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L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues The language assessment of bilingual children using a test battery originally standardized for monolingual children C. Schmitt a,∗ , A. Simoës b , A. Laloi c a 5, rue des Primevères, 92160 Antony, France 17, rue Traversière ch.413, 75012 Paris, France c Amsterdam Center for Language and Communication, University of Amsterdam, Spuistraat 210, 1012 VT, Amsterdam, Pays-Bas b
Résumé L’objectif de cette étude est de mesurer la fiabilité des épreuves de langage oral d’une batterie standardisée monolingue, l’Exalang 5-8, chez des enfants grandissant en contexte bilingue. Pour cela, nous avons comparé les performances d’un groupe de 21 enfants bilingues, âgés de 5 ans 11 mois à 7 ans 11 mois, à celles d’un groupe témoin de 21 enfants monolingues de même âge et de même niveau socio-culturel, à travers 17 épreuves évaluant différents domaines langagiers : la phonologie, la métaphonologie, le lexique et la morphosyntaxe. Les résultats montrent un effet négatif du bilinguisme à seulement deux épreuves : la dénomination d’images et la production de récit à partir d’une séquence animée. Pour ces deux épreuves, l’établissement d’une norme bilingue apparaît nécessaire. Ainsi, la standardisation de certaines épreuves destinées à l’évaluation du langage oral des enfants monolingues apparaît utilisable dans le cadre de l’évaluation du langage d’enfants bilingues précoces. Un impact de la longueur d’exposition et du taux d’exposition au franc¸ais a également été observé sur les performances des bilingues à certaines épreuves, montrant la nécessité de prendre en compte l’hétérogénéité des profils de bilinguisme lors de l’évaluation du langage oral de ces enfants. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Bilinguisme ; Évaluation ; Langage oral ; Batterie standardisée ; Orthophonie
Abstract Assessing the language of bilingual children is highly challenging for speech and language pathologists, especially in a country like France that has a strong monolingual tradition. In France, the possibility of testing bilingual children in another language than French remains to date limited and there are virtually no available French language tests providing bilingual norms. Additionally, many factors related to the bilingualism situation of the children can influence their performance on language tests, such as the length of exposure to the language of testing, i.e. the number of years and months the child has been exposed to that language at the moment of testing, or the rate of exposure, i.e. the percentage of exposure the child gets to that language on a daily basis at home. The aim of this study was to assess the reliability for bilingual children of a French test battery, Exalang 5-8, originally standardized for French monolingual children. Using 17 different tasks, four language domains were examined: phonology, metaphonology, lexicon and morphosyntax. Performance of 21 bilingual children with a mean age of 6;10 (range: 5;11–7;11) was compared to the performance of 21 monolingual peers. The bilingual children had started being exposed to French at a mean age of 10 months (range: 0–3;0) and had an average rate of exposure to French around 50% (range: 7–81%). Monolingual and bilingual children were of similar high socio-economic status, with all mothers having achieved at least a secondary level education. The effect of bilingualism was assessed for each of the 12 tasks. We also measured the influence of length and rate of exposure to French on the performance of the bilingual children. Results showed an effect of bilingualism, with bilinguals performing significantly more poorly than monolinguals, on two tasks only: the lexical task of picture naming and the syntactic task of narrative production. These results suggest that for these two specific tasks, bilingual norms are necessary. However, the monolingual standardization of the other tasks seems to remain useful in the context of bilingualism. We also observed an influence ∗
Auteur correspondant. Adresses e-mail :
[email protected] (C. Schmitt),
[email protected] (A. Laloi).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005 0222-9617/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005
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of length and/or rate of exposure to French on the performance of the bilingual children on three tasks: the picture-naming task, the grammaticality judgment task and the task of receptive grammar. Greater length and/or rate of exposure to French led to better performance on these tasks. These results confirm the need of considering the specific situation of each bilingual child in terms of amount and pattern of language exposure when assessing his or her language. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Child bilingualism; Assessment; Spoken language; Standardized battery; Speech and language pathology
1. Introduction La France conserve une culture langagière unilingue et la majorité de ses orthophonistes ne parlent que le franc¸ais. Les orthophonistes en France sont donc généralement contraints de tester l’enfant bilingue uniquement en franc¸ais et à le situer, par manque de normes bilingues, par rapport à des normes monolingues. Or, ces dernières sont peu adaptées car ne prennent pas en compte l’impact de certains facteurs liés au bilinguisme, tels que la longueur d’exposition (LE) ou le taux d’exposition (TE) à la langue [1,2]. Ainsi, il est intéressant de se demander dans quelle mesure les épreuves d’une batterie standardisée destinée à des monolingues sont fiables pour évaluer une population bilingue. Pour répondre à cette problématique, nous avons comparé les performances d’enfants monolingues et bilingues, âgés de 6–7 ans à des épreuves de langage oral d’une batterie standardisée franc¸aise : l’Exalang 5-8 [3]. Le niveau socio-économique (NSC) et le niveau d’efficience non verbale (ENV) des deux groupes ont été contrôlés, dans la mesure où ces deux facteurs peuvent avoir, indépendamment du bilinguisme, une incidence sur les performances langagières [4,5]. Notre étude s’est intéressée à quatre domaines langagiers : la phonologie, la métaphonologie, le lexique et la morphosyntaxe. Les recherches concernant l’enfant bilingue dans ces domaines restent peu nombreuses et les résultats présentés peuvent diverger. En phonologie, Thorn et Gathercole [6] suggèrent une faible sensibilité de la tâche d’empan de chiffres endroit pour évaluer la mémoire phonologique, due à une grande familiarité des enfants avec les chiffres peu de temps après le début d’exposition à la langue. A contrario, la répétition de non-mots serait une tâche moins influencée par la LE et donc plus fiable pour analyser les compétences phonologiques de l’enfant bilingue. Concernant la mémoire de travail phonologique, c’est-à-dire la capacité à mémoriser et manipuler du matériel verbal, on trouve une absence d’effet du bilinguisme sur une tâche d’empan de chiffres envers, même après plusieurs années d’exposition à la langue seconde [7]. En métaphonologie, un avantage bilingue a été mis en évidence à des tâches de segmentation phonémique [8], mais pas à des tâches de suppression phonémique et de détection de rimes [9,10]. Au niveau lexical, la mesure du vocabulaire dans une seule langue fait apparaître une restriction lexicale chez les bilingues en franc¸ais par rapport aux monolingues [11–13]. La LE, le TE et le NSC auraient un fort impact sur la taille du vocabulaire [1,14–16]. Quant à l’aspect métamorphologique du lexique, certaines études montrent un avantage bilingue en suppression morphémique [17], et d’autres pas [18]. En morphosyntaxe, diverses structures du franc¸ais
ont fait l’objet de recherches chez l’enfant bilingue, pointant un désavantage chez ce dernier par rapport à son pair monolingue [19,20]. Concernant la notion de conscience syntaxique, Demont et al. [9] ne trouvent pas d’avantage bilingue en jugement grammatical chez des enfants de CP, et Armand [10] trouve même une infériorité chez des enfants en cours d’acquisition du franc¸ais. La littérature fait apparaître des différences et des similitudes selon les domaines langagiers entre monolingues et bilingues. Les performances langagières des bilingues varient également en fonction de la LE et du TE à la langue dans laquelle ils sont testés. Jusqu’à présent, ces éléments ont été peu pris en compte pour s’assurer de la fiabilité auprès d’enfants bilingues de tests langagiers destinées aux enfants monolingues. Le premier objectif de cette étude est donc de déterminer s’il existe un effet du bilinguisme sur les performances à une batterie standardisée de langage oral. Le second objectif est de mesurer l’incidence de deux facteurs liés au bilinguisme – la LE et le TE au franc¸ais – sur les performances des enfants bilingues à cette batterie standardisée. 2. Méthodologie 2.1. Participants Notre étude compte deux groupes appariés en âge et niveau scolaire : 21 bilingues et 21 monolingues de CP-CE1 d’âge moyen de 6;10 ans. Les deux groupes ne diffèrent ni en âge ni en sexe (p > 0,05). Les enfants ont grandi en milieu exclusivement monolingue, ou en milieu bilingue avec l’un ou les deux parents de langue maternelle autre que le franc¸ais. Aucun enfant n’a de trouble de langage oral ou n’a redoublé de classe. Le NSC a été établi à partir du niveau d’études de la mère et réparti en deux niveaux : NSC 1 de bac à bac + 4 et NSC 2 à partir de bac + 5 (Tableau 1). Les enfants sont tous de NSC favorisé, aucune des mères n’ayant un niveau inférieur au baccalauréat1 . Les matrices progressives de Raven [22] ont été utilisées pour évaluer l’ENV. Les deux groupes ne diffèrent ni en NSC ni en ENV (p > 0,05). L’âge moyen de début d’exposition au franc¸ais du groupe bilingue est de 10 mois. Lors des passations, la LE moyenne au franc¸ais était de 5;11 ans et le TE moyen au franc¸ais en contexte familial, c’est-à-dire le pourcentage de franc¸ais parlé à la maison,
1 Cette information manque pour trois enfants monolingues, pour lesquels les parents n’ont pas souhaité répondre.
Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005
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C. Schmitt et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence xxx (2015) xxx–xxx Tableau 1 Caractéristiques des groupes monolingue et bilingue : nombre, moyenne (écarttype) et étendue. Monolingues (n = 21)
Bilingues (n = 21)
Niveau scolaire CP CE1
(n = 13) (n = 8)
(n = 13) (n = 8)
Sexe Filles Garc¸ons
48 % (n = 10) 52 % (n = 11)
52 % (n = 11) 48 % (n = 10)
Âge chronologique Moyenne (écart-type) Étendue
6;10 (0;7) (5;11–7;11)
6;10 (0;6) (5;11–7;9)
Âge de début d’exposition au fran¸cais Moyenne (écart-type) 0 (0) Étendue
0;10 (1;2) (0–3;0)
Longueur d’exposition au fran¸cais Moyenne (écart-type) – Étendue
5;11 (1;3) (3;9–7;8)
Pourcentage de fran¸cais parlé à la maison Moyenne (écart-type) – Étendue
47 % (25 %) 7–81 %
Niveau socioculturel NSC 1 NSC 2
48 % (n = 10) 38 % (n = 8)
43 % (n = 9) 57 % (n = 12)
Matrices de Raven Moyenne (écart-type) Étendue
2,8 (1,0) (1–4)
2,8 (1,0) (1–4)
de 47 % (Tableau 1). Ces informations ont été obtenues au moyen du questionnaire de l’Alberta Language Environment Questionnaire (ALEQ) [21]. Les langues maternelles du groupe bilingue sont diverses : allemand, anglais, arabe (Syrie et Tunisie), chinois (Qingtian et Wenzhou), comorien, espagnol, mandingue, polonais, portugais et russe. 2.2. Outils d’évaluation Nous avons choisi dix-sept épreuves de la batterie informatisée Exalang 5-8, étalonnée sur 377 enfants de la GSM au CE1 [3]. 2.2.1. Épreuves de phonologie Répétition de non-mots : l’enfant doit répéter 16 non-mots : 8 de deux syllabes et 8 de trois syllabes. Empans de chiffres endroit et envers : l’enfant doit restituer des suites de chiffres entendues. Empan de mots monosyllabiques : l’enfant doit restituer des suites de mots monosyllabiques. 2.2.2. Épreuves de métaphonologie Discrimination auditive de non-mots : l’enfant doit indiquer si 10 paires de non-mots monosyllabiques ou bisyllabiques sont identiques ou non.
3
Identification de rimes : l’enfant doit ranger 18 objets dans 4 coffres, à côté desquels se trouve une image référente permettant de repérer la rime. Inversion phonémique (seulement proposée en CE1) : l’enfant doit inverser des phonèmes pour former une nouvelle syllabe. Comptage syllabique : l’enfant doit indiquer le nombre de syllabes de chaque animal présenté après avoir désigné celui qui a le nom le plus long. Manipulation syllabique (seulement proposée en CE1) : l’enfant doit fusionner la première syllabe d’un animal avec la deuxième syllabe d’un second. 2.2.3. Épreuves de lexique Dénomination d’images : l’enfant doit dénommer 44 items qui font partie du vocabulaire courant [23]. Fluence sémantique : l’enfant doit produire en une minute le plus de noms d’aliments et de boissons. Fluence phonémique : l’enfant doit produire en une minute le plus de mots commenc¸ant par /p/. Métamorphologie : l’enfant doit déduire la construction morphologique de mots par l’extraction de leur radical. 2.2.4. Épreuves de morphosyntaxe Jugement et correction d’agrammaticalité : l’enfant doit repérer une formulation syntaxique correcte ou incorrecte et corriger une formulation syntaxique incorrecte. Compréhension de consignes (compréhension syntaxique) : l’enfant doit traiter au niveau lexical et syntaxique 12 consignes variées de complexité croissante. Compréhension d’un récit entendu : l’enfant doit répondre à des questions faisant référence à une histoire entendue. Production de récit à partir d’une séquence animée : cette épreuve examine la production langagière en situation semiinduite par l’analyse de critères de cohésion et de cohérence [3]. 3. Résultats Le traitement statistique des données a été effectué grâce au logiciel JMP 11.1.1., adapté à l’analyse de petits échantillons comme les nôtres (n = 21) qui nécessitent des méthodes non paramétriques. Dans notre étude, la valeur de −1,65 déviation standard (DS) détermine le seuil pathologique. Une analyse de covariance a été utilisée afin de contrôler les effets du NSC et de l’ENV sur les performances. 3.1. Les effets du bilinguisme sur les épreuves de langage oral En phonologie et métaphonologie, les scores des deux groupes se situent dans la norme (Z > −1,65) (Tableau 2). Néanmoins, toutes les moyennes du groupe bilingue sont plus basses que celles du groupe monolingue, sauf en discrimination auditive et en comptage syllabique. L’analyse statistique ne révèle pas de différences significatives entre les groupes (p > 0,05 à toutes les épreuves). Le contrôle du NSC et de l’ENV par
Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005
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Tableau 2 Tableau des moyennes et écart-types et test de Wilcoxon des deux groupes monolingue et bilingue aux épreuves de phonologie, métaphonologie, lexique et morphosyntaxe. Monolingues
Bilingues
Wilcoxon (p)
Moyenne
(Écart-type)
Moyenne
(Écart-type)
Répétition de non-mots (Z) Empan de chiffres endroit (Z) Empan de chiffres envers (Z) Empan de mots (Z)
−0,62 −0,40 0,34 −0,76
(1,97) (0,77) (1,03) (0,81)
−0,92 −0,75 −0,02 −1,14
(1,54) (0,80) (1,05) (0,93)
0,53 0,27 0,48 0,17
Discrimination auditive (Z) Identification de rimes (Z) Inversion phonémique (Z) Comptage syllabique (Z) Manipulation syllabique (Z)
−0,62 −0,52 0,43 0,24 0,79
(1,83) (1,00) (0,53) (0,75) (0,39)
−0,58 −1,46 −0,001 0,38 0,27
(1,54) (2,44) (1,57) (0,59) (0,97)
0,86 0,22 0,59 0,66 0,38
Dénomination (Z) Fluence sémantique (Z) Fluence phonémique (Z) Métamorphologie (Z)
0,97 0,41 0,35 −1,07
(0,57) (1,31) (1,14) (1,18)
−0,39 −0,07 −0,23 −1,44
(2,65) (1,07) (0,90) (1,84)
0,03* 0,31 0,12 0,84
Jugement et correction d’agrammaticalité (Z) Compréhension syntaxique (Z) Compréhension de récit (Z) Production de récit (Z)
−0,68 −1,94 −1,04 −0,16
(0,79) (1,45) (2,02) (0,79)
−0,90 −1,68 −0,61 −1,04
(0,97) (1,48) (1,72) (1,14)
0,42 0,74 0,49 0,01**
* p < 0,05 :
significatif ; ** p < 0,01 : très significatif.
l’analyse de covariance ne modifie pas ces résultats. Le bilinguisme n’a donc pas d’effet significatif sur les performances aux épreuves de phonologie et de métaphonologie. En lexique, les scores des deux groupes se situent dans la norme (Z > −1,65), mais les moyennes du groupe bilingue sont plus basses que celles du groupe monolingue. Le groupe bilingue ne réussit significativement moins bien que l’épreuve de dénomination d’images (p = 0,03* ). Le contrôle du NSC et de l’ENV ne change pas les résultats. Il y a donc une restriction lexicale chez les bilingues par rapport aux monolingues. En morphosyntaxe, les scores des deux groupes aux épreuves de production de récit, de compréhension de récit et de jugement et correction d’agrammaticalité se situent dans la norme (Z > −1,65). En revanche, les deux groupes ont des scores inférieurs à la norme (Z ≤ −1,65) en compréhension syntaxique. Aucune cause n’a été objectivée pour expliquer les résultats hors norme des deux groupes à cette épreuve. En particulier, aucune corrélation n’est retrouvée entre les performances des enfants et le NSC (r = 0,18, p = 0,27) ou l’ENV (r = 0,16, p = 0,31). Le groupe bilingue ne réussit pas significativement moins bien les épreuves de morphosyntaxe que le groupe monolingue, à l’exception de l’épreuve de production de récit (p = 0,01** ). Cette significativité se retrouve au niveau de l’impression morphosyntaxique générale et dans l’emploi des morphèmes fonctionnels : les bilingues produisent plus d’éléments dyssyntaxiques que les monolingues (p = 0,03* ) et tendent à produire soit des connecteurs, soit des prépositions, alors que les monolingues produisent plus souvent les deux (p = 0,001** ). Aucun des résultats n’est modifié après contrôle du NSC et de l’ENV. Le bilinguisme a donc un effet négatif significatif sur les performances morphosyntaxiques seulement dans l’épreuve de production de récit.
3.2. Les effets des facteurs liés au bilinguisme sur les épreuves de langage oral de l’Exalang 5-8 Aucune corrélation n’a été trouvée entre la LE au franc¸ais et les performances des bilingues aux épreuves de phonologie, de métaphonologie et de morphosyntaxe. Dans le domaine lexical, une forte corrélation est observée entre la LE et les scores en dénomination d’images (r = 0,51, p = 0,02* ). La LE au franc¸ais a donc une influence sur les performances des enfants bilingues uniquement à cette épreuve. Aucune corrélation n’a été trouvée entre le TE au franc¸ais et les performances des bilingues aux épreuves de phonologie et de métaphonologie. En lexique, une forte corrélation est observée entre le TE et les scores en dénomination d’images (r = 0,62, p = 0,01** ). En morphosyntaxe, le TE est fortement corrélé avec les scores en jugement et correction d’agrammaticalité (r = 0,62, p = 0,003** ) et moyennement corrélé avec les scores en compréhension syntaxique (r = 0,49, p = 0,02* ). Ainsi, plus le franc¸ais est utilisé à la maison, meilleurs sont les résultats des enfants bilingues en dénomination, jugement et correction d’agrammaticalité et en compréhension syntaxique. 4. Discussion Notre étude avait pour objectif de déterminer si une batterie standardisée de langage oral initialement destinée aux monolingues était adaptée ou non à l’évaluation d’enfants bilingues. L’administration d’épreuves de la batterie Exalang 5-8, à des enfants monolingues et bilingues de 6–7 ans, nous a permis de mettre en évidence de nombreuses similitudes entre les performances des deux groupes, mais aussi quelques différences.
Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005
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En phonologie et métaphonologie, aucun effet du bilinguisme n’a été observé sur les performances des enfants, confirmant les résultats d’études antérieures [6–9]. En revanche, l’absence d’effet négatif du bilinguisme sur les performances en répétition de non-mots ne va pas dans le sens d’autres études [13,26]. Ceci peut s’expliquer par la LE au franc¸ais plus importante de notre échantillon et par la moindre longueur de nos non-mots. L’absence d’avantage bilingue en métaphonologie ne va pas non plus dans le sens de l’étude de Perregaux [10]. Cette divergence peut s’expliquer par l’hypothèse de Bialystok [24], selon laquelle l’avantage bilingue dans ce domaine disparaîtrait avec l’apprentissage de la lecture. En lexique, un effet négatif du bilinguisme a été observé à l’épreuve de dénomination d’images. Ces résultats sont en accord avec les recherches antérieures qui indiquent la présence d’une restriction lexicale chez les enfants bilingues lorsque ceux-ci sont évalués dans une seule langue [11–13]. Aucun effet du bilinguisme n’a été observé sur les performances en fluence ni en métamorphologie. La restriction lexicale chez les bilingues n’aurait donc pas d’influence sur leur capacité de fluence lexicale ou d’analyse morphologique. Les différences observées à travers les études sur la métamorphologie [11,17] pourraient s’expliquer par l’hypothèse que l’apprentissage métaphonologique réduirait l’écart des performances entre monolingues et bilingues en métamorphologie [25]. En morphosyntaxe, un effet négatif du bilinguisme a été observé en production de récit seulement : les bilingues ont produit plus d’éléments dyssyntaxiques et moins de morphèmes fonctionnels. L’absence d’effet du bilinguisme en compréhension de récit, en jugement et correction d’agrammaticalité et en compréhension syntaxique confirme les études antérieures [9,11]. De fac¸on inattendue, nos deux groupes ont obtenu des résultats en dessous de la norme en compréhension syntaxique. Après analyse des erreurs, aucun indice n’a permis de comprendre ces scores. Une recherche plus approfondie serait souhaitable pour clarifier ce point. Finalement, nous avons mis en évidence chez les bilingues une influence de la LE et/ou du TE au franc¸ais sur les scores à trois épreuves : dénomination d’images, jugement et correction d’agrammaticalité et compréhension syntaxique. L’influence de ces facteurs sur les performances en dénomination confirme les conclusions des études antérieures [1,14]. Nos résultats témoignent de la nécessité de prendre en compte ces deux facteurs lors de l’interprétation des scores des bilingues à ces épreuves. En revanche, la LE et le TE n’auraient pas d’impact sur les scores des bilingues aux autres épreuves investiguées. D’autres recherches s’avèreraient nécessaires pour pouvoir généraliser ces résultats ou non à des enfants bilingues de moins bon NSC que notre échantillon et bénéficiant d’une LE et d’un TE au franc¸ais plus limités. Aussi, l’hétérogénéité des langues maternelles représentées ne nous a pas donné la possibilité d’étudier plus précisément leurs propriétés en comparaison au franc¸ais, ce que permettrait un groupe bilingue plus homogène.
5
5. Conclusion La standardisation de certaines épreuves destinées à l’évaluation du langage oral chez des enfants monolingues apparaît utilisable dans le cadre de l’évaluation du langage d’enfants bilingues précoces de 6–7 ans et de NSC favorisé. Aucune incidence du bilinguisme n’est en effet observée sur les performances d’enfants de cet âge aux épreuves de phonologie et de métaphonologie de la batterie Exalang 5-8. En revanche, certaines épreuves évaluant le lexique et la syntaxe, telles que la dénomination d’images et la production spontanée de récit, ne semblent pas adaptées au contexte bilingue, puisque les enfants bilingues obtiennent des résultats significativement inférieurs à leurs pairs monolingues. Pour ce type d’épreuves, l’établissement d’une norme bilingue est donc nécessaire. Nous avons également mis en évidence l’impact de la LE et du TE au franc¸ais sur les performances des bilingues à certaines épreuves, ce qui témoigne de l’importance de considérer la situation de bilinguisme particulière à chaque enfant pour l’évaluation de son langage. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Annexe. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire (Glossaire) accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. sciencedirect.com et doi:10.1016/j.neurenf.2015.04.005. Références [1] Chondrogianni V, Marinis T. Differential effects of internal and external factors on the developpement of vocabulary, tense morphology and morpho-syntax in successive bilingual children. Linguist Approaches Bilinguism 2011;1(3):318–45. [2] Paradis J. Individual differences in child English second language acquisition: comparing child-internal and child-external factors. Linguist Approaches Bilinguism 2011;1(3):213–37. [3] Thibault M-P, Helloin M-C, Croteau B. Exalang 5/8 : batterie informatisée pour l’examen du langage oral et écrit chez l’enfant de 5 à 8 ans, version 2. Mont-Saint-Aignan: Motus; 2010. [4] Chapman RS. Language development in children and adolescents with Down syndrome. Ment Retard Dev Disabil Res Rev 1997;3(4): 307–12. [5] Hoff E. How social contexts support and shape language development. Dev Rev 2006;26:55–88. [6] Thorn ASC, Gathercole SE. Language-specific Knowledge and Short-term Memory in Bilingual and Non-bilingual children. Q J Exp Psychol (Colchester) 1999;52(2):303–24. [7] Engel de Abreu PMJ. Working memory in multilingual children: is there a bilingual effect? Memory 1999;19(5):529–37. [8] Perregaux C. Reconnaître les atouts linguistiques des enfants bilingues prélecteurs. TRANEL 1995;19:125–39. [9] Demont E, Louvet E, Nocus I. L’enseignement bilingue en Alsace : quelles influences sur l’apprentissage de la lecture et la conscience linguistique ? In: Regnault E, editor. Les enjeux du pluralisme linguistique pour les systèmes d’éducation et de formation. Paris: L’Harmattan; 2001.
Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005
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Pour citer cet article : Schmitt C, et al. L’évaluation du langage oral chez les enfants bilingues au moyen d’une batterie standardisée pour monolingues. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.04.005