Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 74–78
Conclusions
Les neurosciences : un avenir pour la neuropsychiatrie Neuro-Sciences: a future for neuropsychiatry J.-P. Luauté a,*, J.-F. Allilaire b a
Service de psychiatrie générale, centre hospitalier Romans-St-Vallier, 25, rue de la République, 26100 Romans, France b Service de psychiatrie, la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France
Résumé La neuropsychiatrie, dans une définition restreinte, concerne des affections cérébrales se présentant sous un aspect à la fois psychiatrique et neurologique. Son étude doit être encouragée car certaines de ces affections sont en pleine expansion parce que leur valeur doctrinale est considérable quant à l’élucidation du substratum matériel des troubles psychiatriques primaires. D’une façon plus générale, la neuropsychiatrie est une discipline de niveau intermédiaire, située entre le lésionnel et la clinique, qui a comme objectif de rapprocher ces deux niveaux. Son avenir est assuré, car rien ne pourra jamais empêcher l’application – si elle est raisonnée – aux troubles mentaux, des méthodes d’exploration nouvelles issues des neurosciences. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Neuropsychiatry, in a narrow definition, concerns itself with brain disorders appearing both under a neurological and psychiatric aspect. Its study must be encouraged in view of the fact that some of these disorders are currently in full development, as well as because their doctrinal value is considerable regarding the elucidation of the material support of primary psychiatric disorders. Generally speaking, neuropsychiatry is a discipline taking place at half level between the lesion and its clinical expression whose object is to bring together these two levels. Its future is secure in that nothing will ever prevent the application – if reasonnable – to mental disorders, of new exploratory methods of the brain steming from neurosciences. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Imagerie cérébrale ; Neuropsychiatrie ; Neurosciences ; Sciences cognitives Keywords: Cerebral imagery; Cognitive sciences; Neuropsychiatry; Neurosciences
Comme nous l’espérions, les conférences et communications que nous avons entendues vont nous permettre de répondre affirmativement à la question qui faisait le thème de cette journée. Non seulement la neuropsychiatrie existe – même si la spécialité qui portait ce nom a officiellement cessé d’exister en 1968 – mais les neurosciences sont en train de lui donner une nouvelle impulsion. À vrai dire, la neuropsychiatrie n’avait pas disparu, et elle ne pouvait pas disparaître, et ce pour au moins deux grandes raisons. La première c’est que des affections associant des signes neurologiques et psychiatriques existent naturellement et que l’époque contemporaine a même tendance à en accroître le * Auteur correspondant. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2003.12.007
nombre. Que l’on songe aux graves troubles du comportement, secondaires aux traumatismes crâniens par accident de la voie publique si fréquents chez le jeune, et à tous les aspects psychiatriques des pathologies liées à l’âge (affections cérébrales dégénératives, AVC, Maladie de Parkinson, etc.) en pleine expansion du fait du vieillissement de la population. Des neurologues, comme le Professeur J. Touchon, ont pris la mesure de l’importance de ces situations en introduisant une nouvelle discipline : la « Neurologie des Comportements » dont les objectifs nous paraissent bien proches de ceux de la neuropsychiatrie actuelle. La deuxième raison est tout aussi naturelle. « Les hommes pensent suivant la disposition de leur cerveau », a dit Spinoza il y a bien longtemps, et la tendance à vouloir relier les
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troubles de l’esprit à ceux du cerveau est inscrite dans le fonctionnement cérébral de certains psychiatres. Mais d’où vient que la majorité des psychiatres en France se soient pendant des années détournés de cette tradition empiriste– mécaniste ? Parmi plusieurs raisons, cette désaffection provient, à notre avis, de l’inadéquation des méthodes d’exploration de l’encéphale, qui s’étaient montrées fécondes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, pour fournir les localisations et les critères neuropathologiques qui ont permis, en les faisant correspondre avec la clinique, l’isolement des grandes entités neurologiques, mais qui s’étaient révélées impuissantes à découvrir le substrat neuronal de la démence précoce, pour évoquer une des affections mentales les plus graves et dont l’origine cérébrale paraissait de ce fait vraisemblable. C’est sur ce terrain laissé libre que s’était répandue, à cette même époque, l’idée qu’il était possible, sinon d’expliquer, du moins de comprendre toute la pathologie mentale à partir de thèses psychodynamiques puis plus tard psycho-socio-génétiques, thèses séduisantes, généreuses mais insuffisantes. Certes des cliniciens avertis étaient bien conscients que les particularités cliniques des affections mentales essentielles (ou primaires, pour utiliser la terminologie actuelle) ne pouvaient pas correspondre au modèle lésionnel des affections neurologiques de l’encéphale, et que les lésions responsables des troubles psychiatriques devaient être de nature différente, mais les preuves manquaient. Ce n’est qu’à partir des années 1950 avec l’introduction de l’encéphalographie gazeuse que les premiers résultats sont venus apporter un début d’arguments aux psychiatres qui n’acceptaient pas une conception anorganique des troubles mentaux, notamment des grandes psychoses, dont on rappelle qu’elles avaient même, un moment, été désignées comme des psychoses fonctionnelles. On citera Michel Feld [5] qui, dans une communication devant notre Société en 1957, déclarait : « L’éclosion de la schizophrénie exige un cerveau quantitativement peu atteint » et il estimait – décrivant avant la lettre l’hypothèse neuro-développementale – que les lésions d’atrophie cérébrale qu’il avait découvertes lui faisaient penser à des « lésions anciennes, reliquat d’une première atteinte cérébrale, de chronologie variable, intrautérine ou post-natale ». Le débat, ou plutôt la polémique entre les tenants de l’organogenèse, vs ceux de la psychogenèse, est dépassé et les données de l’imagerie cérébrale dans les affections mentales les plus graves, qui devraient être maintenant connues de tous, ne permettent plus de se hasarder à défendre une psychiatrie totalement brainless. Inversement, il ne viendrait pas à l’esprit des psychiatres actuels les plus organicistes de nier l’influence des facteurs psychologiques de milieu agissant très précocement. Par exemple, des travaux actuels sur le stress permettent de faire le lien entre la trace que des expériences traumatiques précoces ont laissée et l’importance que prennent les stress actuels chez ceux qui sont porteurs de tels facteurs de vulnérabilité, même si le support matériel de cette vulnérabilité est conjectural. Il est paradoxal de constater que la disparition officielle de la neuropsychiatrie a coïncidé, à quelques années près, avec
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l’apparition des méthodes d’exploration de l’encéphale, non traumatiques, qui sont actuellement à l’origine de son renouveau. Nous pensons aux méthodes d’imagerie morphologique mais surtout fonctionnelle. Le 26 mai dernier, Jean Garrabé, lors de la séance solennelle que la Société médicopsychologique a consacrée au centenaire de Pierre Lôo, nous rappelait que l’encéphalographie gazeuse fractionnée, déjà mentionnée, avait déjà, bien avant le scanner X, démontré la présence d’anomalies morphologiques, ce qui avait posé le problème de l’écart anatomoclinique, problème qui n’était pas jusqu’à présent résolu. Sa remarque est restée longtemps juste mais l’on dispose maintenant de moyens d’exploration beaucoup plus performants avec l’IRM, si l’on veut étudier distinctement la substance blanche et la substance grise, et il existe depuis peu des logiciels d’analyse qui permettent des analyses morphométriques voxel par voxel extrêmement fines. Cette dernière méthode a déjà permis de découvrir, parmi les travaux récents réalisés par nos collègues travaillant à Orsay, des réductions localisées de substance grise corrélées à certaines dimensions cliniques de dépression et des anomalies structurelles des lobes temporaux dans l’autisme infantile. Cela dit, nous sommes bien d’accord avec Florence Lebert quant à la prudence avec laquelle il faut interpréter les images découvertes, car ce qui importe est bien le lien avec la clinique. Mais, ce n’est pas tant les méthodes d’imagerie cérébrale morphologique qui ont fait progresser les connaissances en psychiatrie et qui ont fait abandonner la conception « fonctionnelle » des grandes psychoses [12], que les méthodes d’exploration fonctionnelle. Ces méthodes – tomoscintigraphie (SPECT), puis tomographie par émission de positons et maintenant IRM fonctionnelle – correspondent bien mieux en effet à l’étude des phénomènes habituellement réversibles que nous constatons en psychiatrie. Ce sont elles, ainsi que la MEG, l’électrophysiologie notamment avec les potentiels évoqués cognitifs, qui permettent de commencer à réduire ce fameux écart anatomoclinique. Loin du mode de pensée strictement localisationniste, l’imagerie cérébrale fonctionnelle, surtout dynamique, permet de commencer à comprendre comment l’ensemble du cerveau réagit, c’est-à-dire s’active ou s’inhibe lors des tâches précises qui lui sont imposées : tâches expérimentales artificielles mais, mieux encore, tâches naturelles, analogues ou même semblables à celles qui font apparaître la symptomatologie. Ainsi dans le domaine qui nous intéresse depuis des années – le syndrome de Capgras – nous pensons, avec le Professeur H. Ellis, que la nature interprétative de ce phénomène, c’est-à-dire le fait que la méconnaissance du proche ne se produise qu’en sa présence, devrait déboucher sur la provocation du phénomène (grâce à une vidéo du proche par exemple) en même temps que l’on enregistrerait en IRMf ses corrélats cérébraux. Un autre pont a été jeté entre la lésion et le symptôme par la neuropsychologie cognitive. Par lésion, il faut entendre du reste l’ensemble des modifications et traumatismes qui sont venus altérer le fonctionnement normal du cerveau, éventuellement au niveau le plus intime ; ainsi on n’hésitera pas à
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parler d’une « lésion biochimique », et même, en amont de celle-ci, de la « lésion du gène » constituée par sa mutation. Il est remarquable que dans l’Éditorial [2] par lequel Anthony David a introduit en 1993 le concept de neuropsychiatrie cognitive – en rendant hommage à Hadyn Ellis qui a inventé le terme – il ait défendu le rôle de jonction dévolu à cette nouvelle discipline, à partir de ce constat d’évidence rappelé par Jones et Murray : « Les gènes codent pour des protéines et non pas pour des hallucinations auditives à la troisième personne. » On peut être en effet saisi de vertige non pas devant l’écart anatomoclinique mais devant le véritable fossé qui sépare la mutation du gène et son expression psychopathologique. La neuropsychiatrie est cette discipline de niveau intermédiaire, située entre le lésionnel au sens large et la clinique, qui utilisant les méthodes des neurosciences a comme objectif de rapprocher ces niveaux. On soulignera combien elle se différencie ainsi du mouvement dit de psychiatrie biologique qui, dans une version naïve et parce qu’il s’était éloigné de la clinique, a déçu les espoirs que l’on avait fondés sur lui. Il faut ici rappeler avec Le Moal [8] l’échec des tentatives visant à découvrir des marqueurs d’entité, car il n’existe pas en psychiatrie de symptomatologie pathognomonique caractérisant les dites entités, ce que Pierre Marchais avait depuis longtemps souligné avec ses « mouvances psychopathologiques » [10]. Peut-être faut-il aussi abandonner l’espoir (qui serait une illusion) de découvrir une anomalie commune à un ensemble de phénomènes mal délimités, nous pensons bien sûr à la schizophrénie, et revenir à l’étude de troubles précis et indiscutables, nous en reparlerons. Ainsi, si les travaux de Stöber et de Meyer se confirment [11] quant à l’isolement d’une mutation associée, dans certaines familles, à l’apparition d’une catatonie périodique, il faudra saluer la démarche d’abord clinique qui a su faire le choix de ce phénotype. Et si ces travaux se confirment – et cette découverte serait alors considérable – il faudra donc passer de la mutation du gène à la symptomatologie ! C’est là où se situe, nous y revenons, la place de la neuropsychiatrie et de ses méthodes qui est de rechercher en quoi ces symptômes, ou syndromes, représentent le déficit de capacités comportementales et fonctionnelles physiologiques. Au total, une définition large de la neuropsychiatrie va être représentée par l’ensemble des troubles mentaux, pour autant qu’on puisse les relier à une modification lésionnelle ou fonctionnelle du cerveau, que celle-ci soit à l’origine du phénomène clinique ou n’en constitue qu’une traduction cérébrale. Cette définition n’exclut donc en rien l’intervention de facteurs purement psychologiques à l’origine du trouble. Ainsi des travaux inspirés par la neuropsychiatrie cognitive, réalisés par nos collègues britanniques chez des patients atteints de conversion hystérique, ont permis de constater que les mêmes régions cérébrales étaient impliquées, que le trouble – par exemple une pseudoparalysie d’un membre – soit observé au cours d’une conversion ou réalisé par une simulation consciente (pour une revue voir [9]). Il ne paraît donc plus illusoire de vouloir inscrire un trouble fonctionnel, ou psychogène, indiscutable dans un schéma général
concernant une fonction cérébrale définie. Ainsi B. Croisile a souligné combien la compréhension des amnésies fonctionnelles pouvait bénéficier des travaux en cours sur l’organisation anatomique et fonctionnelle de la mémoire et, inversement, combien ces phénomènes pouvaient renseigner sur cette organisation. On voit comment la neuropsychiatrie, car son exposé se situe dans cette tradition, ne se résout nullement à cette sorte de matérialisme ou de positivisme dans laquelle certains voudraient la renvoyer. Dans une définition plus limitée, le domaine de la neuropsychiatrie va être celui des affections cérébrales définies se présentant sous un aspect à la fois neurologique et psychiatrique. On a déjà cité en introduction les démences avec la redécouverte, par certains neurologues (probablement jeunes), qu’elles comportaient des troubles non cognitifs, par exemple des idées délirantes. L’exemple de la démence est instructif car il s’agit d’une pathologie que l’on considérait autrefois comme typiquement psychiatrique, troubles cognitifs compris, et que l’on a vu basculer dans le champ de la neurologie (et de la gériatrie) en raison de la désaffection de la majorité des psychiatres pour tout ce qui concerne le cerveau (nous mettons ici à part les psychiatres qui s’intéressent aux aspects émotionnels et relationnels présentés par ces malades ou leurs proches). Il y a certes, comme nous l’a dit le Professeur Lantéri-Laura, nécessité de se spécialiser et il vaut mieux restreindre son domaine de compétence plutôt que d’être médiocre en tout, mais, ne plus se soucier des conditions matérielles d’apparition d’affections comme les démences, l’épilepsie, les affections des noyaux gris, la maladie des tics, etc., constitue un risque intellectuel majeur. Ce risque, c’est celui de se laisser enfermer dans des schémas étiopathogéniques étroits et dogmatiques, de s’éloigner du mouvement scientifique, de manifester une incompréhension vis-à-vis des familles qui, elles, sont au contraire à l’affût de la nouveauté et prêtes à tout accepter – nous pensons aux familles d’autistes bien sûr. Il convient ici de faire un retour en arrière, exactement de 60 ans, à Bonneval où avait lieu, à propos des rapports de la neurologie et de la psychiatrie, la confrontation historique entre Ajuriaguerra et Hecaen, deux tenants d’une psychiatrie organiciste, et Henri Ey qui défendait sa théorie organodynamique ; l’ouvrage correspondant sera publié en 1947 [3]. Dans le préambule, Henri Ey reprenait sa célèbre définition de la neurologie en tant que science des désintégrations instrumentales partielles et basales par rapport à la psychiatrie, science des dissolutions apicales et globales. Ajuriaguerra et Hecaen, face à la doctrine, proposaient toute une série de faits cliniques qui ne leur permettaient pas d’y adhérer, lesquels faits étaient tous récusés par le Maître avec deux critiques principales. L’une était que ses contradicteurs voulaient expliquer le complexe à partir du simple et le supérieur à partir de l’inférieur, l’autre était qu’ils cherchaient à tirer arguments de formes de passage ou d’exception au détriment de ce qui constitue la règle. Avec cette deuxième critique, Henri Ey méconnaissait ainsi complètement la valeur heuristique des cas frontières. On sait qu’il ne
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variera pas dans sa conception et, dans son magistral Traité des hallucinations [4], il va défendre mordicus et sur des arguments de principe, et même de dogme, la différence essentielle qui séparerait, selon lui, l’hallucination de l’hallucinose. Pendant ce temps, Hecaen créait la neuropsychologie et, à propos de la différence entre hallucinose et hallucination, décrivait avec Ropert les hallucinations auditives des otopathes [7], lesquelles comportent des formes de passage dont la signification nous est aussi apparue considérable. Quant à la première critique d’Henri Ey, elle est classique, c’est celle du réductionnisme, celle qui, comparant un phénomène simple à un autre plus complexe, peut faire craindre à certains cliniciens que l’on abandonne, avec la notion de complexité, la réflexion psychopathologique elle-même, laquelle serait seule capable de saisir des phénomènes dans leur signification humaine. C’était le sens de l’intervention de M. Schweitzer et al. Ce risque existerait en effet si l’on se dirigeait vers une psychiatrie, qui après avoir été brainless deviendrait mindless. Ce risque nous paraît bien hypothétique, et l’on soulignera au contraire le caractère fécond de l’application à des phénomènes cliniques apparemment simples des schémas cognitifs élaborés construits pour rendre compte des phénomènes complexes. Ainsi le modèle proposé par Chery-Croze [1] des hallucinations auditives les plus élémentaires : les acouphènes, se révèle déjà d’une belle complexité puisqu’il intègre, dans des circuits autoentretenus, des facteurs émotionnels attentionnels, etc., ceux-là mêmes que l’on invoque dans les modèles d’hallucinations auditives des psychotiques. Faut-il aussi rappeler que les psychiatres n’ont ni le monopole du cœur ni celui de « l’affectivité » et que les neurologues, même quand ils explorent les « désintégrations instrumentales », ne sont pas des mécaniciens du cerveau. La présentation par le Professeur Boisson de sa belle observation de somatoparaphrénie est éloquente à cet égard. À l’encontre d’Henri Ey, nous pensons que ce sont les formes frontières plus que les formes typiques qui peuvent nous livrer le plus d’enseignement. On distinguera : • les entités symptomatiques, et il faut ici remercier le Professeur Turpin d’être venu nous interpeller à propos de l’une d’entre elles. Comment en effet expliquonsnous la présentation typiquement psychotique (et parfois isolée pendant des années) de certaines affections du système nerveux central ? C’est un sujet passionnant et l’on peut regretter qu’il soit délaissé par les psychiatres actuels. Bien sûr, il peut y avoir des différences de tableau clinique, mais dans bien des cas, et le Docteur Lemoine l’a souligné à propos des dépressions, il y a identité de présentation au point que ces malades atteints d’affections symptomatiques ont été traités pendant des années comme des formes essentielles ; • les symptômes (ou syndromes) que l’on observe là aussi à l’identique, ou avec des différences minimes, lors des pathologies définies du système nerveux et lors des troubles psychiatriques primaires. Ces cas soulèvent moins de discussion. Parmi ceux qui sont actuellement
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les plus étudiés, on citera toute une série de troubles bien délimités situés en marge de la neurologie et de la psychiatrie (pathologies des confins) tels que les délires d’identification des personnes, les TOC, l’athymhormie, la dépersonnalisation, la catatonie. L’approche actuelle est trans-nosologique et les malades sont explorés de la même façon, quelle que soit leur appartenance. Au plan théorique, on suppose qu’une atteinte cérébrale (même minime), ou une dysfonction localisée, est nécessaire et va interférer avec une fonction cérébrale définie. Si l’on s’appuie sur la neuropsychologie cognitive il faudra en accepter ces prémisses, c’est-à-dire que la fonction étudiée repose sur un processus modulaire et séquentiel où la tâche à accomplir se fait selon des unités indépendantes les unes des autres. Nous mettrons à part les troubles psychiatriques qui paraissent sémiologiquement proches d’un trouble neurologique qui servirait alors de modèle lésionnel. Cette voie a voulu étudier par exemple la schizophasie sur le modèle de l’aphasie, la catatonie sur le modèle d’une pathologie des noyaux gris. Cette voie est pratiquement abandonnée car ces rapprochements étaient souvent hasardeux, et ils n’ont rien apporté du reste. Le risque était effectivement, comme l’avait souligné H. Ey, de faire disparaître la spécificité et l’originalité du fait psychiatrique. Enfin, bien qu’il s’agisse de troubles d’origine indiscutablement lésionnelle, il nous paraît important que les psychiatres continuent à s’intéresser à des phénomènes aussi curieux que le membre-fantôme, les somatoparaphrénies, la main étrangère, etc., car la compréhension de ces troubles apportée par l’imagerie fonctionnelle (rôle de la plasticité neuronale, réorganisation des aires de projection corticale) constitue une source précieuse de réflexions quant au substratum matériel de certaines affections purement psychiatriques. En résumé, l’étude des symptômes, syndromes et même des entités, quand elles sont symptomatiques, serait à réhabiliter et pourrait même être qualifiée de méthode neuropsychiatrique proprement dite. On accordera toutes leurs valeurs aux observations particulières détaillant des cas uniques ou des petites séries de cas, études actuellement dévalorisées en psychiatrie car considérées, par beaucoup, comme anecdotiques, alors que les neurologues – il suffit de lire la Revue Neurologique – savent tout le parti que l’on peut en tirer. Nous pensons que ces études de cas, qui sont toujours bienvenues à la Société médicopsychologique, peuvent permettre à des cliniciens éloignés des centres universitaires et/ou rebutés par la lourdeur des méthodologies de participer à la recherche. L’étude des formes frontières nécessite certes l’utilisation des outils actuels que sont la neuropsychologie, l’imagerie, l’électrophysiologie, mais, nous pouvons en témoigner, les spécialistes hospitaliers qui ont l’expérience de ces techniques sont ouverts aux études collaboratives, pour peu que le problème soit bien posé. Avec cet espoir, nous voudrions, pour conclure, ajouter que la neuropsychiatrie (on peut lui trouver un autre nom si celui-ci rebute) représente, grâce aux neurosciences, un point
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d’ancrage pour une spécialité, la psychiatrie, qui traverse une grave crise d’identité, dont elle pourrait même périr d’après des scénarios catastrophes [6]. Nous tenions à le dire avant les États Généraux qui s’ouvrent demain.
Références [1] [2] [3] [4]
Chery-Croze S. Les acouphènes. Conceptions à la lumière des données récentes. Neuropsy News 2003;2, 4:120–30. David AS. Cognitive neuropsychiatry? Editorial Psychol Med 1993; 23:1–5. Ey H, Ajuriaguerra J, Hecaen H. Les rapports de la neurologie et de la psychiatrie. Paris: Hermann et Cie; 1947. Ey H. Traité des hallucinations. Paris: Masson; 1973.
[5]
Feld M. Vers une physiopathologie cérébrale de la schizophrénie. Ann Méd Psychol 1957:942–50. [6] Griez E. L’évidence scientifique remet-elle la psychiatrie en question ? Halopsy 2000;23:11–6. [7] Hecaen H, Ropert R. Les hallucinations auditives des otopathes. Journal de Psychologie Normale et Pathologique 1963;60:293–324. [8] Le Moal M. Modèles et psychopathologie. Aspects théoriques. Encycl Med Chir 1992:1–8 (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-040-C10. [9] Luauté J-P. Neuropsychiatrie cognitive de la conversion hystérique. Neuropsy News 2002;1:54–5. [10] Marchais P. Les mouvances psychopathologiques. Essai de psychiatrie dynamique. Paris: Érès; 1983. [11] Stöber G, Saar K, Rüschendorf F, Meyer J, et al. Splitting Schizophrenia: Periodic Catatonia-Susceptibility Locus on Chromosome 15q15. Am J Hum Genet 2000;67:1201–7. [12] Tyrer P, Mackay A. Schizophrenia: no longer a functional psychosis. TINS 1986:537–8.