Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et respect… l’essence des soins infirmiers

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PRATIQUE DU SOIN Med Pal 2004; 3: 285-294 © Masson, Paris, 2004, Tous droits réservés Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et re...

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Med Pal 2004; 3: 285-294 © Masson, Paris, 2004, Tous droits réservés

Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et respect… l’essence des soins infirmiers Marie-Fleur Bernard, Infirmière Spécialiste Clinique, Unité Mobile d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, Certification Institut de Soins Infirmiers Supérieurs (ISIS) Hôpital Émile Roux, Limeil Brévannes.

Summary Résumé Les soins du corps désignent de nombreux soins quotidiens indisCaring for the body of the terminally ill: competence, humanity and respect at the heart of nursing care pensables au confort physique, au bien-être psychologique et à l’esCaring for the body of the terminally ill involves a number of daily interventions indispensable for the physical comfort and psychological well-being and self respect of the dying person. Washing and bathing the body, assuring oral hygiene and esthetic care as well as installation of a patient often extenuated by a long hospitalization are all part of the essential, or even vital, attention which the nursing staff must give to the body. Caring for the body can be as important as technical interventions administered to fight against the disease or relieve symptoms. For the terminally ill whose body and soul are suffering, the greatest comfort can come from the prevention of pain, infection and distress which arise when the dying body is transformed by malnutrition and weakness. The technical and relational skill and empathy of caregivers play equally important roles. Via their attitudes, regards, and kindness, caregivers use their own body to express their intuitive knowledge of curative virtue. The final care given to the body after death is an ultimate statement of recognition, a way for caregivers to say good-bye to the person they have accompanied for days, months, or years. Providing care for a body “plowed” with suffering, being confronted with the irreversible alteration of human appearance, listening to someone approaching death express the unexpressable, exposes the caregiver to a heavy burden of physical and mental stress. For healthcare professionals, exposure to all these manifestations of suffering is in reality an approach to their own end-of-life. For some the burden can be too heavy to bear. This is why time must be taken to talk about end-of-life body care and its role in preserving life and the meaning of life to death.

time de soi des personnes en fin de vie. Qu’il s’agisse de la toilette, du bain, des soins de bouche, des soins d’esthétique ou de l’installation du malade, souvent épuisé par un long parcours hospitalier, cette attention portée au corps par les professionnels est essentielle, voire vitale. Elle a autant d’importance que les soins techniques administrés pour combattre la maladie ou pour soulager les symptômes. Prévenir les douleurs, les infections et la détresse, liées aux modifications et déformations corporelles, liées à la dénutrition et l’épuisement, est la première forme de réconfort que les soignants peuvent apporter à celui ou celle qui souffre dans sa chair et dans son âme. Lors de ces soins, ils développent des compétences à la fois techniques et relationnelles, où dextérité et empathie ont la même importance. Ils utilisent leur propre corps et manifestent dans leurs attitudes, leur regard et leur tendresse un savoir intuitif aux vertus curatives. La toilette mortuaire est l’ultime gage de reconnaissance, une façon de réaliser ses adieux à celui qu’ils ont accompagné dans l’épreuve durant des mois, parfois des années. Prendre soin et accomplir des soins à de multiples corps « labourés » par la souffrance, être confronté à l’altération irréversible de l’apparence humaine, de l’enveloppe corporelle, écouter le malade exprimer l’indicible à l’approche de sa mort, expose les soignants à une charge physique et mentale considérable. Toutes ces manifestations de souffrance projettent les professionnels dans leur propre finitude et conduisent certains à s’éloigner des malades en fin de vie. C’est pourquoi des temps de parole sont indispensables. Néanmoins, au XIXe siècle, il nous faut replacer les soins du corps au cœur de la prise en soin, afin de préserver la vie et de lui conserver un sens jusqu’à la mort.

Key-words: body care, hygiene, physical comfort, caregiving, relational competence.

Mots clés : soins du corps, hygiène, confort physique, prendre soin, compétences relationnelles.

Bernard MF. Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et res-

Adresse pour la correspondance :

pect… l’essence des soins infirmiers. Med Pal 2004; 3: 285-295.

Marie-Fleur Bernard, Centre Hospitalier Emile Roux, UMASP, Pavillon Claude Bernard, Service du Dr Henry, 1, avenue de Verdun, 94456 Limeil-Brevannes.

Introduction

soins d’hygiène et d’entretien de la vie. Les soins consistent essentiellement à manipuler, nettoyer et panser L’une des principales caractéristiques du travail spé- les corps des malades. Au fil des décennies, ils se sont cifique des servants au XIXe siècle est qu’il porte sur les complexifiés et sont devenus de plus en plus techniques.

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L’évolution des techniques médicales a entraîné l’émergence d’une réflexion dans les hôpitaux sur la formation indispensable d’une main d’œuvre qualifiée destinée à assister les médecins. A posteriori, chacun peut constater que progressivement l’infirmière technicienne délègue aux aides-soignantes les soins d’hygiène. Ces tâches sont estimées moins prestigieuses car elles consistent à s’occuper des excréments, des sécrétions rejetées par le malade et considérées comme un travail domestique et ingrat. Néanmoins, lorsque le malade approche de sa fin de vie, certaines thérapeutiques n’ont plus leur place et les prélèvements, perfusions et sondages sont de fait Les soins du corps moins nombreux. Si l’infirmière ne représentent aussi se préoccupe que des tâches dictées par les prescriptions médicales, elle tout l’intérêt porté oublie la part de son domaine à quelqu’un. d’exercice qui lui est spécifique. Le confort et le soulagement des grands malades passent par un ensemble de soins au corps qui supposent d’établir une présence émotionnelle afin d’accompagner ceux-là jusqu’au bout.

L’homme et les soins prodigués au corps Les soins prodigués au corps ont toujours existé et ils se sont sophistiqués au fur et à mesure de l’évolution humaine, des découvertes scientifiques et technologiques, notamment médicales. Au fil des siècles, ils ont d’abord été l’apanage des femmes. Ce sont elles qui donnent la vie et prennent soin des mourants. La période post révolutionnaire (fin XIXe siècle) est marquée par la naissance de la clinique [1], qui modifie le regard du médecin sur la personne malade en focalisant l’attention sur la lésion. Les hôpitaux de la charité qui accueillaient des pauvres malades et les hôpitaux généraux qui étaient destinés à la prise en charge des indigents, des vieillards et des aliénés, furent de plus en plus investis par les médecins : « La fonction asilaire des institutions se modifie progressivement au profit d’activités thérapeutiques » [1]. Au XXe siècle, les progrès de la médecine amènent le médecin à déléguer certaines tâches. C’est ainsi que s’élabora la pratique infirmière. En effet, l’évolution médicale et les nouvelles découvertes entraînèrent le développement de différentes techniques de soins et l’instauration des méthodes d’asepsie, à laquelle le personnel essentiellement religieux de l’époque n’était pas formé et parfois hostile. La médicalisation de l’hôpital entraîna des conflits entre les médecins et les religieux, « l’avè-

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nement de la clinique impose une subordination de la raison religieuse à la raison scientifique, un renversement des valeurs héritées du moyen âge qui présidaient aux pratiques de soins, et qui faisaient de l’acte de soigner un acte spirituel pour celui qui le dispensait. » [2]. L’exclusion des sœurs et la conception nouvelle du travail soignant ont permis à la fonction infirmière de se développer. Essentiellement centrée sur l’hygiène corporelle et l’alimentation, l’exercice infirmier est reconnu en 1950, et il faut attendre la loi du 31 mai 1978 et le décret d’application du 17 juillet 1984, pour que soit décrit un rôle propre infirmier. Dans notre société contemporaine, un certain nombre de faits ne facilitent pas l’approche du corps dénaturé par la maladie. Tout d’abord, la codification des règles imposées par notre société aux origines judéo-chrétienne, en ce qui concerne l’intimité des personnes et la gestion de la pudeur ; en second lieu, l’image d’un corps éternellement jeune et beau, véhiculée par les médias ; enfin la « technicisation » des soins infirmiers et l’asepsie qui conduisent les soignants à utiliser des blouses, masques, gants et pinces… qui bien que nécessaires, sont autant de barrières qui instaurent une distance physique et relationnelle avec le malade.

Qu’est-ce que les soins du corps ? Les soins du corps, d’hygiène, d’entretien et de continuité de la vie sont un ensemble de gestes intentionnés et incontournables qui participent au maintien d’une bonne santé et permettent de lutter contre les agressions et les infections. Ils représentent aussi tout l’intérêt porté à quelqu’un, puisqu’il s’agit de suppléance partielle ou totale en fonction du degré d’autonomie de la personne soignée en fin de vie. Ils sont généralement réalisés en interdisciplinarité, par des infirmiers, des aides-soignants, des kinésithérapeutes…, par un nombre important de professionnels qui conjuguent et unissent leurs compétences, dans le but d’assurer le meilleur confort physique possible. Si l’on se réfère aux huit premiers besoins fondamentaux décrits dans le modèle conceptuel infirmier de Virginia Henderson [3] qui en compte 14, il s’agit d’abord d’aider le malade à être propre et protéger ses téguments, mais aussi à respirer, à boire et manger, à éliminer, à se mouvoir et maintenir une bonne posture, à dormir et se reposer, à se vêtir et se dévêtir et à maintenir la température corporelle dans les limites de la normale. Les soins corporels recouvrent la toilette, les mobilisations, les soins de bouche, de nez, d’yeux, d’oreille, la prévention des escarres sans oublier l’alimentation, l’hydratation et l’élimination.

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Y-a-t-il une spécificité des soins du corps pour les malades qui relèvent de soins palliatifs ?

maladie : il « sait » ce qu’il a vécu, (…), ce que vit son corps, (…), l’un est dans le « faire », l’autre est dans le « vivre », qui de ces deux experts est le plus compétent quand il est question de « faire vivre » ? » [5]. Les deux En phase palliative, la priorité est donnée au confort possèdent un savoir. S’ils parviennent à le partager, à et le décret de compétence infirmier du 11 février 2002 s’apprivoiser mutuellement, les soins corporels pourront souligne dans les articles 2, 3 et 4 que ce confort est in- être de qualité. dispensable pour tous les malades, c’est un axe prioritaire des soins infirmiers : « Les soins infirmiers… ont pour objet de participer à la prévention, à l’évaluation et au sou- La toilette lagement de la douleur et de la détresse physique et psyLa toilette fait référence à des rechique des personnes, particulièrement en fin de vie, au moyen des soins palliatifs… Relèvent du rôle propre de présentations mentales multiples et l’infirmier, les soins liés aux fonctions d’entretien et de variées selon les époques, les cultures les soins corporels continuité de la vie et visant à compenser partiellement et les lieux de vie. Les infirmières resont en train d’être ou totalement un manque ou une diminution d’autonomie lèguent parfois ce soin aux aides-soid’une personne… Soins et propreté visant à assurer l’hy- gnantes, car elles le trouvent peu grareconsidérés. giène de la personne et de son environnement » [4]. Une tifiant. Pourtant, la toilette a une attention particulière doit être portée au corps du malade. importance considérable, elle permet de conserver l’intégrité Aux connaissances sur les pathologies, les symptômes et de la peau, de favoriser le confort physique et psychologiles thérapeutiques, enseignées lors la formation initiale que. Elle rend la vie quotidienne du malade plus agréable, des aide-soignant(e)s et infirmier(ère)s, s’ajoute une ré- l’aide à retrouver une sensation de bien être dans un corps flexion par rapport à leur retentissement sur la personne souffrant (amaigri, fatigué, mutilé…), à entretenir une image soignée. En fin de vie, il s’agit du même type de soins, corporelle satisfaisante, à cheminer dans son travail de mais la dépendance, la fatigue et la cohorte de symptômes deuil. invalidants nécessitent que les soins corporels soient renouvelés plus souvent et avec délicatesse, afin de soula- Le bain En fin de vie, chaque fois que cela est possible, les ger, d’entretenir l’image corporelle et l’estime de soi du malade qui n’a plus la force ou la connaissance pour ac- soignants peuvent proposer une douche ou un bain. Le contact de l’eau, au-delà de l’hygiène corporelle, complir les soins qu’il réalisait seul. procure une grande détente, voire du plaisir et diminue les contractures et les douleurs. Si la plupart des malades ont envie de prendre un bain, celui-ci est toujours redouté. Approche globale Ils l’appréhendent car leur corps est affublé de sondes et de cathéters qui entraînent un sentiment d’étrangeté et Dans la définition des soins palliatifs, l’approche glo- d’insécurité. Il est essentiel de prendre le temps de rassurer bale est préconisée. Si les soins infirmiers sont inscrits le malade, de lui expliquer qu’il existe des pansements dans cette approche holistique, cette manière de prendre imperméables, que quelqu’un l’aidera à monter dans la soin qui cherche à considérer l’ensemble des besoins de baignoire et restera à ses côtés toute la durée du soin. la personne soignée, il faut se demander si ces soins cor- Grâce au confort procuré par le bain, le malade peut reporels sont encore la priorité des professionnels soignants. découvrir son corps de manière valorisante. C’est un soin Fort heureusement, grâce au mouvement des soins pallia- où la complicité s’installe et où il livre souvent ce qui lui tifs, les soins corporels sont en train d’être reconsidérés. tient à cœur. Les membres de la famille peuvent y assister Les professionnels qui choisissent d’exercer auprès des s’ils le souhaitent et le soin peut ainsi devenir un moment personnes en fin de vie valorisent les soins du corps ; ils de tendresse et de communion. reconnaissent au malade un statut de sujet, simplement Le renouvellement des soins est indispensable afin par le confort et les sentiments de proximité et de sécurité, d’éviter les irritations et les macérations qui entraînent des appréciables, qu’ils induisent. L’approche globale est ef- escarres, des douleurs, des odeurs désagréables et portent fective à condition que le soignant cherche perpétuelle- atteinte au sentiment de dignité. Lorsque le malade devient ment à s’ajuster aux besoins du malade. Selon D. Sandra- incontinent, il est nécessaire de le changer plusieurs fois Morelle, si : « Le soignant est l’expert du soin : il « sait » par jour. Les selles et les odeurs incommodent autant le par sa formation et son expérience (…), est reconnu pour malade que sa famille, gênent la relation, modifient ou emson savoir faire, le malade [quant à lui] est l’expert de la pêchent la proximité et l’expression de l’amour et la ten-

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dresse. Cependant, donner un bain à une personne en fin de vie, dans de bonnes conditions, n’est pas toujours possible. Les établissements de santé disposent rarement de baignoires hydrauliques, tout au plus d’un chariot douche. L’accès à la baignoire à domicile peut être difficile et mettre la personne fragilisée en danger. Il est indispensable de mesurer le risque de chute, sans oublier le risque de contamination par des germes résistants.

Avant d’entreprendre les soins, le soignant va d’abord informer le malade et l’écouter L’information joue un rôle prépondérant dans l’acceptation des soins corporels et dans le soulagement. Il s’agit parfois d’un vrai travail de négociation et d’écoute des craintes du malade lorsque la toilette concerne une partie intime du corps. Entendre la peur d’une personne qui a souffert lors d’une précédente toilette ou reconnaître l’appréhension d’une autre dès que l’on s’approche d’elle avec le chariot à pansement, sont des stratégies soignantes qui apaisent. La communication a un caractère essentiel ; l’art d’expliquer, de réaliser le soin diminue l’appréhension du patient dément ou douloureux. Tout l’art réside aussi dans la manière de toucher, de mobiliser la personne La toilette aide à rendre soignée. Il est aussi indispensable de la vie du malade l’inviter à participer, de prendre le temps de « déverrouiller » les articuplus agréable. lations contractées du grand vieillard afin d’éviter la douleur au moment du lever. Lorsque la personne participe aux soins, le geste paraît moins agressif et il est plus efficace.

rasage. En fin de vie, les yeux du malade sont fréquemment collés, alors qu’il a déjà beaucoup de mal à les tenir ouverts, du fait de la fatigue et du repli sur soi. Le soignant peut être amené à utiliser des collyres gras, afin d’éviter les ulcérations de la cornée lorsqu’à l’inverse, le malade n’est plus à même de fermer ses paupières ou dans le coma. De nombreuses personnes âgées en fin de vie, présentent un entropion (bascule à l’intérieur du bord ciliaire inférieur) qui irrite continuellement l’œil ou un ectropion (bascule à l’extérieur du bord ciliaire inférieur) exposant durablement la conjonctive. Sans des soins d’yeux quotidiens au Dacryo sérum, ces lésions sont à l’origine d’infection et de douleurs. Les ongles incarnés passent souvent inaperçus. Pourtant ils provoquent des douleurs, même en fin de vie. La coopération du pédicure au lit du malade constitue un moyen d’y remédier. Sa contribution au confort du malade est souvent oubliée. Les soignants peuvent conseiller aux proches d’apporter des chaussettes en coton plutôt qu’en fibres synthétiques, lorsque le malade à froid aux pieds.

Ne pas négliger les soins de nez, car la respiration est souvent laborieuse et source d’inconfort

Un shampooing peut être fait au lit lorsque le bain est impossible. Le massage du cuir chevelu est source de détente. Les malades supportent mal de perdre leurs cheveux, une coupe anticipée leur évite de retrouver d’énormes touffes sur l’oreiller. Le port d’un foulard ou d’une perruque mérite d’être conseillés. La coiffure ou le port d’une perruque permettent à la personne de retrouver des repères, en référence à sa façon de se présenter au monde, des sortes de jalons d’ordre socioculturel. Les soins d’esthétique contribuent au mieux-être du malade. Pourtant, une minorité d’hôpitaux recrute des esthéticiennes afin de les aider à supporter les modifications corporelles induites par la longue maladie et le handicap.

Un nez encombré et sec peut entraver les fonctions respiratoires, surtout si l’une des narines est déjà obstruée par une sonde naso-gastrique. Si l’humidification par aérosols est parfois nécessaire afin d’améliorer la respiration, elle ne dispense pas de l’hygiène nasale incontournable pour éviter les ulcérations, la stagnation des sécrétions responsables de respiration orale laborieuse et d’infections. Les soins du nez consistent à désobstruer les narines avec un coton tige et à couper les poils de nez trop longs. Il est en outre utile de réfléchir à l’utilité de l’oxygénothérapie. Son efficacité est remise en cause lorsque le nez du malade est très encombré. Par ailleurs, la sonde et les lunettes à oxygène provoquent parfois une obstruction complète des narines et au long cours peuvent blesser le malade. L’oxygène a bien entendu son utilité chez l’insuffisant respiratoire, mais dans le cas d’une dyspnée terminale, elle a le plus souvent une action limitée. Se poser les questions : est-ce que le dispositif et la quantité d’oxygène administrée améliorent le confort respiratoire du malade ? Sommes-nous efficaces lorsque le malade a des lésions du nez (escarre) et des sécrétions agglomérées ? Néanmoins, l’administration d’oxygène peut rassurer et avoir un effet sur l’anxiété du malade.

Les soins d’yeux, d’oreilles, de moustaches, des ongles : les oubliés !

Les soins de bouche servent à conserver à la cavité buccale ses caractéristiques physiologiques

Les soins apportés à la chevelure participent grandement à l’esthétique

Il n’est pas inutile de rappeler que la toilette englobe L’absence d’hygiène bucco-dentaire provoque un inaussi les soins des yeux, des oreilles, de moustaches et le confort et les capacités fonctionnelles se détériorent :

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l’alimentation (goût, appétit, déglutition…), la phonation et la respiration. Elle est responsable de dysgueusies et d’halitose, et fragilise l’état général. L’aspect rebutant de la cavité buccale induit un changement de l’image de soi, perturbe la communication et la vie relationnelle avec les proches et les soignants. La Xérostomie donne une sensation de bouche sèche qui se traduit cliniquement par une incapacité pour le malade à mastiquer et à déglutir. La langue saburrale se présente sous l’aspect d’un épais enduit blanchâtre. Pour améliorer ce type de bouche, le soignant peut proposer au malade de se brosser la langue avec une brosse à dents pédiatrique. La langue noire villeuse se rencontre parfois dans la phase d’agonie si des soins d’hygiène et d’hydratation ne sont pas entrepris de façon régulière. Les infections buccales (mucites ou stomatites) induites par les divers traitements, sont une inflammation liée aux modifications des défenses immunitaires et du flux salivaire. La douleur est fréquemment associée aux lésions (brûlures), elle peut devenir invalidante au point d’empêcher le malade de s’alimenter. Le soin de bouche est un soin faisant partie intégrante de la toilette. Plus il est renouvelé, plus il est efficace. Une bonne hygiène des prothèses comporte six points : laver et brosser les prothèses après chaque repas, effectuer un lavage plus spécifique chaque soir et être rigoureux si un adhésif est utilisé, les immerger dans une solution antiseptique (30 minutes), puis les rincer et les remettre en bouche pour la nuit si le malade les supporte. La vérification de l’adaptation des prothèses chez le malade dénutri s’impose. Si elles ne sont plus adaptées, elles provoquent des infections et des douleurs. Les stomatologues peuvent apporter des modifications aux prothèses même si la personne n’a plus que quelques semaines à vivre. Avoir en bouche son appareil dentaire peut permettre de s’alimenter jusqu’au bout, de mieux articuler, de communiquer et de conserver une image positive. Pour la bouche sèche, le premier remède consiste à hydrater le malade, à le faire boire le plus souvent possible, lorsqu’il peut déglutir, de l’eau, des liquides pétillants selon ses goûts. On peut proposer des fruits frais ou des glaçons de jus, de l’eau gélifiée en cas de troubles de la déglutition. La bouche peut être maintenue humide grâce à de fréquentes pulvérisations d’eau minérale, par l’application sur les muqueuses et les lèvres d’un gel humectant buccal (Bioxtra) d’une durée d’efficacité plus longue. Si le malade ne coopère pas, refuse obstinément d’ouvrir la bouche ou s’il la ferme de façon réflexe (trismus, patient comateux), le soignant peut essayer de faire le soin en injectant le produit à l’aide d’une seringue en aspirant simultanément ou il utilise le jet dentaire, en prenant la précaution d’installer le patient en position latérale. En cas d’infection bactérienne, virale, mycosique, les traitements spécifiques sur prescription médicale ne dispensent pas des soins

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d’hygiène. La bétadine buccale, le coca-cola, l’eau oxygénée diluée et certains antibiotiques permettent de lutter efficacement contre les odeurs. Si la bouche est douloureuse, le soignant peut appliquer localement des thérapeutiques médicamenteuses : sur les lésions localisées, Xylocaïne visqueuse à 2 % ; pour les aphtes et ulcérations disséminées : Ulcar agent protecteur deux sachets ou Aspégic 1000, un sachet dans un verre d’eau en bain de bouche, Immudon, Zovirax crème à 5 %. Il est parfois nécessaire de mettre en place un traitement antalgique par voie générale (Morphine).

L’habillage personnalisé est une forme de valorisation Les vêtements sont révélateurs de l’identité du malade ; ils participent à la restauration de l’estime de soi et ils l’autorisent à se re-situer dans ses traditions culturelles. Au quotidien de nombreux petits « détails » sont générateurs de souffrance pour le malade et ébranlent la pudeur (être affublé de la chemise de l’hôpital ôte toute individualité, porter des vêtements peu ajustés qui dévoilent ses cuisses ou une sonde). Lorsque le malade le souhaite et chaque fois que cela est possible, lorsqu’il a des effets personnels, que ceux-ci peuvent être entretenus et La langue noire villeuse qu’ils sont à sa taille, il va de soi de se rencontre parfois l’aider à se vêtir selon ses habitudes, il s’en sentira valorisé. dans la phase d’agonie.

Le maquillage et les soins d’esthétique changent la vision sur la maladie et la vieillesse Les soins d’esthétique apportent une détente physique et ramènent le malade a des souvenirs heureux. La douceur du soin et les odeurs agréables sont des facteurs déclenchants. Les soins d’esthétique peuvent être un intéressant complément à la démarche de soins. La personne en fin de vie a toujours des désirs et besoin d’être regardée et aimée des siens. Si elle est habituée à se maquiller, l’aider à le faire peut lui redonner la sensation d’exister. Les soins du visage, l’usage de parfum et de maquillage redonnent au malade des sensations connues, utiles pour faire face à la maladie grave, à la dépréciation de soi et à l’anxiété générée par les modifications corporelles. Les esthéticiennes sont une ressource peu utilisée pour aider le malade à recouvrer une image corporelle plus satisfaisante.

L’attention portée à l’installation au lit et au fauteuil est déterminante pour le confort Les aides-soignants, infirmiers et les kinésithérapeutes ont à veiller à la bonne installation du malade dans son lit ou son fauteuil, avec à portée de main ce dont il peut avoir besoin, afin qu’il n’épuise pas les forces qui lui res-

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tent ou qu’il ne s’expose pas à un danger de chute lorsqu’il vant et en lui donnant des couverts adaptés pour s’alise retrouve seul. menter. Il est indispensable de réfléchir à l’utilisation de la contention physique. En soins palliatifs elle n’a généralement pas lieu d’être. Au lit Il est important d’installer correctement un patient L’alimentation par sonde au prix d’une contrainte alité et de mettre en place le matériel approprié (matelas physique est une question d’ordre éthique. Les soignants anti-escarre, coussin de décharge…). Le positionnement doivent se poser la question de sa poursuite au quotidien, correct des oreillers facilite la respiration et les activités. mettre en balance les bénéfices et les risques pour le maUne installation, avec des coussins sous les coudes et les lade, sans oublier les conséquences pour ses proches. talons, entre les genoux chez les malades comateux ou Afin de diminuer l’appréhension et la douleur, des bohémiplégiques, contribue à prévenir l’apparition de dou- lus d’antalgique peuvent être administrés préventivement, leurs dues à une mauvaise répartition de la charge du en leur laissant le temps d’agir. Il n’est pas non plus népoids du corps, la formation de plaies d’appui (escarres), cessaire que le malade reste des heures au fauteuil. Le leles déformations de non utilisation (rétractions). ver prolongé peut être source de fatigue et de nouvelles – En décubitus dorsal, il est recommandé de mettre douleurs. Les soignants doivent apprécier les capacités du en position d’allongement les muscles pouvant se ré- malade à rester au fauteuil et accepter sa demande d’être tracter (jambes, triceps) et de placer les membres infé- recouché. Par ailleurs, la manutention pour les mobilisarieurs en extension de hanches et genoux ou au mieux tions au lit et les transferts nécessite une attention de celui à 30° de flexion. Les tibio-tarsien- qui les pratique, afin de ne pas saisir la personne par l’ennes doivent être en posture à 90° droit douloureux, de l’aider à adopter de préférence les (utilisation de bottes anti-équins ou positions qui évitent l’aggravation de la douleur. La façon Le positionnement correct drap roulé au pied du lit), afin dont le soignant accompagne le mouvement du malade avec une partie de son propre corps, fait que ses mains et d’éviter les positions vicieuses. des oreillers – En latéro-cubitus, placer un ses bras deviennent des supports. Lorsque la manipulation facilite la respiration oreiller au dos du patient permet de est empreinte de chaleur, elle a une signification émotionet les activités. maintenir la position, installer un nelle, c’est un geste accompagné avec tendresse. coussin entre les membres inférieurs évite l’appui entre les condyles et les malléoles et écarter Un temps essentiel pour l’évaluation le membre supérieur homolatéral évite qu’il ne soit pas des nombreux symptômes Les soins corporels sont des moments privilégiés qui comprimé sous le thorax. permettent l’évaluation objective des symptômes (dyspnée, confusion…), à condition que le soignant mobilise ses Au fauteuil Le choix d’un fauteuil roulant se fait en équipe. Les capacités d’observation et d’écoute. objectifs d’une bonne installation sont la stabilité, le confort et la sécurité. Des coussins anti-escarre et des coussins Les soignants ne peuvent pas faire l’économie de dossier sont souvent nécessaires. Il ne faut pas oublier de mener une réflexion sur les dégradations de régler correctement les paramètres du fauteuil (accou- corporelles, sur la mobilisation et la prévention doirs, reposes pieds, repose tête…). Le confort du malade des escarres est lié à d’autres petits moyens (attelles pour soutenir un En fin de vie, les escarres sont consécutives à de mulbras hémiplégique, minerve), à l’adaptation du fauteuil au tiples facteurs : dénutrition, pression incontinence urihandicap moteur (accoudoir plus large…). naire et fécale. L’objectif des soignants ne va pas être de guérir les escarres, mais de les rendre non douloureuses, propres et de prévenir l’apparition de nouvelles plaies. L’ergothérapeute peut intervenir en proposant Lorsque la mort semble imminente, le malade ne sera pas des aides physiques techniques, afin de limiter systématiquement mobilisé toutes les deux heures. Il la douleur occasionnée s’agira uniquement de soins de propreté. L’excision mépar la gestuelle quotidienne Il peut mettre à disposition de la personne des orthè- canique des nécroses n’a plus sa place, elle ne ferait que ses, des coussins, des contentions d’immobilisation. majorer la douleur. Les escarres provoquent aussi des odeurs, difficilement supportables à la fois pour le malade, pour ses proches et pour le soignant. Il existe des protoDe nombreux petits moyens permettent coles de soins visant à les atténuer. Le Flagyl (metronidade prévenir les douleurs induites Il est possible d’éviter leur recrudescence en aidant la zole), les pansements au charbon, l’acide borique et l’eau personne à choisir des vêtements qui se boutonnent de- oxygénée les diminuent considérablement.

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Le confort peut être lié à l’ergonomie et au moment choisi pour réaliser le soin, c’est-à-dire lorsqu’il y a plusieurs soignants disponibles garantissant un plus ample sentiment de sécurité et donc moins d’appréhension du malade. Afin d’éviter de majorer la fatigue, il est parfois judicieux de regrouper les soins. Pour qu’ils se déroulent dans un environnement calme et sécurisant, le soignant doit réunir préalablement tout le matériel qui lui est nécessaire. Au contraire, il faut quelquefois les fractionner ou les différer afin de laisser le malade se reposer entre deux gestes qui provoquent des douleurs.

ments qui paraissent insignifiants, liés au regard, au toucher, aux mots échangés dans un moment intime ou de partage. Le langage corporel entre le soignant et le soigné se construit au gré des odeurs, de la chaleur du contact physique, des regards, des murmures ou des plaintes qui naissent puis s’esquivent et en fonction de la proximité de leurs deux corps. Ce sont des soins relevant du rôle autonome des soignants, qui nécessitent des compétences à la fois techniques et relationnelles. Un geste précis et réalisé avec dextérité n’apportera pas l’apaisement espéré au malade s’il est effectué sans la moindre empathie, sans chercher à créer une alliance avec lui, si ce dernier est considéré comme objet de soin. De même, le soutien procuré n’aura pas l’effet espéré si le soignant n’a pas la dextérité suffisante pour atteindre les résultats en terme de qualité de soins. Ces deux aspects des soins sont indissociables : l’excellence technique n’autorise pas l’indifférence et la compassion ne dispense pas du savoir-faire indispensable du soignant. L’art de Respecter le rythme soigner se base sur la construction d’une relation d’humain à humain du mourant, où le lien est aussi important que les c’est éviter d’exécuter habiletés techniques.

Considérer le malade en fin de vie, c’est respecter son rythme qui est ralenti

Dimension éthique du soin : Respect/non-respect, intimité (pudeur/honte)

C’est accepter qu’il puisse désirer se reposer ou dormir plus tard et prendre son petit-déjeuner à midi ou encore faire sa toilette quand ses proches viennent le voir. Les soignants sont amenés à échelonner les soins en fonction du degré de fatigue et des habitudes de vie. Respecter le rythme du mourant, c’est éviter d’exécuter le soin à la hâte, mettre en valeur l’autonomie qui lui reste, essayer de le laisser réaliser seul ce qu’il peut encore faire : toilette du visage, rasage, brossage des dents. La dépendance inhérente à la maladie ne doit en aucun cas être majorée par nos actions d’assistance. Faire à la place quand le malade est encore capable ou le forcer représente une double agression : il s’entend signifier qu’il ne peut plus faire et est obligé de se laisser faire et de subir le soin.

La toilette oblige la personne soignée à accepter un contact corporel intime qui peut tout aussi bien être porteur de sens que d’ambiguïté. Les soins corporels impliquent une intimité alors que l’humain a besoin d’un espace suffisant nécessaire à son équilibre. Selon Edward Hall : « À cette distance la présence de l’autre s’impose et peut même devenir invalidante par son impact sur le système perceptif » [6]. Ils sont l’occasion d’une intrusion dans l’intimité du malade, une effraction qui entraîne au premier abord un sentiment d’humiliation et parfois un rapport de force. L’atteinte à la pudeur peut provoquer des sentiments de gêne ou de honte. Le soignant et la personne soignée peuvent-ils se préparer à partager une telle intimité ? Le plaisir et la sexualité restent tabous. Ce sont pourtant des besoins qui s’expriment malgré l’avancée dans la maladie. Les soignants supportent mal que les malades manifestent du plaisir, tant l’expression verbale (directe ou par sous-entendu), que non verbale (main qui traîne sur leur corps). Ils ressentent une gêne et mettent à distance celui qui ose montrer qu’il est toujours un être sexué. L’humour grivois et les railleries observées sont des manifestations des difficultés soignantes, à prendre en compte. Les sentiments d’agression et de pénétration ressentis par le malade sont aussi négligés.

Le toucher massage : un soin au corps où les soignants se servent d’eux-mêmes comme agent thérapeutique La personne en fin de vie a besoin de contact et de douceur, cela d’autant plus, qu’elle est privée de la chaleur des siens. Le sens du toucher est le plus fondamental de tous nos sens. La toilette est un moment privilégié qui peut s’accompagner de massages, d’une relation source d’apaisement. Le toucher-massage de détente permet d’apaiser la douleur et l’anxiété, de diminuer l’intensité des contractures. Il apporte un réconfort au malade. Il a un effet sur le schéma corporel, sur l’estime de soi.

L’organisation des soins a aussi de l’importance

Prendre soin : un art de réaliser les soins corporels afin d’optimiser leur efficience (gestes, attitudes, posture, regard) Il s’agit là d’être avec, de chercher la rencontre. C’est un dialogue des corps qui s’établit pour aider le malade à vivre. Lors de soins corporels, la communication n’est plus seulement verbale, car les soignants sont en relation par le biais de tous leurs sens. La manière de rassurer ou d’apaiser la souffrance, la façon d’être soi-même thérapeutique est souvent sous estimée. Il peut s’agir d’élé-

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le soin à la hâte.

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Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et respect… l’essence des soins infirmiers

Pourtant, si le soignant cherche à obtenir l’assentiment toyée afin de prévenir les odeurs et les prothèses sont du malade et fait preuve de patience, il valorise la dimen- brossées puis re-positionnées en bouche. Certaines fasion humaine du soin. milles souhaitent préparer le corps en fonction de leurs habitudes culturelles. Elles ont le droit de pratiquer des rites religieux selon leurs convictions, afin de préparer Les soins corporels sont l’occasion le défunt à se présenter devant Dieu pour le culte mud’apporter du soutien Dans ce processus de deuil de soi, les soins au corps sulman. L’accompagnement de l’entourage se poursuit donnent au malade l’opportunité de dire ce qu’il ressent, après le décès et la considération et les égards portés au son chagrin, sa colère, son anxiété et d’aborder des ques- corps par les professionnels, lors de la toilette mortuaire, tions existentielles liées à l’épreuve qu’il traverse. Lorsque sont une forme d’accompagnement. La famille une fois le soignant réalise les soins d’hygiène, il va de soi de s’oc- prévenue doit pouvoir disposer de plusieurs heures pour cuper du vécu de ce corps, de se préoccuper de la souf- voir le défunt et se recueillir, dans des conditions favofrance. Il est de son rôle de prendre le temps, d’écouter le rables. La chambre nécessite d’être aménagée, avec des malade, de faire preuve de disponibilité émotionnelle afin chaises à disposition. de le soutenir dans un projet de vie centré sur l’avenir immédiat. Chaque soignant contribue à l’accompagnement de fin de vie et potentialise les actions destinées au Adaptabilité et souffrance confort et au soutien entreprises antérieurement par ses des soignants collègues.

La toilette mortuaire représente les ultimes manifestations de respect La préparation de la personne décédée consiste en une toilette complète du corps, réalisée en général par un binôme soignant. Au cours de cet ultime soin dans l’unité, les dispositifs médicaux sont ôtés, les plaies sont suturées et les orifices naturels sont obturés si nécessaire. Le corps du défunt n’est généralement pas habillé avant d’être conduit à l’amphithéâtre. Les bijoux L’art de soigner sont retirés sauf en cas de demande se base sur la construction soutenue des proches et en accord avec les personnels de la chambre d’une relation mortuaire. Si une alliance ne peut d’humain à humain. être retirée, l’équipe soignante doit le signaler sur le registre des inventaires, comme tous les autres effets personnels. Les soins prodigués au corps du défunt sont réalisés par les soignants ou par les proches, ou encore en collaboration, avec une attention toute particulière et en accomplissant un certain nombre de rites en fonction des convictions religieuses qui animaient le malade. Réaliser ces ultimes soins est à la fois un témoignage d’amour et de reconnaissance pour ceux qui les accomplissent, une opportunité de faire ses adieux par le toucher et les paroles exprimées et une forme d’apaisement. Selon K Maux Bielders : « Laver le corps mort, plus qu’un simple geste d’hygiène, c’est physiquement et de façon émotionnelle prendre acte de la mort. » [7]. Une attention particulière est portée au visage. Le rasage mécanique peut laisser des traces. Les yeux sont soigneusement fermés ou maintenus avec une compresse humide, la bouche est net-

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La souffrance et le handicap des patients en fin de vie ne laissent pas les soignants indemnes Ils sont confrontés à l’insupportable, à leurs limites en tant qu’humains, déstabilisés par ces patients dont ils ignorent ce qu’ils ressentent. Les soignants sont maltraités indirectement du fait des perceptions par leurs différents sens, par les odeurs insoutenables et la vision des plaies qui peut entraîner une répulsion. Sans avoir la volonté de l’agresser, le malade fait violence au soignant. À son tour, redoutant de se faire mordre, d’être atteint dans son propre corps, le soignant peut privilégier son confort personnel et exclure de ses préoccupations le bien-être du malade. Les soins corporels exposent à une charge psychologique élevée qui tient à la vision de la dégradation corporelle irréversible des patients et à la confrontation à la souffrance et à la mort. Ils amènent les soignants à faire des projections sur leur propre mort. Ils ont du mal à trouver un sens à poursuivre des soins non plus pour guérir, mais pour soulager et accompagner. La proximité de la mort est difficile à supporter et les soignants s’en défendent inconsciemment. Certains ne peuvent nommer la mort. Les rires défensifs et l’émotion jusqu’aux larmes traduisent l’intensité de leur souffrance. L’agressivité peut resurgir de façon détournée, sous l’apparence de brimades ou par la rapidité du soin. Ces réactions que l’on peut décrire comme des mécanismes de protection sont dommageables pour le malade. Lorsque l’agonie se prolonge, les soins corporels sont encore plus difficiles à réaliser. Le corps peut se dégrader de façon si importante que les soignants expriment parfois ouvertement un désir de mort.

N° 6 – Décembre 2004

Marie-Fleur Bernard

En fin de vie, l’assentiment de la personne est parfois péniblement acquis Elle est fatiguée, cherche la tranquillité et dort beaucoup. La nécessité de renouvellement fréquent du soin est en soi un facteur d’inconfort. Mais le refus dépend, bien entendu, de la manière dont le soignant aborde le malade. Il n’est pas toujours définitif et le patient se rend vite compte qu’il s’agit de son confort et devient coopérant. Il s’avère inutile d’insister, de rendre le soin agressif [8] et il est essentiel d’essayer de comprendre les raisons du refus. La désorientation, le sentiment d’effraction, la douleur, la fatigue, le sentiment d’être discrédité, l’absence d’habitudes d’hygiène, la saveur des produits, la révolte, le mauvais choix du moment et la dépression en sont les causes majeures. Afin de faciliter la coopération du malade, au temps et à l’information concernant l’hygiène, il faut ajouter douceur, respect et bienveillance. Si l’adhésion du malade n’est pas recherchée, il peut devenir objet de soin.

Comment atténuer la souffrance des soignants afin de renforcer la qualité des soins ? La souffrance de l’autre fait de temps en temps écho à notre propre histoire. Avoir l’opportunité de travailler avec un psychologue permet d’accompagner durablement la personne tout en étant soi-même moins affecté. Le travail en équipe est un moyen de poursuivre ensemble un projet d’accompagnement et de partager les difficultés. La souffrance et le deuil doivent faire l’objet d’une réflexion sur soi, mais étayée par un travail au sein de l’institution, par l’intermédiaire des groupes de parole ou de supervision infirmière. Chaque soignant a besoin d’écoute afin d’être à même de « prendre soin », de soutenir la personne dans les derniers instants de sa vie, de trouver du sens à ce temps de l’agonie. Les professionnels de soins palliatifs ont aussi le devoir d’actualiser et de perfectionner leurs connaissances, de développer leurs capacités relationnelles au même titre que leurs compétences techniques et scientifiques, pour garantir le confort, la sécurité des personnes, la réflexion éthique et la qualité des soins.

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s’exposent à donner et à recevoir, à dévoiler leur profonde humanité. Les émotions émanent au travers des gestes, des attitudes et des regards et constituent une communication haute symbolique. La compréhension s’élabore au travers du vécu des corps. Tous ces « petits gestes » remplis de tact, de créativité, d’habiletés professionnelles techniques et d’humanité procurent un grand soulagement au malade. Les soins corporels sont des moments essentiels pour déceler une aggravation, un lâcher prise ou au contraire un mieux-être global. Les soignants ont peut-être aujourd’hui à redécouvrir le sens des soins corporels. Ceux-ci sont incontournables pour améliorer le confort physique des personnes en fin de vie, afin de leur permettre de respirer sans difficulté, de s’hydrater et de s’alimenter jusqu’à leur mort. Ils permettent aussi de prévenir la douleur et les autres symptômes (escarres, encombrement, infections buccales…). Il s’agit là également d’améliorer et de conserver la relation aux proches et aux soignants. Chacun est conscient que ne pas réaliser les soins corporels ajoute à la détresse des familles. La qualité des soins apportés au corps atténue les difficultés de l’entourage et permet qu’il puisse accompagner leur proche malade jusqu’au décès. La détérioration de l’image corporelle des malades entraîne des « deuils anticipés ». C’est restaurer l’image corporelle, aider le malade à conserver l’estime de soi et donner sens à la vie jusqu’au bout. Les aides-soignantes et infirmières vivent au quotidien ce corps à corps, lors de ces soins dits « de Sans avoir la volonté base » et pourtant essentiels, où se donne à voir à la fois ce qu’il reste de l’agresser, de plaisir ou de souffrance à partale malade fait violence ger. Pour les aider à continuer à s’inau soignant. vestir et à réinventer au quotidien les soins corporels, il faut leur donner la formation et les moyens de parler de leurs sentiments de dégoût, de leur désir de mort et lutter contre le refoulement inconscient ou imposé.

Références

Conclusion Prodiguer des soins corporels en fin de vie comporte des exigences. Les soignants utilisent et offrent leur propre corps, afin de mener à bien le soin, afin de manifester leur disponibilité, leur bienveillance, leur humilité et leur compassion pour un semblable en souffrance. Il s’agit de tendre vers une relation qui cherche à s’exercer sur un même pied d’égalité, ce bien que l’inégalité existe tant sur le plan physique que psychologique, à cause de la maladie et de la dépendance. Une relation où soignant et soigné

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Les soins du corps en fin de vie : compétences, humanité et respect… l’essence des soins infirmiers

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