Les vacances du Facteur H

Les vacances du Facteur H

Cas clinique Les vacances du Facteur H Claire Bulteau1, Marie-Nathalie Kolopp-Sarda1,2,* 1 2 Laboratoire d’Immmunologie, Centre Hospitalier Lyon Sud,...

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Cas clinique Les vacances du Facteur H Claire Bulteau1, Marie-Nathalie Kolopp-Sarda1,2,* 1 2

Laboratoire d’Immmunologie, Centre Hospitalier Lyon Sud, Chemin du Grand Revoyet, Pierre Bénite, France. EA4130 Immunogénomique et Inflammation, Université Claude Bernard, Lyon 1, France. *Auteur correspondant : [email protected] (MN. Sarda).

RÉSUMÉ Ce cas clinique rapporte l’histoire d’une petite fille de parents consanguins, hospitalisées pour une asthénie, des vomissements et une anurie.Tous ces signes s’avèreront liés à un syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa). La meilleure connaissance du système du complément et des fractions impliquées dans l’activation et la régulation de la voie alterne ont permis d’individualiser cette pathologie et d’en faire un diagnostic biologique. Le mécanisme physiopathologique du SHUa est lié à une dérégulation et une hyperactivation de la voie alterne. Le développement d’un anticorps monoclonal anti-C5 permet le blocage de l’activation excessive et non régulée du complément.

ABSTRACT - The holidays of the Factor H

This clinical case reports the story of a little girl of consanguineous parents, hospitalized for asthenia, vomiting and anuria. All these signs will be related to an atypical haemolytic and uremic syndrome (aSHU).The better knowledge of the complement system and the fractions involved in the activation and regulation of the alternate pathway has made it possible to individualize this pathology and make a biological diagnosis. The physiopathological mechanism of SHUa is linked to deregulation and hyperactivation of the alternate pathway. The development of an anti-C5 monoclonal antibody allows blocking of the excessive and unregulated activation of the complement.

Observation clinique De parents consanguins d’origine tunisienne, la petite Alice naît par césarienne dans un contexte de pré-éclampsie à 36 semaines d’aménorrhée. Elle présente à 11 jours de vie un tableau associant une asthénie avec somnolence, MOTS CLÉS des vomissements persistants et une anurie. Rapidement, ◗ ADAMTS13 on constate l’apparition de ◗ Eculizumab marbrures associées à un ◗ Facteur H temps de recoloration cuta◗ Shiga toxine née augmenté. Transférée en ◗ SHU atypique réanimation, un premier bilan ◗ Système du complément biologique est réalisé et il met KEY WORDS en évidence une anémie hémo◗ ADMTS13 lytique (hémoglobine à 72 g/L, ◗ Complement system présence de schizocytes, LDH ◗ Eculizumab à 548 UI/L, haptoglobine à ◗ Factor H 0,4 g/L), une thrombopénie à ◗ Shiga toxine 63 g/L et un débit de filtration ◗ SHUa glomérulaire abaissé à 9 mL/ min/1,73 m2. L’absence d’argument en © 2017 – Elsevier Masson SAS faveur d’une crise drépanocyTous droits réservés.

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taire (patiente de 11 jours et absence de drépanocytes), d’un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase G6PD (absence de corps de Heinz), ou d’un syndrome MYH9 (absence d’inclusion basophile dans les polynucléaires neutrophiles et de plaquettes géantes)(1), oriente raisonnablement le clinicien vers un syndrome hémolytique et urémique. Celui-ci se définit en effet par l’association d’une anémie hémolytique, d’une thrombopénie et d’une insuffisance rénale aiguë. Deux étiologies sont alors recherchées : un sepsis à Escherichia coli producteur de Shiga toxine et un déficit en ADAMTS13(2). Les coprocultures et la recherche de la Shiga-toxine s’avèrent négatives chez Alice et sa mère. De même aucune anomalie quantitative ou qualitative en ADAMTS13 n’est retrouvée. On conclut alors à un Syndrome Hémolytique Urémique atypique (SHUa).

Syndrome Hémolytique Urémique atypique (SHUa) Si cette microangiopathie représente 5 à 10 % des SHU de l’enfant, elle est responsable de la majorité des tableaux de SHU de l’adulte. Cliniquement le SHU se caractérise par une atteinte essentiellement rénale

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Cas clinique Immunologie Figure 1. Le système du complément : les 3 voies d’activation et leurs inhibiteurs.

D'après référence [3].

Figure 2 . Les anomalies du complément et leur support génétique dans le SHUa.

D'après référence [4].

Figure 3. Logigramme simplifié d’interprétation des anomalies du système du complément.

D'après référence [3].

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Cas clinique permettant une distinction théorique avec le purpura thrombotique thrombopénique (PTT) qui présente des atteintes plus diffuses et notamment du système nerveux central [1,2]. Le SHUa est la manifestation clinico-biologique d’une suractivation de la voie alterne du complément [1,2]. Celle-ci peut être conséquente à une surexpression d’un activateur (Facteur B, Facteur D) ou un déficit d’inhibiteur (Facteur H, Facteur I, CD46, CR1, auto-anticorps anti-Facteur H, thrombomoduline). (figure 1). L’implication du Facteur H est l’étiologie la plus fréquente. Une mutation du gène CFH est retrouvée dans 20 à 30 % des SHUa [4] (figure 2). Aussi, la démarche diagnostique du SHUa repose sur une exploration du système du complément : CH50, C3, C4, Facteur H, Facteur I, Facteur B et CD46 leucocytaire ainsi qu’une recherche d’auto-anticorps anti-Facteur H. En cas de bilan pathologique, une recherche de mutations génétiques impliquant la voie alterne du complément sera entreprise. Les résultats d’Alice montrent une concentration de C4 normal à 0,18 g/L (normales : 0,14 – 0,32 g/L), une concentration de C3 effondrée inférieure à 0,04 g/L (normales : 0,80 – 1,50 g/L) et un CH50 inférieur à 12 U/mL (normales : 41-95 U/mL, CH50 Optilite, The Binding Site, Saint-Égrève, France). À l’aide d’un logigramme simple (figure 3), on peut confirmer l’activation de la voie alterne du complément. Le dosage par technique d’immuno- diffusion radiale révèle un déficit complet en Facteur H et l’étude génétique confirme le tableau clinico-biologique : Alice est porteuse homozygote d’une mutation du gène CFH.

de la numération plaquettaire. L’Eculizumab est un anticorps monoclonal dirigé contre la fraction C5 du complément. Il inhibe le clivage de ce dernier en C5a et C5b, permettant ainsi le blocage de l’activation de la voie finale commune du complément (figure 1) [6]. Ayant l’AMM pour le SHUa, le traitement au long cours par Eculizumab en injection (une toute les 2 à 3 semaines) permet une normalisation des paramètres clinicobiologiques. Sous traitement bien conduit, l’exploration du complément montre un CH50 effondré et des concentrations des fractions C3 et C4 non modifiées. Ainsi, la numération formule sanguine et plaquettaire et la fonction rénale d’Alice sont actuellement normalisées. Son CH50 est inférieur à 12 U/mL.

Prise en charge thérapeutique du SHUa

Notes

En réanimation, Alice reçoit le traitement de première intention du SHUa : des transfusions de plasma frais congelé. Une plasmaphérèse est également indiquée mais devant l’instabilité hémodynamique de la patiente, elle n’est pas réalisée [5]. Son état ne s’améliorant pas, une première injection d’Eculizumab est réalisée. Celleci permet une évolution immédiatement favorable marquée par la reprise de la diurèse et une normalisation

Références [1] 5RVDLQ-1JR6%RUGHUHDX3HWDO'pÀFLWVHQSURWpLQHVGXFRPSOpPHQWHW pathologies humaines. Ann Biol Clin 2014;72 (3):271-80, [2]&RQZD\(0+86DQGWKHFDVHIRUFRPSOHPHQW%ORRG   [3] Frémeaux-Bacchi V, Ngo S, Bordereau P, et al. Exploration du complément : DFWXDOLWpV5HY)U/DE  

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Pronostic Après un premier épisode de SHUa, la mortalité est de 2 à 10 % et on déplore 30 % d’insuffisance rénale terminale. Bien qu’étant simplement suspensif, l’Eculizumab permet une amélioration significative du pronostic du SHUa à court et moyen terme [6]. Un diagnostic précoce associé à une utilisation adéquate de l’Eculizumab permettra sans doute une amélioration du pronostic à long terme. QQ Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts avec le contenu de cet article.

1. Le syndrome de May-Hegglin ou syndrome MYH9 (Myosin heavy chain 9) est une thrombopénie d’origine génétique liée à une mutation du gène MYH9. Ce dernier code la synthèse de la chaine lourde IIA de la myosine non musculaire, une protéine contractile du cytosquelette. Les mutations du MYH9 provoquent un défaut de maturation des plaquettes dans la moelle hématopoïétique, se manifestant par une thrombopénie, la présence de plaquettes géantes et d’inclusions basophiles dans les polynucléaires neutrophiles. 2 ADAMTS13 (A disintegrin and metalloprotease with thrombospondin type 1 UHSHDWV HVWODSURWpDVHVSpFLÀTXHGXIDFWHXUYRQ:LOOHEUDQG8QGpÀFLWIRQFWLRQQHO sévère en ADAMTS13 (activité inférieure à 10 %) est observé dans la majorité des cas de purpura thrombotique thrombocytopénique, une microangiopathie thrombotique GpÀQLHSDUODIRUPDWLRQVSRQWDQpHGDQVODPLFURFLUFXODWLRQVDQJXLQHGHWKURPELSODquettaires responsables d’une anémie hémolytique mécanique, d’une thrombopénie de consommation et de signes d’ischémie multiviscérale.

[4]1RULV05HPX]]L*$W\SLFDO+HPRO\WLF²8UHPLF6\QGURPH1(QJO-0HG

 [5] Picard C, Burtey S, Bornet C, et al. Patho-physiology and treatment of typical DQGDW\SLFDOKHPRO\WLFXUHPLFV\QGURPH3DWKRO%LRO 3DULV    [6]:DOOH-9'HOPDV<$UGLVVLQR*HWDO,PSURYHGUHQDOUHFRYHU\LQSDWLHQWV with atypical hemolytic uremic syndrome following rapid initiation of eculizumab treatment. J Nephrol 2017; 30(1):127-34.

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