L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques : recueil des attitudes françaises par Focus Group

L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques : recueil des attitudes françaises par Focus Group

L’Encéphale (2012) 38, 266—273 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE L’i...

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L’Encéphale (2012) 38, 266—273

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP

THÉRAPEUTIQUE

L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques : recueil des attitudes franc ¸aises par Focus Group Treatment initiation in psychotic and manic episodes: French attitudes collected by Focus Group M. Benoit a,∗, F. Bellivier b, P.-M. Llorca c, B. Millet d,e, M. Passamar f, R. Schwan g,h, L. Marty i, L. Cailhol j, B. Giordana a, F. Naudet d,e,k, L. Samalin c, M. Tadri g,h, L. Yon b, E. Hacques l, V. Moreau-Mallet m a

Pôle neurosciences cliniques, clinique de psychiatrie et de psychologie médicale, CHU Pasteur, 06002 Nice cedex 1, Nice, France Pôle de psychiatrie, CHU Henri-Mondor, 94000 Créteil, France c Service de psychiatrie B, CHU de Clermont-Ferrand, université d’Auvergne, 63000 Clermont-Ferrand, France d Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, centre hospitalier Guillaume-Régnier, université de Rennes-1, 35000 Rennes, France e EA-4712 Behavior and Basal Ganglia unit, 35000 Rennes, France f SAUS, centre hospitalier Pierre-Jamet, 81000 Albi, France g Unité de psychiatrie ambulatoire et de liaison, CHU de Nancy, 54000 Nancy, France h Inserm CIC 9501, 54000 Vandoeuvre-lès-Nancy, France i 7, rue de l’Église, 63450 St-Amant-Tallende, France j Centre hospitalier de Montauban, 82000 Montauban, France k Centre d’investigation clinique CIC-P Inserm 0203, université de Rennes 1, hôpital de Pontchaillou, centre hospitalier universitaire, 35000 Rennes, France l Otsuka Pharmaceutical France SAS, 92508 Rueil-Malmaison, France m Bristol-Myers-Squibb, 92500 Rueil-Malmaison, France b

Rec ¸u le 10 f´ evrier 2012 ; accepté le 14 mars 2012 Disponible sur Internet le 29 mai 2012

MOTS CLÉS Schizophrénie ; Trouble bipolaire ; Premier traitement ;



Résumé Un traitement bien adapté des premiers épisodes de schizophrénie ou de trouble bipolaire influence considérablement le pronostic et l’adhésion thérapeutique. Pourtant, les recommandations de bonne pratique clinique existantes sont irrégulièrement appliquées et peuvent ne pas aborder la diversité des situations. Un recueil des pratiques professionnelles souhaitées a été réalisé et structuré au décours de réunions de réflexion interactives

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Benoit).

0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012. doi:10.1016/j.encep.2012.03.004

L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques

Recommandations de bonne pratique ; Focus Group

KEYWORDS First episode schizophrenia; Bipolar disorder; Drug therapy; Clinical practice guideline; Focus Group

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(Focus Group [FG]), et la synthèse de ces réunions a été mise en parallèle avec les données des recommandations existantes. Cette technique des FG dans le domaine de l’initiation thérapeutique lors d’un premier épisode psychotique ou bipolaire paraît compléter utilement les recommandations scientifiques. Elle met en évidence de fac ¸on réflexive la diversité des adaptations possibles dans des situations plus variées, et elle envisage le traitement dans une perspective plus globale, tenant compte de l’expérience du thérapeute, de l’anamnèse du patient, du cadre de soins, des facteurs environnants. L’approche est fréquemment symptomatique et la recherche précoce d’une alliance thérapeutique paraît primordiale, au-delà des connaissances des recommandations pharmacologiques. L’approche par FG pourrait constituer une base de formation supplémentaire dans le cadre du développement professionnel continu. © L’Encéphale, Paris, 2012. Summary An accurate treatment of first episodes in schizophrenia and bipolar disorders has a significant impact on compliance and prognosis. However, existing therapeutic guidelines may be poorly respected and may concern only typical clinical situations. Medical attitudes in clinical practice have been collected and structured on the basis of small interactive meetings (Focus Group [FG]), and a synthesis of practical attitudes has been compared with updated guidelines. The FG method applied to treatment initiation in schizophrenia and bipolar disorder is seen as complementary to evidence-based guidelines. It reveals that, in a reflexive manner, clinical attitudes are often more diverse and frequently consider first treatments after global evaluation, taking more into account external factors such as clinicians’ experience, patient’s history and willingness, clinical setting, and environment. A symptomatic approach is sometimes preferred, and a better alliance is always considered as a main objective. The FG method could be a supplementary support to continuous medical education. © L’Encéphale, Paris, 2012.

Le traitement initial des épisodes psychotiques et maniaques est une étape cruciale de la prise en charge de la schizophrénie et des troubles bipolaires. La précocité du traitement médicamenteux, son adéquation aux objectifs thérapeutiques, sa tolérance et donc son acceptabilité par les patients sont des facteurs de bon pronostic à moyen et long terme [1]. Cette prise en charge thérapeutique se base sur des recommandations de bonnes pratiques qui sont pour la plupart d’origine anglo-saxonne. Le niveau d’utilisation de ces recommandations dans la pratique clinique reste faible, ce qui est lié à plusieurs facteurs [2—4]. L’initiation d’un traitement, comme toute décision médicale, peut se baser sur des recommandations de bonne pratique, ellesmêmes reposant sur l’état de la connaissance scientifique à un moment donné. Mais les décisions thérapeutiques font intervenir bien d’autres facteurs que les données scientifiques. Il peut s’agir de considérations humaines, environnementales, économiques, éthiques ou réglementaires, qui ne sont pas systématiquement prises en compte dans les recommandations, et qui reflètent pourtant la diversité de la pratique clinique. Les impressions cliniques, l’expérience et le jugement du clinicien, ses habitudes pratiques sont importantes à repérer et à mettre en parallèle avec les recommandations scientifiques qu’elles peuvent enrichir. Plusieurs recommandations de bonnes pratiques existent tant dans le domaine de la schizophrénie que dans le domaine des troubles bipolaires. Bien que fréquemment réactualisées, elles n’abordent pas la totalité des questions que se pose le clinicien et ne couvrent pas la pluralité des attitudes de la pratique quotidienne. L’objectif de ce travail est de décrire les pratiques, les difficultés et les attentes en matière d’initiation

thérapeutique en phase aiguë de schizophrénie et de troubles bipolaires type I, des psychiatres exerc ¸ant en France. Pour cela, les attitudes thérapeutiques de psychiatres exerc ¸ant en France ont été recueillies en utilisant la méthode dite de Focus Group (FG) qui consiste à l’organisation de réunions d’échanges sur ce thème entre professionnels. En parallèle de ces réunions, une synthèse des recommandations professionnelles a été réalisée afin de recenser les questions et les réponses autour de la question de l’initiation thérapeutique.

Méthodologie Recueil des pratiques par Focus Group La mise en œuvre des FG s’appuie sur une technique d’entretien de groupe, dite « groupe d’expression », permettant de collecter des informations sur un sujet ciblé [5,6]. La dynamique du groupe permet d’explorer et de stimuler différents points de vue par la discussion, chaque participant défendant ses valeurs, ses préférences et ses priorités. Elle explore aussi bien les « comment ? » que les « pourquoi ? » et permet d’évaluer des besoins, attentes, satisfactions ou de mieux comprendre des motivations, comportements, opinions sur un sujet donné. L’objectif des FG n’est pas d’aboutir à un consensus comme un comité d’experts, ni de faire une analyse statistique des réponses à une question. Cette méthode qualitative a été appliquée à d’autres pathologies dont elle a contribué à améliorer la prise en charge en évaluant notamment, de quelle fac ¸on les résultats de la recherche sont applicables dans la pratique clinique [5,7].

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Élaboration de la grille d’entretien des Focus Group Les recommandations de prise en charge thérapeutique parues et/ou réactualisées entre 2005 et 2010 ont été recherchées pour la schizophrénie [8—14], les troubles bipolaires de type I [15—22] et l’agitation [23,24] (Tableau 1). Elles ont ensuite fait l’objet de synthèses par pathologie, lesquelles ont été ensuite discutées par un comité scientifique1 afin d’élaborer la grille d’animation des FG.

M. Benoit et al. effectuée. Une analyse qualitative en a été faite par un intervenant indépendant spécialiste en anthropologie sociale et culturelle (LM), afin de synthétiser les réponses apportées, de dégager les constats et les conclusions avancées, d’appréhender les facteurs en jeu dans cette méthode. Les thématiques prévalentes permettant de regrouper les attitudes décisionnelles ont été identifiées et synthétisées.

Résultats des Focus Group

Modalités de mise en place

Synthèse qualitative

Six réunions selon la méthode du FG ont eu lieu dans six villes différentes en France (Clermont-Ferrand, Montauban, Nancy, Nice, Paris, Rennes) entre avril et juin 2010, réunissant au total 39 psychiatres d’exercices divers : hospitaliers en secteur ouvert et fermé, en CMP, en urgences générales et psychiatriques, en exercice libéral. Chaque réunion était « gérée » par un binôme animateur—observateur2 , tous deux psychiatres extérieurs au groupe de participants et formés à la méthode de FG. Le nombre de participants était volontairement restreint dans chaque réunion (quatre à huit participants) afin de permettre une libre expression de chacun et d’éviter la formation de sous-groupes. Chaque séance de FG, d’une durée de deux heures environ, était enregistrée (en audio) et retranscrite pour une analyse précise des points de convergence et de divergences des participants observateur repérant par ailleurs, des éléments non verbaux ou d’ambiance par rapport aux points abordés. Chaque FG s’est déroulé selon une technique d’entretien semi-structuré, sur la base de six questions ouvertes, validées par le comité scientifique. Ces questions ont servi de trame à la discussion dans chaque FG afin de limiter l’hétérogénéité des thèmes abordés tout en stimulant l’expression des participants des FG. Les questions retenues préalablement concernaient : les objectifs en terme d’efficacité du traitement initié en phase aiguë, la prise en compte de la tolérance dans le choix thérapeutique, la place de la balance bénéfice/risque, la sédation en tant qu’objectif puis en tant que contrainte, la prise en compte des préoccupations du patient et de ses proches. Une première réunion de FG a servi de pilote permettant de vérifier que les questions étaient bien adaptées et de programmer l’ensemble des FG prévus.

Les mots clés récurrents se dégageant des FG sont : sédation, efficacité, tolérance, alliance thérapeutique, approche symptomatique/traitement étiologique aux urgences, antipsychotiques de seconde génération (ASG), contexte, famille, notion de temps (avant la mise en place d’un traitement étiologique). Une première analyse des choix exprimés par les participants des FG révèle une pratique clinique ordonnée, et largement partagée, ayant pour objectifs :

Méthode d’analyse des résultats Après la synthèse de chaque FG par le binôme animateurobservateur, une collecte et une retranscription des enregistrements audio de l’ensemble des FG a été

1 Comité scientifique : Prs. F. Bellivier, P.M. Llorca, B. Millet, R. Schwan, Drs. M. Benoit, M. Passamar, L. Cailhol, B. Giordana, F. Naudet, L. Samalin, M. Tadri, Dr L. Yon. Les Drs F. Naudet et L. Yon ont été les animateurs de l’ensemble des Focus Group réalisés. 2 Les Drs L. Cailhol, B. Giordana, L. Samalin, M. Tadri ont participé aux Focus Group comme observateurs. Les Drs M. Tadri et L. Samalin ont effectué l’analyse des recommandations, consensus et avis d’experts sur les troubles schizophréniques et bipolaires.

• d’apaiser, calmer le patient, quel que soit le diagnostic et le lieu de prise en charge ; • d’amorcer l’alliance thérapeutique, vu son influence sur l’observance à long terme ; • de sécuriser le patient, son entourage ; • d’initier/instaurer un traitement spécifique ; • de ramener le patient à la « normale ». Les principaux éléments déterminant ces choix concernaient : l’expérience du médecin, l’intensité et le type des symptômes (angoisse, délires), les référentiels de principe, les lieux d’accueil (hôpital, ambulatoire), les facteurs personnels et culturels, les autres acteurs de la prise en charge. Cette analyse a permis d’identifier quatre thématiques autour de l’initiation thérapeutique qui ne trouvent pas de réponse suffisante dans les recommandations actuelles : les objectifs en termes d’efficacité, de tolérance, de sédation et les mesures non médicamenteuses.

Objectifs en terme d’efficacité Ils dépendent en premier lieu de la nature des symptômes et de leur intensité. Si les praticiens se posent d’emblée la question du diagnostic étiologique, le fait qu’il ne soit pas connu n’est pas un obstacle dans une démarche thérapeutique qui est, en premier lieu, symptomatique. Le choix du traitement médicamenteux se pose en terme d’efficacité à court, à moyen et à long terme quel que soit le lieu et la modalité d’exercice. La priorité accordée aux cibles thérapeutiques et aux formes d’administration dépend du lieu d’exercice. Si les situations d’urgence ou en ambulatoire requièrent souvent une action rapidement efficace, il est admis que le traitement initié sera le plus souvent renouvelé par l’équipe assurant la suite des soins. En milieu hospitalier, l’accent est mis sur les techniques non médicamenteuses et la formation des équipes. En règle générale, les groupes de prescripteurs ont à l’esprit que la recherche d’une relation d’alliance avec

L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques Tableau 1

SCH

TBP

Agitation

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Recommandations professionnelles analysées (2003 à 2011). Titre

Rédacteur

Année

Schizophrenia core interventions in the treatment and management of schizophrenia in adults in primary and secondary care [13] Schizophrenia treatment algorithms [14]

National institute for health and clinical excellence (NICE)

2009

Texas department of state health services Maryland psychiatry research center

2008

Canadian psychiatric association

2005

World federation of societies of biological psychiatry

2005

American psychiatric association

2004

¸aise de psychiatrie Fédération franc

2004

¸aise de psychiatrie Association franc biologique (AFPB)

2010

World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP)

2009-10

National health and medical research council (Australia) British association for psychopharmacology (BAP) Canadian network for mood and anxiety treatments (CANMAT) National institute for health and clinical excellence (NICE)

2009

American psychiatric association (APA)

2005

Catalan agency for health technology assessment and research (CAHTA) Expert consensus panel for behavioral emergencies ANAES

2011

The 2009 schizophrenia PORT psychopharmacological treatment recommendations and summary statements [9] Clinical practice guidelines treatment of schizophrenia [10] Recommandations pour le traitement biologique de la schizophrénie : traitement de la phase aiguë [30] Practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia second edition [8] Schizophrénie débutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques [12] Recommandation formalisée d’expert (RFE) : dépistage et prise en charge du trouble bipolaire [19] World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP) guidelines for biological treatment of bipolar disorders (update) [17,18] Clinical practice recommendations for bipolar disorder [20] Evidence-based guidelines for treating bipolar disorder [16] Guidelines for the management of patients with bipolar disorder [29] The management of bipolar disorder in adults, children and adolescents, in primary and secondary care [21] Guideline watch for the practice guideline for the treatment of patients with bipolar disorder [15] Guideline for the management of bipolar disorders in Catalonia [22] Expert consensus guidelines: treatment of behavioral emergencies [25] Conférence de consensus : l’agitation en urgence [23]

2009

2009 2009 2006

2005 2003

SCH : schizophrénie ; TBP : trouble bipolaire.

le patient ainsi que la demande exprimée par ce dernier interviennent dans le choix du traitement. Un recours rapide à un traitement spécifique est fait si la nature des symptômes est très évocatrice d’un trouble précis, si l’anamnèse est également en faveur de ce trouble, et si la sévérité des symptômes est compatible avec cette prescription. La recherche d’une autre étiologie psychiatrique ou somatique est la règle. Une monothérapie par antipsychotiques de seconde génération (ASG) est préférée, ces médicaments étant considérés comme ayant un large

spectre d’action symptomatique, avec des profils différents entre les médicaments de cette classe. On note néanmoins une disparité des réponses quant à la place des antipsychotiques de première génération (neuroleptiques) et de l’administration intramusculaire. Il est admis que la recherche d’objectifs symptomatiques peut faire prescrire isolément ou en association aux antipsychotiques des benzodiazépines, dont l’indication, le type et la durée de délivrance ne font pas consensus. Dans une optique de traitement étiologique, le lithium et les

270 thymorégulateurs anticonvulsivants (dont le divalproate, la carbamazépine, la lamotrigine) sont fréquemment prescrits en cas de suspicion de trouble bipolaire, généralement associés aux antipsychotiques. Au total, les objectifs d’efficacité que se fixe le clinicien reposent sur quatre types de facteurs : • le degré d’urgence, avec l’évaluation de l’agitation et son diagnostic différentiel ; • le tableau clinique symptomatique, puis le diagnostic du trouble spécifique ; • la demande du patient ; • le degré d’alliance thérapeutique.

M. Benoit et al. paraît favorable, avec des tolérances différentes selon les produits. Les thymorégulateurs, les anxiolytiques benzodiazépiniques ou antihistaminiques sont aussi utilisés. Les neuroleptiques de première génération ne sont pas choisis en première intention, mais il est possible d’y recourir en traitement adjuvant pour contrôler un niveau symptomatique élevé. Dans les cas où le diagnostic est inconnu (tableau clinique insuffisamment évocateur, patient dont l’anamnèse est mal connue), un traitement symptomatique d’attente est souvent proposé, de type benzodiazépine, ou neuroleptique sédatif.

Objectifs en terme de sédation Objectifs en terme de tolérance C’est une priorité constante et une préoccupation de l’ensemble des praticiens quel que soit leur mode d’exercice, quel que soit le diagnostic et particulièrement en cas de premier contact. Il s’agit d’un déterminant majeur de l’alliance thérapeutique avec le patient, dès l’initiation du traitement. Il est évoqué que la tolérance objective, mais aussi subjective du traitement, les représentations que l’entourage peut s’en faire ont une influence significative sur l’observance à court, moyen et long terme. L’objectif de tolérance du traitement initié paraît déterminé par des facteurs partiellement interdépendants : • le terrain individuel, avec la recherche la plus complète possible des antécédents somatiques, des comorbidités, des co-prescriptions, de la prise de substances toxiques et/ou illicites. Sa connaissance repose sur un examen clinique minutieux, un interrogatoire du patient et de son entourage, la récupération de dossiers informatisés ou d’informations émanant de professionnels connaissant ce patient ; • la prise en compte des antécédents de mauvaise ou de bonne tolérance à des traitements antérieurs. La recherche d’effets indésirables avec des traitements antérieurs est à prendre en compte : sédation excessive, réaction paradoxale, mauvaise tolérance neurologique ou cognitive. Le souvenir négatif du patient par rapport à un traitement, qu’il soit ou non rattaché à des effets indésirables objectivés, est à considérer dans un objectif d’alliance actuelle et future ; • le lieu de prise en charge, sachant qu’il peut s’avérer être un facteur de mauvaise tolérance. C’est notamment le cas en service d’urgences, et dans tous les cas où les patients ont ressenti une contrainte de la part de l’entourage et des professionnels ; • certains patients réputés vulnérables à certaines prescriptions : ◦ personnes âgées traitées par anxiolytiques, neuroleptiques ou antipsychotiques, ◦ troubles de la personnalité de type « état limite » traités par benzodiazépines ou neuroleptiques, ◦ patients bipolaires traités par neuroleptiques. Pour cet objectif de tolérance, lorsque le diagnostic est connu ou fortement évoqué, la préférence de prescription se porte sur les ASG, dont le rapport bénéfice/risque

Elle a de multiples facettes, et peut être perc ¸ue comme bénéfique et donc recherchée sous la forme d’un apaisement, ou au contraire comme un effet indésirable si elle est excessive ou non souhaitée. La sédation se place donc entre un objectif d’efficacité et un symptôme de mauvaise tolérance. Les groupes interrogés connaissent les risques d’une sédation excessive, source de complications physiques, nuisant à l’évaluation clinique, et ayant un impact négatif sur l’attitude des patients vis-à-vis de leur traitement et de leur prise en charge. En pratique clinique, la sédation est recherchée dans la prise en charge de l’agitation, situation clinique fréquente dans le contexte de l’initiation thérapeutique, et qui peut représenter une urgence. Dans le cas de la sédation recherchée face à un état d’agitation, l’attitude médicamenteuse dépend de plusieurs facteurs qu’il est important de cerner : • l’efficacité relative des techniques relationnelles ; • l’intensité symptomatique, l’existence du risque auto ou hétéro-agressif ; • le degré de connaissance du diagnostic ; • la nécessité d’examens complémentaires ; • les conditions d’environnement (lieux, professionnels, entourage. . .). Les objectifs prioritaires de la sédation, qui doit être maîtrisée, sont : • • • • •

traiter l’agitation ; sécuriser le patient et l’équipe soignante ; restaurer un contact ; permettre le bilan diagnostique et étiologique ; établir une relation thérapeutique de confiance, gage d’alliance.

Il n’émerge pas de consensus sur les médicaments, mais il est reconnu par les participants des FG que les différentes classes thérapeutiques (neuroleptiques conventionnels, ASG, anxiolytiques) n’induisent pas les mêmes types de sédation. Dans la pratique courante, les médicaments les plus utilisés à visée sédative sont des neuroleptiques conventionnels et des benzodiazépines. Certains praticiens reconnaissent par expérience l’efficacité sédative des ASG. Le choix de la voie intramusculaire est motivé par la recherche de rapidité de sédation, mais parfois envisagé

L’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques en seconde intention lorsque la voie orale a été jugée insuffisante pour calmer l’agitation.

Mesures non médicamenteuses Elles sont reconnues essentielles à la prise en charge initiale et pour l’établissement d’une relation thérapeutique. Il n’y a pas de règle consensuelle. La sécurisation du contact est souvent une première étape incontournable, notamment en fonction du degré d’agitation ou de dangerosité du patient. Des techniques de désescalade sont proposées à ce stade : respect de la dignité, contact individuel, reformulation, clarification du discours, proposition de compromis ou d’alternative. La formation des équipes à détecter les comportements à risque, à les prévenir, à transmettre l’information est encouragée. Ces mesures sont d’emblée pré- et péri-thérapeutiques, avec une attention sur : • la communication avec le patient : aspects verbaux et non-verbaux, repérage des facteurs de risque de débordement comportemental, stratégie relationnelle de l’équipe soignante ; • le vécu du traitement par le patient et son entourage (sa compréhension, son acceptation, les effets attendus), qui a un impact sur l’observance à court et moyen terme. Des actions auprès des familles, afin de les aider à comprendre la maladie et ses soins ou à surmonter leurs barrières sociales et psychologiques à propos du patient et des professionnels sont considérées comme nécessaires. Les proches du patient doivent être associés car ils ont aussi un rôle de médiateur dans l’alliance thérapeutique.

Discussion Les thématiques relevées dans les FG sont abordées dans les recommandations de bonne pratique (Tableau 1) qui les traitent selon le cas au sein de la prise en charge de la schizophrénie ou du trouble bipolaire. D’autres recommandations traitant de la prise en charge des urgences comportementales ont une approche pratique qui est voisine de celle relevée dans les FG, mais privilégient le plus souvent les environnements d’urgence aux aspects diachroniques du traitement des épisodes psychotiques et maniaques [23,25,26]. Plusieurs points soulevés par les FG sont à examiner et à mettre en parallèle avec les recommandations. Les FG expriment la complémentarité nécessaire entre approche symptomatique et approche personnalisée et contextuelle. L’approche symptomatique privilégie la prise en compte de la qualité des symptômes pour initier le traitement, par rapport à une approche uniquement nosographique. Cette attitude reflète les incertitudes diagnostiques à ce stade du traitement, mais également le souhait d’une réponse thérapeutique rapide et adaptée. Les recommandations font en majorité reposer le choix du traitement sur la nature schizophrénique ou bipolaire du trouble (information dont on ne dispose pas de fac ¸on systématique). L’approche personnalisée et contextuelle tient compte des facteurs liés au patient, à son histoire personnelle

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et clinique, à l’environnement personnel et de soins, aux moyens de soins disponibles, à l’expérience et aux objectifs du prescripteur. La prise en compte de la balance bénéfice/risque ou efficacité/tolérance se fait au cas par cas dans une approche d’emblée multifactorielle. Les recommandations envisagent quant à elles l’initiation sur des groupes homogènes, avec pour objectif la réduction globale de l’état pathologique et le retour à un fonctionnement antérieur, à l’exception notable d’une recommandation formalisée dans les troubles bipolaires qui envisage une grande diversité de situations cliniques [19]. Ainsi, l’approche par FG donne la priorité à l’initiation thérapeutique d’une fac ¸on adaptable à divers cadres de soins et dans une perspective longitudinale, réunissant ainsi les apports de recommandations centrées sur le type de trouble, les symptômes prédominants, l’environnement, le parcours de soins. Selon les FG, le choix du médicament repose sur une complémentarité entre expérience personnelle et recommandations, ces dernières se basant le plus souvent sur des résultats d’essais cliniques contrôlés réalisés à partir de populations très sélectionnées, ou sur des avis d’experts. Les ASG sont utilisés en première intention, que ce soit dans une décompensation maniaque ou schizophrénique, si possible en monothérapie, comme dans les recommandations actuelles. Ces dernières, sur la base d’essais cliniques contrôlées, considèrent les ASG comme une famille unique, sans supériorité du rapport bénéfice/risque d’une molécule par rapport à une autre. Les pratiques cliniques exprimées dans les FG considèrent des profils d’action et de tolérance différents entre les médicaments de cette classe, comme mis en évidence dans la littérature [19,22,27,28]. Si la recherche d’une monothérapie d’emblée y est généralement préconisée, les FG rapportent l’utilité d’associations avec des anxiolytiques benzodiazépiniques ou neuroleptiques, ce qui ne repose pas sur des données contrôlées mais sur des habitudes de prescription. Une amélioration des pratiques pourrait émerger de résultats de futures études contrôlées. Les neuroleptiques classiques, déconseillés en première intention, sont parfois prescrits sur des profils particuliers de patients : agitation très sévère, notion de bonne réponse antérieure à ces médicaments, traitement de la phase très aiguë initiale. Les situations d’agitation extrême justifiant le recours à un traitement principalement à visée sédative sont considérées exceptionnelles et n’apparaissent pas de nature à modifier durablement les schémas de prescription. L’importance des approches non médicamenteuses, dont relationnelles, est soulignée par les FG d’une manière congruente aux recommandations de bonne pratique clinique [8,12,13,15,16,19—23,25]. Le traitement est plus souvent initié dans une perspective de continuité entre la phase aiguë, le moyen et le long terme, ce qui réduit les clivages entre les différents temps de la prise en charge et peut renforcer l’alliance thérapeutique. La synthèse des recommandations met en évidence qu’elles portent sur des groupes diagnostiques bien identifiés. Elles prennent moins en compte les incertitudes de situations aiguës, les facteurs contextuels, distinguent moins les premiers épisodes et les récurrences. Couramment, les groupes de praticiens considèrent le traitement

272 de l’agitation à la fois sur un mode symptomatique et dans une perspective étiologique, alors que les recommandations envisagent la prise en charge selon l’un ou l’autre aspect. Les pratiques recensées dans les FG intègrent la prise en charge initiale aux phases suivantes. Aussi, le choix d’initier un traitement qui est indiqué dans la prise en charge à long terme relève d’une attitude visant à établir une alliance avec le patient dans la durée, alors que les différentes phases de la maladie sont prises en compte en général séparément dans les recommandations. Ces dernières font rarement la différence entre premier épisode, phase aiguë et rechute de schizophrénie ou de trouble bipolaire, tout en reconnaissant pour certaines l’objectif d’alliance. Certaines formes cliniques ou évolutions, tels que les états mixtes, les évolutions à cycles rapides, les types schizo-affectifs y sont inconstamment traités. L’apport des recommandations est majeur en ce qui concerne la formalisation du suivi, sa chronologie, les modalités de surveillance de la tolérance et de l’efficacité, les modalités de changement de traitement. Ces différents éléments ont pu être intégrés dans des algorithmes qui concernent majoritairement les troubles bipolaires [16—18,29], plus rarement la schizophrénie [14]. Les modalités possibles d’accueil (lieu, type d’équipe, modes d’admission) y sont d’avantage détaillées, de même que le bilan préalable à tout traitement. Les règles de durée de co-prescription, de délai souhaitable avant changement de traitement sont d’avantage codifiées. Les FG relèvent que les règles ne sont pas applicables dans tous les contextes et ne sont pas applicables in extenso aux phases d’urgence. Ainsi, les praticiens considèrent toujours les méthodes non médicamenteuses, mais nuancent leur applicabilité en fonction des lieux et des différents temps de prise en charge.

Conclusion La méthode des FG permet de mettre en évidence de fac ¸on structurée les attitudes pratiques souhaitées pour l’initiation thérapeutique dans les épisodes psychotiques et maniaques. Ne se limitant pas à un simple recueil de pratiques individuelles, elle permet une mise en commun de savoir, d’expériences, de pratiques et de souhaits. Cette méthode a permis de constater que la prise en charge thérapeutique initiale de ces états privilégie le principe de monothérapie par antipsychotique de seconde génération en l’adaptant à des réalités très diverses de terrain dans une perspective diachronique. Elle démontre que les pratiques enrichissent la portée des recommandations, et ouvrent des suggestions sur l’évolution des référentiels utiles à la prescription qui pourraient au mieux conjuguer trois composantes : des recommandations ou « guidelines », des synthèses régulières de la littérature, des formations en dynamique de groupe avec les professionnels de santé et les associations de patients. L’animation de réunions de praticiens à partir d’une liste non exhaustive de questions répond volontiers à certains besoins de formation. La dynamique interactive de groupe place les participants dans une démarche décisionnelle pragmatique, après contrôle du risque de focalisation excessive sur des situations cliniques atypiques ou extrêmes. La technique de FG pourrait être utile à des séances de FMC

M. Benoit et al. et participer au concept de Développement Professionnel Continu des professionnels de santé.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Ce travail a bénéficié d’un soutien logistique des laboratoires Bristol Myers Squibb et Otsuka. Ces sociétés n’ont eu aucune influence sur les résultats recueillis et présentés dans cet article.

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