L’hospitalisation, outre la mise en place d’un traitement adapte´, est juge´e utile, par la grande
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majorite´ des patients et des proches [10] car elle permet, a` notre avis, la mise en place, par un contrat tacite, de l’organisation des soins et du suivi me´dicamenteux. Il nous semble que la sortie d’hospitalisation d’un patient schizophre`ne avec une bonne compliance au traitement se fait graˆce a` un pacte avec l’e´quipe soignante. Nous avons vu aussi que tout le monde s’accorde sur l’importance d’e´viter les rechutes. Or, seuls 16 % des patients ne rechutent pas dans les trois ans [10]. On sait que l’observance au traitement me´dicamenteux est une condition ne´cessaire d’une re´mission, mais cette condition d’apre`s notre e´tude n’est pas suffisante. En effet, comme l’e´voquent les patients eux-meˆmes et leurs proches, ce qui de´clenche une hospitalisation ne peut pas se re´sumer a` l’arreˆt du traitement. Ce qui de´clenche une hospitalisation, c’est cliniquement soit un e´pisode de de´compensation mettant en e´vidence une phase processuelle avec de´lire et/ou hallucination, soit un passage a` l’acte he´te´ro- ou auto-agressif. Au de´cours d’un suivi, l’arreˆt du traitement, pris dans une relation transfe´rentielle, plutoˆt qu’eˆtre un passage a` l’acte, a pour nous plus valeur d’acting-out, c’est-a`-dire un acte qui vient dire quelque chose a` quelqu’un, comme la traduction d’une demande implicite d’hospitalisation pour un patient qui n’arrive plus a` « penser ». Cette demande implicite d’hospitalisation doit eˆtre entendue comme telle par l’ensemble de l’e´quipe soignante afin que le pacte avec les patients puisse eˆtre renouvele´ et que les renouvellements successifs servent alors d’e´tayage et viennent faire re´paration. 4. Conclusion Sans entrer dans le de´bat autour de la part e´tiologique des e´ve´nements de vie dans la schizophre´nie, notre recherche permet de mettre en e´vidence que l’origine des rechutes schizophre´niques est plus a` rechercher du coˆte´ d’une de´faillance du symbolique chez des patients qui n’arrivent plus a` « penser » ce qui leur arrive, et cela meˆme face a` des e´ve´nements en faible quantite´ et de faible importance. Nous en avons de´duit, par l’interpre´tation de l’arreˆt du traitement en l’expression d’une demande d’hospitalisation, que le traitement me´dicamenteux e´tait une condition ne´cessaire mais pas suffisante. Les personnes ayant en charge des patients schizophre`nes devraient eˆtre particulie`rement vigilantes a` la fac¸on dont les patients interagissent avec des e´ve´nements inhe´rents aux domaines que nous avons e´tudie´s en ayant le souci de les aider a` verbaliser, a` penser. Meˆme si les rechutes des patients schizophre`nes doivent eˆtre e´vite´es, voire retarde´es, et c’est par une meilleure compre´hension de cette maladie qu’elles peuvent l’eˆtre, il est inte´ressant de ne pas y voir qu’une dimension d’e´chec et d’entendre l’arreˆt du traitement comme une demande d’aide de la part des patients vis-a`-vis de l’e´quipe de soin, dans une dimension transfe´rentielle. En re´sume´, il est e´vident que l’arreˆt du traitement reste un signe d’alerte signifiant, mais il ne doit pas nous pousser a` faire l’e´conomie d’une recherche e´tiologique. Il te´moigne d’une perte de contact avec la re´alite´ [8]. Notre e´tude montre que les schizophre`nes, comme tout eˆtre parlant, quelle que soit leur structure, ont a` traiter du re´el, mais ils le feront avec leur structure dont le soignant doit tenir compte dans la prise en charge du patient. Cela a une incidence sur la posture du soignant qui doit garder a` l’esprit que vouloir le bien du patient n’est pas force´ment lui faire du bien. Et que c’est par le lien accompagnant que le patient pourra continuer a` penser sans perdre contact avec la re´alite´. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
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E. Villard et al. / Annales Me´dico-Psychologiques 173 (2015) 443–448
Remerciements Nous tenons a` remercier tout particulie`rement pour leur contribution a` cette recherche les docteurs Claude Guinard, He´le`ne Pigeon, Sophie Carrier, Ste´phanie Toy-Riont, le cadre de sante´ Aı¨ssa Mayouf, toute l’e´quipe du DIM du centre hospitalier Valvert et tout spe´cialement a` Mme Christine Marchant Miche et a` Mme Muriel Hoeltgen.
Re´fe´rences [1] Amiel-Lebigre F. E´ve´nements stressants de la vie : me´thodologie et re´sultats. Encyclope´die me´dico-chirurgicale, 2004 [Paris, 37-401-E-10]. [2] Birchwood M, Todd P, Jackson C, et al. Early intervention in psychosis. The critical period hypothesis. Br J Psychiatr 1998;172:53–9.
[3] Dohrenwend BS, Dohrenwend BP. Psychiatric disorders in urban settings. In: Caplan G, editor. Am handbook of psychiatry. New York: Basic Book; 1972. [4] Heidegger M. Chemins qui ne me`nent nulle part. Paris: Gallimard; 1962. [5] Hinkle LE, Wolf HG. Health and social environment: experimental investigations. In: Leighton AH, Clausen JA, Wilson JA, editors. Exploration in social psychiatry. New York: Basic Books; 1957. [6] Maldiney H. Penser l’homme et la folie. Grenoble: Millon « Krisis »; 1997. [7] Martin B, Dollfus S, Petit M. E´tude comparative des e´ve´nements de vie chez des patients schizophre`nes et de´prime´s en phase aigue¨. Ann Psychiatr 1994;4:200–5. [8] Minkowski E. La schizophre´nie. Paris: Payot & Rivages; 2002. [9] Myers JK, Lindenthal JJ, Pepper MP. Life events and psychiatric impairment. J Nerv Ment Dis 1971;152:149–57. [10] Passerieux C, Caroli F, Giraud-Baro E. Les personnes atteintes de schizophre´nie et la rechute. Encephale 2009;35:586–94. [11] Robinson D, Woerner MG, Alvir JM, et al. Predictors of relapse following response from a first episode schizophrenia or schizoaffective disorder. Arch Gen Psychiatr 1999;56:241–7. [12] Tatossian A. La notion d’e´ve´nement. De la phe´nome´nologie a` la me´thode des « Life Events ». In: Guyotat J, Fedida P, editors. E´ve´nement et psychopathologie. Villeurbane: Simep; 1985.
Discussion Pr J.-M. Vanelle.– Deux questions bien prosaı¨ques : Vous avez e´voque´ l’arreˆt du traitement. Certains patients recevaient-ils des formes retard : NAP ou APAP ? Avez-vous ve´rifie´ l’existence ou non d’une reprise (ou exacerbation) de substances toxiques, qui peut s’associer a` des e´ve´nements de vie douloureux ?
Re´ponse du rapporteur.– Je vous remercie de faire ce rappel historique qui pour nous vient attester que malgre´ l’apport majeur des traitements psychotropes, les questions qui se posaient avant l’existence de ces derniers sont toujours d’actualite´ en mettant l’accent sur l’inte´reˆt de faire un « pas de coˆte´ » pour aborder ces proble`mes psychopathologiques.
Re´ponse du rapporteur.– A` l’e´poque ou` la recherche a e´te´ effectue´e, aucun patient n’e´tait sous APAP (ce qui par ailleurs te´moigne d’une certaine efficacite´ des APAP). En revanche, c’est une question que nous avons souleve´e dans notre e´crit en pre´cisant que meˆme si l’on peut supposer que les APAP espacent les hospitalisations, notre propos permet justement d’attirer l’attention sur les circonstances de souffrance qui pourraient eˆtre masque´es par ces APAP. Il est tout a` fait judicieux d’e´voquer une reprise de substances toxiques a` l’origine des rechutes, mais le raisonnement a` notre avis devrait rester le meˆme que celui face a` l’arreˆt du traitement.
Dr P. Houillon.– Merci aux auteurs d’avoir bien voulu traiter de cette question majeure de la rechute des e´tats qualifie´s de schizophre´niques, multiformes dans leurs origines et suscitant un consensus de fac¸ade parfois trompeur, sur des re`gles a` adopter pour une approche soignante « ade´quate », c’est-a`-dire en accord avec les connaissances acquises. Parmi des raisons de « rechutes », toutes approprie´es, qui viennent d’eˆtre e´voque´es, j’aimerais savoir ce qu’il faut entendre par le « de´faut de symbolisation » figurant au nombre de ces raisons. Ce « de´faut » n’est-il pas au centre meˆme de la « discordance » dont la symptomatologie traite´e n’est que l’expression exte´rieure ? A` ce titre, il me paraıˆt difficile de l’invoquer comme raison de rechutes.
Dr J. Garrabe´.– La question de l’impossibilite´ de l’e´volution des psychoses du groupe des schizophre´nies se pose de`s l’introduction du concept par Eugen Bleuler en 1911. Bien avant l’introduction dans les anne´es 1950 des premiers psychotropes permettant une ame´lioration des symptoˆmes dits depuis positifs, Bleuler signale la re´mission spontane´e de dure´e variable sinon de rechute sans que l’on puisse comprendre toujours a` quoi correspondent ces moments e´volutifs. De nos jours, ces « rechutes » sont rattache´es a` un arreˆt intempestif de la chimiothe´rapie alors qu’en effet, comme dans la communication pre´sente´e, elles peuvent eˆtre provoque´es par des facteurs autres. DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.04.005 0003-4487/ http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2015.04.006
Re´ponse du rapporteur.– Le « de´faut de symbolisation » est effectivement conside´re´ comme la cause premie`re des schizophre´nies, mais ce « de´faut de symbolisation » n’existe que par moment. C’est par ces raisons que notre travail couplant les e´ve´nements vitaux au de´faut de symbolisation se fonde. Mais votre remarque, au-dela` de notre travail, ouvre la question des recherches toujours a` l’œuvre sur ce mode de re´ponse caracte´risant les schizophre´nies et leur ve´ritable cause.