Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ?

Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ?

LETTRE À LA RÉDACTION Med Pal 2006; 5: 63-64 © Masson, Paris, 2006, Tous droits réservés Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? G.-O. Caris...

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LETTRE À LA RÉDACTION

Med Pal 2006; 5: 63-64 © Masson, Paris, 2006, Tous droits réservés

Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? G.-O. Carissimo, CHS A. Bousquet, Nouméa.

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embre de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, et toujours convaincu de la nécessité de défendre les plus vulnérables, il m’arrive pourtant de douter du bien fondé de certaines argumentations proposées par notre association. Outre le fait, sur lequel je passe rapidement, que nous pourrions apparaître à tord comme corporatistes (les soins palliatifs sont-ils une spécialité ?), il me semble de plus en plus que nous évitons trop facilement les questions qui fâchent, soit pour nous concentrer sur les aspects techniques certes nécessaires, soit pour nous contenter d’une tolérance de bon aloi, qui me fait craindre qu’à force de biaiser, nous n’ayons finalement plus rien à défendre. Sans rester figés sur des principes, sommes-nous encore capables d’un questionnement susceptible de nous faire avancer et d’apporter des arguments solides ; sinon à nos détracteurs, au moins aux « forces de défiance à la vie » qui rongent nos convictions ? La question de la fin de vie pose au fond trois questions fondamentales, dont la résolution toujours historiquement variable témoigne avant tout de la façon dont nous envisageons l’avenir ensemble. Société de défiance ou société de confiance pour reprendre la terminologie de A. Peyrefitte ? Quelle est l’option de la SFAP ? Trois questions donc : – la question de l’acharnement ; – la question de la bonne mort et enfin ; – sans doute la plus cruciale, celle de l’autonomie. En souscrivant à la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie n° 2005 – 370 du 22 avril 2005, la SFAP ne dévie-t-elle pas de sa ligne sur ces trois questions ? Je pense que oui et c’est ce qui motive cet écrit. Concernant l’acharnement, il est bien sûr admis par tous que la pratique des soins palliatifs ne découle pas – ne devrait pas découler – du choix de l’arrêt des pathologies dites curatives. L’un et l’autre sont non seulement complémentaires mais indissociables. En effet, ce qui décide notre choix de thérapeute, c’est l’objectif : ce que nous pouvons raisonnablement obtenir pour le patient que nous considérons au moment du choix. Pour autant, les soins palliatifs sont aussi un acharnement. Celui de maintenir le malade en relation jusqu’au bout. Qu’on espère diriger vers l’intérêt du patient. Les moyens que nous réclamons sont là pour témoigner de cet activisme. La loi, en inscrivant le refus de l’obstination

déraisonnable et la possibilité d’arrêter ou de ne pas entreprendre des soins futiles, introduit qu’on le veuille ou non, une prime au renoncement. N’est-il pas futile de rester en relation avec un mourant ? Déraisonnable que sa vie soit vécue en pleine conscience ? La vraie question n’est donc pas celle de l’utilisation de telle ou telle technique, laquelle relèverait d’un acharnement ou d’une quelconque obstination mais celle de l’objectif poursuivi pour et avec le patient. Le soin ne peut être jugé inapproprié, inadéquat, incompétent et hors de proportion qu’au regard de l’objectif recherché. « Objectif » dont la loi bien sûr, ne parle pas. À quoi bon vouloir à tout prix rester en relation avec ce quelconque individu dont on sait qu’il va mourir sous peu ? « À tout prix… » L’acharnement déraisonnable que nous défendons, celui du « faire vivre jusqu’au bout » a effectivement un prix. La loi ne Les soins palliatifs lui laisse aucune chance. sont donc aussi Le risque ouvert par l’article 2 d’une euthanasie une forme déguisée n’est pas que d’activisme médical. théorique. La question de la bonne mort est très personnelle. Quelle mort souhaitonsnous pour nous-mêmes et quelle image de celle-ci véhiculent nos pratiques ? L’idéal de notre propre mort est-il dans l’ignorance de son apparition et de son action, mort subitopresto ou plutôt mort apprivoisée, peut-être refoulée mais approchée, acceptée et pourquoi pas préparée. Sans doute y avons-nous réfléchi mais pour intime qu’elle soit, cette question est aussi collective et ne peut pas ne pas engager la SFAP. C’est une banalité de dire que l’appréciation que nous avons de nous-mêmes dépend du regard de l’autre. Chaque comportement est étroitement lié aux interactions qu’il entretient avec les autres. La loi n’est pas ambiguë sur ce thème, elle stigmatise le malade complexe et aporétique et le conforte dans son choix de ne pas accepter un état dont personne ne veut. Il est socialement correct de mourir vite et bien, si possible sans se plaindre, ni souffrir. À ce compte, la « bonne mort palliative » ne devient que l’habillage conceptuel de l’élimination acceptée par la société, des malades incurables, coûteux et pour le moins inconséquent de prétendre rester en vie. Le cas des malades inconscients, traités dans la loi, est à ce point caricatural qu’il en devient efAdresse pour la correspondance :

Médecine palliative

Carissimo GO. Les soins palliatifs ont-ils encore un avenir ? Med Pal 2006; 5:

G.-O. Carissimo, Centre de gérontologie clinique, CHS A. Bousquet, BP 120, 98845

63-64.

Nouméa Cedex.

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frayant. Par définition, l’inconscient n’a pas conscience de son état. Au nom de quoi devrait-on juger de l’intérêt, de l’avantage, de la nécessité, de l’utilité de le laisser en vie ? Quelle légitimité a-t-on pour juger de la qualité de vie d’un être qui, de fait, ne peut plus dire ce qu’il en pense ? Quelles sont les vies dignes d’être vécues ? En vérité, entre toutes et aucune, il faut choisir. N’avons-nous pas à la SFAP, vocation de les défendre toutes ? Bien sûr, la question de l’autonomie est la plus cruciale. De quel droit en effet interdire à quelqu’un de conscient, la possibilité de se suicider quand il est dans l’impossibilité de le faire seul et sans aide ? C’est la vraie question de l’autonomie. Le suicide est-il un droit ? Bien sûr c’est une possibilité, pour quiconque a encore les moyens d’une action contre lui-même, mais est-ce un droit ? Oui pour l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité qui de fait, emploie le terme. Mais pour la SFAP ? Y avons-nous suffisamment réfléchi ? La loi ne tranche pas. Mais elle élargit de fait la possibilité d’action offerte aux patients conscients. Plus précisément, en laissant le bénéfice de l’intentionnalité aux thérapeutes, elle lui facilite certainement le renoncement face à une demande d’aide d’un patient. J’avoue ne pas être moi-même au clair sur cette question. Sur quels arguments, en effet, interdire à une personne le choix de renoncer à la vie en pleine autonomie ? Certes l’autonomie suppose le discernement et l’implication personnelle mais ces deux objections levées, que reste-t-il ? Le fait est, en tout cas, que dans la pratique, les équipes écoutent toujours plus volontiers une demande d’aide au suicide qu’une demande de tendresse ou même qu’une simple de-

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mande d’attention. Et ce n’est pas la compassion qui manque ! Il est en effet toujours plus aisé de répondre par une action qui ne nous implique pas (la mort de l’autre nous reste étrangère) qu’à une demande qui nous oblige. Aura-t-on toujours la force de chercher et de traiter ce qui fait souffrir nos patients si rien ne nous y contraint ? Il m’arrive d’en douter. Les législateurs ont-ils entendu la nouvelle crainte qui monte à propos de leur loi : le risque d’être euthanasié, fusse par compassion, au moindre signe évocateur d’un quelconque désespoir ? Y a-t-il encore débat à la SFAP ou tout est-il dit ? Bien sûr, on ne peut pas revenir sur la loi du 22 avril 2005 mais, encore une fois, la SFAP n’a-t-elle pas dévié de sa ligne en y souscrivant ? Il me semble important de poursuivre le débat, peut-être de creuser nos fondamentaux : les soins palliatifs sont un acharnement à faire vivre plutôt qu’à maintenir en vie, il n’y a pas de bonne mort, nos choix autonomes dépendent pour l’essentiel du système de contrainte dans lequel nous évoluons. Sur ce dernier point, la façon dont le cas de V. Humbert a été récupéré pour le débat est emblématique. Nul n’a semblé se poser la question de savoir pourquoi ce jeune garçon en est arrivé à souhaiter sa mort. D’évidence, il a paru à tous fondamentalement normal qu’un jeune tétraplégique souhaite mourir. Peut-être devrions-nous nous enrichir de « systémique » et de « résilience » ? Encore faudrait-il, pour se faire, que nous ayons le sens du militantisme. Autant dire l’envie de défendre une « certaine idée » de la vie commune.

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