Les troubles cinétiques labiaux

Les troubles cinétiques labiaux

Annales de Chirurgie Plastique Esthétique 47 (2002) 390–401 Article original Les troubles cinétiques labiaux Lips kinetic disorders T. Alix a, L. Ca...

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Annales de Chirurgie Plastique Esthétique 47 (2002) 390–401

Article original

Les troubles cinétiques labiaux Lips kinetic disorders T. Alix a, L. Carluer b, H. Bénateau a, D. Labbé a,* a

Service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, chirurgie plastique et reconstructive, CHU de Caen, Côte-de-Nacre, 14033 Caen, France b Service de neurologie, CHU de Caen, 14033 Caen, France

Résumé Les troubles cinétiques des lèvres sont nombreux et d’expression clinique variée. Un examen clinique précis permet d’évoquer l’origine neurogène, neurologique, myogène, musculaire, médicamenteuse, cutanée ou psychiatrique du trouble. Les auteurs proposent une revue des différents diagnostics à envisager, afin d’orienter les explorations complémentaires et demandes d’avis spécialisés, avant une éventuelle chirurgie. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract There are many lips kinetic disorders whose clinical appearances greatly differ. An acute examination directs toward the diagnosis on a neurologic, neurogenous, muscular, myogenous, medicamentous, dermatological or psychiatric etiology. The authors review the different etiologies that have to be discussed, in order to choose the appropriate further investigations and specialized examinations, before a possible surgical treatment. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Lèvre; Paralysie faciale; Moebius; Troubles du mouvement Keywords: Lip; Facial palsy; Moebius; Movement disorders

1. Troubles dynamiques d’origine périphérique 1.1. Par atteinte du nerf facial Alors que certaines paralysies faciales régressent complètement, d’autres laisseront des séquelles labiales aux répercussions psychologiques majeures [1]. Il s’agit d’une disgrâce « affichante » pour Michel Stricker [2]. Nous décrirons tout d’abord la paralysie faciale unilatérale totale avec une paralysie complète de la lèvre supérieure et de la lèvre inférieure. Mais tous les intermédiaires existent entre la paralysie totale de la lèvre supérieure, de la lèvre inférieure et la parésie touchant les deux lèvres, que seul un examen clinique précis pourra détecter

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Labbé). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 2 9 4 - 1 2 6 0 ( 0 2 ) 0 0 1 4 9 - 8

en demandant au malade des mouvements volontaires sur chacun des muscles des lèvres supérieures et inférieures [3] (Fig. 1). 1.1.1. Paralysie faciale périphérique unilatérale totale C’est l’affection la plus à même d’être prise en charge par un traitement chirurgical. L’asymétrie est le maître mot dans ces paralysies faciales unilatérales. Le diagnostic est facile chez un sujet conscient et assis, beaucoup plus difficile chez le sujet dans le coma où la manœuvre de Pierre Marie et les examens complémentaires pourront aider. Le diagnostic est également difficile chez le très jeune enfant où seule pourra être analysée l’asymétrie L’ hypotonie : avec chute de la commissure, obliquité de la fente labiale, la ligne bi-commissurale étant abaissée du côté paralysé. Il existe un « faux allongement » de la lèvre

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Fig. 2. Anatomie des muscles peauciers des lèvres (nouvelle nomenclature). 1 Muscle releveur naso-labial. 2 Muscle petit zygomatique. 3 Muscle grand zygomatique. 4 Muscle orbiculaire de la bouche. 5 Muscle abaisseur de l’angle de la bouche. 6 Muscle releveur de la lèvre supérieure. 7 Muscle releveur de l’angle de la bouche. 8 Muscle buccinateur. 9 Muscle abaisseur de la lèvre inférieure. 10 Muscle mentonnier.

supérieure, et bien évidemment, le « fait sénile » vient s’ajouter à la paralysie pour aggraver les déformations et l’obliquité de la ligne bi-commissurale (Figs. 2A et B) : • Disparition du sillon nasogénien ; • Déviation du philtrum vers le côté sain, plus ou moins marquée selon l’âge ; • Déformation et allongement du sillon labio-mentonnier plus ou moins marqués en fonction de la distension des parties molles (Figs. 3A et B) ; • Le vermillon est également allongé et semble affiné du côté paralysé. Le déficit de contraction. Les mouvements volontaires ou non aggravent l’asymétrie. Du côté paralysé, toute mobilité est abolie, qu’elle soit volontaire, émotionnelle, ou spontanée : • Impossibilité de siffler ou souffler sans fuite d’air ; • Déviation vers le côté sain à la parole. Chez le sujet âgé, la distension fait apparaître la paralysie faciale unilatérale dès l’examen au repos. Chez l’enfant et l’adulte jeune, l’altération est surtout dynamique, l’affaissement de la ligne bi-commissurale étant peu marqué au repos. Les troubles fonctionnels. Accumulation des aliments dans le sillon gingivo-jugal par déficit du muscle mentonnier pour la région antérieure et par déficit du buccinateur pour la région latérale ; la salive peut être mal contenue du côté paralysé par déficit de l’orbiculaire labial.

B Fig. 2. A : paralysie faciale périphérique chez le sujet féminin jeune de 36 ans. B : paralysie faciale périphérique chez le sujet âgé : majoration des signes par le « fait sénile ».

Changements dans l’élocution ; ces changements sont dus à la flaccidité de la joue, particulièrement nets pour les voyelles O et U et les consonnes labiales P, D, T, V et F. 1.1.2. Paralysie partielle Seule l’analyse clinique soigneuse permettra de la détecter. Elle peut toucher un muscle ou un groupe musculaire de la lèvre supérieure ou de la lèvre inférieure (Figs. 4A, B et C). Dans le cadre de la paralysie faciale dite congénitale, il n’est pas exceptionnel d’observer une paralysie isolée des releveurs de la lèvre supérieure ou une paralysie isolée des abaisseurs de la lèvre inférieure. 1.1.3. Parésie (Fig. 5) Seule une analyse fine des mouvements volontaires, mais aussi de la mimique émotionnelle et spontanée lors de la parole permettra un diagnostic précis (Figs. 6A, B et C) faisant la part entre l’hyperactivité du côté sain participant à l’asymétrie, les syncinésies entraînant des contractions anormales, et les muscles dont la contraction n’est pas altérée. Seul un bilan précis permettra d’envisager les possibilités thérapeutiques.

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B Fig. 3. La paralysie faciale provoque un effacement du sillon naso-génien et une accentuation du sillon labio-mentonnier. A : du côté sain ; B : du côté atteint.

1.1.4. Syndrome de Moebius Il se définit par une diplégie faciale associée à une paralysie bilatérale du muscle moteur oculaire externe (responsable de l’abduction du regard) (Fig. 7A) ; la paralysie faciale s’associe fréquemment à une paralysie d’autres nerfs crâniens pouvant aboutir à une béance lorsqu’elle est associée à une atteinte des muscles masticateurs (Fig. 7B). Elle est souvent asymétrique, elle peut être unilatérale, et l’atteinte du nerf facial prédomine souvent dans le territoire de la branche temporo-faciale. L’étiologie reste très controversée. Les diplégies faciales lorsqu’elles sont complètes présentent un aspect impressionnant par l’effacement de tous les reliefs, la suppression de toute mimique. L’incontinence salivaire peut être importante.

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1.1.5. Les réparations nerveuses aberrantes Du côté paralysé, on observe parfois des phénomènes de syncinésies et hémispasme post-paralytique après réparation nerveuse : Les syncinésies sont secondaires à une erreur d’aiguillage des fibres nerveuses en cours de régénération lors de la réparation d’une paralysie faciale. Des gaines nerveuses vides après la dégénérescence wallerienne sont réhabitées par des fibres qui étaient destinées auparavant à

Fig. 4. Paralysie faciale gauche touchant les abaisseurs de la lèvre inférieure. A : au repos ; B : au sourire. On note peu d’anomalie ; C : lors de la mimique émotionnelle et de la parole, les troubles se démasquent.

d’autres territoires. Une partie de l’influx nerveux destinée à un muscle ou à un groupe musculaire particulier peut être transmise à un autre groupe musculaire, déterminant ainsi une co-contraction syncinétique, réciproque ou non. Ce phénomène est le plus fréquemment observé entre muscle

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A Fig. 5. Parésie faciale gauche touchant les deux lèvres.

orbiculaire palpébral et muscles de l’étage inférieur, ainsi un clignement de paupière s’accompagne d’un mouvement labial et/ou réciproquement selon les repousses nerveuses aberrantes ou non croisées (Figs. 8A et B, 9). L’apparition d’un hémispasme post-paralytique est là encore due à la survenue d’une erreur d’aiguillage des fibres nerveuses en cours de régénération lors de la réparation d’une paralysie faciale – surtout a frigore. La récupération de certains mouvements s’accompagne de mouvements parasites affectant des groupes musculaires à distance (souvent le groupe releveur des lèvres). Une fois installé, le trouble ne régressera pas. Cette affection associe à une parésie de profondeur variable trois phénomènes plus ou moins intenses: • Contracture permanente : partielle, intéressant souvent à la lèvre les muscles zygomatiques, voire massive, touchant tous les muscles innervés par le nerf facial ; • Secousses cloniques : il s’agit de contractions brèves, survenant isolément ou par salves, là encore de topographie hémi-faciale globale ou localisée (Fig. 10), le plus souvent au muscle orbiculaire palpébral. Elles sont déclenchées à l’occasion d’autres mouvements faciaux ou par l’émotion ; • Syncinésies.

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1.1.6. Côté sain : hyperactivité Le néophyte découvrant une face paralysée ou parétique localise souvent l’anomalie du côté sain parce que celui-ci est grimaçant (Figs. 11A et B). L’exagération de l’asymétrie résulterait du déséquilibre de tension entre les deux côtés et d’une « compensation » par le côté sain dont la traduction clinique est caricaturale. Le moindre mouvement du côté sain est transformé en rictus [4]. Cette hyperactivité est plus marquée sur les muscles dominants du sourire, l’analyse en est facilitée par la classification du sourire en fonction des trois types de Rubin

Fig. 6. Parésie faciale gauche touchant l’abaisseur de l’angle de la bouche. A : au repos : la partie externe de la lèvre inférieure gauche semble affinée ; B : au sourire ; C : lors de la mimique forcée.

(sourire Mona Lisa, sourire canin et sourire à pleines dents). Là encore, cette analyse de l’hyperactivité doit se faire par l’examen volontaire mais aussi par l’observation soigneuse du malade lors de l’élocution et des mouvements spontanés. 1.1.7. Hémispasme facial [5] L’hémispasme facial se manifeste par des contractions involontaires tonico-cloniques des muscles innervés par le

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B Fig. 7. Syndromes de Moebius. A : paralysie faciale bilatérale et paralysie du VI. Au sourire ; B : association à d’autres paralysies des nerfs crâniens, dans ce cas paralysie du V et béance buccale.

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B Fig. 8. Syncinésie bouche – muscle orbiculaire palpébral après suture d’une plaie des branches du nerf facial à la sortie de la parotide. Contraction de l’orbiculaire palpébral déclenchée par la contraction des lèvres. A : au repos ; B : au sourire.

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Fig. 9. Syncinésie lèvre supérieure – lèvre inférieure. Contraction du mentonnier déclenché par les mouvements de la lèvre supérieure.

nerf facial, et dont la cause est la compression de ce nerf par une boucle vasculaire. Il s’agit d’une affection unilatérale, initialement du muscle orbiculaire palpébral. Il est ressenti au début de l’évolution comme un simple frémissement de la paupière inférieure par le patient, puis surviennent des secousses cloniques gagnant la paupière supérieure suivies d’un spasme tonique pouvant entraîner une fermeture palpébrale. Plus tardivement d’autres muscles peuvent être touchés : corrugator, frontal, platysma, et au niveau labial, zygomatiques, risorius, orbiculaire des lèvres, avec les troubles de la mimique correspondants. Parfois le sujet peut se plaindre d’acouphènes car l’atteinte peut concerner aussi le muscle de l’étrier. Initialement intermittent, l’hémispasme facial se trouve souvent aggravé par le stress, la fatigue, la lecture, et peut persister au cours du sommeil. Des contractions peuvent être déclenchées en demandant au patient de fermer les yeux ou en percutant la joue ou la commissure labiale.

Fig. 10. Spasme des muscles releveurs de la lèvre supérieure droite (cas du Professeur M. Stricker).

B Fig. 11. Paralysie faciale gauche complète (après chirurgie d’un neurinome du nerf VIII) : Hyperactivité du côté sain. A : au sourire ; B : lors de la parole.

1.2. Par atteinte musculaire 1.2.1. Atteinte du corps musculaire • Agénésie, hypoplasie et traumatisme „ Agénésie et hypoplasie musculaires [6,7,8,9] : La plus fréquente des agénésies musculaires touchant la face est celle du muscle triangulaire des lèvres (Fig. 12). Les patients atteints présentent une asymétrie buccale aux pleurs (« asymmetric crying facies ») : la commissure labiale n’est pas attirée en bas et en dehors lorsque l’enfant pleure. Cliniquement on retrouve un amincissement et une atonie de l’hémilèvre inférieure affectée. Il faut savoir rechercher une association malformative qui est souvent présente, cardiaque essentiellement (syndrome cardiofacial de Cayler), mais aussi musculo-squelettique (hémivertèbre, torticolis congénital, agénésie radiale…), génito-urinaire ou crânio-faciale. Beaucoup plus rarement, on a décrit des hypoplasies congénitales du risorius, des grand et petit zygomatiques, du releveur superficiel de la lèvre supérieure.

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Fig. 12. Agénésie du muscle triangulaire des lèvres : « assymetric crying facies ».

„ Traumatisme : D’origine accidentelle, ou rançon chirurgicale, comme lors d’une exérèse carcinologique localisée (Figs. 13A et B), la perte de la fonction d’un muscle a priori sans retentissement morphologique au repos, mais se démasquant par un déficit fonctionnel lors de la mimique labiale. • Infiltration du muscle L’infiltration d’un muscle par un processus tumoral peut avoir pour retentissement un déficit moteur dans le territoire musculaire concerné, et peut donner le change avec une étiologie paralytique (Figs. 14A et B). Le diagnostic est redressé par l’examen clinique attentif et les examens complémentaires morphologiques. 1.2.2. Dystrophies musculaires • Dystrophie de Steinert Il s’agit de la plus fréquente des dystrophies musculaires, de transmission autosomique dominante avec phénomène d’anticipation. Le gène en cause dans la myotonie de Steinert a été identifié sur le chromosome 19, et l’anomalie relevée est une expansion de triplets CTG. La maladie est d’expression clinique variable avec certaines formes sévères et à manifestation précoce, et d’autres plus discrètes et tardives. La myotonie de Steinert donne des troubles musculaires et systémiques. L’atteinte musculaire associe une myotonie, c’est-à-dire une lenteur à la décontraction musculaire, et une atrophie musculaire. La myotonie est déclenchée par la poignée de main, la percussion linguale, du poignet ou de l’éminence thénar. L’atrophie musculaire intéresse la tête et le cou (muscles temporaux, masséters, buccinateurs, risorius, orbiculaire des lèvres surtout partie inférieur, carrés du

B Fig. 13. Résection des muscles releveurs de la lèvre supérieure dans l’enfance (rhabdomyosarcome). A : au repos ; B : a la mimique forcée.

menton, sterno-cléïdo-mastoïdiens) et résulte en un faciès figé inexpressif, émacié, béat (Figs. 15A et B) [10]. Cliniquement, l’atteinte de l’orbiculaire des lèvres empêche le patient de gonfler les joues, on note un effacement des rides du visage, et la voix est rauque et monocorde. Aux membres, l’amyotrophie est distale. L’atteinte systémique comporte une cataracte, des troubles du rythme cardiaque, des troubles endocriniens (atrophie testiculaire, diabète), une calvitie précoce, une détérioration intellectuelle. Les enzymes musculaires CPK sont normales. Lors de l’exploration électromyographique, on retrouve des salves myotoniques. Ce syndrome myogène s’observe sur les muscles distaux des membres, les muscles du cou et de la face. La biopsie musculaire peut aider au diagnostic, montrant fréquemment à l’examen anatomo-pathologique une atrophie touchant plutôt les fibres musculaires de type I, et dans les tissus les plus atteints des fibres annulaires, des masses sarcoplasmiques et des centralisations nucléaires.

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B Fig. 14. Angiome veineux labial supérieur. A : au repos : effacement du sillon naso-génien et une chute de la commissure à droite simulant une paralysie de la lèvre supérieure droite ; B : au sourire : déficit de contraction par infiltration du corps musculaire.

• Dystrophie facio-scapulo-humérale de Landouzy – Déjérine Cette affection à la transmission autosomique dominante débute habituellement dans la deuxième décennie. Elle se manifeste par une atrophie musculaire asymétrique et sélective, d’installation lentement progressive, qui touche la face (muscles orbiculaires palpébraux au début, puis péri-buccaux) et la ceinture scapulaire (fixateurs de l’omoplate). Le signe le plus précoce est la béance palpébrale pendant le sommeil. On observe une perte d’expressivité du visage, avec un aspect caractéristique des lèvres : la lèvre inférieure s’éverse avec un élargissement de la fente buccale souvent asymétrique (accentué lors du rire : le « rire transversal » de Landouzy et Déjérine), la lèvre supérieure saille en « lèvre de tapir ». Les patients ont des difficultés à siffler, à prononcer les labiales (b, f, m, p, v) . D’évolution très lente, entrecoupée parfois de périodes de stabilité prolongée, cette maladie est le plus souvent longtemps compatible avec une vie normale [11].

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Fig. 15. Maladie de Steinert : atrophie musculaire intéressant la tête et le cou, faciès figé et inexpressif, incompétence labiale. A : de face ; B : de profil.

• Myotonies congénitales Les myotonies congénitales se distinguent de la maladie de Steinert par : un début plus précoce (habituel-

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lement entre 6 et 10 ans), l’absence de déficit et d’amyotrophie. On distingue les maladies de Thomsen, à transmission autosomique dominante et de Becker, à transmission autosomique récessive. La maladie de Thomsen touche l’ensemble de la musculature striée. La myotonie est diffuse, et donne au visage un aspect figé, avec une persistance de la mimique (sourire, grimace…) au-delà de l’excitation volontaire. Cliniquement, l’atteinte du muscle releveur de la paupière est responsable d’un pseudo-signe de Graef (la paupière supérieure ne suit pas de manière synchrone le globe oculaire dans le regard vers le bas). Parfois la maladie peut toucher les muscles masticateurs et linguaux. 1.3. Par atteinte de la jonction neuro-musculaire : la myasthénie C’est une maladie auto-immune qui induit un bloc de la jonction neuro-musculaire. Ce bloc est secondaire à l’action d’auto-anticorps dirigés contre les récepteurs à l’acétylcholine de la plaque motrice. Cette affection entraîne un déficit moteur particulier, qui apparaît à l’effort. La topographie est variable mais touche préférentiellement l’oculomotricité (diplopie, ptosis) et les muscles de la face. Le faciès est peu expressif, avec une pseudo-diplégie faciale. Il existe une incompétence labiale et le patient ne peut pas siffler. On peut observer une dysphonie, des fausses routes, voire des troubles ventilatoires. Outre l’histoire clinique, le diagnostic repose sur les tests aux anticholinestérasiques, le test du glaçon (l’application d’un glaçon sur une paupière ptosée lève transitoirement le ptosis), les études électromyographiques et la recherche d’auto-anticorps anticholinestérase. Le traitement comporte les anticholinestérasiques, les corticoïdes et les immuno-suppresseurs.

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2. Troubles dynamiques d’origine centrale 2.1. Dystonie 2.1.1. Dystonie oro-mandibulaire La dystonie oro-mandibulaire apparaît habituellement après 50 ans et consiste en la contraction involontaire des muscles masticateurs, linguaux et péri-buccaux, entraînant une ouverture ou une fermeture anormale de la bouche. Elle peut être associée à un blépharospasme, constituant ainsi le syndrome de Meige (Figs. 16A et B). [12,13,14] • La dystonie oro-mandibulaire en fermeture La plainte exprimée par le patient est une difficulté à ouvrir la bouche. On palpe parfois une hypertrophie massétérine. Les muscles intéressés sont les muscles temporaux, masséters et ptérygoïdiens médiaux.

B Fig. 16. Syndrome de Meige. Co-contraction des muscles péri-buccaux et masticateurs associée à un blépharospasme. A : au repos ; B : en contraction.

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• Le syndrome de Brueghel Il s’agit d’une dystonie oro-mandibulaire en ouverture [15]. Le peintre Pieter Brueghel en fit le portrait en 1558 (De Gaper. Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles). Le patient est gêné à la fermeture buccale, avec d’éventuels retentissements sur l’alimentation et l’élocution. Les muscles en cause sont les muscles infra-hyoïdiens, ptérygoïdiens latéraux et parfois platysma. 2.1.2. Dystonie d’utilisation instrumentale Il s’agit d’une contraction involontaire soutenue de l’orbiculaire des lèvres qui s’observe chez les musiciens jouant d’un instrument à vent (en particulier saxophone, trombone, flûte). Ce trouble très fin, fortement ressenti par le patient peut passer inaperçu à l’examen clinique s’il n’est pas particulièrement attentif. La dystonie d’utilisation instrumentale se rapprocherait de la crampe de l’écrivain [16]. 2.1.3. La maladie de Wilson ou le sourire sardonique Cette anomalie rare du métabolisme de cuivre est à l’origine d’une accumulation de cet élément dans l’organisme, et principalement dans le foie, le système nerveux central et la cornée. Il s’agit d’une maladie génétique à transmission autosomique récessive, dont le gène causal est porté par le chromosome 13. L’affection débute dans l’enfance et associe des troubles psychiques, un syndrome parkinsonnien et une dystonie plus ou moins généralisée selon l’évolution. Cette dystonie touche habituellement les muscles de la face, qui présente au repos des déformations discrètes liées à la contracture permanente des muscles péri-buccaux : la fente buccale est allongée transversalement, les plis naso-géniens sont accentués, la lèvre inférieure est légèrement en retrait de la lèvre supérieure, le faciès est figé en un sourire inexpressif. Les mouvements volontaires accentuent les phénomènes dystoniques déjà présents au repos : la bouche s’ouvre, les lèvres se plaquent au arcades dentaires sous-jacentes, les dents supérieures sont découvertes, les sillons péri-buccaux et naso-géniens s’accentuent et les peauciers du cou deviennent saillants. L’ensemble réalise un sourire spasmodique inadéquat dit « sardonique ». Ce sourire est quasi-constamment présent dans la maladie de Wilson. On l’observe aussi parfois dans la maladie d’Hallervorden-Spatz, surcharge ferrique du locus niger et du globus pallidus. Le traitement consiste en l’administration de D-pénicillamine per os.

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persensibilité de dénervation secondaire au bloc dopaminergique [17]. 2.2.1. Les dyskinésies facio-bucco-linguales Elles sont les plus fréquentes des dyskinésies tardives des neuroleptiques. Le tableau clinique associe des mouvements d’ouverture et de fermeture de la bouche, d’enroulement lent de la langue contre les faces internes de joues alternant avec sa protraction, des mouvements de succion ou de claquements de langue. Il peut exister une composante dystonique (contraction tonique). 2.2.2. Le syndrome du lapin Il s’agit d’un tremblement des lèvres avec des mouvements d’abaissement de la mandibule. 2.3. Tremblement 2.3.1. Maladie de Parkinson On peut observer dans la maladie de Parkinson un tremblement de repos localisé au menton et à la lèvre inférieure entraînant une fine trémulation de cette dernière. Rarement isolé, ce tremblement est associé aux autres signes de la maladie. Le faciès est figé (amimie) avec une rareté du clignement des paupières, il peut exister une béance labiale, voire dans les formes évoluées une vraie ptose labiale inférieure. L’akinésie, l’hypertonie de type extra-pyramidale et le tremblement de repos unilatéral d’une main permettent de poser le diagnostic. 2.3.2. Tremblement essentiel Un tremblement de menton ou des lèvres peut également se rencontrer dans le cadre d’un tremblement essentiel. On le distingue du précédent par l’absence de syndrome parkinsonien, un tremblement postural des mains habituellement bilatéral, une voix chevrotante. 2.4. Myoclonies Les myoclonies sont des contractions musculaires soudaines, brèves et involontaires dont l’origine peut être corticale, réticulaire ou médullaire. L’épilepsie partielle continue se caractérise par des myoclonies dans un territoire localisé, comme la région péri-buccale. Des myoclonies particulières oculo-masticatoires touchant en particulier les lèvres, le menton et l’appareil manducateur peuvent être observées dans la maladie de Wipple.

2.2. Dyskinésies tardives des neuroleptiques 2.5. Myokimies Les dyskinésies observées correspondent à des mouvements anormaux d’amplitude variable, irréguliers, parfois rythmiques. Elles se manifestent plusieurs années après la prise d’un neuroleptique, résultant d’un mécanisme d’hy-

Les myokimies se définissent par un mouvement ondulatoire ou vermiculaire incessant parcourant le muscle, sans contraction du muscle, et d’évolution continue. Les myoki-

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mies faciales peuvent être présentes dans l’atrophie multisystémique (AMS) qui rentre dans le cadre des syndromes parkinsoniens atypiques. Elles font également partie du tableau clinique de la maladie de Kufs, déficience mentale progressive familiale. Ce phénomène peut aussi être localisé et familial, comme au muscle de la houppe du menton (myokimie familiale de Baasch). 2.6. Fasciculations Il s’agit de contractions involontaires de faisceaux musculaires, associées comme dans la sclérose latérale amyotrophique (ou maladie de Charcot) à des phénomènes de paralysie spasmodique et à une atrophie musculaire progressive. Le risque évolutif de la maladie de Charcot est l’atteinte labio-glosso-laryngée par lésion des motoneurones bulbaires, dans un délai variable d’environ deux ans conduisant au classique décès par asphyxie. Cependant des formes moins profondes ou plus lentement évolutives sont décrites. 2.7. Tics Les tics correspondent à une activité motrice ou vocale stéréotypée et répétitive, échappant à la volonté, mais dont le sujet peut avoir conscience. Les tics disparaissent pendant le sommeil. Il peuvent être l’expression de troubles psychologiques, obsessionnels ou phobiques par exemple. Il existe des formes cliniques particulières comme le syndrome de Gilles de la Tourette (ou maladie des tics convulsifs), qui associe des tics qui se multiplient à d’autres actes compulsifs (coprolalie, mimétisme mimique ou vocal), et qui évolue généralement vers la démence.

Fig. 17. Bride cicatricielle après brûlure.

3.2. Bride cicatricielle Bien évidemment, la rétraction cutanée cicatricielle, en particulier péri-orificielle (Fig. 17) entraîne des attractions et des déviations des reliefs, visibles à la contraction sinon au repos.

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3. Troubles dynamiques d’origine cutanée 3.1. Sclérodermie et syndrome de Romberg La sclérodermie, et le syndrome de Romberg (ou hémiatrophie faciale progressive) qu’on décrit souvent comme une forme unilatérale est une maladie générale de type connectivite aux manifestations entre autres cutanées, et touchant plutôt la femme. On observe une rigidité de la peau qui est tendue et des tissus sous-cutanés, avec un effacement des rides (la patiente, parfois âgée semble rajeunir) et un faciès figé, pouvant s’associer à une limitation d’ouverture de bouche majeure. Elle se trouve parfois associée à une calcinose souscutanée (C), un syndrome de Raynaud (R), plus ou moins une dysfonction œsophagienne (E) et des télangiectasies (T), au sein du syndrome CREST.

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