L’exactitude du geste chirurgical : évolution de la jurisprudence

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Mise au point L’exactitude du geste chirurgical : évolution de la jurisprudence C. Rougé-Maillart 1, A. Gaudin 2, E. Lermite 3, J.-P. Arnaud 3, M. Pe...

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Mise au point

L’exactitude du geste chirurgical : évolution de la jurisprudence C. Rougé-Maillart 1, A. Gaudin 2, E. Lermite 3, J.-P. Arnaud 3, M. Penneau 2 1. Université d’Angers, IFR 132, laboratoire INSERM (U 922 LHEA) ; service de médecine légale, CHU d’Angers – Angers. 2. Université d’Angers, IFR 132 ; service de médecine légale, CHU d’Angers – Angers. 3. Université d’Angers, IFR 132 ; service de chirurgie digestive, CHU d’Angers – Angers. Correspondance : C. Rougé-Maillart, médecin légiste, expert près la cour d’appel d’Angers, service de médecine légale, CHU, 4 rue Larrey, F 49933 Angers cedex 09. e-mail : [email protected]

Résumé / Abstract

Introduction

L’exactitude du geste chirurgical : évolution de la jurisprudence

C’est en 1936 que la cour de Cassation rendit un arrêt célèbre qui définit les bases de la responsabilité médicale [1]. À cette occasion, fut admis le principe que le médecin était tenu à une obligation de moyens. En autres termes, il a été posé que le médecin devait prodiguer des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données actuelles de la science. La faute médicale se définissait donc comme l’inexécution ou la mauvaise exécution, par le médecin, de cette obligation de moyen. Depuis, il n’a pas été remis en cause que l’obligation à laquelle tout médecin est soumis est principalement une obligation de moyen, découlant de la faute prouvée [2]. Le comportement du médecin est donc considéré comme fautif en comparaison avec l’attitude « qu’aurait eu » un bon professionnel, respectant les règles de l’art et les règles de bonnes pratiques médicales (bien évidemment, l’avis de l’expert est indispensable, lorsqu’il s’agit de déterminer si cet acte a été réalisé conformément aux pratiques médicales). Ainsi, le médecin n’est pas tenu de parvenir à un résultat. Et bien que des obligations de résultat de sécurité aient été parfois reconnues [3, 4] lorsque l’acte médical n’est pas soumis à un aléa ou lorsque cet aléa peut-être maîtrisé, l’obligation principale du médecin reste de moyen, comme l’a réaffirmé la cour de Cassation dans un arrêt du 8 novembre 2000 [5, 6]. La loi du 4 mars 2002 a d’ailleurs confirmé les bases de cette responsabilité médicale, en rappelant que la responsabilité d’un praticien ne pourra être engagée que pour faute. Sans remettre en cause ce principe de base, les juridictions civiles ont cependant, à plusieurs reprises, retenu la

C. Rougé-Maillart, A. Gaudin, E. Lermite, J.-P. Arnaud, M. Penneau Les chirurgiens, comme les autres médecins, exercent leur profession dans le cadre d’une responsabilité de type contractuelle dont les bases ont été définies par la jurisprudence en 1936. À cette occasion, il avait été établi que le médecin était soumis à une obligation contractuelle de moyen ; obligation, qui consistait à mettre en œuvre des soins appropriés, diligents. Ainsi est considéré comme fautif, notamment pour ce qui concerne les actes techniques, le médecin qui a commis une erreur que n’aurait pas commis un médecin prudent, respectant les règles de l’art. C’est la classique référence au « bon professionnel ». Sans remettre en cause ce principe de base, les juridictions civiles ont progressivement retenu la responsabilité du chirurgien lors de la survenue de dommages faisant suite à des actes chirurgicaux, sans tenir compte de cette référence au « bon professionnel ». À partir de 2000, le juge civil a même retenu une quasiobligation de sécurité de résultat dans les cas où le chirurgien avait blessé un organe non concerné par l’intervention. Cependant, il semble que depuis 2 à 3 ans, les quelques arrêts rendus soient en retrait sur ce point. La création, par la loi du 4 mars 2002, d’un régime d’indemnisation des accidents médicaux, a probablement contribué à cette évolution. Il faut espérer que les failles dénoncées de ce système n’inciteront pas les juridictions à revenir sur leur jurisprudence antérieure. Mots-clés : Divers. Responsabilité. Jurisprudence. Judiciarisation. Safety and accuracy of surgical precedures: case law evolution

C. Rougé-Maillart, A. Gaudin, E. Lermite, J.-P. Arnaud, M. Penneau Surgeons, like other doctors, practice their profession within a framework of contractual liability defined by statute in 1936. This established that the doctor was subject to a contractual obligation to provide appropriate and diligent care. Care and technical acts should conform to those which would have been provided by a prudent doctor within the standards of knowledge and practice of his field; care which deviates from this standard would be considered medical error or fault. This standard of care is referred to as “sound professional conduct”. However, while not calling this basic principle into question, civil jurisdictions have progressively held surgeons liable whenever injury has occurred following surgical acts, without considering whether care deviates from sound professional conduct. Since 2000, judges have begun to attribute a requirement for absolute safety of results in cases where the surgeon had injured an organ unrelated to the planned operation. However it seems that the rare judgments given on this topic in the last 2-3 years have become less frequent. The creation of a compensation regime for medical accidents, via the law dated March 4, 2002, has contributed to this evolution. It is to be hoped that the flaws decried in this system do not encourage jurisdictions to reconsider previous case law decisions. Key words: Liability. Statute.

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responsabilité des chirurgiens à la suite de la blessure d’un organe, bien que le comportement de ces médecins ait été considéré comme conforme aux règles de l’art. Les chirurgiens se sont vus tenus, au fil des années, à l’exactitude du geste chirurgical et ont vu leur responsabilité engagée dès lors qu’un organe ou tissu autre que ceux visés se trouvait lésé. Cependant, depuis 3 ans, la haute juridiction semble vouloir revenir sur la distinction entre le geste chirurgical fautif, car imprudent, et le geste chirurgical non fautif. Quelques décisions récentes méritent en effet d’être soulignées car elles révèlent un revirement de jurisprudence sur ce point. La création, depuis la loi du 4 mars 2002, d’un régime d’indemnisation des accidents médicaux non fautifs, a certainement contribué à cette évolution. Mais la jurisprudence reste fluctuante.

Par deux décisions rendues le 7 janvier 1997 [12, 13], la cour de Cassation a confirmé sa décision. La première affaire concernait un patient chez qui avait été pratiquée une résection de la première côte pour traiter une compression des éléments vasculonerveux du défilé thoracobrachial. Lors de la section de la côte, l’artère sous Clavière a été blessée. Il s’en est suivi une hémorragie massive avec désamorçage de la pompe cardiaque et le décès du patient. Infirmant la décision des juges de première instance qui avait retenu la responsabilité du chirurgien, la cour d’appel a écarté cette responsabilité estimant, au vu des rapports d’expertises, que le médecin n’avait pas commis de « maladresse fautive ou non admissible et que le décès de M. X, en suite de cette blessure artérielle, avait pour cause une complication exceptionnelle… et non prévisible ». Mais la cour de Cassation a cassé cette décision, rappelant que « la blessure de l’artère sous clavière avait été le fait du chirurgien, de sorte que sa responsabilité était engagée ».

Vers une exigence de précision du geste chirurgical

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On comprend bien que lorsqu’un organe est blessé au décours d’une intervention chirurgicale il peut être difficile, pour le patient, d’apporter la preuve d’une maladresse fautive du chirurgien. Cette difficulté de preuve a conduit le juge à retenir des présomptions de faute afin de faciliter l’administration de cette preuve. Mais, en utilisant la présomption de faute et la faute virtuelle comme mode de preuve, le juge s’est progressivement éloigné des bases de la responsabilité médicale, instituant par là même, une quasi-obligation de sécurité de résultat en matière d’exactitude du geste chirurgical.

Le recours à la présomption de faute comme mode de preuve Dans une première affaire, une patiente avait subi un dommage résultant de la section d’un nerf sciatique après une intervention pour varice [7, 8]. La responsabilité du chirurgien avait été retenue par les juges du fond. Le médecin avait contesté cette décision sur le moyen, d’une part que l’existence d’une faute du chirurgien ne pouvait être déduite de la seule survenance d’un incident opératoire ; d’autre part, il estimait que l’arrêt se fondait sur des motifs dubitatifs et des hypothèses incertaines. La cour de Cassation estima qu’au vu du rapport d’expertise « il y avait bien eu, soit né-

gligence par défaut d’isolement du nerf de la veine, soit inattention par confusion du nerf et de la veine, soit maladresse… et qu’ainsi, les juges, ayant estimé que toute autre hypothèse était exclue, n’avaient pas statué par des motifs dubitatifs ou hypothétiques ». Dans une autre affaire [8, 9], il s’agissait d’une stérilité occasionnée, lors de la cure chirurgicale de deux hernies, par la section d’un côté et la ligature de l’autre côté des canaux déférents. Les experts n’avaient pas pu établir à quel moment le chirurgien n’avait pas respecté les règles de l’art mais avaient établi qu’il n’avait certainement pas pris les précautions nécessaires et suffisantes pour mener à bien cette intervention. L’accident étant, de plus, survenu des deux côtés, il était difficile de ne pas présumer que la technique elle-même fut en cause. Les juges ont ainsi admis que le chirurgien avait commis un manquement à ses obligations contractuelles en ne respectant pas les précautions préconisées. Dans ces situations, l’utilisation par le juge de la présomption de faute permet de faciliter l’action du patient en déplaçant l’objet de la preuve et en inversant la charge de la preuve. Ces solutions sont tout à fait compréhensibles, tant que le dommage est bien en rapport avec une faute. Les experts ont établi qu’il y avait eu imprudence ou négligence. Même si la preuve de cette imprudence est difficile à établir, celle-ci peut en effet être présumée. La présomption permet seulement de contourner l’obstacle de la faute prouvée.

Le recours implicite à la faute incluse comme mode de preuve Cependant, à partir de 1993, il paraissait clairement admis, par les juges, que toute lésion d’un organe relevait d’une maladresse du chirurgien et pouvait ainsi engager sa responsabilité. Plusieurs décisions ont été rendues dans ce sens et nous en rappelons quelques-unes. Le 27 janvier 1993 [10, 11], la cour de Cassation a retenu la responsabilité d’un médecin, à la suite de l’embrochement d’un uretère lors d’une suture du péritoine après hystérectomie. Dans cette affaire, les experts n’avaient pourtant retenu aucune négligence et estimé que cette complication était un des risques inhérents à la technique.

Le jour même, elle rendait une autre décision, retenant la responsabilité d’un chirurgien après la survenue d’une brèche de la cloison rectovaginale au décours d’une intervention gynécologique. Le chirurgien avait contesté la décision des juges du fond qui avaient retenu sa responsabilité, estimant que la perforation de la cloison pouvait être en rapport avec la fragilité de celle-ci, en raison de l’état inflammatoire de sorte que « l’acte chirurgical lui-même comportait l’aléa d’une telle blessure ». Mais les juges, souverains, ont estimé que la perforation étant due au geste du chirurgien, sa maladresse engageait sa responsabilité. Nous pouvons également rappeler un arrêt rendu le 3 février 1998 [14, 15]. Un chirurgien-dentiste avait provoqué une fracture de la mandibule en procédant à l’ablation d’une dent de sagesse. Le médecin contestait la décision de la cour d’appel, qui l’avait reconnu comme responsable, relevant que les experts avaient précisé que cette complication était en rapport avec « un incident opératoire imprévisible et relativement classique ». Mais là encore, la cour de Cassation a confirmé la décision de la cour d’appel, la complication étant bien en rapport avec le fait du chirurgien.

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C’était pour certains auteurs, sans l’admettre explicitement, admettre la notion de faute incluse dans l’anormalité du dommage : toute lésion d’une structure non concernée ne peut-être en rapport qu’avec la maladresse du chirurgien et toute maladresse du chirurgien engage sa responsabilité.

La reconnaissance d’une quasi-obligation de sécurité-résultat concernant l’exactitude du geste chirurgical Le juge civil a franchi une étape supplémentaire: la responsabilité du praticien pouvait être engagée dès lors que « la réalisation de l’opération n’impliquait pas l’atteinte de l’organe ». Les deux arrêts rendus le 23 mai 2000 [16] sont particulièrement clairs et ont d’ailleurs fortement été commentés [17, 18]. Dans la première espèce, le nerf lingual d’un patient avait été sectionné au cours de l’extraction d’une dent de sagesse. La cour de Cassation avait approuvé la cour d’appel estimant que « dès lors que la réalisation de l’extraction d’une dent de sagesse n’implique pas l’atteinte du nerf sublingual et qu’il n’est pas établi que le trajet de ce nerf présentait chez la patiente une anomalie rendant son atteinte inévitable, une cour d’appel peut décider que le médecin stomatologiste qui, en procédant à l’extraction de la dent de sagesse a provoqué un traumatisme du nerf sublingual, a commis une faute dans l’exécution du contrat le liant à sa patiente ». Dans la seconde espèce, une ligamentoplastie du genou s’était compliquée d’une blessure de l’artère poplitée. Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris n’avait pas retenu la responsabilité du chirurgien, car ce dernier avait mis en œuvre tous les moyens nécessaires et que la complication survenue était exceptionnelle et en rapport avec un acte chirurgical non fautif. La cour de Cassation a toutefois estimé que « la réalisation d’une ligamentoplastie n’impliquant pas le sectionnement de l’artère poplitée, la cour d’appel ne pouvait exclure la faute du chirurgien sans constater que cette artère présentait, chez la patiente, une anomalie rendant son atteinte inévitable ». La cour de Cassation avait d’ailleurs confirmé sa jurisprudence deux mois plus tard : à l’occasion de l’exérèse d’une glande sous-maxillaire, le nerf grand hypoglosse avait été atteint, ce qui avait provoqué,

chez la patiente, une paralysie de ce nerf avec trouble de l’élocution et de la déglutition. La responsabilité du chirurgien avait été retenue par les juges du fond. Pour rejeter le pourvoi formé par le médecin, la cour de Cassation, reprenant ses propos précédents, a approuvé la cour d’appel d’avoir déduit la faute de l’atteinte d’un nerf normalement non impliqué par l’intervention et ne présentant pas d’anomalie. Dans ces solutions, la cour de Cassation avait déduit la faute du seul constat du dommage. Cet argument avait été pourtant motif de censure auparavant. Toujours est-il que c’était l’admission, par la jurisprudence, de la faute virtuelle ou faute incluse (la faute est déduite du dommage) et la consécration d’une véritable « obligation circonstanciée de sécurité-résultat d’exactitude du geste chirurgical ». En effet, seul le caractère « inévitable » du dommage pouvait permettre aux chirurgiens de s’exonérer. Dans toutes ces affaires, la blessure qui est survenue pouvait être considérée comme un risque inhérent à la technique. Elle n’était pas en rapport avec une imprudence ou négligence. Les experts avaient relevé que l’attitude du médecin avait été conforme aux règles de l’art. La blessure d’un organe, dans ces situations, peut être considérée comme un aléa qu’aucune précaution ne permet d’éviter. Retenir la responsabilité du médecin, malgré ce constat, revenait à faire supporter au médecin l’indemnisation de cet aléa de l’acte chirurgical. On s’éloignait fortement de l’obligation princeps décrite par l’arrêt Mercier. Quelques arrêts récents semblent cependant en retrait sur ce point. La possibilité, depuis la loi du 4 mars 2002, d’indemniser les accidents médicaux non fautifs a certainement contribué à cette évolution.

Retour vers la distinction entre geste chirurgical fautif et non fautif ?

Les décisions de 2004 et 2005 Le 7 décembre 2004 [19], la cour de Cassation rendit une décision qui fut remarquée et commentée. Au cours d’une cholécystectomie sous cœlioscopie, une patiente avait présenté deux plaies de l’aorte qui avaient nécessité une réintervention en urgence. Elle fut indemnisée au titre de la perte de chance en raison du manquement du chirurgien à son

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obligation d’information mais fut déboutée de sa demande en réparation de son préjudice corporel. En effet, la cour d’appel avait relevé que la cholécystectomie avait été effectuée selon les règles de l’art ; les plaies de l’aorte représentant un risque connu de la technique, la réalisation de ce risque « n’était pas en soi la démonstration que le praticien avait commis une erreur de point d’impact de son instrument ou un faux mouvement qui devrait être qualifié de maladresse, que la ponction de l’aorte était un accident et qu’aucune faute, ni erreur, ne pouvait être relevés. » La cour de Cassation a approuvé cette décision de la cour d’appel. Cet arrêt revenait donc sur la précédente jurisprudence selon laquelle toute atteinte d’un organe autre que celui visé par l’intervention pouvait être considérée comme une maladresse fautive. Les juges ont distingué l’accident non fautif de la maladresse fautive. La cour de Cassation a confirmé son « revirement » dans une autre décision rendue le 29 novembre 2005 [20]. En l’espèce, une patiente dont le nerf médian avait été sectionné au décours d’une intervention sur le canal carpien a recherché la responsabilité du chirurgien. Ici encore, la cour d’appel avait déclaré le chirurgien responsable d’une perte de chance au titre d’un manquement à son devoir d’information mais a écarté l’existence d’une faute technique. La cour de Cassation a approuvé cette décision, relevant que le risque survenu constituait une complication connue de la technique mais que le chirurgien avait respecté les précautions préconisées, et « qu’aucune erreur, imprudence, manque de précaution nécessaire, négligence ou autre défaillance fautive ne pouvait être retenue à son encontre… » Les solutions rendues par ces arrêts ne peuvent être que saluées. Même si le but des décisions antérieures était l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, la technique utilisée pouvait apparaître souvent contestable. La faute médicale, pour être établie, nous l’avons vu en introduction, nécessite que le médecin n’ait pas mis en œuvre toutes les diligences possibles, qu’il n’est pas eu un comportement professionnel et prudent. L’immense majorité des actes médicaux étant soumis à l’aléa, il convient en effet de distinguer l’erreur médicale fautive de l’erreur médicale non fautive.

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Pour retenir la faute, le juge doit s’appuyer sur l’avis de l’expert qui détermine si l’attitude du médecin a été conforme aux règles de l’art, aussi bien dans l’indication posée de la nécessité du geste que dans la réalisation de celui-ci ; le renvoi à ce standard professionnel doit normalement conditionner l’appréciation de la faute [21]. L’atteinte d’un organe non concerné au cours d’un geste médical ne devrait pas faire déroger aux règles. Mme Lambert Faivre [15] soulignait que « l’exactitude du geste chirurgical constitue une obligation déterminée de sécurité évidente (ce qui n’implique pas le résultat de guérison) […] l’inattention [...] la maladresse […] l’oubli constituent autant de fautes que le paradigme du chirurgien habile, consciencieux et attentif ne saurait commettre ; il y a faute technique du chirurgien, dès lors qu’il porte atteinte à un organe ou un tissu qu’il n’était pas nécessaire de toucher pour réaliser l’intervention ». Mais comment ne pas voir que la blessure d’un organe voisin de celui concerné est parfois un aléa qu’aucune précaution ne peut éviter, même si elle est d’ailleurs indiscutablement le résultat d’un geste chirurgical ? Ne devrait être qualifiée de maladresse que la blessure occasionnée par un chirurgien qui aurait réalisé son geste sans se mettre dans des conditions optimales (non respect des principes de dissection ou repérage, défaut de formation, insuffisance de moyens techniques…).

L’avenir de ces solutions jurisprudentielles Ces arrêts ont le mérite de renvoyer aux bases de la responsabilité médicale et n’engagent la responsabilité du chirurgien que si son attitude est fautive. La loi du 4 mars 2002 a certainement favorisé cette évolution. Elle a en effet posé le principe d’une possible réparation des accidents médicaux non fautifs par la solidarité nationale. Les patients victimes de complications considérées comme « inhérentes à la technique chirurgicale » pourront dorénavant s’adresser aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) et être indemnisés au titre de la solidarité nationale. Mais, plusieurs auteurs le signalent déjà, beaucoup de dossiers sont considérés

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Points essentiels • Le chirurgien, comme tous les médecins, est tenu à une obligation de moyen. Ainsi, concernant le geste chirurgical, la faute ne devrait être retenue que si l’expert établit que le chirurgien n’a pas eu une attitude conforme aux règles de l’art. • Cependant, pendant plusieurs années, les juges ont considéré que la blessure d’un organe doit être considérée comme fautive dès lors que « la réalisation de l’opération n’impliquait pas l’atteinte de l’organe » même si les règles de l’art ont été respectées. • Mais depuis 4 ans, la jurisprudence semble accepter que certaines complications chirurgicales puissent être reconnues comme un « aléa chirurgical » des conséquences duquel le médecin ne peut être tenu pour responsable.

comme irrecevables près des CRCI en raison notamment d’un seuil de gravité non atteint. En effet, il faut rappeler que le CRCI ne traite que les dossiers pour lesquels le dommage est important (les critères d’inclusion étant une Incapacité Permanente Partielle -IPP- de plus de 25 % ou période d’Incapacité Temporaire de Travail -ITT- de plus de 6 mois ou un dommage nécessitant une réorientation professionnelle ou un dommage entraînant des troubles d’une particulière gravité dans les conditions d’existence). Espérons que la faille de ce système de règlement amiable n’incitera pas les juridictions à maintenir leur jurisprudence antérieure concernant la « faute chirurgicale ». Il convient en effet de rester prudent comme le démontrent des arrêts rendus en 2007 et début 2008 par la cour de Cassation. Dans une première affaire [22], lors d’une dilatation endoscopique pratiquée le 15 mai 2000, une patiente avait eu l’œsophage perforé et avait assigné son médecin en responsabilité. Celui-ci avait été condamné et contestait la décision devant la cour de Cassation, en faisant valoir que la faute n’était pas établie. En effet, selon le rapport d’expertise, l’acte endoscopique était justifié, la technique employée et la surveillance avaient été conformes aux règles de l’art et la probabilité du risque de perforation était inhérente à la méthode et imprévisible. Le médecin estimait donc que la cour d’appel ne pouvait déduire de la seule survenance de la perforation l’existence d’une maladresse fautive justifiant l’engagement de la responsabilité. Mais la cour de Cassation a estimé que « pour réaliser la dilatation endoscopique, le médecin devait se guider à l’aide de bougies de Savary sur la sensation de résistance au passage de la bou-

gie et que cette résistance devait être vaincue sans brutalité et que la perforation était la conséquence d’un geste maladroit du praticien ». La cour de Cassation a également retenu le manquement fautif du praticien après la lésion du nerf lingual au décours de l’extraction d’une dent de sagesse [23]. Ces décisions nous rappellent les arrêts de 2000 : la maladresse fautive paraît bien avoir été déduite par les juges du seul constat de la survenue de la complication. Néanmoins, on ne peut déduire de cet arrêt que la cour entend maintenir sa jurisprudence antérieure : en effet les dispositions de la loi du 4 mars 2002 n’étaient pas applicables dans ces espèces puisque les actes avaient été réalisés avant le 5 septembre 2001 (les dispositions de la loi ne s’appliquent qu’aux accidents survenus après le 5 septembre 2001). Les patients ne pouvaient donc bénéficier d’une éventuelle prise en charge par la solidarité nationale. D’ailleurs, dans deux décisions très récentes, concernant des complications chirurgicales survenues après 2001, la cour de Cassation a reconnu que « la faute ne peut se déduire du seul préjudice, lequel peut être en relation avec l’acte médical » et que le dommage peut s’analyser comme « un aléa thérapeutique, des conséquences duquel le médecin n’est pas contractuellement responsable » [24]. Toutefois, l’appréciation jurisprudentielle de la faute chirurgicale reste encore à préciser. Espérons que sera maintenu, dans le cas du geste chirurgical et du geste technique en général, le principe d’une responsabilité fondée sur l’erreur fautive, non seulement pour le médecin, qui doit s’astreindre à une conduite prudente, mais également pour le patient dans son rapport avec son médecin.

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